mercredi 30 juin 2021

L'Île de la Grande Tortue plutôt que l'Amérique

 Amerigo Vespucci, conquistador qui a donné son prénom à ce continent charcuté, possédait au moins cinq esclaves.  «Il a deux domestiques blancs et cinq esclaves : quatre femmes et un homme46. L'une d'elles, appelée Isabel, des Canaries, donne naissance à un garçon et une fille dans cette même maisonn 2,46. En se basant sur certains indices du testament d'Amerigo Vespucci, Consuelo Varela Bueno n'écarte pas l'hypothèse, comme il était courant à cette époque, qu'ils soient les enfants du navigateur46 (Source: Wikipédia)

Ahem... C'était sans doute un «grand homme»(sic!).  Il a «découvert» ce que les Autochtones couvraient depuis au moins quatorze millénaires avant son arrivée sur nos côtes. L'air de rien ce continent avait un nom avant l'arrivée de Amerigo le Florentin esclavagiste. Les Autochtones s'entendaient, s'entendent et s'entendront encore pour désigner leur continent comme étant l'Île de la Grande Tortue. C'est de la poésie pure, vous ne trouvez pas?

J'ai toujours trouvé infâme que l'Île de la Grande Tortue soit appelée l'Amérique. 

C'est un peu comme si l'Afrique s'appelait la Léopoldie.

Ou bien comme si l'Asie se nommait la Françoisxaviérie.

Cela témoigne, en quelque sorte, de la profonde maladie que colporte la civilisation impérialiste gréco-romaine dans ce monde où nous n'en sommes tous que des métèques, ad vitam aeternam, si nous laissions les choses aller vers le stupide culte de la personnalité qui s'y rattache.

L'Autochtone cultive l'humilité et l'écoute. Ce sont des valeurs qui vont en quelque sorte à contrecourant des valeurs véhiculées dans le cadre d'une société capitaliste centrée sur la «réussite» (sic!) individuelle, la résonance de son nom à travers l'appropriation des ressources et l'expropriation des humains. Plus tu humilies de gens autour de toi plus on t'élèvera des statues. Vous appelez ça de la culture? Moi j'appelle ça de la pure soumission à l'autorité. Vouer un culte à un être humain est une perversion de l'esprit. Moins de piédestaux s'il-vous-plaît. Plus d'arbres.

La toponymie autochtone est toujours poétique ou bien utilitaire. On ne désigne jamais les lieux par le nom d'un être humain. Ce serait manquer d'humilité dans ce Grand Cercle de la Vie où nous évoluons avec les créatures et la création. On ne dira pas le Lac Bouchard mais le Lac Caribou. Pas la rivière Saint-Maurice mais la rivière Tapiskwansipi: la rivière de l'enfilée d'aiguille. On ne voue pas de culte à la personne et en ces hauts faits. 

Voilà pourquoi je plaide depuis fort longtemps en faveur du recours à la toponymie autochtone. Ce n'est pas pour «canceller la culture». (De quelle culture s'agit-il? Planter une croix sur un terrain ne fait pas de vous un dieu!) 

Rendons justice à l'humain plutôt qu'en ses barrières sur un territoire enfin libéré du colonialisme. 

Que sait-on des Autochtones? Mille fois rien. On a enseigné à nos grands-parents qu'ils étaient des Sauvages tandis que Catholiques et Anglicans fournissaient les kapos pour les pensionnats autochtones. On a justifié, en quelque sorte, les abus et les mauvais traitements. On leur avait enlevé leur continent. Il valait mieux aussi leur enlever leur culture. Pour que le Hobbit en le colon puisse mieux dormir à voir gonfler ses intérêts pour ses activités foncières sur un territoire occupé de force, au mépris de tout un chacun.

