mercredi 29 décembre 2010

Oh-ho!

Concert-musical, c'est ce que voulait dire son nom, Kikinotatiwin, dans la langue de sa tribu, les Anishnabés.

On l'avait appelé Concert-musical parce qu'il chantait tout le temps, du matin au soir, et parfois même la nuit.

C'était un solide chamane, gros et grand, avec un beau bonnet de fourrure en peau de raton-laveur. Bon nageur et plus habile pêcheur que chasseur, il ne valait rien pour la guerre. Ses rêves lui interdisaient de tuer. Aussi tout un chacun le prenait pour un idiot et lui laissait le rôle de chamane à temps partiel.

La plupart du temps, dans cette tribu-là, on se foutait pas mal des chamanes. On vivait comme des arbres et on mourrait comme un vieux tronc, couvert de moisissures et de champignons. On se retirait pour mourir seul dans le mystère des forêts, comme un orignal. Rien de bien compliqué. Un vieux tronc. Un vieil orignal. Et pas trop de chamanes pour faire chier. On faisait semblant qu'on n'était jamais malade. Voilà tout.

L'été, lors du rassemblement de toutes les tribus sur le grand fleuve Magtogoek, Kikinotatiwin se donnait en spectacle devant toute la bande en chantant la mémoire de ses Ancêtres.

-Oh-ho! qu'il scandait, Kiki. Oh-hoooo! comme personne ne savait le faire.

Ce qui fait que le renom de Kikinotatiwin était bien établi. On le respectait pour ses «Oh-ho» bien ressentis. Et on se foutait qu'il préfère la paix à la guerre. C'était Kiki, quoi. Tout juste bon à faire des «Oh-ho» lors de la Fête du soleil. À se croire chamane parce qu'il connaît un peu mieux que les autres le secret des herbes, les mystères des forêts et les chants des Ancêtres.

Tout le monde souriait à l'évocation de son nom, Kikinotatiwin. Il était en quelque sorte le clown de sa communauté.

-Oh-hoooo! qu'on se disait pour l'imiter. Oh-hoooo!

Oua! Que l'on se fendait la gueule à se moquer du chamane Kiki. Quel imbécile ce Kiki! Oh-ho!

Jusqu'au jour où Kikinotatiwin attrapa la rage après s'être fait mordre par un raton-laveur.

Aussi stupide que cela puisse paraître, Kikinotatiwin en mourrut.

L'écume aux lèvres sur son lit de mort, il fût incapable de chanter ses «oh-ho» si caractéristiques.

Ce furent plutôt des «arg-gargeule!» qui sortirent de sa bouche.

Comme quoi même les chamanes sont mortels.

Ils pourrissent eux aussi comme des troncs d'arbre, un peu plus vite ou bien un peu moins. Cela dépend du raton-laveur.

D'ailleurs, plus personne ne se souvient de Kikinotatiwin.

Sinon votre humble serviteur, un gros et grand métis qui vit à deux pas du grand fleuve Magtogoek. Et qui n'est pas plus chamane qu'il n'est chameau. Et qui rentre par le trou des aiguilles sur un dix cents. Excusez-là. Oh-ho!

samedi 25 décembre 2010

Haïku de Noël

Du gras et du sucre dans le ventre
Pas encore d'alcool
Pas mal au ventre
Pas mal à la tête
M'en crisse de m'saouler
Ou de pas m'saouler
À Noël
Merci bonsoir

vendredi 24 décembre 2010

jeudi 23 décembre 2010

Abrégé de l'histoire romaine

J'ai lu l'Abrégé de l'histoire romaine de Eutrope, un type qui vivait vers la fin de l'empire romain et qui laissa pour Valens, l'empereur romain du temps, ce petit récit.

Ça se lit en un clin d'oeil. Tibère, Caligula et Néron figurent comme des déments en quelques lignes acides. Trajan, l'empereur romain d'origine espagnole, apparaît comme le plus grand des empereurs en deux paragraphes. Évidemment, ce n'est pas pour satisfaire la curiosité de l'historien. Mais c'est mieux que rien.

Je rêve d'un tel abrégé pour l'histoire de mon pays. Avec une présentation de ses premiers ministres qui les montreraient spontanément, en tant que personnes humaines aussi bien que pour leurs actions.

Ça donnerait, par exemple, John A. Macdonald, premier ministre alcoolique du Canada de 1867 à 1873, puis de 1878 à 1891. Il vomissait pendant ses discours à la Chambre des Communes quand il relevait de brosse. Il a été impliqué dans le scandale des pots de vin de la société ferroviaire Canadian Pacific Railway. Il a fait pendre le chef métis Louis Riel. Il avait l'air d'un paltoquet vaguement romantique. Il est mort à la fin de ses jours.

Et puis on passerait à un autre premier ministre, n'importe lequel, et tout aussi rapidement qu'Eutrope l'a fait pour décrire Caïus Caligula, Commode ou Héliogabale. Juste quelques lignes bien dessinées pour l'éducation de l'empereur. Juste ce qu'il lui faut retenir de l'histoire politique. D'une part des dégénérés qui coupent les têtes de tout un chacun et d'autre part des alcooliques qui pendent des métis. Entre ça, quelques rares sages par hasard. Jamais là où nous les attendons.

C'est la vie. La politique est sale parce que le monde est sale. Il faudrait changer le monde pour changer la politique. Je ne sais pas ce qu'en dirait mon vieil Eutrope. Mais déjà que je le nomme, quelques siècles après sa mort, ça devrait lui faire prendre conscience qu'il m'en doit une.

mercredi 22 décembre 2010

Un autre conte de Noël pas racontable

Ça se passait le 25 décembre, évidemment. En quelle année? Alors ça, je ne le sais plus. Je me souviens seulement qu'une neige fine était tombée pendant le réveillon. Cela conférait à ce matin de Noël un air de féérie. Ce décor urbain généralement fade et sans goût était magnifié par des tons de blanc et de bleu très très pâle.

Le soleil perçait au-dessus de la brume qui s'élevait de la voie maritime du fleuve Magtogoek (anciennement Saint-Laurent). La neige soulevée par la bise scintillait comme des tas de petits miroirs réfléchissant des tons de jaune pâle et d'orangé, que je crois propre à ma vision de daltonien. J'obtiens une note de 0 sur 16 pour le vert. Il me reste surtout les couleurs primaires: le bleu, le jaune et le rouge. Quand je décris les couleurs, je sais que ce sont pas celles que tout le monde voit. Par contre, je ne vous raconterai jamais un gazon vert. Ce qui fait que les contes de Noël sont à la pleine mesure de mon intelligence des couleurs.

Doncques, je déambulais sur les trottoirs qui n'étaient heureusement pas encore déneigés, ce qui permettait de me rendre compte que les piétons et les daltoniens se font rares le jour de Noël.

D'une digression à l'autre mon cerveau se concentrait sur le vide, encore que je sifflais probablement une chanson de Noël parce que je suis un gros con influençable.

Tout allait bien, c'était merveilleux et tout le saint-frusquin.

Mais voilà qu'un barbu avec une calotte de trucker m'aborde. C'est un bonhomme dans la cinquantaine qui ressemble à Capitaine Haddock comme je ressemble à Shrek avec des cheveux. Une légère dissemblance. Mettons que je suis plus beau que ça. Enfin, Capitaine Haddock me tombe dessus comme si l'on se connaissait depuis Adam et Ève.

-Tabarnak! qu'il me dit sans plus de préambule. Y'est sept heures et demie du matin pis v'là qu'mon propriétaire bûche dans 'es escaliers en face d'la f'nêtre de ma chambre pour m'réveiller saint-cibouère-de-calice! Check-lé bûcher dans 'es escaliers c'te vieux christ-là! Juste icitte, hostie, le jour de Noël saint-chrême!

Capitaine Haddock me pointe du doigt son proprio qui déglace rageusement ses escaliers avec une petite pelle de fer. Bing, bang, bang, le proprio bûche en saint-chrême, effectivement, pour un 25 de décembre.

-Sûr qu'i' l'fait exprès le vieux sacrament! Juste pour me faire chier! Après ça, i' vont dire que j'mets 'a musique trop fort chez-nous e'l'soir quand je r'viens d'ma tournée des bars... Ben qu'i' mangent d'la marde! Moé j'paye mon loyer pis j'veux du service pis du respect saint-christ-de-tabarnak! Do you feel like we dooooo? qu'il chante pour conclure.

Qu'est-ce que je lui ai répondu? Franchement, que répondriez-vous à un hostie de trèfle comme lui?

-Bon, ben, Joyeux Noël tout d'même, m'sieur! que j'ai dû lui dire.

-Ouin, ben, toé 'ssi. Moé, c'est Henri. Henri Grenon. J'suis un fan de Peter Frampton.

-Moé c'est Guétan. Guétan Bouchard...

-Ah oui? Le patineur de vitesse? Ha! Ha!

-Non, lui c'était Guétan Boucher.

-Ah. En tous 'es cas, bonne journée mon Guétan!

-Toé 'ssi Henri.

Henri a poursuivi son chemin et moi le mien.

Le proprio qui bûchait dans les marches de l'escalier me regarda de travers quand je suis passé devant lui. Il m'a  fait une hostie d'face de pitbull et n'a pas répondu à mes salutations ni à mon joyeux Noël.

Je ne lui en ai pas voulu. À sa place j'aurai fait comme lui avec ce voisin désagréable qui se permettait de réveiller tout le monde au milieu de la nuit avec sa musique de brosseux. J'aurais déglacé l'escalier avec un pic à glace pour le sortir de sa torpeur, le tabarnak, quand y'a du monde qui travaille le matin, même le matin de Noël, et qui veulent dormir saint-étol-d'hostie!

Je sais, je sais. Il y a beaucoup trop de sacres dans tout ce que j'écris. Est-ce de ma faute si j'écris ce que j'entends? Je ne suis pas greffier, sacrament, mais écrivain. Et pas nécessairement le plus brillant de ma guilde.

Allez en paix, mes frères et soeurs. Et respectez vos voisins tabarnak. Peter Frampton tous les soirs, à trois heures du matin, ça n'a pas de calice de bon sens.

mardi 21 décembre 2010

Pour tous ceux et celles qui ne croient pas au Père Noël

Vous avez vu la gueule du Père Noël? C'est l'un des avatars de Zeus, Jupiter et Sérapis. Père Noël qui fait revivre le paganisme et oublier Jésus. À quoi bon la crèche, le boeuf et l'âne? Le peuple a choisi Père Noël comme de tout temps il a choisi le dieu barbu. Même Michel-Ange ne fit rien d'autre que de peindre le Père Noël quand il vint pour représenter Dieu dans la fameuse chapelle Sixtine. Il a peint Zeus peut-être sans le savoir. Ce qui fait que le christianisme est disparu autour de 2012 pour ceux qui ont eu accès aux Livres.

Quoi qu'il en soit Père Noël était là pour rester. Ce sont plutôt ceux et celles qui ne croient pas en lui qui devaient fatalement partir. Des temples à Père Noël s'élevèrent partout dans le monde, de Toronto jusqu'à Alexandrie. Un nouveau culte rappelant celui des grecs et des romains prit forme. Ce fût le retour de Zeus-Jupiter-Sérapis sous la figure de Père Noël. On le célébrait quatre fois l'an, aux changements de saison. Et tout devait passer par Lui ou ses Lutins. Toute forme d'incrédulité face à Père Noël était pourchassée par les Lutins, bien entendu. Les coupables passaient de mauvais quarts d'heure et on leur confiait des travaux dégueulasses avec la chaine et le boulet aux pieds.

J'écris ces mots en l'an de grâce 2154 de l'ère noëllienne. Peu de gens savent qui est Jésus, Zeus, Jupiter et Sérapis. Sinon ceux qui ont lu les Livres, comme moi et si peu d'autres, puisque plus personne n'a réellement besoin de savoir lire avec les nouvelles technologies télépathiques. Très peu réussissent à s'ériger des barrières psychologiques suffisamment fortes pour résister aux pressions des Lutins du Père Noël, jeunes miliciens élevés très tôt à vouer un culte à Père Noël et à le servir dans ces sales besognes.

Pour me prémunir des Lutins, je lis autant que faire se peut les Livres que Père Noël refuse de nous faire lire, sachant trop bien qu'on y découvrirait toute l'absurdité de ce mythe, corollaire d'une révolution qui mettrait fin à son régime despotique et redonnerait la parole au peuple.

