vendredi 28 décembre 2012

Planter sa graine

Qu'est-ce que l'art? Faire pareil comme Elzéar Bouvier, l'homme qui plantait des arbres. À chaque jour il faut planter sa graine comme il faut écrire, dessiner, peindre, chanter. Et au bout de plusieurs années, on obtient une forêt ou bien un chef-d'oeuvre.

Il y en aura des tas sur votre chemin pour vous dire que c'est con de se lever tous les matins pour aller planter des graines au diable vauvert ou bien pour écrire des niaiseries sur l'Internet.

Le pire c'est qu'ils vous raseraient votre forêt en moins de deux pour mieux humilier vos efforts.

Pourtant, c'est dans l'adversité qu'un grand artiste se révèle.

Comme disait Michel Bergeron, l'ex-entraîneur des Draveurs de Trois-Rivières: «C'est dans la misère qu'on forme les champions.»

Voilà.

mercredi 26 décembre 2012

Tout le monde mourrait entre les mains sales de Nestorius

Nestorius ne se lavait jamais les mains. Ou si peu que ça ne pouvait être ça, se laver les mains. C'est à peine s'il les badigeonnait d'eau. Il n'y mettait jamais de savon parce que ça lui piquait les mains. La plupart du temps elles étaient sales et graisseuses.

Nestorius était au terme de sa vie d'alcoolique et de pharmacien-chrirurgien de la petite ville de Saintes-Entrailles-de-Notre-Dame, quelque part dans le Nord de la France, on ne sait trop où. On sait cependant que c'était le vingt-six décembre de l'an de grâce mil deux cent trente-huit de Notre Seigneur, Sauveur, Dieu, etc. Une journée qui n'avait rien de spécial dans ce coin-là. Sinon que tout le monde avait trop bu et trop mangé à Noël, comme d'habitude, et qu'ils venaient tous se plaindre à la porte de l'échoppe de Nestorius pour se faire soigner le mal de panse.

Nestorius s'occupait de soigner tout un chacun avec deux ou trois manuscrits et plusieurs drogues qu'il avait ramenés de Paris. Il vivait plutôt bien. Il se salissait les mains avec de la viande et du vin.

On lui emmenait toutes sortes de malades quand on ne savait plus quoi faire avec. Et comme Nestorius n'était pas gratuit, on lui envoyait surtout des oies ou bien des filles. Parfois de l'or. Cela dépendait de la condition sociale. Nestorius adaptait son prix à l'époque et au troc. Ce gros sale était négociable.

À peu près tous les malades que Nestorius soignait mourraient. À cette époque, tout le monde mourrait tout le temps. Cela n'étonnait personne. On envoyait le moribond chez Nestorius puis la tournée se poursuivait chez le curé et le fossoyeur. Et la vie se recyclait une fois de plus en se transformant en autre chose, comme d'habitude.

Nestorius pratiquait beaucoup la saignée. On venait le voir pour une grippe que tout de suite il sortait son couteau et vous saignait ça et là pour se divertir. Il vous refilait ensuite une mixture imbuvable à base de mercure. Puis vous creviez pas trop longtemps après, histoire de laisser de la place aux autres malades qui n'avaient pas que ça à faire, patienter...

Nestorius aimait bien aussi apposer des ampoules de verre sur le dos des unijambistes et des migraineux. Il y voyait toutes sortes de maux traduits en mots latins alambiqués que personne ne comprenait autour de lui puisque personne ne savait lire ni écrire. On leur disait quelque chose en chaire ou en personne dans ce village que tout le monde entendait tout de travers et allait pendre la première femme aux cheveux roux qu'ils voyaient sur le chemin du retour de la messe.

Le latin, c'est depuis toujours une affaire sérieuse à ne pas laisser entre les mains des barbares. Aussi, seuls les riches pouvaient acheter des livres et lire un peu les plaisanteries de Ovide dans le texte. Quant au grec, on s'en foutait un peu. Même les évêques faisaient semblant de le comprendre.

Tout le monde mourrait entre les mains sales de Nestorius. Il était bien trop savant pour avoir tort. Aussi les imbéciles de son village accusaient-ils les démons et les sorcières d'avoir jeter un sort sur leur grippeux ou bien leur scrofuleux. Nestorius empochait tout de même l'argent et se forçait, dans ses loisirs, à faire un peu moins d'expériences sur les riches. Il avait intérêt à les garder vivants plus longtemps pour qu'ils s'achètent toujours plus de belles choses, comme des poèmes ou bien des gravures pornographiques.