Je nous invite humblement à considérer le rétablissement de la toponymie autochtone pour réparer l'histoire et ne plus commettre les mêmes erreurs. Moins de saints, moins d'esclavagistes, moins de politiciens et moins d'artistes à la morale douteuse. Moins de statues pour nous rappeler que nous n'étions rien et qu'ils étaient tout. 

Plus de poésie. Plus d'humilité. Plus d'humanité.


Gaétan Bouchard

Humain (traduction: Anichinabée, Innu, Iyéyou, Inuit...) né sur l'Île de la Grande Tortue


mardi 29 juin 2021

La culture vivante annule le mensonge


La culture vivante annule le mensonge.

On trouvera plus de vérité dans un poème que dans un système, aussi parfait soit-il aux yeux de ceux qui en profitent. 

On peut mentir dans un essai. 

On peut tordre la vérité dans un bréviaire à l'usage des séminaristes ou des talibans.

On peut voir le monde par le petit bout de la lorgnette identitaire et médire sur tout ce qui devait être tu pour ne pas passer sous le rouleau compresseur des conquistadors anciens ou modernes.

Mais on ne peut pas mentir dans un poème, ni dans une musique, ou si peu que ce ne peut être ni de la poésie ni de la culture.

En quelque sorte, le monde renaît dans cette apparence de chaos primordial dans lequel nous nous démenons tous plus ou moins comme des rats pris au piège.

Alors que certains exploitent les uns et les autres, spolient leurs biens et leurs culture, détruisent leur corps, d'autres continuent de rêver à un monde meilleur, plus juste, plus humain. 

Il n'y a  pas tant ce que l'on appelle la «cancel culture», oeuvre d'épouvantails plus ou moins fabriqués dans l'imaginaire des menteurs. 

Il y a la vérité et le mensonge. La vérité n'est pas une fabrication artisanale. Elle repose sur des faits, sur une forme de justice supérieure indépendamment des institutions ou du système qui les représente. 

La culture survivra très bien à l'annulation des mensonges et des génocides.

La culture vivante annule le mensonge.



lundi 14 juin 2021

La quête de la douceur

On ne se fait pas de mal à recevoir de la douceur, en petites comme en grandes quantités. Ce n'est pas de la grande sagesse, mais c'est utile au quotidien.

Longtemps j'ai tenté de mimer la tête du dur-à-cuire. Je n'y ai jamais vraiment réussi. Il me prend un fou rire aux deux secondes. Et la seconde d'avant je suis un juke-box ambulant, fredonnant les conneries qui habitent mon esprit pour traverser l'espace-temps en flottant sur la musique. Faire le dur me semble même un peu ridicule. J'y vois immanquablement le gorille qui se tape la poitrine pour impressionner et recule ensuite de 10 pas dans la savane pour se demander s'il a bien joué son rôle. Bref, il m'est difficile de croire en la dureté naturelle des primates. Les humains font beaucoup plus d'esbrouffe que de combats. Dans la vraie vie, tu ne reçois qu'une seule chaise en pleine face et tu es paralysé pour le restant de tes jours.

La douceur est tout ce qui me fait fondre. J'y suis tellement sensible qu'elle m'oblige à faire semblant de ne pas pleurer chaque fois que je suis ému. Et ça vient de plus en plus souvent en vieillissant parce que je ne mets plus d'énergie à jouer le rôle du fanfaron. C'est plus facile de flotter sur la musique et de pacifier son caractère, ne serait-ce que sous la forme d'un voeu non exaucé. 

Les gens doux m'impressionnent. Je ne parle pas des gens mous. Mais des gens doux. On peut être doux sans être mous. Et bien que ma bienveillance n'ait rien de particulier contre les mous, il me reste sans doute un peu trop de solide pour endurer ça.

N'empêche que je protège les doux de toute forme de malveillance. Comme s'ils et elles étaient le sel de la terre ou bien un truc du genre.

