mardi 30 mars 2010

REPOSE EN PAIX GRAND JEFF


Jeffrey Andrews est mort dimanche dernier. Un accident bête. Une chute. Il est mort dans son sommeil, comme le disait un de mes amis.

Jeff était un promoteur hors-pair, un gars qui avait la musique et les musiciens à coeur. Son arme, c'était le téléphone.

-Comment t'as fait pour faire venir Village People à Shawinigan? lui avait demandé l'animateur d'une radio locale lors d'une entrevue.

-Ben, j'ai pris le téléphone pis j'les ai appelés, répondit Jeff, laconiquement.

Il y eut un long silence et là, franchement, j'ai rigolé.

Tout Jeff tenait dans cette réponse, simple, franche et directe. C'était du grand Jeff, lui qui physiquement était loin de passer pour petit. Six pieds quatre? Six pieds pieds cinq? Un géant, sans aucun doute.

Oui, il était grand, Jeff. Et il faisait venir des musiciens de qualité, parfois à perte, parce qu'il n'y avait pas de plus grand fan que Jeff. Il a ramené vers Trois-Rivières de grandes figures du blues, du rock et du punk. De Bérurier Noir à Luther Allison et Buddy Miles. En passant par le guitariste Steve Hill, dont il a été le premier gérant.

Jeff était aussi un fameux barman de Trois-Rivières, et en cela même un fin psychologue. Il était à l'écoute de ses clients et toujours prêt à inventer un nouveau drink.

Entre amis, on le surnommait Jeff the ref.

J'oubliais de dire qu'il parlait couramment l'anglais.

Et que sa mort me semble bête comme tout.

Comme si la mort venait nous chercher comme un voleur...

Jeff, I know you're still alive.

I'm gonna sing the same song that I sang when Yvon Vézina passed away.

My, my, hey, hey, rock and roll is here to stay...

Repose en paix grand Jeff.

lundi 29 mars 2010

L'étoile du match

Flavien était un grand artiste qui, dans ses temps libres, imitait Marjo.

Marjo, c'est celle qui chante Celle qui va, Provocante et Illégal. C'est une grande dame de la chanson québécoise, quoi. Tout le monde sait ça.

Flavien devenait la grande Marjo aussitôt qu'il lui était loisible de le faire.

Flavien était presque du même gabarit que Marjo, petit et frêle comme un chat. Cependant, l'illusion était loin d'être frappante. Flavien était laid comme un vieux salami tout sec, des pieds jusqu'à la tête. Ses jambes étaient tordues. Il avait plus de gencives que de dents. De plus ses cheveux bleachés étaient étrangement ramenés vers le devant. Ils étaient tenus par un fixatif puissant pour camoufler maladroitement sa calvitie, une politique de la terre brûlée des sourcils jusqu'à l'occiput.

Flavien s'occupait de répondre au téléphone au Centre des loisirs Hiha! C'était un métier pas trop exigeant qui lui laissait du temps pour se faire les ongles.

Vint l'Halloween, la fête préférée de Flavien, la seule dans l'année qui lui laisse le droit de s'affirmer tel qu'il est, en celle-qui-va, oui déguisé en Marjo.

Le Centre des loisirs Hiha! organise une petite soirée pour l'Halloween.

Bien entendu, Flavien s'est transformé en Marjo et il peine à marcher sur ses talons hauts. Il y a un karaoké ce soir-là et, malheur pour tous, Flavien s'avance et chante du Marjo comme une dinde que l'on étrangle.

-Prrrro-vo-can-teuuuu! Tu l'sais... Tu fais ex-prrrrès! Quand tu te déhan-cheeees!!!

Flavien s'étouffe tandis que tout le monde rit de lui. Il les voit rire, tous et toutes, comme ils ont toujours ri de lui, depuis sa plus tendre enfance, lui qui sait qu'on n'apprivoise pas les chats sauvages...

-Kof! Kof! Kof! On n'apprrrrrri-voi-seee pas les chats sauvages! Pas plus qu'on met en caaaa-ge les oi-seaux dans la jun-gleu!

Flavien chante Chat sauvage sur l'air de Provocante. La réaction du public est encore plus délirante. Tout le monde est saoul et plus personne ne se retient pour rire de Flavien, déguisé en Marjo, qui chante Chat Sauvage comme une dinde étranglée sur l'air de Provocante...

-Vous ne comprenez rien! Vous êtes rien qu'une gagne de tchipze! finit-il par gueuler dans le micro qui se met à faire de la distorsion. Tchouuuu! Zuitttte! Ooooooooouuuuu!

Flavien tombe les quatre fers en l'air avec son micro. Puis il se relève et montre ses fesses. Il porte une petit culotte Playboy relevé d'un petit pompon rose. On remarque aussi que Flavien ne prend pas le temps de s'épiler. Ce qui jure un peu avec sa petite culotte.

-Allez toutte chier mes hosties! Fuck you!

Évidemment, tout le monde l'applaudit.

Flavien revient vers ses collègues de travail. On lui paie des drinks. On le fait fumer, sniffer, whatever.

Puis tout le monde le perd de vue. Jusqu'à ce qu'on le retrouve à La Poutinerie, à trois heures du matin. Flavien est encore déguisé en Marjo et il a de la sauce brune sur le menton.

-C'était super ton numéro Flavien, hein? «Allez toutte chier mes hosties! Fuck you!»

-Oui? Vous avez aimé? roucoule-t-il en avalant une autre bouchée de poutine dont la moitié retombe sur son menton.

-Aimé? Christ, c'est toé qui a faitte le show Flavien! C'est toé l'étoile du match!

-Ha! Ha! Ha! hurle-t-il en claquant des mains. Ce qui fait revoler encore plus de sauce brune sur son menton déjà orné d'une repousse de barbe rude.

Sacré Flavien!

vendredi 26 mars 2010

Aux Délices de l'Océan, 14,99$ pour le buffet à volonté

Les Délices de l'Océan offrent trois cents places aux amoureux des fruits de mer à petits prix. Le décor est moche mais le buffet n'est pas cher. On peut manger des fruits de mer à volonté pour 14,99$. Se servir cent fois de la salade. Boire des poubelles de boissons gazeuses. Évidemment, il ne faut pas être trop regardant sur l'hygiène corporelle des deux cent quatre-vingt-dix-neuf autres convives qui sortent des chiotes sans se laver les mains.

En plus des retraités qui vont s'y nourrir le midi, pour profiter des spéciaux de la semaine, on y trouve aussi des intellectuels.

Tenez, on les entend justement, à la table d'à côté. Écoutons-les, tiens, puisqu'on ne trouve rien de mieux à faire:

-Il y a loin de la coupe aux lèvres, n'est-ce pas... Serait-ce une citation de Voltaire?

-En effet, c'est indubitable mon cher... À moins que ce ne soit de Molière... Certes...

-On ne saurait en rajouter sans combler de ridicule une description qui recommande une forme simple où le signifiant se confond au signifié...

-Oui, oui, c'est tout à fait cela... Je veux dire que Barthes avait raison sur tout.

Ils soulèvent leurs fourchettes et portent vers leurs bouches un petit morceau de crevettes à l'ail.

-Elles sont tout simplement délicieuses ces crevettes! Quel régal! Comme dirait Sartre: on a le droit de se révolter!

-Cher collègue, il serait pitoyable d'en dire plus à ce sujet. Ces crevettes sont savoureuses!

Ils sont trois. Deux pelés qui jacassent et un tondu qui ne parle pas. Du moins pas encore. Il se tient coi dans son coin et, par ma foi, tout ce bavardage n'est que coincoins pour lui.

Soudainement, le tondu s'empourpre puis il s'écrie:

-Hostie qu'vous êtes plates! J'ai soéf calice!

Il a soif. Et il pousuit:

-Madame! Madame! J'vais prendre un pichet de vin rouge, sec. Ou plutôt deux. Faut que j'me saoule. J'su's juste p'us capable!

Les deux pelés se sentent interpelés.

Le tondu a parlé.

Y'a toujours de ces grandes discussions littéraires aux Délices de l'Océan, 14,99$ pour le buffet à volonté.

mercredi 24 mars 2010

Germaine Flagosse, l'unijambiste toujours souriante

Germaine Laflagosse est passée à travers une moisonneuse-batteuse alors qu'elle était encore toute jeune.