C'était le vingt-six décembre mil deux cent trente-huit. Qu'est-ce qu'il foutait à Saintes-Entrailles-de-Notre-Dame? Pourquoi n'était-il pas allé vivre en Italie, dans les États du Pape, dans un royaume de fées et de belles musiques? Mais non, il fallait qu'il s'installe au royaume des cretons et autres cochonnailles. Ça lui donnait l'envie d'en saigner plus encore. Tous ces obèses. Tous ces gens trop bien portants qui venaient cogner à sa porte pour des niaiseries.

-Vous voulez être malades ? Eh bien vous serez malades! Alea jacta est et curriculum vitae verra!

Voilà ce que Nestorius se disait en lui-même en gratifiant tous ses malades d'une saignée ou bien d'une drogue testée sur des pauvres.

La neige tombait à gros flocons.

Comment n'aurait-elle pu tomber autrement qu'à gros flocons, hein?

Les vingt-six décembre, la neige est toujours sous la forme de gros flocons. Tout le monde sait ça.








lundi 24 décembre 2012

Donner sans joie ce n'est pas donner

Je ne me souvenais pas d'avoir vu Mon oncle Antoine. C'est pourtant un film de Claude Jutra que l'on diffuse à presque tous les Noëls à la télé, en même temps que Astérix le Gaulois et Docteur Jivago. Je n'avais jamais vraiment accroché, jusqu'à tout récemment.

C'est arrivé par hasard. Je me suis tapé Mon oncle Antoine. Et j'ai compris en quoi ce film peut faire partie des chefs-d'oeuvre du cinéma québécois.

Le scénario est impeccable. L'oncle Antoine est interprété par Jean Duceppe. Il tient un magasin général au pays de l'amiante. Il fait aussi office de fossoyeur. Il héberge son neveu et une petite fille. Il boit comme un trou. Et il est cocufié par le commis du magasin, interprété par Claude Jutra lui-même.

Une scène du film m'a particulièrement frappé.

C'est la veille de Noël. Le boss de la mine descend en cariole sur la rue Principale. Son visage n'exprime ni rire ni joie ni rien. Il n'exprime que le mépris, ce qui est encore moins que rien.

Pour donner corps à ce mépris, le boss balance des cadeaux dans la sloche comme s'il donnait de la moulée aux porcs. Les enfants ramassent les cadeaux avec une joie feinte ou résignée.

On voit la scène ici vers 6 minutes 25 secondes.


***

Donner sans joie ce n'est pas donner.




dimanche 23 décembre 2012

Soyeux Noël et soyez mages

«Publier c'est mettre aux enchères l'esprit humain.»
Emily Dickinson


J'ai produit en 2010 cette poignée de Contes de Noël pas racontables avec lesquels j'étais sensé me rendre chez un éditeur pour le supplier de ne pas être un cave comme tous les autres éditeurs qui charcutent les textes de leurs auteurs pour en faire de la marde bouillie.

J'ai résisté à cette envie. Ces contes sont encore inédits. Comme l'ensemble de mon oeuvre - ou presque.

Ils se trouvent ici. Soyeux Noël et soyez mages.



samedi 22 décembre 2012

Mon art d'écrire...

Au risque de passer pour un dilettante, je me permets de livrer ici ma réflexion sur ce que je conviens d'appeler mon «art d'écrire».

Je ne suis pas une méthode bien précise, sinon celle d'accorder l'auxiliaire être comme l'auxiliaire avoir à la forme pronominale. Pour le reste, je suis tout bonnement mon instinct. Et cela donne ce que vous avez présentement sous les yeux, un peu partout sur cette page, en cliquant à gauche, à droite, en bas et en haut.

J'ai bien dû rédiger plus de deux milliers de texticules sur ce blogue. Ils ne sont pas tous excellents comme celui-ci. Mais bon, vous voyez bien que je sue des doigts à défaut de faire preuve de jugement ou de bon goût. Ma boîte de Pandore est ouverte et je sème à tous vents le chaos de cette imagination débridée qui ne veut servir rien ni personne.

Souvent il m'arrive de débuter mes billets quotidiens par une réflexion politique que j'efface tout de suite pour plutôt raconter une histoire niaise qui me tient lieu de parabole. J'y passe tout autant de réflexions sans que cela ne paraisse. Et c'est sans doute mieux dit que ce que j'aurais écrit autrement: de la mélasse idéologique qui finit par vous dégoûter de vous-même.

Je ne dis pas que je renie mes convictions politiques. J'en ai. C'est évident. Mais mes convictions métaphysiques passent bien avant. La terre est trop petite pour l'étendue que ma bonté voudrait prendre.  D'où ce besoin de m'évader pour mieux nous retrouver. Si je ne vous aimais pas, je ne vous ferais lire que mes pamphlets politiques...