Les personnes dures, malveillantes, bourrées de préjugés, n'ont toujours réussi qu'à me les faire fuir. Ils ne m'impressionnent pas. Ils se pensent des alphas, ils ne sont que l'oméga de mes préoccupations et ne m'inspirent que de la pitié un peu condescendante. Je les trouve plus minimes que maximes à l'échelle de la douceur.

Je suis donc en quête totale de douceur.

Et j'en trouve suffisamment dans le minime combat de ma vie pour me réjouir de ne pas avoir été oublié par elle, cette sainte et pacifique douceur de vivre. Ce besoin de ne pas se sentir rationner en émotions fortes et profondes. La douceur. Autrement dit: la tendresse.

Un non-poème pour poétiser un peu l'impoétisable

J'aimerais écrire un poème qui réussirait à concentrer mon message dans sa plus complète pureté. 

Je n'y arriverai jamais parce que moi-même je ne sais pas départager la gangue du diamant brut de ma pensée. 

Je suis une énigme pour moi-même autant que pour autrui. Qui prétend me connaître ne peut être qu'un imposteur.

Néanmoins je me connais assez pour savoir où je n'irai pas. Il serait faux de croire que je flirte essentiellement avec la sagesse. Il y a en moi cet enthousiasme indescriptible, cette montée aux barricades, ce goût du combat. Je suis pacifique sans être pacifiste. Je suis doux mais aussi extrêmement violent et difficile à contrôler. Peut-être même que je suis libre.

Je ne suis surtout pas cette image idéalisée que je me fais de moi-même. Et je ne suis pas plus la description d'Untel qui ne se divulgue lui-même que pour faire semblant d'expliquer autrui.

Je suis parce que je suis. La pensée n'a rien à voir là-dedans. On peut très bien être quelque chose sans nécessairement penser. 

Ma philosophie est toujours en friche, incomplète, prête à boire n'importe quelle ciguë plutôt que d'avoir à m'expliquer à Pierre, Jean, Jacques. Tout ce que je bois je le recrache. Je ne digère pas bien tout ce qui est indigeste. 

Je ne suis le prosélyte de personne, même pas de Diogène. 

Je ne porte pas de poisson pourri dans le dos en priant derrière un gourou. Je ne sais hisser aucun drapeau. Je me contente d'exister, membre d'aucun club, d'aucun parti, d'aucune équipe. 

Je joue avec tout un chacun sans me casser la tête. S'ils ne veulent pas jouer je fais un pas de côté. Rien ne mérite d'être pris au sérieux ici-bas. Sinon la mort. La mort, c'est la fin de tout ça. Si c'est le début de quelque chose d'autre, moi je n'en sais rien parce que je ne l'ai pas vu. 

Pour l'heure, nous sommes autant là que nous sommes las. Nous sommes dans la file d'attente et parfois nous passons à l'action pour aussitôt nous rasseoir avec notre numéro, craignant de perdre notre place parmi ceux qui patientent pour je ne sais quoi: une retraite heureuse qui n'arrivera pas, un projet qui tombera à l'eau, une maladie qu'on ne souhaitait pas ou tout bonnement la vie, aussi rationnée soit-elle.

Il n'y a pas de poème à écrire sur tous ces sujets-là.

Il suffit de demeurer humain, solidaire et vivant.

En attendant que ça passe, comme d'habitude...

jeudi 10 juin 2021

L'histoire vraie de Carlos Qui-Picosse

 Carlos Qui-Picosse se sacrait pas mal de plaire ou bien de déplaire. Il ne devait pas son surnom du fait d'être déplaisant. Il ne picossait personne, Carlos. D'ailleurs, il se prénommait Charles. Le picosse c'est parce qu'il picossait tout le temps de l'index pour à peu près rien et tout le temps. Un toc. Sinon un tic. Carlos Qui-Picosse ne s'en préoccupait pas trop. Et s'il n'avait pas picosser autant, même ses amis ne l'auraient plus reconnu. Ce qui fait que Carlos Qui-Picosse lui était resté collé au corps comme une cicatrice. Et même qu'il s'en était fait un point de fierté, Charles Boivin. 