Elle en est ressortie en pièces détachées.

C'était en octobre 1934, dans le Rang du Pays-Brûlé, à St-Célestin, un petit village aux abords de Nicolet.

La récolte avait été bonne cette année-là, mais il n'y eut rien à fêter. Ce fût triste comme une pluie d'après les moissons.

La petite Germaine fût confinée à son fauteuil roulant pour le restant de ses jours. Elle n'avait plus de bras, à peu près plus de visage. Cependant il lui restait une jambe. Une jambe avec laquelle la petite Germaine devint une grande Germaine. Avec un visage à peu près refait, compte tenu des avancées de la chirurgie plastique.

Sa jambe valide devint extrêmement forte et habile. Germaine était capable de se laver, de se nourrir et de se véhiculer avec sa seule et unique jambe. Un défi, quand on y pense. Mais Germaine n'y pensa pas. Elle n'avait pas le choix. L'instinct de survie avait fait de sa jambe valide une superjambe prête à botter le cul de l'univers entier.

De sorte que Germaine Flagosse devint femme d'affaires, opérant une firme d'entretien ménager jusqu'à sa retraite, à soixante-huit ans. Elle avait attrapé une vilaine grippe cette année-là et ne se sentait plus la force de donner des coups de pied au cul.

Évidemment, elle devint une personne âgée et termina ses jours dans un foyer, parmi d'autres malades. C'est là que j'appris à la connaître. Du temps où j'étais préposé aux bénéficiaires. Du temps où je roulais sa chaise jusqu'à la salle à dîner.

Germaine, cette jambe munie d'une tête, avait certainement sondé les abîmes de l'âme humaine. De sorte qu'il était toujours agréable de l'entendre parler. Elle ne parlait jamais pour ne rien dire, Germaine. Elle ne se plaignait jamais. Elle s'émerveillait de tout: un oiseau, une fleur, un arbre. Et elle pouvait vous dire les noms de tous ces trucs en latin, en grec, en anglais et en espagnol. C'était une dame cultivée, la Germaine. L'air de rien, elle avait de la classe.

Les mauvaises langues vous diront qu'elle fumait un joint en cachette. Qu'elle roulait elle-même ses joints avec ses doigts de pied. Bon. Vous me permettrez de ne pas prêter foi à ses ragots. Même si c'était vrai, qu'est-ce que ça viendrait changer, hein?

Germaine avait été malade toute sa vie, mais avait toujours rayonné de joie.

Rien ne la faisait plus chier que d'entendre quelqu'un en train de se plaindre.

-Moé les plaignards j'endure pas ça tabarnak! disait souvent Germaine, dans son patois de la municipalité paroissiale de St-Célestin.

Pourtant, Germaine Flagosse aurait eu toutes les raisons du monde de se plaindre.

Depuis, chaque fois que j'entends quelqu'un en train de pleurnicher sur son triste sort, comme s'être cassé un ongle ou bien avoir perdu sa femme, eh bien je ne peux m'empêcher de penser à Germaine Flagosse, la grande Germaine Flagosse, l'unijambiste toujours souriante.

mardi 23 mars 2010

Zoumi, le caricaturiste qui rend les gens plus laids qu'ils ne le sont

Zoumi m'attendait au Café Chez Titine, dans le quartier St-Sauveur, à Québec. Il sirotait un verre d'eau tout en s'amusant à dessiner des personnages ridicules sur les serviettes de table.

-As-tu une cigarette? m'a-t-il demandé d'entrée de jeu.

-Non, lui ai-je répondu. Je ne fume plus.

-Ah bon, fit-il, l'air désappointé. Alors il se mit à déchirer ses serviettes de table en petits morceaux pour mieux résister à son sevrage de nicotine.

J'étais là pour interviewer ce junky du tabac. C'était pour le compte de la revue Matador. Vous savez la revue artistique que personne ne lit. Elle est seulement lue par les bailleurs de fonds. Et les correcteurs d'épreuves. Mais ça me donne presque cinquante piastres pour un texte. Alors aussi bien interviewer Zoumi, n'est-ce pas?

Son vrai nom, pas moyen de le savoir. Tout le monde l'appelle Zoumi. Enfin, tout le monde qui se pointe sur la Terrasse Dufferin parmi les touristes du monde entier qui affluent à Québec, notre Vieille Capitale, essentiellement peuplée de fonctionnaires et de personnes qui détestent les fonctionnaires.

-C'est quoi ton vrai nom Zoumi? lui demandé-je, juste pour vous prouver que je ne fais pas les choses à moitié.

-Zoumi. Pourquoi?

-Oui mais... Zoumi qui?

-Juste Zoumi. Mes amis m'appellent Zoumi.

-Ok. Va pour Zoumi. On passera pas la nuit là-dessus.

Et j'ai poursuivi mon entretien avec Zoumi. Pour débusquer une phrase, un mot, une syllabe qui pourrait l'anéantir. On ne fait pas de la critique constructive chez Matador. Nous sommes une revue déconstructiviste. C'est ce qui écrit sur la demande de subvention au Conseil des zarts: Matador, la revue déconstructiviste. C'est nul à chier comme titre mais ça se finance. La faim justifie les moyens.

Revenons à Zoumi.

Les caricatures de Zoumi ont toujours ce petit côté asymétrique qui les rendent inimitables. Tous les points de fuite se perdent dans une spirale. Le côté gauche est toujours plus gros que le côté droit. Cependant, rien n'y paraît avec ce style expressionniste qui favorise toutes les audaces. Ses défauts peuvent ainsi passer pour du grand art.

Certains ont leur griffe, lui, eh bien il a ses yeux astigmates. Pour tout dire, Zoumi a l'oeil en forme de ballon de football. Tout le monde est astigmate jusqu'à un certain point puisqu'aucun oeil ne peut prétendre à la rotondité parfaite. Même les vôtres, mes petits coquins. Zoumi a l'oeil un peu plus écrasé que la normale. D'où l'asymétrisme et les disproportions.

Maintenant qu'on vient de jeter un peu de boue sur son talent, qu'on a pointé du doigt la petite bête noire, il conviendrait de lui lancer quelques fleurs.

Zoumi vous beurre un portrait en moins de deux. Vous avez de grandes dents? Il vous dessine avec une dentition de cheval. Il se retient de ne pas vous faire sortir de vers d'entre les dents. On lui a appris à l'école que ce n'était pas très poli. Ces professeurs en firent les frais plus qu'à leur tour. Ils en ont eu des vers qui leur sortaient des dents, les pauvres.

Zoumi exerce la caricature depuis la maternelle. Tout le monde y a passé autour de lui. Ce qui fait que Zoumi s'est retrouvé tout seul, personne ne pouvant supporter de se voir tel qu'il était, avec tout le grotesque de sa condition humaine.

C'est que Zoumi a ce don de ne trouver que la laideur chez tous ceux et celles dont il trace le portrait.

Sur la Terrasse Dufferin, par beau temps, il trouve tout plein de masochistes qui aiment se voir encore plus laids que nature.

Zoumi fait un peu de foin, tout juste de quoi se payer la bière et le tabac.

Cependant, il pleuvait depuis une semaine. Zoumi n'avait pas de quoi payer son café. Il a même fallu que je lui allonge vingt dollars pour qu'il puisse s'acheter des cigarettes.

L'entrevue n'était pas terminée qu'il a tenté de me taper de cent dollars.

J'ai rajouté cinq dollars, et pas un sou de plus.

Ainsi, je n'aurai fait que vingt-cinq dollars avec l'entrevue de Zoumi, lorsque Matador m'enverra mon chèque de cinquante piastres, dans six ou neuf mois.

Ça ne paie pas vite chez les zartistes et les zéditeurs. Ne me demandez pas pourquoi.

Dans d'autres milieux, mettons la restauration, on dirait que ça prend des hosties d'crosseurs pour ne payer le staff que six mois après les travaux. Dans le milieu des zarts, même des zarts déconstructivistes, on trouve que c'est dans l'ordre des choses. Que ce ne sont pas des trous du cul sur le BS qui vont venir y changer quoi que ce soit.

