vendredi 2 mai 2008

Fafineux


Alors qu'ailleurs on serait aux anges de manger une simple poignée de riz, ici on passe ses journées à vanter les mérites ou les démérites de tel ou tel aliment, comme des fafineux, une expression de ma mère qui n'existe dans aucun dictionnaire.

Fafiner
, c'est piquer du bout de la fourchette les aliments en adoptant un air dédaigneux. Ou bien c'est se décrotter le nez, je ne sais plus trop. Ma mère ne s'est jamais expliquée là-dessus et ne le fera probablement pas.

Je fafinais à table et nous fafinons tous, comme des gras durs, à parler du brocoli, des pogos, du steak de botte, etc.

Le contraire de fafiner, j'imagine, ce serait de dire mange et ferme-la en un seul mot. Je propose tagyeul.

Bref, t'as pas le choix. Aujourd'hui c'est une poignée de riz, demain c'est un rognon bouilli, on ne fafine pas asti. On mange ce qu'il y a sur la table. Comme tout le monde. C'est bon pis c'est rempli de vitamines.

Quand je pense nourriture, la première odeur qui me vient au nez c'est le fumet du steak haché rôti dans la poêle avec des oignons. C'est l'odeur du quartier Notre-Dame-des-Sept-Allégresses où j'ai grandi à Trois-Rivières. En me promenant à travers les rues et ruelles du quartier, il n'y avait que l'odeur des frites pour rivaliser avec le steak haché.

Heureusement que ma mère était gourmande et curieuse en matière de nourriture. Cela nous a permis d'avoir de la variété, des fruits, des crudités, des céréales Capitaine Crounche et de puissantes briques de cheddar Descôteaux achetées à l'ancien marché public du centre-ville, à Trois-Rivières.

Chez-nous, ça sentait la tarte au sucre plus que le steak haché et les frites.

Le steak haché et les frites c'était le repas hebdomadaire de mon père. Il avait appris à cuisiner ce mets et s'en tenait à cela par prudence.

Mon père excellait aussi à faire un gâteau qui pesait vingt livres. C'était un gâteau de son invention, essentiellement huit ou neuf oeufs malaxés longtemps avec une livre de beurre. On en mangeait un morceau et on était plein. Ma mère n'aimait pas ce gâteau: c'était du mastic selon elle. Pour moi, c'était un régal. C'était solide, pesant comme un steak.

Hormis chez-moi, avec les gâteaux et les tartes qui étaient enfournés presque tous les jours, cela sentait juste le steak haché aux oignons frits dans le quartier.

Cette odeur a changé un peu vers le milieu des années '70 avec l'arrivée de mes potes les Vietnamiens et les Cambodgiens. Enfin la haute gastronomie faisait son apparition dans le quartier. Les aliments exotiques, comme les brocolis, les kiwis et les numéro 23 pour deux personnes allaient bientôt apparaître dans le secteur. Bientôt, j'allais troquer les cretons contre la soupe Won Ton.

Mon grand-père Rodolphe, qui est mort un an avant ma naissance, ne mangeait pas de spaghettis. La sauce à spag, pour lui, c'était du «chiard». Pas question de lui en faire manger. Il n'aurait pas mangé de Chow Mein non plus.

Bûcheron un temps, Rodolphe aimait manger solide: du lard, des cretons, du steak haché, des rognons. La nutrition n'était pas encore une science populaire. On formait des Louis Cyr à la grandeur du Québec avec de la viande. Nous étions au pays de la viande, un pays plus grand que l'Europe, une poignée d'habitants, une multitude d'animaux succulents, plus de terre pour la chasse que pour l'agriculture. C'était la coutume du pays d'être viandu.

Le grand-père est mort dans la cinquantaine. Le coeur a flanché.

L'arrivée des Vietnamiens et des Cambodgiens dans le quartier aura peut-être contribué à rallonger ma vie. Dès lors, je me suis mis à aimer les légumes, le riz, les nouilles, les noix, bref la base de l'alimentation asiatique qui produit des centenaires en forme à la tonne.

Je sais que c'est un préjugé favorable et je n'ai pas honte de l'avoir. Ils sont venus nous sauver des cretons trois fois par jour et du roastbeef pour dessert.

Ils ont eu plus d'influence sur l'alimentation générale des Trifluviens que des millions de discours de nutritionnistes. Nutritionniste: ça sonne poulailler me semble... Un élevage d'humains... Bon, me voilà encore à dénigrer une profession honorable. Je suis mieux d'arrêter ici.

1 commentaire:

  1. Toujours un plaisir que de venir lire ici, on repart avec des idées en tête qui continuent de germer le temps qu'on prend à les analyser... :)

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