***

J'ai écrit plein de petits récits, de petits contes, de petites fables. Mes modèles en littérature sont essentiellement des auteurs russes. D'abord Isaac Babel. Puis Varlam Chalamov. Et, le plus grand de tous, Mikhaïl Boulgakov. Je n'oublie pas Gogol, Dostoïevski, Tolstoï, Tchékhov... Ils sont tous sous le signe de la féerie. Lire un auteur russe, c'est comme avoir toujours la musique de Pierre et le loup en sourdine.

J'ai souvent tenté d'écrire des romans. J'en ai écrit plusieurs que j'ai détruits. Ils étaient à peu près tous trop longs et tous à peu près nuls. Mon dernier en date s'intitulait Le coût de la lecture. C'est l'histoire d'un plombier qui travaillait sous l'évier de Georges, son voisin. Comme il est de la même stature que Georges, son épouse croyait que c'était son mari qui réparait quelque chose sous l'évier. Eh bien non, c'était le plombier. Le plombier qui s'est fracassé le crâne contre le bord de l'évier en se faisant ramasser le «packsac» par en arrière par la femme de Georges. Elle croyait que c'était son mari et voulait lui faire cette délicatesse qui s'avéra catastrophique. Le plombier fût conduit à l'hôpital en ambulance. Les ambulanciers l'échappèrent dans l'escalier tellement ils riaient à propos de la manière dont c'était arrivé. Bref, le plombier arriva pas mal magané à l'urgence et passa plusieurs mois à l'hôpital pour finalement y développer le goût de la lecture... Je vous souhaite de ne jamais lire ce roman...

***

C'est une manie chez certains éditeurs québécois de demander un roman à l'écrivain des ligues mineures qui semble savoir manier sa plume.

J'ai connu un bon écrivain de petits textes qui a écrit un très mauvais et trop long roman. Guy de Maupassant et Alphonse Daudet sont meilleurs dans les courts récits. Ne devient pas Victor Hugo qui le veut.

Je ne ferai pas cette erreur de considérer un roman comme une pierre philosophale, comme l'aboutissement d'un écrivain et tralala.

Il n'y a pas d'autres règles que le pouvoir d'évocation dans le domaine des arts et des lettres.

Une ligne, un paragraphe, trois pages peuvent entrer dans la légende.

Des tas d'ouvrages pompeux peuvent sombrer dans l'indifférence générale ou bien remplacer les pattes cassées des fauteuils miteux.



jeudi 20 décembre 2012

Il y a des limites à la bonté

Il y avait une manière bien simple chez les Inuits de traiter un assassin. La communauté lui ordonnait de foutre le camp. Seul dans un univers hostile, l'assassin avait très peu de chances de survivre. Il revenait au Grand Esprit d'en décider. C'était à lui de ne pas enfreindre cette obligation de vivre ensemble tandis qu'il faisait face à sa banquise et à sa solitude.

Chez-nous, c'est un peu plus compliqué. Il y a des juges, des jurés et des avocats. Et des prisons.

Il fût un temps où il y avait des supplices et des châtiments bien pires. L'écartèlement, le ling chi et l'ordalie ne sont plus à la mode. Reculons de quelques centaines d'années et nous sommes en pleine barbarie.

N'empêche que la morale inuite m'a toujours frappée l'imagination. Je sais bien qu'elle est inapplicable parmi des millions et des milliards d'humains. Pourtant, j'y trouve une sagesse bien supérieure à toutes ces éructations à propos des peines d'emprisonnement, des supplices et des châtiments.

La communauté a le devoir de se protéger des tueurs, bien sûr. Les Inuits ne trouvaient pas nécessaire de les tuer. À moins qu'ils ne reviennent. Ils ne pardonnaient pas à l'assassin de revenir sur les lieux du meurtre. Ils le dépeçaient comme un phoque. Il y a des limites à la bonté. Partout comme ailleurs.




mardi 18 décembre 2012

La pauvreté sale de Vluta

Elle était pauvre comme de la gale et elle s'appelait Vluta. Ne me demandez pas son origine. Elle sacrait comme tout le monde et s'appelait tout de même Vluta. Était-ce une fantaisie de ses parents, Herman Langevin et Maude Grillé? C'est dur à dire. Sachons seulement que ses parents étaient des cultivateurs de la Rive Sud. Ils sont décédés par accident en nettoyant une fosse à purin. Morts par les gaz toxiques. D'où le besoin de prendre plus de précautions que de coutume lorsque l'on nettoie une fosse à purin. On devrait toujours laisser cela à des professionnels. On finit par crever d'économiser.