Nous sommes trop peu à ne pas croire en Père Noël et ses serviles Lutins. Nous nous réunissons dans les catacombes de cette culture grotesque tous les vingt-cinq décembre pour nous recueillir dans le silence, histoire de trouver la force et la détermination pour mettre fin au mythe de Père Noël.

Non, le Père Noël n'existe pas!

Vive la liberté de penser!

Vive la liberté de ne pas croire!

S'ils découvrent ça, je suis cuit. Lisez vite ce billet et détruisez-le. Je ne veux pas finir dans un camp du Royaume du Père Noël, dans le Nord du l'ancien Canada ou bien en Nouvelle-Sibérie. Je grelotte. J'ai trop froid aux doigts. Etc.

dimanche 19 décembre 2010

Le libraire

Je n'avais encore jamais lu Le libraire de Gérard Bessette. J'en éprouve un sentiment de honte, mais d'une honte presque feinte puisque je suis toujours très prompt à me pardonner. Si l'on puit pardonner à Dieu, pourquoi pas à une faible créature devant la Création et ses récréations, hein?

Comme n'importe quel honteux, je vais vous débiter sans vergogne des tas d'excuses pour me disculper de n'avoir jamais lu Le libraire. D'abord, tout le monde a lu Le libraire au Québec. C'est la lecture obligatoire la plus populaire, juste devant 1984 de George Orwell, L'Étranger de Albert Camus et la petite compilation de la poésie québécoise de Machin-Truc. Bon, juste d'écrire Machin-Truc témoigne en ma défaveur d'une certaine ironie face à la littérature québécoise, ironie que je ne m'explique pas et que je justifie du fait que Ludwig von Beethoven ne retirait jamais son chapeau devant l'empereur et qu'il passait devant lui en sifflant La Marseillaise... Bon, c'est lourd comme explication, mais ça vous dit que le patriotisme je l'ai de travers dans l'cul, surtout le patriotisme littéraire. L'art n'a pas de patrie.

C'est pourquoi Le libraire est un hostie de bon récit. C'est clair et limpide. On n'y sent pas cette atmosphère dégueu de salut au drapeau. Hervé Jodoin est un stoïcien dans l'âme qui déniche un boulot de commis dans une librairie québécoise, du temps où le clergé avait la main basse sur tout ce qui se disait, se pensait ou s'écrivait.

Le libraire Chicoine, son patron, est un peureux qui se croit grand parce qu'il vend au noir des livres interdits, dont L'essai sur les moeurs de Voltaire. Jodoin, en tant que commis, doit participer à la vente de ces livres que le clergé taxe d'infamie. Nous sommes dans un petit village, Saint-Joachin, et le libraire pourrait perdre toute sa clientèle si les vipères du clergé apprenaient ça.

Jodoin agit comme s'il se sentait au-dessus de tout ça, au-dessus même de son travail, comme si tout autour de lui le faisait bayer aux corneilles. Et c'est ce que je trouve d'admirable à ce petit roman, son existentialisme bien ressenti, avec ce détachement très rive gauche qui prouve que l'on pensait ici, même sous Duplessis.

Ces tabarnaks-là n'écoeurent plus personne de nos jours. Clergé, Duplessis, niaiseux: out! On peut lire ce que l'on veut ou presque. Les caves parlent tout seul et ravalent leur bave.

Le libraire a été publié en France en 1960. Personne ne voulait publier ça ici. Comme quoi le patriotisme littéraire c'est vraiment de l'hostie de grosse marde.

vendredi 17 décembre 2010

En prison avec le célèbre Murine

Murine était un braqueur de banque qui fit rapidement figure de héros parmi les desperados. On a même produit un film vantant ses exploits, essentiellement constitués de vols de banque, d'évasions de prison et, il faut bien le dire, de meurtres prémédités.

Djosse est plutôt un vieux Jesus freak qui ne ferait plus de mal à une mouche. Sa folie a fait son temps. Et il entend se consacrer aux autres pour ce qu’il lui reste à vivre, sans faire de vagues, bien peinard et toujours seul dans son coin.

Djosse est un gaillard de taille moyenne et d’âge d’or. Ses cheveux sont jaune paille et clairsemés. Ses dents sont un peu croches.

Il n’a pas toujours été un ange, Djosse, mais personne ne l’était vraiment dans son quartier, sinon Benoît Bouboule Bournival, un gars qui ne faisait que lire des livres toute la journée et qui ne jouait jamais avec personne.

Djosse a grandi avec une barre à clous et une poche de hockey comme d’autres grandissent avec un compte en banque bien garni et des châteaux en Espagne.

Il s’est donc retrouvé en prison avec nul autre que le célèbre Murine. C’était en 1970, une époque relativement fuckée de l’histoire du Québec, où l’on se faisait des nuits de la poésie et toutes sortes d’hosties d’shows.

Murine n’était pas plus poète qu’un autre mais il voyait bien que l’époque était faite pour les forts en gueule. C’est ainsi qu’il avait promis au juge qu’il s’évaderait de prison lors de son procès.

-J’vais m’évader pauvre con! qu’il lui avait dit en crachant sa glaire dans sa direction.

Djosse nous a raconté cet épisode de sa vie ce matin, au bar Chez Gaston, avec toute la verve qui sied au narrateur d’un récit mettant en scène une grande vedette du crime.

-J’étais en prison en même temps que Murine sacrament! qu’il nous a dit en s’agrandissant les yeux. Y’avait remarqué que les gars dans ‘a tour de garde y’était pas là le lundi parce qu’i' r’levaient d’leu' brosse d’la fin d’semaine. Murine avait d’mandé aux gars d’sa wing de l’aider à s’évader en leu’ promettant qu’i’ r’viendrait pour les aider à s’évader… Ben cibouère! V’ là qu’c’est un lundi. J’su’s dans ‘a cour d’la prison, assis sur une table à pique-nique. Pis qui que j’voés? Murine en personne. Y’est en train de faire un trou dans la clôture avec des instruments qu’i’ se sont patentés, lui pis sa gang. La gang s’évade toé chose pis moé, ben, j’reste là… I’ m’restait juste six mois à purger pis ça m’tentait pas d’me faire rajouter deux ans d’plus…

-Y’est-tu r’venu délivrer les gars? questionna Brutos, le facteur, tout en demandant à la serveuse de rajouter du brandy dans son café pour son cardio.

-Ben oui, répondit Djosse. Deux mois plus tard, Murine est r’venu délivrer les gars comme il l’avait promis. Y’est arrivé avec un gros pick-up pis des gars avec des machine guns. Y’a garroché des grenades sur le mur pis i’ s’est faufilé dans l’trou faitte par l’explosion avec son pick-up… J’étais encore assis dans ‘a cour cette fois-là, sur la même calice de table à pique-nique. Boum! Hostie! Pis Murine qui entre dans ‘a cour avec sa machine gun pis qui vise la tour… Takatakatak! Comme dans les films, maudit hostie! Une autre évasion pour Murine! Cibouère!

Sur ce sacre bien senti, Djosse remet sa tuque et salue sa compagnie.

-Salut la compagnie! qu'il nous dit en crissant son camp.

Raoul, un gars qui connaît bien Djosse et qui a lui aussi fait du temps, nous rapporte par la suite que tout est vrai, sauf le bout de l’histoire où Murine fait feu sur le beffroi avec sa mitraillette.

-C’est pas la même version qu’hier… Ce boutte-là Djosse l’a rajouté ce matin. Y'a dû pogner ça dans l'film...

Peut-être que Djosse beurre épais, mais vrai comme je l’écris, ce gars-là était en prison en même temps que Murine et c’est tout ce qu’il nous faut savoir.

Murine qui est d’ailleurs six pieds sous terre. Parce qu’on ne fait pas longue carrière avec une mitraillette dans le quartier des affaires. Djosse est encore en vie, lui, parce qu'il aime son prochain autant que lui-même. Comme quoi la réinsertion sociale n'est pas nécessairement un mythe, même si ce n'est pas avec un tel sujet qu'on fera un grand film d'action.

mardi 14 décembre 2010

Tant qu'il se portera des pancartes dans les rues

Sous le régime français, il n'y avait pas de démocratie. C'est apparu après la Conquête, sous le régime anglais. Et encore qu'au début seuls les propriétaires et les locataires masculins à hauts revenus pouvaient voter.

Le statut d'électeur s'est progressivement étendu à tous, puis à toutes.

1899 pour le vote des locataires aux élections municipales. 1942 pour le vote des femmes au Québec. Nous sommes partis du gouvernement d'un seul pour aboutir à une démocratie plus participative.

Il reste encore beaucoup à faire. La démocratie porte ses maladies et ses remèdes. Elle peut servir la tyrannie comme elle peut y mettre fin.

Certains politiciens d'un autre âge croit que la démocratie s'assimile à un chèque en blanc pour quatre ans. Ils agissent comme des empereurs romains, offrant au peuple des jeux plutôt que de la justice, de l'écoute et de la probité. Ces politiciens sont le cancer de la démocratie. Lorsqu'ils apparaissent, la machine à gober des sous s'emballe. Ces pharaons rêvent d'arcs de triomphe, d'amphithéâtres et de pyramides de gypse. Ils voient grand pour que cette grandeur serve leur intérêt plutôt que de servir celui de tous les concitoyens, peu importe leur allégeance politique.

La démocratie est encore fragile au Québec. Pourtant, l'histoire nous démontre qu'elle a fait de grands pas. La sagesse nous porte à croire qu'elle en fera d'autres. Les femmes peuvent voter et les locataires aussi.

Les citoyens ont le pouvoir d'influencer le cours des choses non seulement en tant qu'électeurs, mais en tant que membre de la communauté à part entière, ni plus haut ni plus bas que le maire, ex aequo.

La démocratie se construit à tous les jours avec chaque membre de la communauté.

Rien ni personne ne pourra l'arrêter tant qu'il se portera des pancartes dans les rues.

lundi 13 décembre 2010

Écrire en français avec un accent

J'étais écrasé dans mon fauteuil, hier au soir, autant fourbu qu'assoupi. De la neige mouillante, comme on dit par chez-nous, ce n'est pas comme du duvet dans le creux d'une pelle. Cela prend un peu plus d'huile de coude pour soulever tout ça afin que les moteurs à quatre chevaux circulent sans efforts...

Il y avait à la télé de Radio-Canada les meilleurs moments de Tout le monde en parle, un divertissement léger qui se situe souvent à la limite du badinage. Il y a parfois des éclairs de génie à cette émission, comme n'importe où dans la vraie vie. Il faut seulement tendre ses antennes ou bien se promener avec sa lanterne dans les rues de la cité, à la recherche de quelques traits d'esprit précieux parce que rarissimes.

J'ai été stupéfait par les propos d'un écrivain congolais dont le nom m'a complètement échappé. Laurent Mbogn'o? Laurent Makasso? Laurent Mbwana? Hum... J'y reviendrai quand je n'aurai plus cette lâcheté de délaisser Google pour effectuer cette recherche facile mais hasardeuse.

Je vais plutôt coller à ses propos. L'écrivain congolais prétend écrire avec un accent, celui des siens, au Congo.

-Nous avons été colonisés par la France. C'est à notre tour de coloniser la langue française en l'écrivant avec notre accent! disait-il substantiellement.

Et il avait crissement raison, ce tabarnak.

Nos plus grands écrivains québécois ont écrit avec un accent. Enlevons cet accent et il n'y a plus de littérature, rien que de la pose ou bien de l'imitation.

Émile Nelligan a imité Nerval, Lamartine, Verlaine et Rimbaud. Son oeuvre est plate parce qu'on y cherche l'accent sans le trouver. C'est presque du copier-coller.

Michel Tremblay n'a imité personne. Il a écrit avec son accent. Avec ses tripes. Et son propos est universel. Traduit en plusieurs langues. Et sans doute plus apprécié dans le monde entier que les vers collégiens de Nelligan.

Écrire en français avec un accent québécois... C'est la clé pour faire de la grande littérature au Québec. Autrement, ce ne sera toujours que de l'imitation, de la pose, de la théorie ou, pire encore, que des leçons de grammaire.

Les écrivains québécois et congolais peuvent fièrement coloniser la langue française et la doter de paroles vivantes pour qu'elle n'ait pas l'air d'un bloc de marbre à la Chateaubriand.

Oui tabarnak, on peut écrire comme l'on parle.

samedi 11 décembre 2010

Trois heures trente-six du matin

La ville est calme à trois heures trente-six du matin. Surtout quand il fait froid. Les oiseaux de nuit cherchent la chaleur. Les rues sont désertes.

Les lumières de la ville confèrent une étrange coloration à une nuit polaire où la neige et les nuages semblent emprisonner les photons. C'est un jaune tamisé. Avec un genre de blanc bleuté.