PS: J'ai oublié de prendre une photo de Zoumi et je n'ai aucune caricature de lui puisqu'il a déchiré ses serviettes de table. Désolé. L'imagination, ça sert tout de même à quelque chose, non? On est tout de même pas pour tourner un film là-dessus. Peut-être qu'il est sur You Tube, Zoumi. J'sais pas. Débrouillez-vous.

lundi 22 mars 2010

«C'est tout à fait cela... Oui... Sans l'ombre d'un doute.»

-C'est tout à fait cela... Oui... Sans l'ombre d'un doute.

C'était là ses maximes préférées. Il allait rarement au-delà, voire en-deça des lieux communs. Sa pensée était structurée comme un piano mécanique. Ça sonnait toujours un peu le fond de boîte de conserve mais bon, il n'avait tué personne ce type-là. Donc, il serait mesquin de lui chercher des noises.

Tenons-nous à une description rationnelle de cet individu.

Il est d'origine plurielle, bien qu'il ait l'assurance de n'être que de telle ou telle souche de crétins à réponses toutes faites.

Vivre sans balises, fussent-elles les plus fausses qui soient, ne lui vient même pas à l'esprit. C'est hors du cercle de son imagination.

Mais revenons à la description rationnelle.

C'est un individu d'âge moyen, les cheveux clairsemés de couleur brune avec un peu de gris aux tempes. Il ne porte pas de lunettes, mais des verres de contact. Il a deux yeux comme tout le monde et sa bouche est pincée.

-C'est tout à fait cela... Oui... Sans l'ombre d'un doute.

Il convient d'ajouter qu'il mesure un mètre quatre-vingt-deux et pèse quatre-vingt-trois kilos sans ses bas.

Son nom? Étienne. Oui, Étienne Barnabé-Joinville. Ibidji pour les intimes. Les intimes, c'est-à-dire Roland Langevin, propriétaire du dépanneur du coin, le seul endroit où l'on peut voir Étienne qui est généralement terrorisé à l'idée d'affronter plus que trois personnes à la fois.

À part Roland Langevin, il y a Mathilde Laforme, alias la Fouine. Mathilde qui n'est pas très jolie et qui serait plutôt du genre femme à hommes. Pas très jolie, ça veut dire qu'elle n'est pas très bandante selon certains critères qui n'ont ma foi rien de scientifique. Elle est plus fouine que bandante.

Mathilde est ondulée et osseuse comme une crevette. Sa peau est moche. Ses yeux sont sortis de la tête. Et ses cheveux un peu poisseux. Enfin, cela ne l'empêche pas de faire les yeux doux à tous les mâles de passage, surtout s'ils sembent faciles d'approche. Mathilde n'est pas du genre à rater son coup.

Alors voilà où nous en sommes. Ibidji est tombé dans les goûts de Mathilde. La Fouine veut se le taper depuis, oh, je dirais deux ou trois heures. La journée avance et elle aime bien Ibidji, un gars pas bavard qui la laisse bavarder aussi longtemps qu'elle veut en ne feignant même pas de l'écouter. C'est comme s'il buvait chacune de ses paroles stupides. Et elle se dit en elle-même, la Fouine, qu'Ibidji a la trique qui cogne midi pile.

Ce qui fait qu'elle lui demande ce qu'il fait le jeudi soir.

Ibidji ne répond rien. Je ne veux pas dire qu'il dit «rien». Non, il ne dit rien. Il ne parle pas.

Mathilde en conclut qu'elle est mieux de prendre les devants et de fixer les coordonnées de la rencontre pour que ce grand dadais s'y retrouve un peu.

-Ok. Chez-nous à huit heures ce soir... J'reste au 110, rue Duplessis. Chambre 103. C'est le bloc rouge en papier briques.

Ibidji, qui en a assez de regarder les quatre murs de sa chambre, dans le logement qu'il occupe au-dessus du Dépanneur Roland Langevin, se met sur son trente-six. Il cire ses souliers. Se rince la bouche avec du rince-haleine bon marché. Puis il court le coeur gros jusque chez Mathilde qui l'attend dans un maillot de bain Budweiser.

-Comment ça va mon grand? qu'elle lui dit d'entrée de jeu pour les accueillir, lui et sa bouteille de vin bon marché.

-C'est tout à fait cela... Oui... Sans l'ombre d'un doute, qu'il répond, Ibidji.

Mathilde débouche la bouteille. Puis en débouche une autre, puis encore une autre et finit par danser avec sa bouteille. Elle danse sur Parlons Sports qui joue très fort à la radio.

Ibidji ne sait plus où se placer. Il s'invente de la musique dans sa tête.

Puis Mathilde, toujours dans son maillot de bain Budweiser, vient s'asseoir cavalièrement sur Ibidji qui subitement rougit. Elle remue son cul moche sur le ressort sanguin d'Ibidji.

-C'est t-t-t-tout à fait cela... O-o-o-oui... qu'il bégaie.

Ibidji fait une crêpe dans son pantalon avant même que d'avoir passer à l'acte.

Il se lève subitement, s'excuse et se présente vers la sortie.

Mathilde se jette à nouveau sur lui et le frotte comme pour le nettoyer.

Nouvelle crêpe.

Ibidji ne sait plus où donner de la tête.

Et sa tête finit entre les cuisses de Mathilde qui s'en donne à coeur joie.

Le soir même, Mathilde emménage chez Ibidji, juste au-dessus du dépanneur où elle travaille. Cela fera moins loin à voyager.

Roland Langevin, qui veut terminer ses jours en Floride, vend son dépanneur aux tourtereaux.

Les années passent.

Mathilde tient la caisse et s'envoit des tas de mecs dans le backstore.

Ibidji fait tout le reste et nettoie même le backstore.

Il continue de dire toujours les mêmes conneries en toutes occasions.

-C'est tout à fait cela... Oui... Sans l'ombre d'un doute...

samedi 20 mars 2010

Étienne pue des pieds


Étienne pue des pieds. Beaucoup.

Son amante, appelons-la Jennifer, le fait remarquer à tous ses autres amants.

Jennifer vous fait connaître de tout le patelin, de la tête aux pieds. De sorte que tous ses amants ont cet air suspicieux de celui qui se demande s'il est vraiment le seul et unique.

Maintenant, tout le monde sait qu'Étienne pue des pieds. Une anecdote parmi tant d'autres, hélas. Jennifer ne s'est pas arrêtée qu'à l'odeur de ses pieds...

Cette péronnelle prend toujours cette pose de la confidence qui n'appartiendrait qu'à vous. Avec sa grande bouche de grenouille affamée, elle vous susurre à l'oreille tous les vices qu'elle peut accoller au dos de ses malheureux crétins qui passent entre ses ongles de connasse sachant manipuler ses victimes avec doigté, sinon avec poignets et autres muqueuses.
Jennifer les préfére laids et riches. Laids pour mieux les contrôler, j'imagine. Riches parce que pourquoi pas. Les beaux, peut-être qu'elle les trouve moins drôles, allez savoir. Elle n'est pas plus belle qu'une autre mais il se trouve toujours de ces pauvres cons pour s'accommoder de rien.

-Et non seulement il pue des pieds, mais Étienne m'a donné des fleurs en plastique! Hi! Hi! Hi! Étienne m'a dit que c'était à l'image de l'amour qu'il avait pour moi: un amour éternel! É-ter-nel! Ouache!!! J'ai jeté les fleurs dans les poubelles devant lui! Tiens tes fleurs en plastique!!! Ha! Ha! Ha! Sans compter qu'Étienne vient toujours dans un Kleenex parce qu'il trouve que ça fait plus propre! Ho! Ho! Ho!

Évidemment, le gus ne s'appelle pas vraiment Étienne. Mais Jennifer s'appelle vraiment Jennifer.

Et toute la ville sait maintenant qu'en plus de puer des pieds, Pseudo-Étienne vient dans un Kleenex parce qu'il trouve que ça fait plus propre.

Sacrée garce, cette Jennifer.

Pseudo-Étienne pue des pieds, beaucoup, et le reste ça ne se raconte même pas.

Chaque torchon trouve sa guénille.

vendredi 19 mars 2010

Vrrrrroum

Imaginons un village paisible d'aborigènes. Ou bien un poulailler.

Un bolide file à vive allure, sans silencieux, et voilà qu'il traverse le village ou le poulailler. Son moteur vrombit comme le sacrement et sa chaîne stéréo boostée au cube fait frémir la carosserie. Toutes les créatures cessent leurs activités à cause de cet hostie de mongol qui se pense pour Buffalo Bill.