Vluta n'avait que neuf ans lorsque ses parents sont morts. Elle n'hérita de rien. Ses parents louaient la terre et se devaient le cul. On l'envoya donc chez sa tante, Rita, qui était sur l'assistance sociale et nourrissait déjà deux chats. C'était une tante très timide qui ne mettait jamais le nez dehors. Elle avait peur de tout, même d'un rien.

Vluta devint d'assez bonne heure le seul esprit éclairé de la maison. C'est elle qui réglait tout, même les histoires de bail et de déneigement. Matante Rita était largement inapte au travail. Elle fixait un point fixe toute la journée en écoutant délirer Docteur Maillet à la radio.

Vluta a toujours travaillé depuis la mort de ses parents. En plus de tout faire chez matante Rita, elle livrait des journaux et servait aux tables au restaurant Chez Popo-le-gros-lard.

Comme elle s'était écoeurée, Vluta, de servir des gros malcommodes qui ne lui disaient ni merci ni bonjour! Ils se permettaient tout de même de lui reluquer le cul et les boules comme si elle était un hostie de morceau de steak.

Ça la mettait en calice que les hommes soient si porcs. Le prince charmant ne passait pas souvent dans son coin. Pour dire vrai Vluta dût grandir parmi des vieux chiâleux de l'Ancien Temps parce que tout le monde avait crissé son camp de Sainte-Blandine-des-Mines, même les compagnies minières. Il n'était demeuré que des vieux et des personnes inaptes au travail. Vluta était en fait le seul espoir qu'il se passe quelque chose dans ce village.

Il ne s'y passa rien puisque Vluta partit de son village à sa majorité, laissant sa tante Rita aux soins de ses deux chats et des services sociaux.

Comme elle avait du cran, elle a étudié, Vluta, tout en travaillant. Elle a terminé son secondaire cinq en suivant des cours par correspondance. Puis elle a suivi des cours du soir au Cégep. Pendant tout ce temps elle continuait de servir dans des restos de moins en moins minables. Elle passa de Chez Popo-le-gros-lard à Chez Monsieur Lanthier de Rapaille, un café chic situé au centre-ville de la métropole.

Au bout de tout ça, Vluta obtint son diplôme d'architecte. Elle avait deux enfants qu'elle élevait seule depuis que son chum s'était pendu parce qu'il ne s'aimait plus.

Vluta n'avait aucun contact dans le milieu de l'architecture et, de plus, elle s'était cassée une hanche en glissant sur une flaque d'eau à son café chic. Le choc fût assez terrible. Elle tomba handicapée. Elle avait des pertes de mémoire. Et des problèmes d'argent.

Sa santé mentale déclina pour une raison mystérieuse. Ses médecins se mirent à la bourrer de pilules. Comme elle était devenue inapte au travail elle s'enferma dans sa tanière, comme naguère sa tante Rita, en fixant le vide toute la journée. Au lieu d'écouter le Docteur Maillet à la radio, Vluta n'écoutait rien d'autres que les cris de ses enfants sans rien y comprendre. C'est à peine si elle réussissait à les nourrir. Elle le faisait pourtant, malgré la misère, la maladie et la pauvreté sale. Elle beurrait encore leurs toasts, lavait leur linge et pliait leurs vêtements même si elle avait toujours un filet de salive qui pendait aux commissures de ses lèvres, tellement elle se faisait geler par ses médecins.

Cette année, elle va recevoir un panier de Noël et un peu de gugusses de la guignolée. Vluta va aller chercher son panier en claudiquant jusqu'au local des Petits Frères et Petites Soeurs de la Paix. Elle va tout ramener ça dans sa petite chariote de broche à roulettes.

Les enfants vont encore crier.

Les chats vont encore miauler.

Et Noël sera encore aussi sale et pauvre que celui de l'an passé.

L'important c'est d'avoir de quoi à manger.

On peut se faire des sandwiches au jambon avec du jambon en conserve. Ou bien une omelette au jambon. Des croquettes au jambon. N'importe quoi au jambon.

Il n'y a qu'à servir ça avec une bûche de Noël et tout le monde n'y verra que du feu.

Il y a de belles chansons de Noël à la radio.

Et la radio, ça coûte rien quand on paie son loyer et son électricité.




lundi 17 décembre 2012

Les autosuceurs

Eusèbe est un écrivain qui ne publie rien parce que tous les gens du milieu des arts et des lettres lui laissent un léger goût de vomissures en bouche à la simple énonciation de leur patronyme de mendiants de prébendes.