C'est calme comme le fantasme d'une nuit de Noël. C'est jaune comme une nativité. C'est cool.

vendredi 10 décembre 2010

L'odeur du Maure

Rhéaume était d'une incroyable lenteur. Si lent en tout et silencieux tout le temps.

Mince, sec et élancé, il ne s'élançait jamais à toute allure. Il allait si lentement dans la vie qu'il finissait par exaspérer tout un chacun. Ce qui fait que Rhéaume ne travaillait pas. À vrai dire, vous ne l'auriez pas embauché vous-mêmes, chers lecteurs et lectrices. Vous auriez été stressés rien que de le voir traîner la savate.

Rhéaume faisait cet effet-là partout sur son trajet.

Il était dans la trentaine avancée en plus d'être laid. Il avait des boutons et des chicots en guise de dents. Il n'était jamais très propre parce qu'il s'était éduqué lui-même.

Sa grande-tante aveugle l'avait prise sous son aile. Elle était gentille, Mira, sa grande-tante aveugle, mais elle ne croyait pas devoir juger le fils de sa petite nièce morte dans un accident de voiture. Elle était aimante, sa grande-tante, tellement qu'elle laissait Rhéaume faire ce qu'il voulait, d'autant plus qu'elle ne voyait pas ce qu'il faisait. Il développa donc sa lenteur et sa senteur muscée au bacon.

Mira Rhéaume finit par mourir il y a dix ans et Jacquelin Rhéaume dut bien quitter son nid.

Rhéaume se trouva lentement un logement qu'il n'avait plus quitté depuis, un logement affreux qui sentait la cigarette même s'il ne fumait pas. C'était l'odeur du voisin du dessous qui règnait dans son logement. Une odeur de cigarette.

Un jour, pour en venir rapidement au coeur de l'histoire, le voisin du dessus se pendit dans son logement et ça se mit à puer encore plus fort dans le loyer de Rhéaume. Mais Rhéaume n'était pas vite pour réagir même quand ça sentait le cadavre chez-lui. Son proprio passa par là à la fin de juillet pour voir si tout allait bien et fut tout de suite surpris par l'odeur de charogne qui régnait dans sa propriété.

-Pouah! Ça sent l'mort! qu'il avait dit.

Et le Maure en question, un Mauritanien dans les quarante-cinq piges qui fumait essentiellement des Presto-Flaque, en avait eu assez des questions. Le proprio figea sans réponse devant son corps qui flottait au-dessus de la poutre du cadrage de porte du salon. C'était un gars ordinaire ce proprio, avec les cheveux peignés sur le côté et des vêtements de taille 2X bleu marin. Le suicide, c'était une sale affaire pour lui, surtout en juillet. Essayez de relouer ça quand tout le monde sait qu'il y a maintenant un fantôme.

-Y'aurait pu s'tuer en janvier calice! Ça pue que l'viârge! Pouah! qu'il avait beugler, le proprio.

Rhéaume, comme à son habitude, fit semblant qu'il ne se passait rien. Il était habitué à puer lui-même et ne se souciait pas plus de la puanteur d'un autre, qu'il soit mort ou vivant. Il poursuivit son inactivité préférée, assis dans son fauteuil, à regarder fixement un point bleu et sans nuage dans le ciel.

Le proprio déblatéra n'importe quoi. Rhéaume ne sortit pas de sa léthargie avant le début de la soirée, moment où il se décida d'aller acheter du push-push à la fragrance de noix de coco pour la première fois de sa vie.

Il se sentait aussi gêné que s'il s'était acheté des capotes pour la première fois. Et probablement plus gêné du fait qu'il ne s'en était jamais acheté, des capotes.

Rhéaume glissa dans ses souliers sans lacets, descendit lentement son escalier et trottina jusqu'à la pharmacie du boulevard.

-C'est... c'est combien cette bouteille de push-push? qu'il demanda à un commis.

-Deux et soixante-dix-neuf, répondit le gros et grand commis en le toisant comme si Rhéaume était une vraie merde.

-Merci... Merci beaucoup... bredouilla Rhéaume en se rendant extrêmement lentement à la caisse avec sa cannisse de push-push en aérosol à la fragrance de noix de coco.

-Monsieur! Monsieur! hurla la caissière au bout d'un certain temps pour tirer Rhéaume de sa rêverie. C'est à votre tour de passer à la caisse!!!

-Ah... fit Rhéaume en traînant la savate jusqu'à la caisse.

-Autre chose? lui demanda la caissière, une jolie fleur dans une peau de vache qui tambourinait impatiemment avec ses ongles sur le plastique de la caisse-enregistreuse.

-J'ai dit: AUTRE CHOSE!!!??? répéta-t-elle.

Rhéaume sortit un peu de sa torpeur et tendit un billet de cinq dollars.

La caissière lui remit sa monnaie puis Rhéaume repartit chez-lui avec sa can de push-push.

Il push-pusha tout son logement avec cette odeur de noix de coco qui n'arrivait pas tout à fait à masquer l'odeur du Maure qui avait été oublié dans son logement parce que le proprio était parti chez Johnny alias le Trèfle pour s'acheter de la poudre.

-Hostie! se dit-il vers trois heures du matin, au bar Chez Ti-Claude. J'ai oublié d'appeler 'a police pour aller décrocher le corps d'Amid, mon locataire qui s'est pendu... Sacrament!!! J'su's pas pour les appeler frosté comme j'su's à c't'heure citte i' vont penser qu'c'est moé qui l'a tué saint-chrême! Tabarnak! J'sus encore dans 'a marde! Maudits suicidés de tabarnak! Ça pourrait pas s'tuer dehors calice?

Rhéaume ne s'en fit pas pour autant. Il sentait bien que c'était franchement nauséabond. Mais il avait sa cannisse de push-push à la noix de coco et se caliçait bien du reste. Même qu'il dormait comme un loir, Rhéaume. malgré cette chaude nuit de juillet et les émanations de ce cadavre qui continuait de pourrir dans le logement du dessous.

jeudi 9 décembre 2010

Rosalma ne fait jamais de «pensi-pansue»

Il n'y a pas que des histoires tristes dans la vie. Ça ne peut pas aller toujours mal. Si ça se peut, d'autant mieux ne pas le savoir.

La naïveté, qui ne rend pas plus sage, permet à tout le moins quelques moments de gymnastique pour les muscles du visage qui ne peuvent être animés que par de la bonne humeur, comme tout le monde le sait.

On gagnera beaucoup de lucidité à être triste. Mais à quoi bon cette lucidité si elle nous donne un air de cul, hein?

Si la vie n'était que de rechercher l'utile et le désagréable, nous aurions tous les bajoues pendantes à trente ans et ce faciès de merde bouillie qui confine l'autre à la fuite quand nous sommes en sa présence.

Il y a toutes les raisons du monde d'être triste, lucide et déconfit. Voilà pourquoi Rosalma Diamond n'a pas toute sa raison. Elle est gaie, extralucide et confite de plaisir.

C'est une petite dame pas plus grosse qu'un protège-tuyau en styromousse.

Elle a une tête de cure-oreilles.

Ses lunettes, sacrament, on dirait de vrais fonds de bouteilles.

Rosalma est vieille, mais son visage est encore bien rond et pas trop fripé pour une bonne femme de quatre-vingt-seize ans bien sonnés.

Elle vit dans un petit studio du quartier Ste-Cécile, à Trois-Rivières, à deux pas du Super Calice où elle va tous les jours pour aller quérir de quoi se mettre sous la dent, des billets de loterie ou bien des cigarettes.

Rosalma n'affiche jamais un air de femme malheureuse alors que tout pourrait concourir à cela: sa petite chambre miteuse, son vieux linge démodé, ses deux ou trois bigoudis pour se friser quelques rares cheveux...

-Moé l'malheur, comme elle dit, j'le laisse pas rentrer dans ma maison! Dans 'a vie, quand t'es triste, tu vas prendre une marche pis quand tu r'viens ben ça file mieux. C'est pour ça que moé j'va's au Super Calice tous 'es jours, pour prendre ma marche, pis ça va tout l'temps ben parce que quand on marche on reste pas là dans son jus à faire la pensi-pansue...

-La pensi-pansue? que je lui ai demandé, comme ça, alors que j'attendais à la caisse derrière elle.

-La pensi-pansue c'est quand tu penses trop pis que tu pètes des fiouses dans ta tête parce qu'icitte pis là pis toutes sortes de maudites affaires de même... Quand tu veux qu'ça aille mal dans 'a vie, t'as même pas besoin de réfléchir, tu vas trouver tous 'es maudites raisons du monde pour faire d'la pensi-pansue!

Non, Rosalma ne fait jamais de «pensi-pansue». Elle ne regarde pas le monde avec des lunettes roses, mais avec des hosties d'gros fonds d'bouteilles. Et, vrai comme je suis là, cette bonne femme sourit tout le temps.

mercredi 8 décembre 2010

Mon pays c'est l'hiver

La pelle en main après une première grosse bordée de neige et voilà que tout le monde se parle. Nos voisins, d'ordinaire taciturnes, deviennent formidablement volubiles.

-Ah! c'est bon pour le cardio! dira l'un.

-On en a pas fini avec l'hiver maudit calice! proférera l'autre.

Même moi, qui ne suis pas plus jaseux avec les pas parlables, je me surprends à saluer tout un chacun comme si c'était Noël.

-Ah! que je dis. C'est bon pour le cardio l'hiver, maudit calice de tabarnak!

-Mets-en cibouère! me répondra l'un.

-Christ d'hiver! Ha! Ha! sacrera l'autre.

Si d'aventure une voiture r'vire de d'sour dans la slotche, parce qu'elle est encore sur ses pneus d'été, eh bien nous nous jetterons à dix pour la décoincer, comme si c'était naturel de s'entraider.

Drôles d'oiseaux, les Québécois.

Ils sont à leur meilleur pendant une tempête de neige ou bien quand ça va vraiment mal.

Voleur, policier, flibustier ou moins que rien, c'est comme si les gens de mon pays retrouvaient par jour de tempête leur coeur d'enfant et la grande âme qui vient avec.

dimanche 5 décembre 2010

C'est la vie

Arkadiusz Buczkowski n'était pas un Polonais comme les autres. Ceux qu'ils côtoyaient à tout le moins. Il avait pris le contrepied de toute sa communauté. Plutôt que de faire semblant d'être chrétien, il avait décidé qu'il était impossible de faire semblant.

Et, entre vous et moi, Arkadiusz n'allait jamais à l'église. Comme quoi les bons chrétiens ne se trouvent pas nécessairement là où l'on croit pouvoir les trouver. Ils se dérobent aux yeux de tous et parfois personne ne les connaît.

Personne ne connaissait vraiment Arkadiusz. On savait qu'il travaillait fort sur sa ferme, près de Treblinka. Il était aussi un peu musicien et on le payait pour jouer lors des noces ou des congés fériés.

On le surnommait le Grand, parce qu'Arkadiusz était grand. Son nez était croche mais personne ne l'appelait Nez-croche. Un de ses lobes d'oreille était plus petit que l'autre et on ne le surnommait pas plus Petit-lobe-d'oreille. Non, on le surnommait le Grand, et ce n'était pas vraiment par marque d'affection. C'était simplement une évidence biologique somme toute assez banale.

Le village du grand Arkadiusz était essentiellement composé de personnes qui s'accommodaient vite de la dictature pour en tirer quelques bénéfices. Tout un chacun avait accueilli les Allemands en affichant un air de défaite polie. On savait de source sûre qu'ils allaient les laisser tranquilles à leurs affaires s'ils collaboraient avec eux à voler et à tuer des juifs pour une raison qui échappe à l'intelligence humaine.

Le grand Arkadiusz cacha quelques juifs chez-lui, évidemment, et comme il se fermait toujours la gueule, même les nazis lui foutèrent la paix. D'abord, tout le monde disait aux nazis que le Grand n'était pas juif. Et cela semblait suffire.

Le Grand cultivait ses patates comme d'habitude, à quelques pas du plus funeste projet de l'histoire des exterminations humaines. Il devait sa vie sauve à son attitude toujours humble, les yeux rivés au sol, comme si de rien était. Son champs était si près du camp de Treblinka que le bruit des cris et des coups de bâton lui venait aux oreilles à toute heure de la journée. Et l'odeur... Cette indescriptible odeur de mort qui flottait tous les jours sur Treblinka et les alentours...

Les wagons à bestiaux remplis d'être humains qui n'avaient même pas porté les armes...