Les bébés pleurent. Les poussins aussi. Tout le monde y laisse des plumes.

Comment peut-on ainsi troubler la vie? Hein? Expliquez-moi, j'suis pas assez intelligent pour le comprendre...

Le bolide revient cinq minutes plus tard. Cent kilomètres heures. On a mis des stops au coin des tentes et des clôtures de broches pour laisser passer le sale con. C'est au piéton de regarder des deux côtés avant de traverser. Tout l'espace appartient maintenant à cet hostie d'étron.

Les années passent et il n'y a plus de tentes. Il n'y a plus que des poulaillers où l'on entasse l'humanité. Des millions de bolides filent à vive allure parmi les humains qui vivent maintenant comme des crétins, loin de la vie, à deux pas d'un stationnement, avec pour tout rêve celui de se trouver des pilules pour dormir ...ou relaxer. Mium. Gn'est bon des pelules!

Plus moyen de sortir sans avoir la sensation d'être une crotte de nez dans ce monde essentiellement conçu pour les chars.

On a inventé le stress. Et on a rien trouvé de mieux que de l'amplifier, la pédale dans l'tapis. On l'a célébré, consciemment ou inconsciemment. On s'est même mis à préférer le bruit à la musique.

Comme si c'était normal.

Comme s'il n'y avait pas là une insulte envers l'intégrité de l'âme et la noblesse d'esprit des humains.

On se plaint du sort des poulets et, franchement, c'est comme si l'homme avait quitté la vie au grand air pour se retrouver lui-même dans un poulailler, dans une atmosphère de charcuterie, de bruits stupides et de hocquets mécaniques qui transforme tout un chacun en niaiseux qui prétend tout connaître, comme une poule pas d'tête.

Vrrrroum... J'sais pas trop c'que j'raconte... Vrrrrroum... La saison de la rage au volant est reprise et ça me fait délirer.

Vrrrroum...

jeudi 18 mars 2010

Notre-Dame-de-la-Présentation-de-l'Île-des-Manchots

Roland St-Laurent était un hostie d'cave. C'est tout ce qu'il fallait pour devenir maire de Notre-Dame-de-La-Présentation-de-l'Île-des-Manchots, un petit village reculé du fin fond de la Mauricie, affectueusement surnommée la Mort Ici, une région sous-développée du Québec où tout était possible pour l'aventurier ou le crosseur de passage.

St-Laurent tenait un peu des deux. Il possédait une compagnie de déneigement en plus d'avoir le crâne dégarni. Petit sur pattes, St-Laurent souffrait d'un complexe d'infériorité qui l'amenait naturellement à solliciter les plus hautes fonctions sans qu'on ne les lui demande.

C'est ainsi qu'il en vint à penser qu'il serait le maire idéal pour ce petit village de crétins où tout le monde venait manger dans sa main puisque tous les contrats passaient par lui.

-Toé tzu vas d'être mon organizazeur électoral, avait-il dit à Langevin, son renifleux de pet qui avait déjà vendu sa voix pour des publicités à la radio à Trois-Rivières. St-Laurent n'était pas très bon dans les discours et zézayait beaucoup. Cependant, avec Langevin aux communications, ce faible qu'il menait par le bout du nez, l'affaire était ketchup.

-Biznisse iz biznisse, disait aussi St-Laurent, à tout propos, pour donner l'impression qu'il était bilingue alors qu'il savait à peine dire yes or no.

St-Laurent s'était fait élire à l'unanimité parce que personne ne s'était présenté contre lui. C'est fréquent dans les villages reculés qu'il n'y ait pas d'élections. Ceux qui veulent se plaindre sont mieux de se poindre à l'ONU parce que la province n'en a rien à foutre de ces coins reculés peuplés d'illettrés qui permettent à des hosties d'crosseurs de gouverner sans partage.

Tout le monde s'était rangé à l'idée que ce petit village, majoritairement constitué d'imbéciles xénophobes et illettrés, ne pouvait être représenté que par un hostie d'cave. On a les élus que l'on mérite, n'est-ce pas?

Ce qui fait que St-Laurent faisait tout ce qu'il voulait de Notre-Dame-de-la-Présentation-de-l'Île-des-Manchots. Tout. Il se torchait avec les pétitions. Se moquait des registres qui obtenaient le quorum pour une consultation populaire sur telle ou telle crosse qui viendrait l'enrichir, une fois de plus.

St-Laurent n'en avait rien à foutre des hippies et des crottés.

-Biznisse iz biznesse, répétait ce petit merdeux de maire de rien du tout.

St-Laurent avait dépensé des fonds publics pour toutes sortes de projets loufoques.

Un moment donné, c'était pour la réfection de telle route devant chez-lui. Dans la description des travaux, il y avait aussi l'ajout d'une fosse creusée autour de sa maison ainsi qu'un pont-levis.

Une autre fois c'était pour la construction d'un mini barrage qui allait bientôt totalement assécher les eaux de la rivière Ouananiche. C'était pour donner de la job aux Boissonneault. Et pour se graisser un peu le portefeuille au passage. L'argent ne pousse pas dans les arbres sacrament!

-Biznesse iz biznesse...

-C'est un projet très structurant pour la communauté... traduisait Langevin, le faible.

St-Laurent aimait la vitesse. Tous ses constats d'infraction étaient automatiquement annulés. Comme par magie.

Il avait scrappé trois chars de fonction en deux ans. C'est vrai qu'on ne peut lui attribuer que deux sorties de route. L'autre fois, c'était sa fille qui était au volant. Elle s'en allait voir un match de hockey à Shawinigan, avec ses amies. Et paf, elle avait percuté un arbre au retour. Elle était saoule. Deux heures du matin. Heureusement que ça s'était passé sur le territoire de la municipalité. St-Laurent avait pu étouffer l'affaire comme d'habitude, ce vieux verrat.

St-Laurent se torchait le cul avec les pétitions.

St-Laurent se calissait des consultations populaires.

St-Laurent disait que c'était lui l'boss pis qu'ceusses qui sont pas contents qu'i' mangent d'la marde...

C'était un hostie d'crosseur en plus d'être un hostie d'cave.

Et c'est tout ce que méritait cette région essentiellement constituée de taouins qui ne vont jamais voter et qui se disent en eux-mêmes que c'est ça qui est ça...

Évidemment, l'espoir finit par venir qu'on le veuille ou non.

St-Laurent est mort d'un infarctus hier.

Du coup on envisage confier la mairie à Langevin, ce faible.

Tout le monde a bon espoir d'emmener du changement dans ce trou merdeux. On parle d'écologie, d'écotourisme, de remise en valeur des rives et des rivières. Les partisans de feu St-Laurent n'en mènent pas large. St-Laurent avait un don naturel pour crosser. Un don que ses renifleux de pets n'auront jamais.

Donc, ça va virer à gauche dans le coin. C'est Ruth Ouananiche qui s'en vient à la mairie. Elle est infirmière à l'hôpital.

Avec Ruth, on va changer le nom du village. On va démolir la maison de St-Laurent et son hostie de pont-levis. On va stopper le projet du mini-barrage. On va respecter la démocratie et ses institutions.

On, on, on...

Facile à dire: «on» verra bien.

mercredi 17 mars 2010

Docteur Ouimette

On le surnomme Docteur Ouimette bien qu'il n'ait jamais terminé son secondaire un.

Pour le titre de docteur, pas moyen de savoir d'où ça vient. Ouimette, ça doit être son nom de famille, j'imagine.

Docteur Ouimette est un gars de constitution moyenne. Il a une tête semblable à celle de Vladimir Poutine, chauve et osseuse, avec le regard hilare de Stanley Laurel et la lippe baveuse de Benny Hill.

Docteur Ouimette ne fait rien dans la vie. Il est blasté par la vie et impropre au travail en raison d'un traumatisme crânien associé à quinze ans de pratique intensive de polytoxicomanie. Il a cessé de consommer il y a dix ans. Et, hormis ne rien faire, il fait la tournée de ses amis pour mendier du café et des cigarettes ici et là.