Unetelle fait passer ses collages photoshoppées pour le nec plus ultra de l'art, alors que votre beau-frère fait mieux dans son sous-sol sans écoeurer personne avec l'étalage de son mauvais goût. Elle voyage ça et là sur le bras en nous faisant passer pour les maillets d'entre les maillets parmi les peuples et nations du monde, dont les Français et les Belges.

Telautre crie dans un micro des incongruités sur ses passions sexuelles qui, dans les faits, se limitent à plusieurs branlées en solo. Telautre a tellement l'air imbu de lui-même qu'il est du genre à rêver de s'enlever toutes les côtes pour s'autosucer.

Les oeuvres de tous ces guignols sont à la juste mesure de leurs éternels débuts en arts comme en toutes autres choses. Ils sont tous et toutes englués dans la prématernelle de l'art, de cet art qui tape une crise de bassinette quand on doute de son pouvoir d'évocation. L'art puéril, l'art du strict minimum d'efforts pour avoir son bonbon ou bien sa suce.

Eusèbe ne vaut guère mieux que ceux-là en réalité. Mais au moins il ne publie rien. Il s'essaie sur son dactylographe Underwood à un énorme roman intitulé Les autosuceurs. C'est déjà une brique de vingt-sept milles pages où Eusèbe  s'en prend, vous l'aurez compris, à tous ces narcissiques qui pullulent dans le milieu universitaire où il évolue plutôt mal que bien, ce sacré Eusèbe.

Le visage toujours glabre, les oreilles un peu poilues, on ne dirait pas de Eusèbe  qu'il ressemble à Symphorien. Il a plutôt l'air de ressembler à Léon Bloy, tant en photographie qu'en littérature.

Son roman Les autosuceurs est un compendium de mots savants où tout le Littré y passe, voire plus encore. Le plus-que-parfait du subjonctif y est à l'honneur. Et le passé simple aussi. C'est lourd, pesant et pas facile à lire. Par contre, c'est sincère, même si c'est inintéressant.

Il m'en a laissé un exemplaire quand il est venu faire le ménage au département. Il pense, à tort, que je sais apprécier la littérature parce que je suis la seule personne autour de lui qui connaisse Léon Bloy. Ce qui fait de moi le seul lecteur qu'il voudrait se mériter. Un chapeau beaucoup trop grand pour moi qui, fin renard, le complimente beaucoup trop puisque je dois me taper Les autosuceurs en lecture très rapide sur la diagonale. Eusèbe n'a que la littérature et sa moppe dans la vie. Je m'en voudrais de ne lui laisser que sa moppe. Aussi, j'essaie de lui trouver un éditeur, des fois où ça lui ferait du bien, Eusèbe, de voyager un peu avec Unetelle ou Telautre.

Je vous laisse sur l'introduction de son roman. Ça donne le ton aux vingt-sept milles pages qui suivent... Si vous êtes prêts à perdre de l'argent sur cette histoire, faites-lui signe. Eusèbe saura l'apprécier après avoir feint une atteinte à son univers d'artiste maudit, comme tous les autres tarés des arts et des lettres.

«Qu'ils eussent été mille, millions et milliards ils n'étaient tous que fiente dans le fin fond de l'âme et c'est cette matière fétide qu'il voulait faire accroire aussi luisante et propre qu'un cerveau bien fait ayant élégamment maturé dans les méandres aventureux des bibliothèques qui s'élevaient à chacune de ses haltes pour lui permettre de se finement délivrer de ces flagorneurs, pharisiens et autres troglodytes de tous lieux qui sèchent comme de la crotte qui ne voudrait pas sécher au soleil.»

Eusèbe Carrier, Les autosuceurs, manuscrit


samedi 15 décembre 2012

Travaux en cours


Ce n'est pas fini. Mais ça s'en vient. Une autre toile gigantesque remplie de personnages réels et imaginaires.

vendredi 14 décembre 2012

Un conte de Noël obligatoire

Grégoire devait écrire un conte de Noël obligatoire pour son hostie de cours de français au Cégep.

Ça le mettait en beau tabarnak, évidemment, puisqu'il ne se connaissait aucun talent pour la syntaxe, l'orthographe et les racontars.

-Ça sert à quoi eul'français, hein? Sinon à faire chier... qu'il disait, Grégoire.

Et ça le faisait chier d'aplomb, certes. Mais que voulez-vous, on ne devient pas technicien en chauffage de bouilloire sans avoir passé ses cours de français. Grégoire devait donc se soumettre. Et cette histoire de raconter un Noël, ça ne lui revenait crissement pas.