Juste pour les tuer... Les tuer parce qu'ils étaient juifs...

Le Grand, sa femme et ses deux filles cachaient deux juifs. Jacob, un forgeron dans la trentaine. Et Ruth, sa femme, une institutrice qui parlait français et anglais. Ils avaient aménagé une cache qui communiquait avec le caveau à patates.

Un jour, évidemment, ça s'est su. Des jeunes voyous ont découvert les juifs en allant voler des patates. Puis ils les ont dénoncé auprès de la police polonaise, qui collaborait avec les nazis. Donc, le Grand, sa femme, ses deux filles et les deux juifs se firent ramasser toute la bande et on n'entendit plus jamais parler d'eux.

Tous morts.

Et pendant ce temps, ça mangeait quand même de la saucisse et de la choucroute, partout autour, comme si c'était ça la vie...

vendredi 3 décembre 2010

La Noël de Hermé, fan de Hermès Trismégiste

Tout le monde l'appelait Hermé pour ne pas avoir à prononcer plus de deux syllabes par mot. En fait, il s'appelait plutôt Herménégilde Rivard. D'où il venait? Peut-être de Grand-Mère ou de Shawinigan. C'est dur à dire. Tout ce qu'on sait c'est qu'il avait toujours faim même s'il était maigre comme un casseau.

Hermé mangeait ses émotions. Il n'avait pas de ventre, Hermé, juste ce qu'il fallait de peau pour maquiller ses nerfs tendus et ses os noueux.

Hermé aurait pu être beau s'il avait été un peu plus bavard. Comme il ne parlait jamais, il fallait que la femme fasse tout le travail de séduction et à peu près toutes, même les laides, finissaient par se dire qu'il pouvait bien manger d'la marde, Herménégilde Rivard alias Hermé.

Hermé ne parlait que de Hermès Trismégiste, un personnage mythique de l'antiquité associé au dieu égyptien Thot.

À part de ça, Hermé ne travaillait pas. Il glandait en relisant la Table d'émeraude. Il ne vivait en fait que pour l'heure des repas.

Il avait vécu à Montréal, en décembre, l'an passé. Il avait faim. Il avait bouffé son chèque et la banque alimentaire de notre quartier était fermée pour le mois de décembre. On donnerait des paniers de Noël à la place. "Tiens, les pauvres, débrouillez-vous avec ça. Nous fermons en décembre. Le personnel s'en va se relaxer dans le Sud, écoeuré de vous voir la face. Vous reviendrez en janvier, quand vous serez rendus au fond de votre panier de Noël. Trouvez-vous une job sacrament!"

Hermé ne pouvait pas se trouver une job. Il était crissement fucké. Il en faisait peur. Il passait son temps à se taper le front avec un crayon. Vous imaginez ça en entrevue? Vous l'engageriez, vous? Me semble que non...

Donc, Hermé n'avait pas de job. Il ne pouvait plus aller chercher de la bouffe aux Partisans de l'Amour. Il ne lui restait plus qu'à crisser son camp à Montréal où il y a toujours de la bouffe gratuite à y trouver quand on est débrouillard. Des ressources, il y en a toujours bien un petit peu. Et Hermé avait le don de toutes les faire pour s'outrenourrir.

Il mangeait comme un ogre, Hermé, cet indécrottable mendiant ingrat au sens où l'entendait sans doute l'ineffable Léon Bloy.

Oh! Il disait merci, Hermé. Mais il ne se jetait pas par terre pour vous baiser les pieds. Il rotait dans sa main et se redonnait des coups de crayon dans le front: toc, toc, toc... Cognant sur l'araignée de son plafond.

Il a mangé plus qu'à satiété en décembre 2009. Montréal, on a beau dire, ce n'est pas comme cette putain de Trois-Rivières où la faim vous tenaille, où il n'y a que des paniers de Noël à bouffer en décembre, et c'est à en bouffer du carton saint-ciboire d'hostie d'calice!

Hermé était bien content d'être un presqu'itinérant à Montréal. Il squattait dans un vieux hangar abandonné du quartier Rosemont. Et chaque matin il faisait sa tournée des lieux où l'on distribuait de la bouffe gratuitement. Comme il savait lire et écrire, il alla quérir un bottin des ressources communautaires de la ville et il fit sa tournée de pique-assiette-toctoc-coups-d'crayon-dans-l'front avec son guide des tablées les plus gratuites de l'île de Montréal.

Il a mangé en sacrament en décembre 2009. Plus de huit repas par jour parfois s'il faisait ça vite.

Je ne vous raconterai pas comment il a fait ça mais je le crois.

Tout comme je crois son récit à propos de sa Noël de l'an passé.

-Il y avait des repas de Noël partout! J'ai mangé dans toutes les sectes chrétiennes de Montréal: catholiques, protestantes, orthodoxes, évangélistes, luthériens, anglicans... Puis j'ai relu la Table d'émeraude de Hermès Trismégiste... As-tu déjà lu ça, Gaétan, la Table d'émeraude?

Oui, j'avais malheureusement lu ça. Ce qui m'obligeait à entretenir une certaine forme de solidarité avec Hermé et de lui refiler quelques jetons quand je le croisais afin d'apaiser ma culpabilité.

-Merci Gaétan! T'es ben blood... Hermès Trismégiste... Le Poimandrès! Ha! ha!

-Ha! Ha! que j'ai ri poliment. Le Poimandrès!

Et il se redonna des coups de crayon dans le front, Hermé. Toctoctoc. Peut-être qu'il était autiste. Ou bien tout simplement lessivé par le genre de vie qu'on mène.

-Ha! Ha! Ha! qu'il ajouta.

Quoi qu'il en soit Hermé a poursuivi en me racontant sa Noël de l'an passé.

-J'ai beaucoup trop mangé à Noël l'an passé. J'étais à Montréal. J'ai fait huit places où l'on donnait des repas gratuits. J'ai fini à l'hôpital... J'ai fait une indigestion sévère... Une chance que j'avais avec moi la Table d'émeraude de Hermès Trismégiste... J'ai pu la relire six fois sur ma civière, dans un des corridors de l'hôpital... Oyoye! Ha! Ha! Et cette année, je compte bien retourner à Montréal... Les Partisans de l'Amour distribuent leur calice de paniers de Noël et ils seront fermés jusqu'en janvier... J'me vois pas manger juste un ou deux paniers de Noël en décembre... J'vais r'tourner squatter à Montréal. Pis j'va's m'bourrer la bedaine comme i' faut... Comme dirait Hermès Trismégiste, quand la Pythie va tout va... La Pythie! Ha! Ha! La devineresse d'Apollon qui hurlait littéralement ses oracles... Est bonne hein?

-Ha! Ha! que j'ai fait semblant de rire.

Ce matin, j'ai croisé Hermé. Il s'en allait avec son packsac en direction de la bretelle de l'autoroute 55. Il s'était fait une petite pancarte en carton sur laquelle il avait écrit Montréal au crayon feutre.

-J'ai faim. Leur hostie d'panier d'Noël i' peuvent ben se l'crisser dans l'cul! me confia-t-il. Foin des Partisans de l'Amour! J'les trouve pas drôle de fermer pendant un mois! J'mangeais là tous les midis! Même que j'payais en plus! Maudite ville de cheapze qui font payer les mendiants qui ont faim!!! Une piastre et demie calice!!! Bientôt deux piastres!!! Ben i' vont m'perdre! J'vais aller vivre à Montréal, moé, oui monsieur!

Hermé devait probablement avoir sa Table d'émeraude dans son sac. Il se crissait encore des coups de crayon dans l'front. Toctoctoc.

Il ne neigeait pas. Le temps était maussade. La neige avait fondue. Mais il y avait tout de même une petite coloration jaunâtre dans le ciel. Quelque chose comme le prélude d'une belle journée.

jeudi 2 décembre 2010

Le Québec des crétins

Le Québec n'est pas la province la plus corrompue du Canada.

Nous vivons sous un régime bon et magnanime où les contrats sont toujours attribués aux honnêtes gens, sans aucune forme de népotisme ou de conflits d'intérêts. On dépense ce que ça coûte puisque c'est au Québec que ça se fait.

Nos décideurs politiques sentent bon parce qu'ils se lavent souvent les mains avec du Piourelle. Ils mangent des bines avec leurs gentils colporteurs du dimanche. Ils envoient des cartes de sincères condoléances chaque fois qu'une âme quitte le comté. Ils ont toujours le sourire aux lèvres et on ne peut les accuser de mener une vraie passion envers le Québec et leur communauté. Ils veulent notre bien et certainement qu'ils l'obtiendront puisqu'ils le méritent.

Quand on attaque le Québec, ils sont les premiers à se lever, nos députés. Quand on les attaque, nos fougueux représentants du peuple, évidemment qu'on attaque tout le Québec. Dire de tel député qu'il est un crosseur, par exemple, c'est insulter tout le Québec avec un gros Q. Voyons! Nous ne laisserons personne insulter le Québec, en commençant par nos vaillants et toujours sincères députés et députées avec un e.

Oh! Vils conquérants des Plaines d'Abraham qui ne font que montrer nos travers, alors que tout va si bien, si rondement, si froidement. Le Québec est maître de sa destinée et c'est tout naturel que les Québécois leur confient un chèque en blanc pour quatre ans, symbole de notre reconnaissance envers ces notables qui se dévouent corps et âme pour nos grands sacrifices. Le Québec réussit. Le Québec est parfait. Le Québec est le nombril du monde. Et tous ceux et celles qui parlent contre nos élites parleront toujours contre le Québec, le vrai Québec, le gros Québec avec un gros Q, le Québec des crétins.

Autant rêver...

mercredi 1 décembre 2010

La sagesse d'un boîteux

Épictète, en plus de boîter d'une jambe, était esclave. Il était l'esclave d'un affranchi de l'empereur Néron. C'est cet ancien esclave de l'empereur qui lui a d'ailleurs pété la jambe. Et la légende veut qu'Épictète lui ait simplement dit «si tu continues, tu vas me la casser» presqu'en sifflant comme si de rien était.

Épictète, par ailleurs, cela veut dire en grec «homme acheté» ou «serviteur». Son maître l'appelait «Serviteur boîteux»...

«Serviteur» a finalement été lui-même affranchi de son maître cruel dans des circonstances nébuleuses. Et «Boîteux» a poursuivi son chemin en fondant une école où il enseignait sa philosophie, le stoïcisme.

Qu'est-ce que le stoïcisme? Je n'ai pas envie de répondre à cette question. Aussi je vais faire les coins ronds.

Le stoïcisme c'est un art de vivre bien plus qu'une foutue théorie à la noix dont raffolent les demis-philosophes qui se chargent d'en saigner dans nos universités.

L'art de vivre est étranger aux théoriciens et ne les rattrape qu'au détour d'une longue maladie ou bien d'un suicide.

Épictète était esclave et il boîtait. Il servait un maître tyrannique et vivait en un temps où l'empereur émettait des décrets pour chasser  de Rome les philosophes. La rondelle ne roulait pas pour lui. Il vivait en une sale époque dans le mauvais rôle.

Épictète ne pouvait pas changer sa condition d'esclave ni fuir bien loin en boîtant.

Alors il s'est mis à réfléchir et disons qu'il a plutôt aimé ça, à défaut de pouvoir vivre autre chose. Il s'est affranchi de ce qui ne dépendait pas de lui. Il n'a pas accusé les autres. Il ne s'est même pas accusé lui-même. Il a pris le parti d'en rire, un peu comme Bouddha. Il a vaincu la peur, la souffrance et le désir. On peut le frapper, il ne se sentira pas atteint puisqu'il a terrassé ses démons intérieurs.

Nietzsche a dit d'Épictète qu'il fallait boîter pour penser ainsi. Une nature plus forte et plus saine peut terrasser tout un chacun et imposer sa morale, sa vision du bien et du mal.

Entre vous et moi, Nietzsche est un emmerdeur. Il se croyait de noblesse polonaise. Et qu'est-ce qu'on s'en torche de sa noblesse et de sa philosophie à coups de marteau. Il portait un maillot de bain ridicule quand il allait sur la plage avec son ami Machin et sa muse Lou-Andréas Salomé. Sa moustache était affreuse. Et ses sourcils étaient plus énormes que sa grosse moustache merdeuse. Il jouait au dur par écrit et n'était dans la vraie vie qu'un petit papillon bleu syphilitique facilement écrasable par le premier sous-manutentionnaire venu.

N'empêche que Dostoïevski et Soljenitsyne trouvaient une plus grande consolation à lire le Manuel et les Entretiens d'Épictète du temps de leur emprisonnement. Nietzsche ce n'est pas une lecture de prison.