Sacré Docteur Ouimette! Tout le monde aime se faire mendier par Docteur Ouimette juste pour cette manière hasardeuse qu'il a de passer par trente-six détours pour finalement arriver au coeur de l'affaire: plus de café à la maison, plus de tabac, se sent sur le bord de crever, etc. Rien qu'un fatras de plaignardises loufoques.

Et dès qu'on lui donne ce qu'il demande, Docteur Ouimette se remet à sourire, à raconter de belles histoires, comme s'il était en état de grâce.

-C'est-tu beau la vie que c'est-tu beau, hein? dit-il souvent. En tous 'es cas, moé j'me dis que la vie c'est faitte pour vivre, pas vrai?

Bien sûr que la vie est faite pour être vécue. Mais dans la bouche de Docteur Ouimette ça signifie surtout qu'il se sent bien... jusqu'à ce que le mégot lui brûle le bout des doigts.

Vrai comme je suis là, Docteur Ouimette fume quatre paquets par jour, jusqu'à la dernière brindille, mais ne peut s'en fumer qu'un demi avec son propre argent, qui arrive toujours le premier du mois, régulièrement.

-Ah! J'trouve don' ça dur, misère de misère... C'est dur hein? dit-il après la dernière bouffée.

Puis il se plaint de tout, jusqu'à ce qu'un paria daigne lui offrir un clou.

-Ah! merci beaucoup! C'est-tu beau la vie que c'est-tu beau, hein? répète-t-il, Docteur Ouimette.

Il vit dans un refuge pour personnes qui ne sont pas capables de s'occuper d'elles-mêmes. L'asile qu'on lui offre sent un peu la pisse, le gras de peau et le pain moisi.

Évidemment, il est encore en manque de café et de cigarettes.

Sacré Docteur Ouimette, il ne changera donc jamais!

dimanche 14 mars 2010

Black Widow était toute écourtichée sur le trottoir

Black Widow était toute écourtichée sur le trottoir, hier par 10 Celsius.

Elle était facilement repérable avec ses cheveux teints en noir et peignés en brosse. Sans compter ses jambes arquées et bien sûr Pipo, son petit chien barbiche qui la suit partout, des rues achalandées du centre-ville jusqu'à son loyer sordide.

Black Widow doit bien avoir soixante ans. Et pourtant elle s'habille encore comme si elle avait vingt ans et, franchement, ça ne lui fait pas bien.

Mais qu'est-ce qu'elle s'en fiche Black Widow des questions de mode! Elle porte souvent le même linge pendant deux semaines, l'aspergeant de parfum à la vanille pour couvrir les odeurs corporelles. C'est commode le parfum. Pas besoin de se laver.

-J'ai pour mon dire que l'monde s'use la peau! de dire Black Widow quand Pipo aussi mériterait un bon shampoing.

Black Widow portait donc ses vêtements d'été hier. Elle était toute serrée dans sa camisole et sa mini-jupe rouges. Et elle marchait à grands pas, avec Pipo qui traînait derrière elle.

Pipo ne portait plus son petit linge de corps comme Black Widow le lui a fait porter tout l'hiver pour ne pas qu'il attrape un rhume.

Black Widow prend toujours soin de son petit Pipo. Elle ne semble vivre que pour lui. C'est son seul ami. La seule créature qui puisse l'entendre délirer pendant des heures et des heures, à propos de tout et de rien, sans jamais lui faire faux-bond.

Black Widow parle tout le temps. Toujours. Interminablement.

-Pipo! Pipo! Faut que j'te raconte que ma tante Arthémise, celle qui vient du fin du 3e rang ouest dans le domaine de la Baie des castors, ben c'était en fait une Jérôme, comme ma grand-mère Forget, qui était une Jérôme aussi, en seulement que les Jérôme sont aussi des Lefebvre du côté de la fesse gauche des Gélinas qui eux autres venaient de St-Louis-de-France où c'qu'il y a d'la mousse à vendre... d'la mousse chimique là... pour les maisons. Pis les Jérôme eux autres, ben c'était pas du monde du coin, i' v'naient de Précieux-Sang ouais... En seulement que...

Et ça n'arrête jamais. Black Widow parle et rit toute seule à voix haute, avec une exhubérance magnifique.

Pipo ne jappe jamais. Il se contente de faire une pisse ou un caca ici et là. Black Widow ramasse tout mais ne manque jamais de le sermonner.

-Faire des gros cacas d'même partout, pour voir si ç'a d'l'allure! Tu manges trop Pipo! Trop!

Black Widow pratique le plus vieux métier du monde pour arrondir ses fins de mois. Ça explique son linge un peu court. On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Quoiqu'il soit difficile de s'imaginer que certains puissent se servir de cette pauvre vieille pour se dégraisser le salami.

Et Pipo, ce pauvre Pipo qui doit voir tout ça...

-Oua! Faut pas trop en demander aux humains. Oua! qu'il doit japper en lui-même, ce p'tit chien barbiche.

samedi 13 mars 2010

Roooo-ta-tion du bassin!

C'était un chargé de cours dépourvu de charisme. Il ressemblait un peu à Diefenbaker, mais en plus efféminé. Toujours tiré à quatre épingles. Fleur à la boutonnière. Généralement un lys. Et une voix terne, morte, du genre il n'y a plus de service au numéro que vous avez composé.

Il s'appelait Flavien Flamard. Évidemment, tout le monde le surnommait Flafla. Ou bien pastille d'urinoir. Mais ceux qui le surnommaient ainsi surnommaient tout le monde de cette façon. Tenons-nous en donc seulement à Flafla.

Flafla avait été formé pour enseigner la comptabilité. Après un séjour malheureux derrière le tiroir-caisse d'un dépanneur, Flafla s'était résigné à faire du remplacement pour la Commission scolaire histoire d'arrondir ses fins de mois et de se payer de beaux costumes.

Flafla n'avait que ça dans la vie, ses beaux costumes. Juré craché, il vivait dans un studio miteux du centre-ville munie d'une douche en plastique pour huit chambreurs. Il n'y avait aucun poster dans la chambre de Flafla. Pas un bibelot. Seulement quelques livres de comptabilité et de beaux costumes. Une télé. Un radio-réveil. Quelques paires de souliers. Des pantoufles. On tient ça de source sûre. Raymond était son voisin de chambre. Raymond, le gars qui se faisait prendre les doigts dans les portes des centres d'achat pour toucher l'argent des assurances. Un hostie de crosseur ce Raymond-là...

Mais revenons à Flafla.

On lui confiait n'importe quoi, Flafla. Un jour il était professeur de catéchèse et le lendemain il enseignait la physique ou les mathématiques. Flafla avait même prodigué des cours d'éducation physique. Avec son lys à la boutonnière, il flashait dans le gymnase. Oh boy! On aurait dit Louis XIV perdu parmi une bande de crottés qui snappaient la balle de handball de toutes leurs forces sur tous les murs. Et c'était sans compter la fameuse période d'échauffement où il nous a livré cette phrase qui lui collera à la peau jusqu'à la fin des temps.

-Roooo-ta-tion du bassin! qu'il disait avec sa voix de fausset qui a passé la nuit dans le fossé.

Et là, oua! il ondulait des hanches comme un con. On aurait dit une danseuse de baladi qui se serait plus entraînée à manger des beignes qu'à danser.

Encore aujourd'hui, dans les bars et les salons funéraires, là où les gens se réunissent, on a qu'à dire «Roooo-ta-tion du bassin!» pour savoir de qui l'on parle, mais oui, de Flafla. Flafla qui rotationnait du bassin comme un beigne.

Flafla le plus mauvais remplaçant de la commission scolaire.

Toujours tiré à quatre épingles.

Diefenbaker en plus efféminé qui dépensait toutes ses payes dans ses beaux costumes.

vendredi 12 mars 2010

Le roi Lézard

Dans le désert, tu ne te rappelles plus de ton nom parce qu'il n'y a plus personne pour te faire souffrir. C'est ce que ça disait dans sa chanson préférée, A Horse With No Name du groupe America.

Il était donc parti vers le désert. Comme tant d'autres depuis toujours. Sur le pouce, de Montréal jusqu'en Arizona, puis de l'Arizona au Mexique.

Et il était revenu au bout de six mois, étrangement calme et bronzé.

-Je suis le roi Lézard! qu'il disait.