Grégoire vivait seul dans un studio situé sur le boulevard Saint-Joseph, à Monrial. C'était un logement minable et cher. Il aurait pu louer un huit et demi pour le même prix à Shawinigan. Mais non, il fallait qu'il s'entête à étudier au Cégep du Vieux-Montréal et qu'il aille s'établir sur ce maudit Plateau à 'a marde.

La neige ne tombait pas à gros flocons. Elle était devenue brune et verglacée, ça et là.

Grégoire marchait sur les trottoirs pour s'inspirer, comme ils disent, et il ne trouvait rien de rien, sinon que la neige était brune comme de la marde.

Il s'acheta trois bonnes bouteilles de vin au dépanneur du coin puis revint dans son studio pour rédiger son foutu conte d'un seul trait une fois qu'il serait fin saoul.

Grégoire avait un peu mal à la tête le lendemain. Boire du vin de dépanneur, ça provoque la migraine. Cependant, son conte de Noël était écrit.

Il pouvait le remettre à son prof de français et passer à autre chose.

Aux vacances de Noël par exemple.

Cré Grégoire de calvasse de torlaille!

***

Cette présente fable terminerait bien abruptement si je n'avais pas trouvé le moyen de subtiliser ce conte de Noël pas piqué des vers que Grégoire lui a torché une fois qu'il était bien saoul.

Ce n'est pas de la grande littérature, mais ça partait des tripes. Trois bouteilles de vin ont suffi.

«Titres: Compte de Noèl Hauteur: Grégoire

J'é toujour hayi Noèl parse que ses poche. Noèl s'est pour ce dire des affaires quont deveraient ce dir toute l'ané. 

J'avait resu un kit de bricolaje quent j'êtait jeune. Un autre fois s'étais un train.

Si Santa Cloz a une grosse barbe s'est pour qui disent ho! ho!

Un moment donné tu t'es coeur. 

Tu seras mel dir.»

Évidemment, Grégoire recevra son diplôme. Ça sert à quoi eul' français, hein? Joyeux Noël. même si je suis plusieurs jours à l'avance. Y'a plein d'autres choses à faire à Monrial.

mercredi 12 décembre 2012

D'une digression à l'autre pour mieux se délier les doigts

Décembre est un mois qui pousse à une douce nostalgie quand le paysage tourne à la blancheur. Cette nouvelle luminosité a quelque chose de fantomatique. Comme s'il y avait dans l'air un parfum d'au-delà. S'imagine-t-on le Ciel autrement que sous les couleurs bleues et blanches de l'hiver? Rêve-t-on d'un Paradis constitué de matières organiques qui meurent et renaissent?

Je n'entends pas faire ici un exposé métaphysique.

Je pose des questions sans réponses.

Je me laisse aller au gré du vain.

Cela me rassure de penser à toutes sortes de choses totalement inutiles.

***

Mon frère m'a donné Pour saluer Victor Hugo, un essai de Victor-Lévy Beaulieu alias VLB. Je ne suis pas rendu plus loin que la page 34 mais déjà je trouve une parenté littéraire avec certaines pages de Nègres Blancs d'Amérique de Pierre Vallières. Ces pages de Vallières où il parle de son enfance dans Cartierville, un quartier pauvre de Montréal. Une enfance sauvée en quelque sorte par la littérature... et l'idée de faire la révolution au Québec. C'est là que Vallières devient poche et que son livre, tout de même écrit en prison, prend une tournure un peu trop Mon Combat.

Il n'y a pas de cela dans Pour saluer Victor Hugo. Il y a, jusqu'à la page 34, une enfance sauvée par la littérature et pas encore souillée par le militantisme politique et son froid bagage lexical.

Mon frère m'a recommandé cet essai de VLB sans doute parce qu'il croyait que nous nous reconnaîtrions, enfants d'un quartier pauvre, à courir les bibliothèques comme autant de havres de paix dans un monde qui semblait avoir un couteau entre les dents.

***

Nous n'étions pas riches, c'est vrai. Mais nous étions en quelque sorte les plus riches du coin. Mes parents menaient une vie simple et il y avait toujours quelque chose à manger, malgré les longues grèves de l'aluminerie Reynold's où mon père travaillait. Ils se sacrifiaient pour nous. Ils nous aimaient  et ils s'aimaient vraiment l'un l'autre, ce qui n'est pas rien.

Nous ne nous rendions compte de la pauvreté puisque tout le monde était pauvre dans le quartier.

***

Bon. Assez de nostalgie. Je n'ai rien écrit depuis jeudi dernier sur ce blogue. J'ai besoin de me dérouiller les doigts ce matin. Le sujet ne vient pas facilement, ni le verbe, ni le complément. Je digresse, comme un moulin à paroles emporté par un cyclone numérique.