Comme quoi les conseils d'un boîteux sont préférables aux délires d'un syphilitique.

La morale de l'histoire? Aucune. Comme d'habitude.

lundi 29 novembre 2010

C'est beau

Je peux voir les yeux fermés.

Je me ferme les yeux et... hop! je vois la toundra nimbée de lumière. Et pas n'importe quelle lumière. Une lumière qui passe du jaune vif au blanc laqué. Et qui se décompose comme les alvéoles d'une ruche d'abeilles.

C'est un don qui m'a permis de survivre à n'importe quoi. Je ferme les yeux et... hop! je vois. Même quand je suis sobre.

Je ne me ferai pas tirer aux cartes là-dessus.

Je ne vous dirai pas que je vois Dieu ou bien Kitché Manitou.

Je vois des arbres dans la toundra.

Je vois les yeux fermés.

Et c'est beau.

vendredi 26 novembre 2010

La trompette de Jérémie

Jérémie résistait souvent à l'envie de commenter la politique. Ça lui démangeait d'en parler, presque tout le temps. Pourtant, il n'en parlait jamais. Il s'était si souvent trompé sur ses partis pris qu'il avait pris le parti de ne plus en parler.

Évidemment, il n'avait pas tout faux, Jérémie, mais à quoi bon vous raconter ses vérités puisque Jérémie ne parlait jamais de ça.

C'était un grand escogriffe au cou très long, ce Jérémie. Il ressemblait à Plume Latraverse en tenue de cérémonie avec son complet, veston cravate toujours impeccable mais multicolore, voire clownesque, tout de bleu, jaune, rouge.

Jérôme se donnait un petit air de jazz. Il  jouait de la trompette dans les bars, le soir, et l'air de rien il finissait par bien gagner sa vie. Il n'était pas Miles Davis mais ce n'était pas d'un soliste qu'on voulait dans les bands qui bouclent bien leurs soirées. La plupart du temps on ne lui achetait que deux ou trois notes poussées sur deux ou trois accords. Les morceaux les plus difficiles, c'était pour jouer à la maison, avec les amis.

Jérémie préférait jouer de la trompette plutôt que de parler de politique.

Il jouait de la trompette au lieu de se tromper.

jeudi 25 novembre 2010

Ovide Plouffe, Valentin Bournival et la place des intellectuels

Ovide Plouffe disait à tort qu'il n'y avait pas de place nulle part pour tous les Ovide Plouffe du monde entier.

Oui, Ovide, il y a une place pour les intellectuels. Elle n'est pas évidente à trouver. Surtout au sein de la classe ouvrière. Un intellectuel y passe pour un emmerdeur. Celui qui connaît les gens d'en face et qui pourrait servir tout aussi bien les deux camps. Ce qui fait qu'on le laisse seul avec l'impression qu'il n'y a pas de place pour lui.

Pourtant, des types comme Ovide Plouffe ont leur place. Il ne leur suffit que de la prendre.

Évidemment, certains critères échappant au domaine de l'intelligence peuvent faciliter cette prise d'emplacement, à tout le moins cette prise de parole.

Valentin Bournival était un intellectuel qui provenait d'un milieu modeste. Ils étaient les plus riches des pauvres sur sa rue. Il est vrai que ses parents n'étaient pas alcooliques. Tout allait pour le frigidaire. Ce qui fait que les Bournival avaient le teint rose et poussaient comme des bouleaux, avec l'écorce sensible et le coeur plein de sève.

Les Bournival aimaient les livres. Ils se disaient que les bourgeois pouvaient tout s'acheter sauf de la culture. Ce n'est pas tout à fait vrai. Mais ça leur faisait du bien de penser ainsi.

Quand ils ne pensaient pas ainsi, ils jouaient au football. Frères et soeurs, père, mère et grands-parents.

Les Bournival étaient des gens de party. Tu mettais un ballon de football au milieu de la cour et tout le monde courrait après pour s'en emparer. Tout le quartier se rameutait. Et ça finissait en partie de football sans protection.

Ça se bûchait dessus dans la cour du Séminaire, le soir, après que les fils de bourgeois soient rentrés à la maison.

Jusqu'à ce qu'un agent de police les prie d'aller jouer ailleurs, parce que c'était un terrain privé et patati et patata.

Ailleurs? Il n'y avait pas d'ailleurs. Tout était bétonné et asphalté dans le coin, hormis dans la cour où s'amusaient les fils des bourgeois, avec des gradins, tiens, et un vrai terrain de football.

Ce qui fait que les Bournival sont passés du football interdit au Séminaire aux claques sur la gueule permises dans les ruelles sombres du faubourg au beurre de pinotes, là où même les lois s'essoufflent.

Valentin appris autant des livres que des claques sur la gueule.

Aussi, il n'avait pas honte d'être un intellectuel et croyait fermement que toute la place devait revenir aux Ovide Plouffe du monde entier, tant qu'ils ne pèteraient pas trop les plombs.

Valentin Bournival ne se laisserait pas écraser.

Il proférait sa foi en l'intelligence en toute occasion, qu'on le veuille ou non. Il se disait que ce n'était pas en ayant honte d'être soi-même qu'on se fait respecter.

Chaque fois qu'un rustre faisait des remarques disgracieuses sur les «ethnies», Valentin Bournival n'attendait pas une ni deux pour réduire ses propos en poussière.

-Les racistes sont des hosties d'cons! Des ignorants bourrés d'ressentiments. Des tarlais. Des hosties d'niaiseux pleins d'marde. Leur p'tite logique de crétins m'donne juste envie d'dégueuler tabarnak! Ils vont toujours perdre les racistes parce que les bâtards comme moé sont jamais malades! Ch't'un Indien calice! Riez don' des Indiens aussi mes tabarnaks! Hein? Qu'est-cé vous riez pas des Indiens aussi mes sacraments?

Dix fois sur dix, les racistes se taisaient. C'est vrai que Valentin était une calice d'armoire à glace. Comme l'Indien dans Vol au-dessus d'un nid de coucous. Il en imposait, c'est certain, même s'il n'en était pas tout à fait conscient. Sa fiche technique ne comportait aucune défaite au plan purement physique, qu'il méprisait avec le flegme d'un Ovide Plouffe. Tout se concentrait sur le muscle le plus important du corps, le cerveau. Et il ne trouvait aucun fondement logique au racisme, insulte suprême à l'intelligence.

Valentin Bournival pouvait se montrer tout aussi fanatique lorsque l'on riait des béhesses et des pauvres. C'est comme si l'on riait de sa famille, voire de lui, puisqu'il n'a pas toujours fait fortune Valentin.

-Un bourgeois qui rit d'un pauvre, j'me dis qu'c'est nul mais qu'c'est presque de bonne guerre, qu'il disait souvent. Mais y'a rien d'pire qu'un pauvre qui méprise un plus pauvre que lui! Rien de pire qu'un kapo, un merdeux qui collabore avec les saigneurs pour tenir le peuple sous les barbelés. Si nous laissons ça passer, les enfants vont retravailler dans les mines à partir de l'âge de douze ans! Pendant qu'on crache sur les béhesses y'a des grosses fortunes qui viennent siphonner l'argent de l'État pour nous rappeler qu'nous sommes des hosties d'nuls!

C'était toujours sans réplique. Comme si Bournival prophétisait.

Il n'avait pas toujours raison. Il était parfois à côté d'la track. Mais son coeur était plein de sève, même s'il pensait un peu trop de la tête.

Il aurait dû devenir lutteur. Pas intellectuel.

Sacré Valentin!

mercredi 24 novembre 2010

Cor-rr-ruption!!!

Je parlais hier avec un type qui est originaire des Pays de l'Est. Il s'appelle Vladimir. Ses amis l'appellent Vlad. Moi je l'appelle encore Vladimir. C'est qu'on se connaît très peu.

Je le croise de temps à autres au dépanneur. Et petit à petit, on s'est mis à se jaser en attendant à la caisse.
Il y a toujours la file le matin. Parfois c'est long. Ce qui fait que j'ai le temps de placoter un peu avec Vladimir.

-Tabar-rr-nak! qu'il m'a dit hier avec son fort accent slave. Par-rr-tout. Pa-rr-tout Québec il est corr-rr-ruption. Tout l'monde par-rr-ler ça. Tabar-rr-nak! Gouver-rr-nement dans 'a ma-rr-de! Eux parler cor-rr-ruption Pays de l'Est. Et oui, beaucoup cor-rr-ruption. Beaucoup. Mais eux cor-rr-ruption ici aussi!!! Tabar-rr-nak!

-Ça fait cent ans que Tolstoï est mort... C'était le 20 novembre 1910... que je lui répondu. Ïasnaïa Poliana que j'ai ajouté.

-Ïasnaïa Poliana! qu'il a surenchéri.

-Ouais, la Clairière dorée. Le refuge de Tolstoï. Ma meilleure source d'inspiration politique par les temps qui courent. Une politique qui fait presque abstraction du pouvoir temporel. Défendons l'intégrité des valeurs humaines. Dénonçons les abus de pouvoir. Ne jouons pas le jeu de César...

-Politique? C'est r-rr-ien que d'la chr-rr-ist de mar-rr-de! conclut Vladmir.

Il est parfaitement intégré Vladimir. À peine vingt ans qu'il est ici et il pense déjà comme un Québécois. Ou un Algonquin. Ou un Nord-Américain.

mardi 23 novembre 2010

La capote de laine d'Élèle

Ce n'est pas toujours facile de raconter des histoires simples.

Prenons Louise Laverdure, que ses amis surnomment Élèle, l'acronyme de son nom civil complet.

Élèle tricote en regardant la télé. C'est simple, tricoter, et franchement on en a rapidement vu le bout.

Je pourrais vous dire qu'elle ressemble à une miss météo qui aurait de plus gros sourcils.

Ou bien qu'elle emploie de la laine et du polyester pour ses tricots.

En fait, Élèle n'a même pas vingt-cinq ans. Elle a vingt-six ans. Et elle tricote comme une grande-mère. Ses yeux bruns, camouflés sous d'épais sourcils bruns, ne manquent pas une cotte, brune ou beige. À chaque soir, une paire de pantoufles et une paire de mitaines.

Jusqu'au soir où son copain Théo, un jeune grec dans la trentaine, bedonnant et procrastinateur, lui demande de lui tricoter une capote avec son accent anglais de Montréal.

-Tricote-moé aune capote hestie! Ha! Ha!

Élèle trouve ça drôle et elle lui tricote sa capote en une heure pile. Une belle capote de laine blanche avec pas un poil qui dépasse. Du travail d'artiste.

-Essaie-la, qu'elle lui dit, fière de son oeuvre.

La capote est en laine. Théo capote.

-Y'essayerai pas ça moui-là! Ça pique en fuck you d'la laine! Ayoye!

La capote de laine demeure sur le divan. Élèle part se coucher en boudant. Elle dit à Théo qu'elle ne veut plus le voir. Alors Théo baisse ses culottes et enfile la capote de laine.

-Tiens e'l'ai mise ta christ de capote de laine! T'es contente-là holy fuck? Ayoye motherfucker! qu'il dit.

-Décrisse! qu'elle lui répond. J'veux p'us t'voir!

Théo enlève sa capote de laine, remonte ses culottes et crisse son camp.

-Jeez! I just know nothing about women! qu'il maugrée en descendant l'escalier. J'l'ai mise sa calice de capote de laine!!! Fuck that! Get out of my heart Élèle!

Élèle voyant que son ami de coeur est parti sent qu'elle a peut-être exagéré. Elle s'essuie une larme au coin de l'oeil. Caresse sa belle capote de laine. Puis se remet au tricot devant la télé.

lundi 22 novembre 2010

Première neige & L'histoire du voleur qui était en tabarnak

C'était la première neige de l'automne. L'hiver avait jeté son manteau blanc immaculé sur les dépressions et les suicides de novembre. Cela redonnait du lustre aux paysages urbains, épouvantablement gris et monotones avant la neige.

Il avait neigé et même la misère avait l'air riche. Toutes les bâtisses, des plus dispendieuses aux plus chiottesques, offraient le même effet de vernis brillant, avec ces nuances de bleu tirant sur le blanc. C'était féérique et cela camouflait la mort.

Tenez, ce chat mort que je croise tous les matins sur mon chemin et que personne ne ramasse, même pas les charognards. Les goélands sont repus et les corbeaux ne supportent pas chats.