Il se nourrissait d'aumônes à Mexico. Il se fondait dans la file des mendiants à la porte des églises.

Il était fauché.

Il lui restait à jouer une carte: l'ambassade canadienne.

Il s'y rendit et finit par obtenir un siège dans un vol vers Toronto.

La Canada avait cru bon de rapatrier le roi Lézard aux frais des contribuables, quitte à lui refiler la facture plus tard. Autant dire jamais.

C'est que le roi Lézard s'est faufilé une fois de plus. Il s'est saoulé un mois ou deux dans le coin et s'est évaporé une fois de plus après s'être endetté partout sur son passage, tapant les uns et les autres de plusieurs billets verts pour se livrer à ses vices: boire, manger, baiser et dormir.

Sacré roi Lézard! Tout le monde voulait lui faire la peau. Il devait du cash à tous les scélérats de la ville, sans compter les honnêtes gens qu'il avait floués au cours de ses huit à dix semaines de présence dans le patelin. Il s'était mêlé à toutes sortes d'affaires douteuses et n'avait pas rempli les termes de son contrat avec les diables qui l'avaient pris à leur service.

Il s'était volatilisé un jour du mois d'avril, avec le retour des oiseaux migrateurs. Où était-il parti? Était-il seulement parti? Bien des gens sont retrouvés dans le fleuve avec des pantoufles en béton armé.

On prétend aussi l'avoir vu en Australie.

Mais le «on» s'appelle Léon et c'est un sacré menteur, ivrogne et tout le reste.

Peut-être qu'il est mort après tout, le roi Lézard.

jeudi 11 mars 2010

Il gagne sa vie et c'est ça le principal

Ils étaient au moins trente-trois dans la salle.

On ne peut pas dire que les conférences de Germain Locker attiraient des masses.

Locker s'en foutait un peu.

Il ne lui suffisait que de la présence de deux ou trois ploucs pour boucler son budget.

Surtout s'il réussissait à leur vendre toute sa gamme de produits pour prouver sa découverte: les fantômes existent vraiment, ce sont des créatures envoyées sur nous par les extra-terrestres après avoir lu dans nos pensées. Ils savent ce que nous pensons et ils nous renvoient des représentations de notre inconscient. Tout ça pour nous troubler. Nous rendre dingues.

Or, Germain Locker trouvait toujours assez de dingues sur la route pour croire à ces conneries.

-Si c'est écrit, hein, c'est que c'est vrai, non?

C'est ce qu'il leur dit, Locker, et il cite des tas d'études à la noix, des inventions pigées ça et là sur l'Internouille juste pour mieu étoffer son point de vue crétin sur les fantômes.

C'est un hostie d'crosseur, un siphonneux de cash, un vampire, une limace, un déchet, etc.

Mais le gars gagne sa vie et c'est le principal.

On ne peut pas tous devenir avocat ou médecin.

L'argent ne pousse pas dans les arbres.

mercredi 10 mars 2010

Féfesse

Il s'appelait Fess. Fess comme dans Fess Parker. Sauf que lui c'était Fess Desjardins.

Évidemment tout le monde le surnommait Féfesse. Et lui-même s'accommodait de son surnom puisqu'il s'était même fait apposer un gros badge qui fesse sur son blouson: FÉFESSE. Il y avait aussi le numéro 14 sous FÉFESSE. Parce que c'était son numéro dans la ligue de hockey cosom du centre communautaire.

Fess Desjardins, ça le dérangeait pas pantoute que tout l'monde l'appelle Féfesse. Il s'en était même fait un honneur. Et du coup, attendrissant tout un chacun avec sa face de Féfesse, voilà que tout un chacun s'est mis à faire des affaires avec Féfesse. C'est vrai que c'était un christie de bon jack, Féfesse. Pas achalant pour deux cents. Toujours près à passer d'l'argent à tout le monde. Pas réclamant pour deux miettes. Toujours payé un moment donné parce qu'entouré de bons amis moins tolérants.

Alors Féfesse a fini par obtenir plein de contrats pour n'importe quoi. Pis i' s'est mis à faire travailler du monde. Même que si Féfesse n'avait pas été là, tout l'monde aurait crevé d'faim dans l'quartier.

Aujourd'hui, c'est lui qui a l'entrepôt au coin de Brownhead et St-Paulin. Le gros entrepôt en stucco rouge avec la grosse pancarte FÉFESSE. Il porte encore son coat avec le logo FÉFESSE et le numéro 14.

-Ah sirop d'carton! qu'il dit souvent.

Comme quoi c'est possible de réussir dans la vie tout en s'appelant Féfesse. Suffit de manger trois fois par jour et de jouer un peu au hockey cosom.

mardi 9 mars 2010

Lefluet, un artiste engagé!

Il n'est pas facile de devenir un artiste engagé. D'abord, il faut qu'on t'engage et c'est pas si facile que ç'en a l'air. Beaucoup d'appelés et peu d'élus. Et comme dans toute chose, c'est pas parce qu'on est élu qu'on est meilleur que les autres. Des cons, il y en a de la base au sommet. Dans des proportions semblables j'imagine. Quoique les riches puissent facilement s'acheter du savon et des dentiers.

Tout le monde, dans les milieux branchés, se gargarisent avec le nom de Lefluet qui s'en prend à toutes les hydres du capitalisme yankee. On se fout de l'oeuvre de Lefluet à vrai dire, mais on glousse comme des dindes à l'idée que ce sacré cas dingue de Lefluet s'en prend au Grand Satan étatsunien.

-Les Zamaricains c'est 'ien qu'd'la marde! trépignent-ils en déchirant leur chemise.

On croirait entendre des ayatollahs. Ce n'est pas que les Américains n'aient pas commis du tort. Eh! des cons il y en a de la base au sommet, partout, et les Américains ne valent pas toujours mieux que les autres. Il y a toujours un Hiroshima pour contrebalancer la vertu d'un Jour J.

Bon, revenons-en à Lefluet. Vous vous dites qu'il est petit, hein, rien qu'à entendre son nom? Eh bien, non, il n'est pas petit Lefluet. C'est un grand gringalet un peu vérolé, le cheveu triste et mou, avec des dents pas très propres. Il parle au nom de tous ceux qui n'ont pas des dents propres qui se foutent bien de l'art de Lefluet, allez. Mais qui sont contents de voir qu'on peut réussir sans trop d'efforts. Juste à suivre le manuel ou le petit catéchisme. Deux cents réponses toutes faites à apprendre par coeur.

-En autant que Lefluet soèye contre les Zamaricains! hurle la foule de ses admirateurs, inconsciemment.

C'est vrai que son oeuvre est minable. Son art n'est engagé que pour le titre. Rien que des titres rappelant tous les torts des Zamaricains.

Pour l'oeuvre en question, tu sens que c'est plus près du caca bouilli que de n'importe quel discours politique.

Même un discours politique, à la rigueur, pourrait sembler plus poétique que ces bronzes asymétriques et foireux qui ne représentent rien du tout.

Même pas le début d'un travail avec les mains. De l'hostie de génie spontané pour la masse des imbéciles, souvent payé avec l'argent des autres, dont quelques prolétaires qui pourraient penser que ces bronzes, ben, c'est rien qu'd'la calice de marde.

Lefluet est un sculpteur engagé.

Il le dit lui-même.

-J'su's un artiste engagé. Les Zamaricains m'écoeurent! Eurk! Je vomis!

On l'applaudit sur toutes les tribunes. Enfin en ces endroits où l'on rencontre des cons.

Il y en a partout je vous dis, de la base au sommet.

Lefluet le sait bien. Et il lui arrive de se la saouler ferme pour tout simplement oublier que malgré toutes les médailles pour son caca bouilli, son art n'est que de la crotte.

-Fuck les discours! qu'il hurle ses nuits-là en picolant comme un restant de taverne.

Le lendemain, il revient à sa gueule et à sa langue de bois. Parce qu'il faut bien travailler. Faire des sous.

Well, money talks.

lundi 8 mars 2010

Nouvelle sans lien avec la Journée internationale de la femme

Il était trois heures du matin.

Je déambulais sur le trottoir, dans le secteur du manège militaire, où tout passe sous les coups des vandales, même l'éclairage de nuit de nos rues. En effet, tout était pété partout. Des voyous revenant des bars avaient cru bon tout saccager sur leur passage. Les poubelles jonchaient le sol. Les fleurs étaient arrachées. De sales cons, sans doute.