Ce petit homme pas très musclé n'arborait pas moins son surnom sur sa calotte, son pantalon d'édu, sa veste, son chandail, ses bas... On voyait Carlos Qui-Picosse partout sur lui. On ne pouvait même pas l'éviter. 

-Vous voulez m'appeler Carlos Qui-Picosse mes tabarnaks? semblait-il s'être dit. Eh bien j'vais vous en crisser plein la vue du Carlos Qui-Picosse!

Effectivement, il nous en avait crissé pleine la vue et plein la ville.

Ses entreprises fleurissaient: Carlos Qui-Picosse Pizza, Buanderie Carlos Qui-Picosse, Salon mortuaire Carlos Qui-Picosse. Il n'y avait plus rien à son épreuve.

Il mourut en 1997.

Il était alors âgé de 68 ans.

Un cancer ou bien une cochonnerie du genre l'emporta.

Il laissa dans le deuil pas grand monde pour tout dire, sinon ses employés, dont certains l'aimaient bien somme toute parce que Carlos Qui-Picosse a toujours été un gentleman du monde interlope. Il faisait comme si c'était normal de fumer des joints avec eux en écoutant du Led Zeppelin à fond de train.

Il s'acheta un gros terrain au cimetière.

Avec une grosse pierre tombale sur laquelle il fit graver toutes ses propriétés: restaurant, buanderie, prêt sur gage, etc.

C'était écrit

CI-GÎT CARLOS QUI-PICOSSE

PROPRIÉTAIRE DE TOUTES CES ENTREPRISES.

Et rien d'autre.

J'ai trouvé ça cute en quelque sorte.

Short and sweet.


vendredi 4 juin 2021

Fatima l'Africaine et le «peuple invisible»


J'ai le privilège de travailler et de vivre auprès de gens qui proviennent de tous les horizons. Cela me permet de nourrir ma curiosité insatiable. Et aussi de découvrir d'autres manières de vivre. Sinon d'autres manières de voir les choses. On n'apprend rien en ne sachant rien d'autrui. Et on ne lui apprend rien en le privant de tout ce qu'il est.

Fatima est Malienne. C'est un esprit solide, une âme stoïque au coeur généreux. Elle est dans le domaine médical, bien à sa place, surmontant toutes les épreuves, toutes les vexations, toutes les discriminations avec ce regard aussi fier que souverain. Ce même regard indicible que je perçois chez la majorité de mes frères et soeurs des Premières Nations. Quelque chose qui veut dire «paix intérieure» pour laquelle je ne trouve pas de mots assez forts en français. 

Quoi qu'il en soit, je me souviens d'une discussion avec Fatima à propos du racisme. Elle me racontait quelques anecdotes ça et là où elle s'en sortait toujours plus forte. Bien des racistes sont devenus moins racistes à son contact. Elle se faisait aimer naturellement de tout le monde, malgré toutes les barrières, tous les préjugés, tout ce que vous voulez. Elle ne se laissait pas impressionner. Vraiment, Fatima les avait tous et toutes par son flegme, sa présence, et je dirais même sa spiritualité authentique. Elle a plus fait contre le racisme, par le simple fait d'être là, debout, que tout ce que je ne pourrai jamais faire.

-Je pensais que nous les Africains vivions le summum du racisme ici, me racontait Fatima. C'était avant que je ne sois témoin du racisme envers les Autochtones... En classe, on me parlait, même si j'étais une Africaine... Il y avait une fille autochtone dans ma classe et tout le monde l'ignorait. C'est comme si elle était invisible... Je trouvais ça tellement étrange... Et je voyais ça partout, cette mise à l'écart des Autochtones... Puis les préjugés... J'allais la voir et lui parlais. Nous sommes même devenues amies... Nous allions prendre des cafés ensemble. Et elle m'a appris des mots... Je ne me souviens plus très bien... Kwé pour bonjour je crois...  Tout ce que j'entendais à propos des Autochtones, chez les filles de ma classe me hérissait... Elles les appelaient les «kawiches» et colportaient toutes sortes d'âneries sur elles... Je leur disais que c'était non seulement pas vrai mais particulièrement méchant... Je n'en revenais pas! Voyons les filles vous valez mieux que ça!