Ce matin, mon chat mort est bien abrillé. Ses neuf vies sont enterrées sous la neige. Je parie que je ne le verrai même pas quand je passerai près de lui lors de ma promenade matinale.

Tout sera beau, blanc, etc.

***

Je voulais d'abord vous offrir pour récréation une nouvelle stupide qui me trotte par la tête. Et paf, je suis tombé sur cette histoire de chat mort enseveli sous la neige qui, par ailleurs, devrait se transformer en verglas au cours de la journée, ce qui devient moins poétique et nettement plus dangereux.

J'ai écrit au je, malheureusement pour vous. Je m'en allais vers un récit stupide à la troisième personne du singulier, pour m'oublier moi-même, et voilà que j'ai ressurgi comme le dernier des vaniteux.

Bon, c'est trop tard mais je me rattrape tout de suite avec L'histoire du voleur qui était en tabarnak.

***

L'HISTOIRE DU VOLEUR QUI ÉTAIT EN TABARNAK

C'était la première neige de novembre et Scrotum Laramée, voleur bien connu du quartier, avait sorti sa barre à clous et sa poche de hockey pour aller faire des maisons.

Il commence par le 768, juste à côté de chez-lui. Il n'y a pas de bâtons dans les fenêtres et Scrotum n'a même pas besoin de sa crowbar pour les ouvrir. C'est comme si tout était débarré. Un buffet à volonté.

Scrotum sait que ses deux voisins sont absents. Il les a vus partir. Il ne reste plus qu'à remplir sa poche.

Scrotum, un petit maigre avec un bras un pied plus petit que l'autre, fait le tour du propriétaire. Une vieille télé. Un vieux radio. Rien dans le réfrigérateur. Le congélateur vide. Des biscuits soda dans l'armoire. Du vieux linge dans les tiroirs. Pas de bijoux. Pas de lecteur DVD ni de disques. Une vieille tour informatique pas revendable. Rien hostie. Rien. Sinon des livres. Des livres sacrament!

Scrotum est en tabarnak comme de raison.

-Gagne d'hosties de béhesses! qu'il hurle intérieurement. Y'a rien icitte tabarnak!

Et il n'y a rien, effectivement. Des livres et des guénilles.

Scrotum sort vingt piastres de ses poches et le met sur la table avec un petit mot griffonné à la hâte. Puis il décampe.

Ses voisins reviennent une heure plus tard avec des livres, dont une collection de vieux romans historiques. Ils sont d'abord surpris de voir que tout leur appartement a été reviré à l'envers. La fenêtre de la cuisine est ouverte et il y a vingt piastres sur la table ainsi qu'un petit mot griffonné à la hâte:

GANG DE TROUS DE CUS
JE VOU É LAISSÉ 20 PIASSE
VOUS AVÉ RIEN CALICE!

Mais qui pouvait bien être ce voleur imbécile qui ne volait rien et laissait vingt piastres sur le comptoir?

C'était Scrotum, comme de raison. Scortum qui a un bras plus petit que l'autre. Et qui vient d'une famille de voleurs sur plusieurs générations.

On dira ce qu'on voudra, les Laramée ont de l'honneur et ne volent jamais de trous du cul.

Ils les laissent vivre avec leurs guénilles et leurs romans historiques plates.

vendredi 19 novembre 2010

La vie est une partie de ping-pong disait Navet St-Onge

La vie n'est pas une partie de ping-pong. Si c'en était une, il y aurait trop de joueurs autour de la table. Et ça ne ferait pas une belle partie. Ce qui prouve que dans la vie, on peut faire des syllogismes.

Cela dit, chers lecteurs et lectrices, je me dois de vous raconter l'histoire de Navet St-Onge, le meilleur joueur de ping-pong que j'aie connu.

J'avais même fait un reportage sur Navet du temps où je m'exerçais à singer les reporters pour la radio du campus.

C'était encore plus minable que d'être technicien du son, être reporter.

Au moins, ils pouvaient choisir la musique. Et faire tripper le monde. Alors que moi je racontais les exploits de Navet St-Onge et autres conneries parascolaires. Je jouais à Tintin, calice, avec de la musique de Led Zeppelin en arrière-fond sonore.

Franchement, j'avais l'air d'un trèfle. Néanmoins, c'est en ayant l'air trèfle qu'on grandit. Je ne dis pas que cette maxime traversera les âges mais si vous avez mieux à proposer adressez-vous à mon courriel: bouchard.gaetan@gmail.com

Merci. Et reprenons le fil de l'histoire, que vous le vouliez ou non. Si vous ne me lisez plus à partir d'ici, je crois que vous allez passer à côté de l'effet de surprise.

Donc, Navet ne s'appelait pas vraiment Navet, mais c'est trop loin pour que je me rappelle de son vrai nom.

On le surnommait Navet pour une raison qui m'échappe puisqu'il avait plutôt l'air d'une brindille. C'était un grand maigre au visage vérolé, Navet St-Onge, mais c'était tout de même le meilleur joueur de ping-pong de la polyvalente. Évidemment, je couvrais leurs tournois, ne serait-ce que parce que Navet n'arrêtait pas de me harceler. Il pouvait être teigne, Navet St-Onge, et vous répéter mille fois la même chose.

-Tu vas v'nir au tournoi d'ping-pong, hein? Hein? qu'il m'avait dit mille fois.

Et j'étais allé à son sacrament de tournoi de ping-pong.

Ça se passait dans le gymnase aménagé juste au-dessus de la cafétéria. Sur l'heure du midi, histoire de suer avant que de retourner en classe. J'avais mon enregistreuse et mon micro, prêt à interviewer Navet St-Onge que tout le monde donnait pour gagnant à dix contre un. Et il n'avait pas déçu ce pronostic. Navet St-Onge avait gagné le tournoi.

Il s'était fait aller la brindille notre Navet, parant tous les coups de ses adversaires et les surprenant toujours de rapides boulettes projetées comme des comètes dans l'atmosphère moisi et suintant du gymnase.

Pok-pok-pok et repok. À un rythme qui défiait les capacités auditives de l'oreille humaine.

Navet avait tellement de puissance dans le poignet qu'on l'aurait cru en crise d'adolescence. Et rien ne semblait pouvoir céder sa redoutable défensive. Navet revenait toujours avec de solides coups de palettes qui faisait siffler la balle comme si c'était une fusée à Cape Canaveral.

J'imagine que mon reportage devait comporter ce genre de digressions merdiques. Cependant je me rappelle très bien ce que Navet St-Onge m'avait répondu au micro.

-Je r'mercie Monsieur Guy Damphousse d'nous avoir prêté e'l'gymnase pour le tournoi!

Et rien d'autre. Navet avait gelé là. Le micro, c'était pas pour lui.

Alors j'ai diffusé un reportage avec Navet qui remerciait Guy Damphousse, le directeur adjoint qui portait une grosse moustache et avait une bonne bedaine de bière qui le rendait débonnaire et apprécié des jeunes crétins comme moi et Navet.

Pour Navet St-Onge, la vie était une partie de ping-pong. Le reste, les boniments et les discours, ce n'était vraiment pas son truc. À part le ping-pong, rien ne l'intéressait dans la vie. Il voulait devenir le plus grand joueur de ping-pong au monde. Et il se pratiquait tous les jours, bien sûr, et même tous les soirs.

Malheureusement, je l'ai dit depuis le début, la vie n'est pas une partie de ping-pong. Navet St-Onge ne devint pas ce champion du monde qu'il aurait souhaité devenir. Il était tellement poche à l'école qu'il dut se ranger à la logique familiale: c'est l'école ou travailler, tu ne te laisseras pas vivre à jouer au ping-pong toute la journée!

Navet St-Onge prit le chemin du travail. C'est-à-dire le chemin de l'abattoir.

L'abattoir était à cinq kilomètres de chez-lui. Il pouvait s'y rendre à bicyclette d'ici à ce qu'il puisse s'acheter un char.

Il y travailla tous les jours. Puis toutes les nuits. Il découpait des tas de porcs. Et revenait chez-lui fourbu, incapable de retrouver le coeur à jouer au ping-pong. Il s'acheta un char. Travailla encore. S'acheta une maison. Travailla encore. Paya ses dettes. Perdit un ou deux doigts. Revint travailler. Puis pfuit! Plus de ping-pong. Rien que la télé. Et l'ordi. Et les dettes.

Eh bien croyez-le ou non, ce gros gras n'était pas plus gros qu'une brindille quand il était jeune. On l'appelait Navet St-Onge. Et c'était le meilleur joueur de ping-pong de la poly...

mercredi 17 novembre 2010

Pause

Je marque une pause pour mettre de l'ordre dans mes manuscrits. J'écris moins souvent ces derniers jours pour me concentrer sur la révision de mes textes. Sans compter que je barbouille pas mal de tableaux en ce moment. Et que je m'engage un tant soit peu dans l'action politique avec une motivation presque tolstoïenne.

Qu'on ne vienne pas me parler de partis. Mon parti, c'est celui de la rue. Celui de la démocratie vécue à tous les jours et pas seulement une fois aux quatre ans.

J'ai signé la pétition réclamant une commission d'enquête sur la corruption dans l'industrie de la construction ainsi que la démission du Premier ministre Jean Charest. La démocratie municipale va mal et les gouvernements péquistes et libéraux n'ont rien fait depuis vingt ans pour l'améliorer. Il ne reste plus qu'à prendre les moyens qui s'imposent pour changer la politique au Québec. Prendre la rue. Comme ça doit toujours se faire de temps en temps pour rappeler aux élus que rien ne peut arrêter l'enthousiasme d'un peuple révolté.

lundi 15 novembre 2010

Maufette l'hostie d'fucké

Maufette aime ça quand c'est court. Mais c'est tout de même un hostie d'fucké. Pire encore... Vous ne savez pas tout!

-La vie est trop courte pour s'la raccourcir encore plus, baptême! qu'il dit tout le temps en tapant sur la rampe de sa galerie et en vargeant à coups de pieds dans les barreaux pour se rendre encore plus désagréable.

Puis il rentre dans sa maison en criant fuck you à quiconque a le malheur de le croiser.

-Fuck you mes hosties! Fuck you! qu'il dit.

C'est tout ce que l'on peut entendre de lui depuis au moins vingt ans. Aucun de ses voisins ne se souvient de l'avoir entendu dire autre chose. Un type déplaisant qu'on n'a pas envie de mieux connaître, c'est le portrait tout craché de Maufette.

Bon. Ce sont des choses qui arrivent. On n'y peut rien.

Cependant, on pourrait tout de même vous décrire Maufette un petit peu. Maufette, c'est un homme moyen qui ne porte pas de barbe. Il n'est pas rasé de près ni mal rasé. C'est juste que sa barbe pousse vite. Mais ça ne change rien à son métier. Maufette est cordonnier comme son père.

Évidemment, les cordonniers de notre époque en arrachent un peu.

Est-ce une raison d'avoir les pieds pris dans ses lacets de bottines? Pas du tout.

Et c'est pourquoi Maufette est un cordonnier bien chaussé même s'il ne fait pas fortune.

À tous ceux qui viennent à sa cordonnerie pour lui acheter des bottes ou bien pour lui refiler des godasses à réparer, Maufette n'a que ces mots: «La vie est trop courte pour s'la raccourcir, baptême!» Ça ne veut crissement rien dire. Mais Maufette, au fait, ne dit jamais rien. Ce n'est pas un parleux. Ni un homme de paroles, de chansons ou de ricanements. Il n'a qu'une seule expression dans le visage: la neutralité la plus froide.

On ne lui connaissait pas de conjointe jusqu'à la semaine dernière. Il rapportait son épicerie quand on vit sortir une femme du côté du passager. Il paraît qu'elle est Belge. Elle a de grandes dents. Et elle n'est pas plus placoteuse que Maufette avec ses yeux verts et ses boucles d'oreilles ordinaires.

-'jou'... qu'elle dit pour dire «bonjour».

Hostie de fuckée elle aussi. Aussi fuckée que Maufette. On leur parle tout de même, enfin quand on les voit, comme la semaine passée, mais on a découvert qu'ils étaient des extraterrestres, eux et le grand-père de Maufette. Oui des extraterrestres.

Ils se sont envolés dans un véhicule spatial rouge vif, avec tout plein d'autocollants dessus. C'était un beau modèle mais un peu rouillé. Ils ont fait semblant de ne pas nous voir et nous avons remarqué qu'ils avaient les mains palmées.