Je vous laisse sur une vieille photo de famille fraîchement numérisée. 

C'est pour la postérité. 

On voit sur la photo, de droite à gauche: un inconnu, ma grand-mère Valéda, mon grand-père Rodolphe et une autre inconnue. Ces inconnus sont sans doute des gens très appréciés. Ils sont peut-être à Ste-Clothilde-de-Horton pour une raison qui m'échappe. C'est une photo qui date peut-être de 1952.








jeudi 6 décembre 2012

Se casser l'aïeule

Quand la première neige tombe à gros flocons, tout le monde ou presque est content. Bien sûr qu'il y en a pour chigner. Le bonheur c'est qu'on arrive à les oublier, les chigneux, quand le décor devient féerique. Si vous n'aimez pas la neige et le froid, peut-être que vous n'êtes pas au bon endroit.

La neige tombait justement à gros flocons ce jour-là. Les gens étaient plus conviviaux que de coutume. Ils se parlaient, comme s'il ne suffisait que de cela pour réveiller quelque instinct grégaire enfoui.

La rue commerciale était encore peu achalandée puisqu'il n'était pas encore neuf heures du matin. Déjà les musiques de Noël résonnaient dans les hauts-parleurs. Quelques pas de plus et on n'entendrait plus que les eaux du fleuve s'écouler puisque tout était calme sous cette tempête de neige.

Les écoles n'étaient pas fermées. Quinze centimètres de neige au cours de la journée, ce n'était pas la fin du monde. Juste un changement de décor. Une occasion de saluer les quelques gens rencontrés ça et là.

-Bateau! I' neige hein m'sieur? disait un vieil homme qui pelletait son entrée de cours et qui ressemblait étrangement à un dauphin qui ne se ferait pas la barbe.

-Oui m'sieur! lui répondit l'autre, probablement un étudiant avec des yeux globuleux. Y'en annonce quinze centimètres! ajouta-t-il en roulant des yeux comme un possédé.

-Ah ben bateau! Ai pas fini de pelter torvasse! rétorqua le vieux dauphin courbé sur son scrépeur.

Des écureuils noirs se montraient parfois le bout du nez. C'est rendu qu'ils travaillent même sous la tempête.

Les écureuils de ville sont hyperactifs et même un peu idiots. Ils emmagasinent toute la journée toutes sortes de trucs. Ils les cachent un peu partout. Et ils ont une trop petite cervelle pour se rappeler où ils les ont cachés quand ils ont faim. Alors ils continuent à travailler, à tout moment de l'année, pour compenser sur leurs pertes de mémoire.

Pas de chat ce matin-là. Ils se promènent moins quand il neige. Il n'y avait que des écureuils noirs et des humains qui se parlaient entre eux en riant presque.

-I' va y'avoir d'la neige en masse c't'année à c'qu'i' paraît! racontait une dame toute vêtue de blanc qui attendait son autobus au terminus. J'aurais facilement parié qu'elle travaillait dans le domaine des soins de santé, même si cela n'a rien à voir avec ce récit par trop évanescent.

-La neige ça m'dérange pas, répliquait une grosse madame près d'elle toute vêtue de fortrel. En autant qu'i' s'mette pas à faire du maudit verglas qu'on s'en va su' 'es trottoirs pis zipzap qu'on s'casse l'aïeule!

Comme elle disait ça, elle ne glissa pas parce que la neige était plutôt collante et épaisse. Elle resta sur place, sans remuer d'un cil. J'aurais aussi parié qu'elle travaillait fort pour zipper son manteau devenu trop étroit pour elle.

J'ai sauté dans le bus avec les deux bonnes femmes.

Le chauffeur n'avait pas l'air bête pour une fois.

-Moé 'aime ça 'a neige! M'en va's faire du ski en fin d'semaine! Yes sir! qu'il m'a dit comme si je le connaissais depuis toujours.

-Faut juste faire attention de pas se casser l'aïeule, répliqué-je.

Le soleil ne brillait pas.

Et la neige tombait à gros flocons.

Enfin, pas assez gros pour arrêter un bus de la Société de transport de la Ville.

Oui monsieur.

Oui madame.




mercredi 5 décembre 2012

Repas, repus, repos...

Après un bon repas on se sent repus. Les yeux mi-clos par la digestion, le gourmand se met à penser.

-Qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir avant le Big Bang, hum?

Les réponses sont tellement multiples à cette simple question qu'il est impossible que cet univers ait un commencement. Il n'y avait rien au commencement et maintenant que la pâte gonfle, il se trouve de tout en ce monde.