-Ça ne m'étonne pas... Nous sommes sur leur territoire et nous ne savons rien ni de la langue ni de la culture des Autochtones. C'est comme si leur présence nous rappelait quelque chose de honteux que nous souhaitons cacher... 

-Oui. Elle s'appelait Uapikun, qui veut dire fleur qu'elle m'a dit...

-Elle était de quelle communauté?

-Je sais pas... C'était au Lac St-Jean... J'ai vécu quatre ans au Lac St-Jean...

-Ok...

Je ne me souviens plus du reste de notre conversation. Il devait y avoir beaucoup d'humour. Fatima avait le don de tout revirer en blagues. Et ce n'était jamais déplacé. Des blagues qui révèlent l'humain sans fards et sans malice.

Cette conversation a eu lieu il y a de cela deux ou trois ans. Elle me revient souvent en mémoire. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être parce que Fatima, une Africaine de confession musulmane, avait le don de faire voir et ressentir le racisme, sinon le détestable ostracisme que subissent encore les membres des Premières Nations. 

Le «peuple invisible», comme dans le film éponyme de Richard Desjardins.

Un peuple spolié, dépouillé de tout, et éloigné de leurs terres. Un peuple qui reprend aujourd'hui sa place et défile calmement, stoïquement, dans nos villes à décoloniser.

Cela prenait une Africaine pour le comprendre mieux que bien des gens de la place...

Cela prend toujours un autre pour comprendre ce que l'on fait subir aux autres.


jeudi 3 juin 2021

Respect et vérité / Minadjidawin tebwewin

 


J'ai participé hier à la grande marche pacifique pour Madame Joyce Echaquan, une mère de famille Atikamekw décédée dans un hôpital de Joliette des suites de mauvais traitements conférés par du personnel soignant bourré de préjugés racistes envers les Autochtones, voire les pauvres. 

La veille, tous les Canadiens ont appris la triste nouvelle des 215 restes humains d'enfants découverts sous le terrain d'un ancien pensionnat autochtone de Kamloops en Colombie-Britannique. Plus de 300 sites d'anciens pensionnats autochtones seront bientôt passés au radar pour découvrir, peut-être, d'autres charniers...  Rien que d'y penser, je hurle!

J'ai peine à contenir autant ma colère que ma raison à découvrir tout ça. Il faut pourtant se rassénérer, réfléchir, agir pour le changement... 

Le rassemblement pour le départ de la marche se tenait au Parc des Pins, à Trois-Rivières. C'est le parc autant que le quartier de mon enfance. Je me sentais d'autant plus ému de voir autant de monde, pour ne pas dire autant d'Atikamekws. Tous ces visages, ces yeux, ces chairs, ces costumes qui me rappellent que nous avons voulu démolir tout ce qu'ils et elles représentent, pour extirper le «sauvage» d'eux-mêmes.

Qui étaient les «sauvages» sinon ces brutes qui ont sorti des enfants d'entre les bras de leur mère pour les battre, les affamer, les violer et parfois même les tuer pour ensuite les jeter dans un trou sans sépulture? Qui sont ces êtres vils et infâmes qui ont pu faire ça? Au nom de qui et de quoi? 

Nous ne savons rien de notre histoire tant que cette histoire-là sera submergée sous la pointe blanche de notre iceberg national. 