Ils se permettent de ne pas nous saluer et de nous jaser pas plus qu'il ne le faut. Ce sont des extraterrestres. Ils volent dans un vaisseau spatial rouge vif un peu rouillé... Oui... C'est ça... Et que voulez-vous faire contre les extraterrestres? Rien. Alors on endure la situation. On fait semblant qu'ils sont comme nous. On les salue. On essaie d'être gentils. Mais c'est fuck you par-dessus fuck you avec ces deux calices-là. Comme si tout le monde pouvait voler en soucoupe volante. Franchement! Laissez-moi vous dire que Maufette pis sa femme, extraterrestres ou pas, sont vraiment des hosties d'trous d'cul. Ils se prennent pour d'autres. Ils pensent nous impressionner avec leur char volant? Pff! Nous autres on s'en calisse. En autant qu'on soit biens. Qu'on ait notre p'tite bière pis toutte le kit. C'est rien qu'ça qu'on veut. Pis c'est pas un Maufette volant qui va venir nous dire comment c'qu'on doit vivre. Fuck you Maufette avec ta soucoupe volante! Allez chier toé pis ta blonde, gang de pas parlables!

samedi 13 novembre 2010

De l'acide au visage

Le photographe David Boily de La Presse nous présente ce matin une page frontispice sensationnaliste. C'est le but de la une. Et ce but, pour une fois, n'est pas mesquin. On y voit le visage défiguré de Chrislène, une Haïtienne qui a été victime de violence conjugale. Watson, son ex-conjoint, lui a balancé de l'acide à batterie de char au visage. Elle est maintenant aveugle et «élève» son jeune enfant dans un village crasseux composé de tentes. Comme s'il n'y avait pas assez du tremblement de terre. Ou du choléra.

Les gens ont besoin d'être remués de temps à autres. Et ce genre de sensationnalisme me semble tout à fait nécessaire pour rappeler que l'aide sociale et juridique doivent suivre l'aide alimentaire.

Cet article de Michèle Ouimet rappelle que le combat féministe est bien loin d'être terminé. Ici comme ailleurs.

Il ne faudrait pas croire que nous n'avons pas de ces salopards dans notre coin qui seraient prêts à balancer de l'acide dans le visage de «leur» femme.

Derrière les portes closes des foyers, il s'en passe encore des vertes et des pas mûres.

Des crétins en tous genres testent leur sale autorité et menacent leur douce de passer au cash.

Ils ne se font pas tous arrêter. Et ce n'est pas une campagne de sensibilisation à la télé qui va suffire. Ça prend des lois. Ça prend des flics pour appliquer les lois. Et il faut surtout prendre les victimes au sérieux.

Ici comme en Haïti. Et aussi en Iran.

Le bras armé du pouvoir doit être tenu par des personnes qui croient en la dignité humaine.

L'anneau du pouvoir doit être porté par des personnes qui ne méprisent pas la moitié de l'humanité et peut-être plus.

C'est ce que je me dis en regardant ce visage de femme défiguré par de l'acide à batterie de char.

Ce Watson, crissez-moé lé en d'dans pour un calice de boutte, que je me dis dans mon créole nord-américain. Envoyez-le reconstruire Port-au-Prince avec un boulet aux pieds. Faites-lui subir le châtiment qu'il mérite. Qu'il atteigne sa rédemption en suant tout ce mal qui exhude de lui sous cette forme dégradante qui le ravale au niveau d'excrément de l'humanité.

Mais surtout, que l'on s'occupe de Chrislène bon sang! Vous! Moi! N'importe quoi.

Il doit y avoir une Justice en ce monde. Sans quoi le monde perd tout son sens.

Crétins du monde entier qui battez vos femmes, je vous trouve lâches et méprisables.

Le combat continue pour un monde où les femmes n'ont pas à vivre prostrées dans la peur.

Ce monde est possible. Nous en faisons l'expérience ici, malgré les imperfections de nos méthodes qui sont tout de même mille fois supérieures à celles de Haïti.

jeudi 11 novembre 2010

K-Way

Gascon a de la jarnigoine. Il parle à n'en plus finir. Un vrai moulin à paroles.

Tu lui dis quelque chose et tout de suite il saute du coq à l'âne. Et quand il s'agit de faire l'âne, croyez-moi, Gascon tient bien son rôle.

D'abord, il a des dents d'âne. Deux grosses palettes jaunies par le tabac et le café. Mais c'est tout de même pas de sa faute... Enfin, ce n'est pas une raison de lui chercher des noises.

Et puis il rit en brayant comme un âne, Gascon.

-Hihan! Hihan! comme un vrai âne je vous dis.

Pour le reste, il ressemble à un acteur québécois de l'année mil neuf cent soixante-dix-neuf. Pas vraiment un hippie. Plus un look K-Way-à-capuche avec les cheveux ramenés sur le devant, à la Ti-Pouèle, pour camoufler sa calvitie prononcée. Pour ceux et celles qui se demandent c'est quoi un K-Way-à-capuche, disons simplement que c'est un coupe-vent de vinyle. Il se dissimule dans la pochette d'une ceinture que l'on porte autour de la taille quand il n'est pas indispensable de le vêtir.

Gascon porte son K-Way même l'hiver. Il a trouvé une caisse de cent K-Way en mil neuf cent soixante-dix-neuf. Des K-Way pour la vie. C'était dans les vidanges. Gascon s'est dit qu'il n'aurait plus jamais besoin de s'habiller. Évidemment, il faut toujours qu'il nous raconte ça chaque fois qu'on le croise.

-J'ai trouvé les K-Way en mil neuf cent soixante-dix-neuf. Une grosse caisse toé chose. Aussi grosse que mon bain. Cent K-Way! Tous pareils. J'étais content en salamant! Ça fait que je r'tourne à 'a maison avec ma caisse toé chose pis j'me mets à t'déballer toutte ce beau trésor toé-là... Cent K-Way! J'en use rien qu'un par année pis encore. L'hiver quand i' fait frette j'm'en mets six épaisseurs. En seulement que les K-Way ça fait un peu suer. Mais y'en a qui sont prêts à payer pour suer pis moé ça s'fait toutte en naturellement avec mes K-Way! J'aurai été chanceux dans ma vie. Pis mon année chanceuse ç'aura été l'année mil neuf cent soixante-dix-neuf!

Gascon peut passer des heures à nous parler de ses hosties de K-Way. Ce qui finit par être gossant.

Je vais cesser de vous écoeurer avec ça. Parce qu'il fait juste parler de ça, Gascon, ses hosties de K-Way. C'est la seule chose qui lui soit arrivée dans la vie. Son enfance, sa vie d'adulte et sa carrière de gardien de stationnement désert, il passe vite sur le sujet.

Gascon devient intarissable uniquement pour ses hosties de K-Way. Un moulin à paroles pour cette hostie de caisse qu'il a trouvée en mil neuf cent soixante-dix-neuf-qu'on-s'en-fuckin'-tabarnaque!

Je tenais à vous en parler sérieusement, une fois pour toutes, pour vider le sujet.

Ça m'a fait du bien d'en parler...

mercredi 10 novembre 2010

La démocratie... quelle hostie d'farce!

Je suis d'une naïveté abyssale. Je pense que la Constitution défend mon foyer et mes droits. Et je me rends bien compte que notre démocratie, somme toute, c'est de la dictature maquillée en démocratie.

Une fois tous les quatre ans on a le droit d'aller voter. Et rien ne garantit que le vote se fasse en toute impartialité. Quand on ne peut pas garantir les résultats, comme ce fût le cas lors du scandale du vote électronique des élections municipales de 2005, on a beau se plaindre au Directeur général des élections (DGE), comme je l'ai fait, qu'on se fait répondre que l'organisme n'a qu'un pouvoir consultatif...

Conclusion: le DGE est un organisme impuissant, les gouvernements s'en tapent et surtout voter à nouveau ça coûte trop cher...

La démocratie... Quelle hostie d'farce!

Je me suis aussi plaint lorsque le maire de Trois-Rivières et ses conseillers les mieux payés sont venus freiner la demande de consultation populaire pour le projet Trois-Rivières-sur-Saint-Laurent. Il s'agit d'un projet improvisé qui contribue au surendettement des contribuables en plus d'être ficelé pour servir les plus vils intérêts de ceux qui se partagent l'assiette au beurre, aux dépens de tous. Un jeu de Bozopoly pour générateurs d'enveloppes brunes et autres langues sales. Dont l'un d'entre eux qui écrit des lettres dythirambiques au maire dans le quotidien local et qui demande ensuite aux contribuables de fermer leur gueule pour qu'il puisse vendre la nouvelle pyramide de gypse dont personne ne veut...

Les signataires du registre avaient obtenus le quorum. Et le maire et ses acolytes vinrent nous rappeler que la démocratie municipale, c'est vraiment une farce. Ma pétition, je me suis torché avec. Un obscur fonctionnaire du ministère des Affaires municipales m'a envoyé une lettre dans laquelle il disait qu'il n'y avait pas lieu d'ouvrir une enquête à ce sujet.

Entre temps, notre maire prit de l'enflure. On a vu des policiers en civil et des lévesquiens tordre les bras de citoyens qui ne demandaient qu'à savoir ce qui se passait à l'Hôtel de Ville. On a ouvert les portes une heure à l'avance pour gonfler la salle de lévesquiens, sans que personne ne le sache. Et le maire a dit que seule la réussite comptait, peu importait les moyens, et ça va jusqu'à détourner le sens des mots, comme le faisait Humpty Dumpty dans Alice au pays des merveilles. Le sens des mots, c'est celui qui détient le pouvoir qui l'a. Et Humpty Dumpty peut encore se balancer sur un mur, mais un jour viendra où ni les chevaux du roi, ni la garde royale rapprochée ne pourra recoller les morceaux.

Parce que la farce tire à sa fin.

Ça fait vingt ans qu'il n'y a eu AUCUNE enquête sur la démocratie municipale. Les maires vivent dans l'impunité absolue, sans aucune forme d'imputabilité. Il est quasiment impossible de les destituer au cours de leur mandat. En vingt ans, cela n'est JAMAIS arrivé...

Ça en dit long sur cette merde autocratique maquillée sous un vernis de démocratie, de pouvoir populaire plus que passif, presqu'à l'agonie.

Le vrai pouvoir n'est pas à l'Hôtel de Ville. Il est et sera toujours dans la rue.

Et s'il faut prendre la rue une fois de plus pour rappeler aux élus qu'ils sont imputables, que la démocratie doit être prise au sérieux, eh bien pourquoi pas.

On a le système qu'on mérite.

Un système de merde quand on pense que tout le monde devrait faire les choses à notre place.

La démocratie passive, j'en ai largement soupé.

lundi 8 novembre 2010

Après «Dérèglement municipal», «La pourriture municipale»...

Mon texte sur le reportage Dérèglement municipal, produit par l'équipe d'Enquête, a été publié dans l'édition papier du quotidien Le Nouvelliste en fin de semaine.

Je vous renvoie par ailleurs à un texte de Yves Boisvert, La pourriture municipale. C'est publié aujourd'hui sur Cyberpresse.

Tout se fait au vu et au su de tout le monde. Et tout demeure lamentablement pourri. Évidemment, il y a les arts, les lettres et la musique pour se façonner des ailes. Mais le labyrinthe et son Minotaure n'en continueront pas moins de nous poursuivre, vous et moi. Enfin, je ne sais pas pour vous. Mais pour moi c'est plutôt comme ça.

Donc, il faut remettre de l'ambiance dans le débat. Et continuer doucement le combat en ignorant la peur.

Simplement

Le travail se poursuit pour accoucher d'une flopée de toiles, de chansons et de nouvelles.

Surveillez mon blogue. Je n'ai pas fini de vous surprendre fidèles internautes. Vous n'avez vu de mes niaiseries que la pointe de l'iceberg. La partie qui flotte sous ce qui vous est visible foisonne de vie malgré son apparente froideur.

Je suis encore jeune. Je vous en ferai encore voir de toutes les couleuvres.

Chaque jour je me transforme en marathonien des arts et des lettres pour livrer un peu de mon jus de cerveau.

Je barbouille pour l'honneur, comme si je tenais le fort en l'absence de la garde.

Bien sûr, je ne suis pas seul. D'abord, j'ai ma muse à mes côtés qui fait en sorte que la tristesse n'est pas très présente dans tout ce que je fais. Difficile d'être triste quand on est heureux. Et c'est le bonheur qui transpire de toutes ces farces que je transcris en sons, syllabes et pigments.

Qu'est-ce que l'acte de créer? C'est sans doute une fuite. À moins que ce ne soit une vraie rencontre avec soi-même. Ça dépend.