Remarquez que je ne m'en plaignais pas trop. C'est reposant la noirceur. Et on n'en voit que mieux les étoiles par temps dégagé.

Le hic c'est qu'il faisait noir comme chez le loup cette nuit-là. Le ciel était évidemment couvert de nuages. Et il y avait une femme devant moi, une inconnue qui rentrait chez elle en jetant des coups d'oeil furtifs par-dessus son épaule. Elle pressait le pas. Je comprenais peu à peu qu'elle avait peur de moi.

C'est vrai que je fais peur, de jour comme de nuit. Je suis vraiment une armoire à glace. Le poulet aux hormones de mon enfance a favorisé ma croissance.

Donc, je marchais sur le trottoir dans le secteur du char d'assaut et la femme était de plus en plus terrorisée. Je la faisais freaker ben raide.

Je me sentais mal. J'aurais voulu lui dire n'aie pas peur madame, j'suis pas méchant. Mais je me disais que ç'aurait pu lui faire encore plus peur.

Alors, j'ai tout simplement changé de chemin. J'ai pris un détour pour la laisser rentrer chez-elle, tranquillement, sans ressentir cette peur que je ne ressens pas sur la rue, moi le gros bonhomme, à trois heures du matin.

Chaque fois que c'est la Journée internationale de la femme, cette anecdote me revient dans la tête.

Je ne sais pas pourquoi. Juré. C'est prévu pour revenir encore l'an prochain à pareille date.

Peut-être pour me rappeler que ce n'est pas facile d'être une femme.

Je veux dire que moi je peux passer partout, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, d'autant plus que je suis un peu barbu. Et c'est pas juste parce que je suis gros. Mais aussi parce que je suis un homme.

Vous comprenez? Vous comprenez pas?

Ah pis flute... moé j'me comprends.

dimanche 7 mars 2010

Quelques mots pour me déplier les doigts


Il n'y a presque pas eu d'hiver cette année.

Le soleil semble briller à pleins feux depuis le début de février.

Et le mois de la marmotte a commencé sans nuages, avec ce ciel toujours si bleu. Ce ciel particulier à l'environnement du fleuve aux grandes eaux, le puissant fleuve Magtogoek, source de vie et d'espoir pour tous les insectes, mammifères et créatures qui l'entourent.

De l'écrevisse à l'humain, tout un chacun y trouve son compte. C'est le grand cercle de la vie. Un cercle plus fort que tout qui peut facilement avoir raison de n'importe quoi à n'importe quel moment.

Il y a pas mal de sève dans les érables ce printemps, contrairement à l'an passé. Ça pourrait devenir une année record pour la production du sirop d'érable: ça gèle la nuit et, le jour, ça monte presqu'à 10 C. Ce sont les conditions idéales pour les acériculteurs. Les prix vont baisser, sur le marché noir à tout le moins, et les débrouillards pourront se sucrer le bec plus tôt que prévu.

Il y a des bourgeons dans l'orme derrière chez-nous. Le printemps est hâtif. L'hiver s'en va.

À part de ça, il y a quoi? De la lumière, une promesse de bonheur, le rangement des pelles et des bottes d'hiver, le vélo, la chaleur au corps, l'humus, le retour des oiseaux migrateurs puis les feuilles, les pissenlits, les tulipes...

Ce matin, je me dis que je ne passerai certainement pas toute ma journée à pianoter sur un clavier.

Quelques mots pour me déplier les doigts...

vendredi 5 mars 2010

Dieu ne porte pas de complet-veston-cravate

Juliette et Donatien avaient revêtu leur plus beau costume du dimanche. Juliette portait une robe bleue à petits pois blancs, plutôt sobre malgré les pois. Elle avait encore de belles jambes même si elle avait des dents de cheval. Donatien portait son complet-veston-cravate acheté à vil prix chez Noore. Tout de noire vêtu, sauf pour la chemise, blanche, comme le veut la coutume. On ne voyait pas ses jambes et, franchement, cela ne lui empêchait pas lui aussi d'avoir des dents de cheval. Juliette et Donatien ressemblaient à Jacques Brel à s'y méprendre et ils s'étaient reconnus l'un en l'autre avec toutes les souffrances qui peuvent accompagner une dentition de cheval, des bacs à sable jusqu'aux polyvalentes, où les adolescents peuvent se montrer si durs et si méchants entre eux.

Juliette et Donatien s'étaient prêtés à tous les quolibets, vexations et humiliations des brutes.

-Oua! Dents de ch'val! qu'on leur disait.

Et quand ce n'était pas «dents de ch'val» c'était autre chose.

-Oua! Jument! Donkey Conne! Palettes! Castor! Rongeur!

Juliette et Donatien, heureusement, finirent par se rencontrer et c'était comme si le compteur repartait à zéro. Ils firent donc l'amour de toutes les manières et, hop, ils se marièrent et eurent trois enfants avec des denditions de cheval: Maude, quatre ans, Jérémie, cinq ans, et Mathurin, six ans.

Ils étaient justement avec leurs trois enfants, eux aussi revêtus de leurs plus beaux atours. Ouais, ils étaient dehors, dans la rue, avec la revue Vous ferez mieux d'ouvrir les yeux. C'était la revue des Scrutateurs de Yahvé. C'était une secte où tout le monde devait être bien habillé et faire du porte à porte pour distribuer des revues soporifiques illustrées par quelques graphistes s'inspirant de l'art fasciste ou bien du réalisme socialiste pour nous présenter un Jésus trop propre, trop rose pour faire vrai. Un Jésus de supermarché. Un Jésus qui va chanter un air de country. Un petit Jésus en complet-veston-cravate.

Ce lundi matin-là, Juliette, Donatien et toute la petite famille faisaient de l'évangélisation pour les Scrutateurs de Yahvé. Ils allaient d'une porte à l'autre avec leur satanée revue pour tenter d'endoctriner les uns et les autres à leur vision stupide de la fin du monde en complet-veston-cravate.

Ils cognèrent donc chez Gustave Lampron, un vieux chnoque qui déteste toutes les religions et prétend que Dieu et le Père Noël relèvent de la même fantaisie trop humaine.

-Oui? dit-il. Que voulez-vous?

-Je suis Donatien et voici ma femme Juliette ainsi que nos enfants: Maude, Jérémie et Mathurin... Nous sommes venus vous apporter la vérité sur la fin du monde qui s'approche... C'est écrit ici, noir sur blanc, dans la revue Vous ferez mieux d'ouvrir les yeux.

-Écoutez, je ne crois pas en Dieu et en toutes ces conneries, répondit Lampron, en terminant de boire sa bière.

-Dieu sait que nous existons, pourtant... ajouta Juliette, avec sa dentition de cheval.

-Ouin pis? répliqua Lampron.

-Comme ça... v-v-vous ne voulez pas croire en Dieu, c'est ça?

-C'est pas que j'veux pas. J'crois pas à ça... Pis voulez-vous ben m'dire pourquoi qu'ces enfants-là sont pas en train d'jouer comme tous 'es autres enfants au lieu d'faire du porte-en-porte-pis-rapporte? Christ! Vendez-vous des assurances ou quoi?

-Nous ne vendons rien. Tous les profits de la vente de Vous ferez mieux d'ouvrir les yeux servent nos missions humanitaires en Australie!

-En Australie? questionna Lampron.

-À moins que ça ne soit en Autriche? avança Donatien.

-En Allemagne? Ça s'pourrait-tu en Allemagne? Australie? Autriche? se dit Juliette en elle-même.

-En Afrique? En Azerbaïdjan? En Asie? enfila Lampron.

-Je... je... je n'm'en rappelle plus... bredouilla Donatien.

-Vous vous ne rappellez plus de rien et vous voulez quand même me vendre Vous ferez mieux d'ouvrir les yeux? s'indigna Lampron. Oua! Pas fort! Pis à part de ça, vous seriez ben gentils de pas essayer d'm'empissetter avec Yahvé et les sept nains! J'su's un peu tanné moé-là... Emmenez don' vos enfants jouer dans l'parc! Ciboire! I' fait beau! I' fait chaud! Dieu peut ben attendre qu'vous soyez malades jéritole!