Combien étions-nous pour cette marche? Je m'attendais à 200 personnes. Il y en avait certainement 10 à 20 fois plus. La rue Laviolette était remplie d'êtres humains du Parc des Pins au Palais de Justice de Trois-Rivières. C'était flamboyant comme si les Autochtones réoccupaient l'embouchure de la rivière Tapiskwan Sipi et du fleuve Magtogoek après 400 ans d'exclusion brutale. Ils étaient pleinement chez-eux. C'est moi qui étais l'invité...

Nous avons scandé «Justice pour Joyce» sans arrêt, au son des tambours traditionnels, jusqu'au port de Trois-Rivières. Les représentant.e.s de plusieurs communautés autochtones ont tenu des discours tous très marquants. Il est clair que les Autochtones ne veulent plus plier et qu'ils avancent vers la pleine reconnaissance de leurs droits civiques et de leur histoire.

Le racisme systémique est reconnu partout en Amérique du Nord sauf au Québec.

Cela met de la pression sur le gouvernement de la CAQ, un gouvernement nationaliste bouffi d'idéologies vicieuses du XIXe siècle qui conduisent à tant de décisions malheureuses et barbares, dans le plus pur mépris d'une forme non-écrite d'humanisme universel. 

Je suis revenu totalement ému et bouleversé de cette marche.

Les enfants atikamekws que j'ai croisés pourraient enfin vivre dans un monde meilleur que celui que nous avons fait subir aux membres de leur lignée familiale. Un monde moins rude, moins haineux, plus solidaire et surtout plus humain.

À la lumière de ce que j'ai pu vivre hier, je crois que ce monde peut changer. Je crois même qu'il est déjà changé quoi que l'on fasse pour revenir vers l'horreur.

Nos manuels d'histoire sont tous devenus obsolètes hier et méritent une réécriture.

Le respect et la vérité doivent triompher dans les relations que les gouvernements coloniaux entretiennent avec les membres des communautés autochtones des Premières Nations. Les électeurs et les électrices ont le devoir de décoloniser l'administration de leurs affaires.

Minadjidawin: respect.

Tebwewin: vérité...

Justice pour Joyce.



mardi 1 juin 2021

Le Grand Cercle de la Vie plutôt que le grand trou de la mort

Image tirée du film Black Robe


J'ai visionné hier le film Robe Noire. C'est un film australo-canadien réalisé en 1991 par Bruce Beresford et entièrement tourné au Québec. Il met en scène Lothaire Bluteau dans le rôle principal d'un jésuite qui doit rejoindre une mission catholique établie chez des Wendates. Le jésuite passe un mauvais quart d'heure, tourmenté tant par ses idées que par les hommes autour de lui. C'est une sale époque. Il faut voler un continent. Il croit sauver des âmes. On lui reproche plutôt d'être un démon embarrassant qu'il faut promener ça et là pour satisfaire l'alliance avec le gouverneur de la colonie, Samuel de Champlain.

Évidemment, tout au long du film le bon jésuite ne trouve que des défauts aux Wendates. Contrairement au jeune Français qui l'accompagne. Ce dernier préfèrerait vivre comme eux somme toute.

-Ils ne pensent qu'à chasser et manger! Ils ne planifient rien! se révolte le jésuite pour faire comprendre au jeune Français de ne pas s'acoquiner avec les Autochtones, non baptisés, et susceptibles d'être inspirés par le démon...

***

Les Français planifiaient. Les Britanniques et les Allemands aussi. Mais pas les Autochtones. Ils vivaient en symbiose avec les ressources mises à leur disposition par le Grand Esprit. Certains s'étonnaient que les Français prétendent que l'Europe soit pleine de richesses et de choses merveilleuses. Si c'était le cas, pourquoi traversaient-ils mers et océans pour venir remplir leurs bateaux de tout ce qu'ils trouvaient ici? 