Quand on se met à définir chacun de nos actes en y mettant un point final, c'est qu'on se prend pour Dieu. Généralement, les autres ont raison de nous prendre pour un con. Il n'y a pas de réponse définitive à quoi que ce soit. La vie sera toujours en suspens, parsemée d'états de grâces et d'états de décomposition.

Donc, je compose avec ça. J'essaie de suivre de grands modèles mais ne ressens pas l'utilité de les copier. Je les ai tous broyés dans ma cornue. Vous les nommer serait inutile. J'aurai l'air du type qui se prend justement pour un autre.

Mon blogue s'intitule Simplement. Pour la petite histoire, ce titre provient d'une émission que j'ai produite sur les ondes de Radio Basse-Ville (96,1 FM) à Québec, de 1999 à 2000. Mes billets radiophoniques servirent de prélude à mes billets sur l'Internet.

Je m'ennuie un peu de la radio. J'avais un plaisir fou à péter une coche sur les ondes. Il y avait aussi ce plaisir d'avoir accès à des tas d'enregistrements musicaux. Je pouvais écouter une quarantaine de nouveaux disques par semaine. Sans compter les démos. Et les vieilleries passionnantes.

Si je ne me retenais pas, je me renseignerais sur la ballodiffusion gratuite, gratuite parce que je ne veux pas investir un kopeck pour m'entendre parler. Ensuite, je vous ferais peut-être écouter mes chansons, mon harmonica, mes contes ou bien mon sifflement à la Roger Whitaker...

Je m'écarte de mon sujet. Je veux ouvrir ma boîte de Pandore. Semer à tous vents. Diffuser. Communiquer. Transmettre.

Pourquoi? Je n'ai pas de réponse à cela. Simplement des créations. Tous les jours. Ou presque.

Ainsi soit-il.

vendredi 5 novembre 2010

À propos du «dérèglement municipal»

Je me suis senti plutôt révolté suite au reportage Dérèglement municipal, de l'équipe d'Enquête, diffusé hier sur les ondes de la SRC.
   La démocratie municipale est à l'agonie dans plusieurs villes du Québec et même du Canada.
   Le reportage de l'équipe d'Enquête démontre bien qu'il est possible de trahir l'esprit de nos lois et de nos saines pratiques de gouvernance en toute impunité.
   Le citoyen n'est rien. Le Directeur général des élections est sans pouvoir. On dirait un sexologue. Il vous conseille mais ne peut rien mettre en pratique. Les tribunaux sont inaccessibles. Le Ministère des affaires municipales se moque de vous en vous envoyant une lettre de fonctionnaire qui vous prie de recevoir ses salutations distinguées après vous avoir dit, en termes polis, que vous pouvez aller voir ailleurs. Et le citoyen se sent comme une coquille de noix flottant au large...
   Je pourrais vous raconter des tas d'anecdotes à ce sujet. Je vous renverrai plutôt vers ce reportage d'Enquête qui résume mieux que moi le déficit démocratique de nos gouvernements municipaux.
   Dans plusieurs villes du Québec, n'importe quel casque de bain peut se faire élire et régner comme un roitelet avide de petits avantages qui lui permettent d'arrondir ses fins de mois aux dépens des contribuables.
  J'espère de la Constitution qu'elle nous protège de ces tribuns et peddlers de bas étage qui font honte à nos foyers et à nos droits.
   Aussi, je crois qu'il serait judicieux d'enchâsser dans nos lois un processus clair de destitution pour les élus qui ne respectent pas la démocratie.
   Autrement, on va finir par faire élire des chemises brunes qui s'incrusteront au pouvoir pendant mille ans, en remettant à jour les bonnes vieilles méthodes de Duplessis. Les morts iront voter... Et tout le monde se taira, pour mettre fin à la chicane...


***

Le temps des fleurs se poursuit. À Trois-Rivières. À Laval. À Mascouche. À Lachute. Partout.

mercredi 3 novembre 2010

Saturne pas rond

Saturne est l'étoile la plus brillante dans le ciel par les temps qui courent. Ça tombe bien. Saturne est aussi la version romaine de Cronos, le dieu grec qui fait tourner la roue du temps. Il a pour particularité de dévorer ses propres enfants et on l'associe souvent aux révolutions qui tournent mal. Difficile par ailleurs de ne pas rappeler le célèbre tableau de Goya que vous voyez ici à la gauche de votre écran.

Qui veut faire l'ange fait souvent la bête. Blaise Pascal a écrit un truc du genre dans les premières pages de ses Pensées que je n'ai jamais lues au complet.

On fait la révolution, on se croit un ange exterminateur, et voilà que tout foire. Le corps inerte de la liberté flotte sur des mares de sang. Plus personne ne se marre. Bientôt les révolutionnaires réaliseront le programme que les conservateurs rêveraient d'appliquer: le chef s'incruste au pouvoir jusqu'à la fin de son temps, les syndicats sont muselés, la liberté de presse est inexistante, les peines de prison passent de deux mois à vingt-cinq ans pour des délits mineurs, puis on pète la gueule de ceux et celles qui portent des lunettes ou bien écrivent des poèmes. Merci pour votre beau programme, saturniens de mes deux, fossoyeurs de révolution, réactionnaires qui s'ignorent, fascistes rouges qui colportent le cannibalisme sous toutes ses formes.

La planète Saturne est l'étoile qui brille le plus fort dans le firmament ces temps-ci. On ne le remarque pas beaucoup en ville. Il y a trop de lumières pour qu'on réalise que le ciel est débordant d'étoiles et de planètes.

Et comme on ne voit pas bien les planètes et les étoiles, on se concentre sur des niaiseries: des articles de journaux, des livres, des textes ridicules écrits sur des blogues.

Ça passe le temps. Cronos fait tourner sa roue. Saturne dévore ses enfants. Et au lieu de s'occuper de la beauté qui sauvera le monde, on se concentre sur la laideur qui le détruira.

Sans doute que je délire. C'est l'influence de Saturne. Les astres, les désastres et tout le reste, ça trouble la digestion.

mardi 2 novembre 2010

Une vraie histoire d'amour

Il est difficile de parler de l'amour. Quand on le vit intensément, on préfère ne pas en parler de crainte que l'amour ne s'envole.

Ceux et celles qui parlent le plus d'amour sont généralement ceux qui vivent une relation malheureuse.

Ne me dites pas que vous n'avez jamais remarqué ça. Les poèmes et les chansons d'amour sont tous écrits par des personnes en peine qui ne savent plus quoi peindre sur les parois de leur caverne pour se donner l'illusion qu'ils possèdent quelque chose.

Jocelyn ne parlait jamais d'amour. Et sa blonde, Josée, n'en parlait pas plus. Pourtant, ils s'aimaient comme rarement l'on s'aime.

Les deux étaient dans la trentaine avancée. Jocelyn était boulanger. Et Josée, infirmière auxiliaire. Tous les deux s'habillaient en blanc pour le travail et en noir pour la maison. Ils avaient deux ou trois enfants, à moins que le troisième était seulement un ami des deux autres.

Difficile de dire quel était leur passe-temps préféré. On n'entendait jamais la télé, ni la radio, ni d'engueulades. Ils vivaient dans un bloc en béton et leur appartement était bien insonorisé.

Ils marchaient toujours main dans la main et s'embrassaient tout le temps comme s'ils en étaient à leurs premiers amours. C'était beau de les voir. Tout le monde semblait envier leur bonheur, surtout le couple d'en face qui passait leur temps à se lancer de la vaisselle par la tête.

C'est ce qui faisait dire à leur entourage qu'ils s'aimaient comme rarement l'on s'aime.

Mais personne n'en savait vraiment plus.

Et c'était très bien ainsi.

dimanche 31 octobre 2010

Conte de Noël (1)

Novembre est le plus triste de tous les mois. Décembre est beaucoup plus gai. Parlons du mois de décembre. D'autant plus que l'événement s'est passé en décembre, le jour que les chrétiens appellent Noël.

Ah! Décembre qui redevient pur et lumineux avec les premières neiges. Puis le froid qui s'installe. Les couleurs païennes des fêtes du solstice. Et puis Noël.

Que dire de cette journée? Oh! C'est la naissance du p'tit Jésus. C'est la carte de crédit overload pour payer les cadeaux. Et ce sont les enfants qui rient, pleurent ou ne font rien parce qu'on ne fête pas Noël dans tous les foyers.

Ismaël Atik ne fêtait pas Noël. Enfin, pas au sens où les chrétiens l'entendent. Il n'était pas musulman mais ses parents l'étaient. Essayez d'expliquer ça au juge. Ou bien au clan. Bref, Ismaël terminait son post-doctorat en physique à l'université et vivait pour le moment dans une chambre miteuse du boulevard Saint-Joseph. Ismaël ressemblait un peu à Bob Marley mais avec les cheveux coupés ras. Il se rasait de près, du menton aux cheveux. Et portait de petites lunettes rondes d'intellectuel.

Ismaël vivait dans une maison de chambres. Il partageait une douche et une chiotte avec trois autres ahuris qu'il n'avait jamais vus. Leurs heures d'entrée et de sortie ne concordaient pas.

Sauf ce jour de Noël. Ils se sont enfin vus.

Cet après-midi de Noël, Ismaël avait une forte envie de pisser et chaque fois qu'il venait pour aller aux chiottes il fallait que ce soit toujours occupé.

Aux grands maux les grands remèdes. Ismaël se décida à faire son pipi dehors, du côté de la sortie de secours.

Comme il pissait, Nelson Bonenfant sortit la tête de la fenêtre de sa chambre miteuse, située tout près du jet de pipi. Nelson était un freluquet de soixante ans qui portait une calotte de baseball.

-Tu pisses en tabarnak mon homme! La vessie va t'exploser! lui dit Nestor tout en se présentant et en lui tendant la main.

-J'm'appelle Nelson Bonenfant, pis toé?

Ismaël fût tout de suite saisi. D'abord il pissait à deux ou trois pieds de cette main qui se voulait fraternelle. Et puis c'est un peu mal aisé que de tendre sa dextre à la dextre d'un autre quand on tient sa queue avec. Ce qui fait qu'Ismaël le salua avec sa senestre - sa main gauche au risque de tomber dans un récit didactique.

-J'm'appelle Ismaël. Bonjour monsieur. Désolé de ne pas vous serrer la main!

-Désole-toé pas mon homme! Moé c'est rare que j'me lave les mains après avoir pissé...

Ismaël comprit qu'il avait affaire à un ivrogne. Et puisqu'il ne pratiquait plus la religion de ses parents, il crut qu'il serait poli de ne pas refuser une bonne lampée d'alcool pour célébrer la mémoire du prophète Ioussif alias Jésus.

Il rentra sa bastringue dans son pantalon, rezippa le tout, et prit dans sa senestre la bouteille de gin De Keeper que lui tendait Nelson.

Dix minutes plus tard, il rencontrait son deuxième voisin, Lambert Lafortune, un électricien qui vivait des primes de la CSST depuis qu'il s'était électrocuté sur une ligne à haute tension dans les années '80. Ses amis l'appelaient «Séquelles». Nelson et Ismaël l'appelaient simplement Lambert.

Au bout d'une heure, tout le monde était saoul et les trois allaient pisser dehors, du côté de la sortie de secours, en se passant la bouteille par la fenêtre de la chambre de Nelson. Les chiottes étaient encore occupées. Pas moyen de faire autrement.

-Cou' don' saint-chrême d'hostie! cria Séquelles. Ça fait combien d'heures qui chie l'gros Freaks?

Campbell Freaks était le gus qui s'était enfermé dans les chiottes. C'était un labradorien originaire de Goose Bay, membre du Labrador Party, un parti réclamant que le Labrador se sépare de Terre-Neuve pour devenir une province canadienne, sinon un pays,

Évidemment, il était mort.

Ce qui fait que les trois ivrognes pissaient pour rien dehors.

C'est Nelson qui se décida à défoncer la porte en foutant un coup de pied qui arracha la serrure.

Campbell Freaks était mort étouffé dans ses vomissures. Il avait probablement trop bu. Un exemplaire du Journal de Monrial était déplié sur ses genoux. Campbell Freaks était mort en regardant les images de la section des sports. Son français n'était pas suffisant pour lire le Journal.

-C'est des choses qui arrivent! philosopha Nelson.

-I drink to that! renchérit Lambert.

Quant à Ismaël, il ne dit rien.

Quelqu'un dut appeler la police ou l'ambulance.

Les chiottes étaient enfin libérées.

Plus besoin d'aller pisser dehors sur cette fine neige qui rappelait à toute la chrétienté qu'un Sauveur était né.