Nous les humains prêtons vie à toutes sortes de conneries alors qu'aux yeux de l'univers intelligent nous ne sommes encore qu'un gros mammifère malcommode d'une lointaine galaxie ordinaire. Une galaxie qui n'est ni la plus grosse ni la plus petite des millions de milliards de galaxies existantes. Nous sommes une poussière dans une galaxie qui passe inaperçue depuis des milliards d'années et plus encore.

Il est clair, par ailleurs, que nous sommes tout fin seuls dans cette galaxie parce qu'elle n'intéresse personne en particulier.

Passé, présent et futur sont concomitants. Si l'éternité existe, on ne viendra pas dire qu'il y a des limites à ce que l'on peut affirmer ou bien infirmer.

Tout est possible. Tout...

Tout et rien.

La digestion mène au repos.

Vient ensuite une phase où tout s'estompe, chiffres, spéculations et haute voltige intellectuelle.

Le vent souffle dans les branches dénudées.

Les nuages se faufilent sous les étoiles.

Une chatte de ruelle lape l'eau dans la grosse flaque de l'arrière-cour.

Une musique, une brise, n'importe quoi.


mardi 4 décembre 2012

Gros nez, petits nez

Il m'arrive de partir sur un air grandiloquent de philosophe des Lumières quand ma lumière intérieure est à off. Je m'emporte pour un rôle pas très crédible. L'essentiel de ma pensée, dans la part la moins dommageable pour l'humanité, se concentre sur les gros nez des personnages que je fais naître sur mes toiles.

Bien sûr que je suis pour la tolérance, la liberté d'expression et le droit de manger huit fois par jour sans ressentir la faim ou l'embonpoint. Cela dit, je suis meilleur dans le domaine des gros nez. Et même des petits nez.

Comment fait-on un chef-d'oeuvre? Je ne sais pas. Je n'en ai jamais fait. Je ne vois que le mot patience dans une réponse que je pourrais vous donner sous la forme d'un sujet suivi d'un verbe et d'un complément. Je ne répondrai pas spécifiquement à la question parce que je n'en sais rien. Je m'y connais mieux en hors-d'oeuvre. Je ne fais que ça, des hors-d'oeuvre: des gros nez, des petits nez. Et toutes sortes de têtes volantes avec des mains en guise d'oreilles battant l'air sous une bonne couche de vernis.

Mes pinceaux m'appellent.

Je vous en reparle avec des photos à l'appui.

Et, oui, je continue le combat contre l'intolérance, le racisme et la bêtise sous son jour le plus protocolaire. La bêtise naturelle est moins dommageable pour l'environnement. Ce n'est pas une grande idée mais elle ne vous a rien coûté. Prenez et vidangez-en tous. Amen.




lundi 3 décembre 2012

«Combien»

Chez les Inuits on se colle le nez l'un à l'autre pour se saluer.

Ici, on te demande «combien» tu vas.

Combien tu fais.

Combien il te reste à payer sur telle ou telle bébelle.

Combien ceci ou cela.

Et on reproche en plus aux uns et aux autres de ne rien comprendre à «combien»... De ne pas travailler assez fort... De ne pas investir suffisamment... Combien, combien, combien...

***

Heureusement qu'il y a les arts pour nous sauver de ces morales mercantilistes où la plus haute vertu consiste à savoir «combien» l'on vaut.

Le Veau d'or est secondaire devant une oeuvre d'art.

Cela permet de nous connecter à autre chose.

S'il n'y avait pas eu des Cyrano de Bergerac et des Jules Vernes pour imaginer un vol sur la Lune, ce ne serait jamais arrivé.

Tout ce qui nous semble impossible aujourd'hui pourrait devenir banal demain.

***

Je termine un énorme tableau bourré de petits personnages. C'est à m'en arracher les yeux. Je ne vous dirai pas «combien» j'en ai peints. Je vous dirai simplement que je rêve quand je m'adonne aux arts. Je suis ailleurs, loin, dans cette bulle où je m'enferme depuis des lustres pour ne pas avoir à subir le poids des conversations oiseuses sur l'argent et les finances publiques. Tout est possible. Tout. Comme abolir l'argent et le remplacer par des tartes au sucre, des pommes ou bien des petits dessins.

Quand je prends mes pinceaux, ma guitare ou mes harmonicas, je sais qu'on peut tout faire et tout refaire. Tout le monde rit sur mes toiles parce que mes personnages ont l'obligation d'être heureux dans la bulle que je me suis faite. Idem pour mes airs de musique.

Voilà.