-Ce sont les gens les plus misérables du monde, prétendaient les Autochtones les plus compatissants. Ils travaillent du matin au soir pour remplir leurs navires alors que nous n'avons qu'à chasser ou pécher un peu pour avoir toute la journée pour nous sans travailler...  Ils doivent être très pauvres là-bas, en France... Prenez soin d'eux... Ce sont de pauvres gens...

Ils l'étaient. Il fallait qu'ils le soient pour piller ainsi tous les continents.

Peut-être parce qu'ils «planifiaient»... Planifiaient quoi, hein?

***

Un Autochtone qui habite sur une réserve ne peut pas hypothéquer sa maison. Sa maison n'a aucune valeur autre que celui que lui accorde le Conseil de Bande. Il ne pourra donc jamais jouer au Monopoly comme les autres capitalistes qui se sont emparés de leurs territoires non-cédés.

On voudrait qu'il planifie... Planifier quoi? Avec quel argent? Avec quelles valeurs de marde?

On voudrait qu'il nous imite... Imiter quoi? Une merveille de la création sans doute? Imiter la destruction massive de la vie sur Terre? Obtenir du crédit? Acheter une piscine? Organiser une course automobile à côté d'un hôpital? Creuser un tunnel de 10 milliards de dollars sous le fleuve et donner des peanuts aux exclus de ce grand «cauchemar climatisé»?

***

Le Grand Cercle de la Vie nécessite moins de planification et plus de symbiose avec la nature dans le moment présent.

Beaucoup d'observateurs européens trouvaient un air stoïque, pour ne pas dire philosophique, aux Autochtones. Lorsqu'ils comparaient leurs libertés aux leurs, ils se sentaient nettement désavantagés. Ce n'est pas pour rien que Benjamin Franklin s'est inspiré de la Confédération iroquoise pour rédiger sa constitution. Malgré tout ce qu'on leur a fait subir, on sait que la Vie est du côté autochtone. On l'a toujours su. Et toujours renié. Pour tuer le païen qui est en nous. Pour ignorer la beauté du monde. Pour vivre comme si la morue était faite pour être vidée de tous les océans.

Plus on avance dans le temps, plus il est évident que notre mode de vie est toxique, violent et susceptible de provoquer autant de catastrophes naturelles que de génocides. Ce n'est pas du rêve: c'est la réalité crue. Crue comme une peinture de l'artiste iyéyou (Cree) Kent Monkman.

***

Une grande marche est organisée pour Joyce Echaquan demain à Trois-Rivières. Je ferai tout ce que je peux pour y être avec mes frères et soeurs atikamekws. 

D'autres marches suivront sans doute. La découverte de 215 restes humains d'enfants enfouis sous le terrain d'un pensionnat autochtone à Kamloops n'est pas pour arrêter la vérité et la réconciliation... 

Pour une fois, je demande aux colons de se taire. Ce qu'ils n'ont jamais été capables de faire encore à ce jour. Quand un Autochtone parle, ou bien un être humain tout court, fermez-vous la et écoutez. Nos explications, nos théories, notre monde ont échoué. Tout est un champs de ruines autour de nous. Il est peut-être temps de laisser pousser les fleurs et les arbres entre ces ruines. Il est temps de reverdir la Terre et de soigner les blessures qui ne pouvaient pas se refermer.

Changer le monde est plus que jamais à l'ordre du jour.

C'est vraiment une question de vie ou de mort.

Nous n'avons pas seulement détruit les cultures autochtones.

Nous avons aussi détruit la vie.

Et voilà que les aborigènes se soulèvent et nous rappellent à nos devoirs envers cette vie.

Envers le Grand Cercle de la Vie.

Pour que les âmes ne s'effacent plus et continuent d'habiter cette terre, cette Île de la Tortue.

Peut-on servir la vie plutôt que la mort?

Le pouvons-nous vraiment?

Je le souhaite.

Migwetch (merci en anichinabé) à tous ceux et celles qui sauront faire la différence.