-Bon... ben... bonne journée chuinta Donatien entre ses dents de cheval.

Et ils poursuivirent leur chemin, toute la matinée, avec leurs trois enfants, pour vendre Vous ferez mieux d'ouvrir les yeux à quelques névrosés ou psychotiques du coin. Il s'en trouvait toujours quelques-uns, tellement affectés entre les deux oreilles qu'on pouvait leur faire vendre des couteaux ou des revues religieuses, revêtus d'un complet-veston-cravate ou bien d'un robe bleue à petits pois blancs.

-Si les gens riaient moins des dents de cheval, p't-être qu'i' se vendrait moins de revues stupides, déclara Lampron tout en avalant sa dernière gorgée de Black Label.

En fait, la revue Vous ferez mieux d'ouvrir les yeux était gratuite. Et Lampron en avait une copie dans les mains. Donatien avait cru bon de lui en laisser une avant que de le quitter.

-Tabarnak qu'est lette leur revue! conclut Lampron en fermant la porte de son logement miteux.

jeudi 4 mars 2010

Le top des tops



Un top, dans le jargon des Trifluviens, c'est un botche. Et un botche, eh bien c'est un mégot

Voilà pour la leçon de vocabulaire.

Maintenant, c'est le temps d'entendre ce récit qui, franchement, se rapproche du top des tops.

D'abord, l'histoire est vraie et seuls les noms ont été changés pour une raison qui vaut bien toutes celles que vous sauriez imaginer. Ce qui fait qu'il n'est pas nécessaire d'en dire plus à ce sujet.

L'histoire provient de Ti-Guy, alias Tiguidou, parce qu'il s'appelle Guy Doucet et qu'il dit toujours «Tiguidou mon minou!»
Tiguidou est un gars serviable qui donne beaucoup de sa personne parce qu'ils sont comme ça par chez-eux.
-C'est pas que j'suis vraiment un «donneux», dit souvent Tiguidou, mais par chez-nous c'est normal de donner autrement tu vas être frappé du mauvais z'oeil!
-Frappé du mauvais z'oeil?
-Tiguidou mon minou! Le mauvais z'oeil!!!
-Ah ben crétak!
-Crétak que oui. Tiguidou mon minou!
Il est évident que le corps du récit ayant trait au top des tops n'est pas encore entamé. Mais il faut bien que vous vous fassiez une idée, même vague, de Tiguidou. Donc, pour résumer, Tiguidou roule en chaise roulante suite à un accident et doit souvent se rendre au Centre régional des accidentés de la route pour aller se faire réparer un peu.
Et c'est là que nous arrivons au top des tops. Au top des fumeux d'botches.
Car il s'agit bien d'un fumeux d'botches, d'un type qui fume des tops. Son nom? Tiguidou n'a rien dit à ce sujet. Il s'est contenté de dire qu'il l'a rencontré la semaine dernière.
-La semaine passée, oui. Je l'ai vu la semaine passée, d'affirmer Tiguidou.
-Et il ramassait des botches? lui demanda-t-on.
-Oui m'sieur! Tiguidou mon minou, i' passait d'un cendrier à l'autre pis i' crissait tous 'es botches dans un sac de pain. Après, i' les défaisait pis i' récupérait le vieux tabac pour se rouler des pollocks!
-I' s'roulait des pollocks avec du vieux tabac sale que tout l'monde a sucé après?
-Exactement. Vous avez tout compris. Tiguidou mon minou!
-Ouache! C'est don' ben dégueu calice!!!
-Dégueu? Ça lève le coeur. Pis ça fend l'coeur en même temps. Ce qui fait que j'me su's approché d'lui pour lui donner une de mes cigarettes toutes faites. Une cigarette Export A. J'fume pas n'importe quoi moé-là!
-Ah oui? Pis?
-Ben y'a cassé ma cigarette neuve en deux pis i' l'a crissée dans son sac à pain en plastique!
-Hein? Y'est don' ben bizarre!
-Bizarre? C'est parce qu'vous savez pas c'qu'i' m'a répondu...
-Non, quoi?
-I' m'a dit: «J'les fume pas celles-là. Sont pas assez fortes. J'les mélange avec les autres.»
-Sont pas assez fortes?!?
-Oui m'sieur. Tiguidou mon minou, sont pas assez fortes! Y'en voulait pas d'mes cigarettes neuves! Sont pas assez fortes! I' voulait rien qu'fumer du vieux tabac de vieux botches à marde!
-Ah ben!!!
-En passant, un petit test d'intelligence. Comment c'qu'on fait d'cigarettes avec 49 botches si ça prend 7 botches pour faire une cigarette?
-Heu... 7 cigarettes?
-Erreur! 8 cigarettes et 1 botche. Quand t'auras roulé tes 7 cigarettes pis qu'tu les auras toutes fumées i' va t'rester 7 botches avec lesquels tu vas pouvoir te rouler une autre cigarette. Pis i' va t'rester 1 botche de cette cigarette-là. Donc 8 cigarettes et 1 botche avec 49 botches.
-Hostie, ton histoire Tiguidou, c'est vraiment le top des tops.
-Tiguidou mon minou! C'est une vraie histoire de rouleux d'tops!
Guy Doucet envoya la main en guise de salutations tandis qu'il christophait son pied encore valide dans la porte du Café des Artistes pour pouvoir sortir, lui et sa chaise roulante.
-Vous pourriez pas faire des installations pour les handicapés tabarnak? qu'il grogna en roulant jusque chez-lui.

Il est toujours comme ça, Tiguidou, impayable.

mardi 2 mars 2010

Syllogisme un peu déphasé

Les gens heureux n'ont pas d'histoire.

Jonathan Sanschagrin était heureux et vous raconter son histoire serait tout à fait inutile.

Ce qui fait qu'on ne sait jamais rien des gens heureux.

lundi 1 mars 2010

L'histoire de Me Laterreur, le plus mauvais avocat en ville

J'ai écrit une belle petite histoire ce matin. Malheureusement, je l'ai perdue. J'ai ouvert Gmail et Blogger. En me déconnectant de Gmail, je me suis déconnecté de Blogger et, du coup, tout ce que j'avais écrit a rejoint le cimetière des formules binaires.

J'étais fier de cette histoire et je pense bien que je ne serai plus jamais capable de la sortir avec toute la verve que j'y ai mise ce matin.

Donc, je vais vous livrer ce scénario très abrégé, en délaissant les effets littéraires et les onomatopées. C'est tout ce qu'il me reste de cette satanée histoire... L'histoire de Me Laterreur, le plus mauvais avocat en ville.

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Maître Laterreur est le plus mauvais avocat en ville. Il n'est pas beau, évidemment, et il bégaie toujours devant le juge. C'est un petit homme avec des yeux de moufette qui se parfume avec de la lotion après-rasage économique. Il sent le push-push au jus de push-up.

Il porte mal son nom, Me Laterreur, parce que personne ne le craint. C'est un nabot.

-V-v-v-votre honneur! qu'il dit.

Et toute la ville en rit, du Palais de Justice jusqu'à la prison régionale. Me Laterreur! «V-v-v-votre honneur!»

Personne ne le craint mais les détenus sont souvent terrifiés à l'idée d'être défendus par Me Laterreur. La rumeur court qu'on attrape le maximum des sentences avec Me Laterreur, parce que tout le monde le trouve nul et incompétent, du juge au concierge, en passant par tous les vieux qui vont au Palais de Justice pour voir comment ça se passe.

Et comme Me Laterreur est vraiment nul et incompétent, y'a que l'Aide juridique pour lui trouver du travail.

Du coup, tous les bandits sans le sou de la prison passent par lui pour se faire enfoncer encore plus longtemps dans le système carcéral.

-Hostie! se disent-ils. J'ai pogné Me Laterreur pour me défendre en cour! J'suis pas prêt de sortir d'icitte tabarnak! «V-v-v-votre honneur!» J'va's pogner l'double de c'que pognerait n'importe quel autre gars avec un avocat qui s'rait juste ordinaire! Prêtre maigre de pompier sale!!!

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C'était, grosso modo, mon histoire avec plusieurs effets cocasses en moins. Et je vous jure qu'elle était bien meilleure que celle que je viens de vous faire subir.

Comme quoi les arts et la littérature, c'est pas d'la tarte.