dimanche 31 août 2008

MA PORTE DE SHED


J'aime beaucoup écouter la radio. J'aime bien ma musique, mais je la connais plutôt bien. La radio, c'est comme partir à la découverte sans trop d'efforts. Un type derrière le micro commente ce qu'il fait jouer et je ne suis pas obligé de changer les disques ou de cliquer sur tel ou tel mp3. Évidemment, le ouèbe m'en donne des trilliards de fois plus. Et, du coup, c'est vrai, je n'écoute presque plus la radio. C'est évident que c'est un médium qui va disparaître dans la forme que l'on connaît en ce moment, une forme limitée, une formule banale.

Laissons-là ces réflexions sur le caractère transitoire des moyens de communication à l'ère numérique.

J'ai commencé à faire de la radio en 1997, à Labrador City. Je faisais le bulletin de nouvelles le matin et je faisais jouer des disques toute la journée et tourner les pubs. J'annonçais aussi le boeuf haché en spécial.

-Bonjour Labrador City! Il fait roux dehors ce matin, comme d'habitude, avec cette satanée poussière qui s'élève des mines. Le mercure indique 2 Celsius. Nous sommes le 5 juillet. Faites attention aux loups qui rôdent autour de ce troupeau de caribous qui encombre le stationnement du centre commercial. Et on enchaîne avec Un été à Montréal du groupe Dubmatique.

Je trippais funk cet été-là. Je me les gelais au Labrador. Les jours étaient longs et pluvieux. Les nuits frôlaient le point de congélation. Je comprenais pourquoi le Labrador portait le titre infâme de Cain's Land, la Terre de Caïn, auprès des mineurs et autres alcooliques locaux.

Pour me tenir au chaud, je devais boire des quantités astronomiques de Screetch, un rhum particulièrement apprécié des Newfies. Ce qui me désespérait encore plus du Labrador.

À la fin du mois d'août de cet été pourri, pâle comme une pinte de lait, avec des poches sous les yeux de nuits trop arrosées, conséquence directe d'un climat impossible et d'un ciel toujours roux comme un fond de short, j'ai quitté mon poste de directeur et homme à tout faire de la station. J'ai pris le train vers Sept-Îles et advienne que pourrira.

La chance était de mon côté. Comme je traînais à Québec à la recherche d'un poste de plongeur dans un restaurant, j'ai appris que j'avais obtenu le poste de directeur de la programmation pour CFOU, la radio des étudiants de l'Université du Québec à Twois-Ivièwes, ma ville natale.

J'étais d'autant plus content que j'avais initié le projet, en quelque sorte, en fondant un comité pour une radio étudiante à l'UQTR avec quelques étudiants en 1992. L'idée avait fait son chemin. Et voilà que par la bande je pourrais participer à concrétiser cette idée. Je ne laverais pas de la vaisselle à Québec, comme j'avais prévu de le faire. J'avais quitté une job sans savoir où je m'en allais et j'en trouvais une autre tout de suite, par un de ces hasards qui me font penser qu'il y a une bonne étoile pour moi.

Évidemment, j'arrivais dans un chaos épouvantable. La station allait diffuser sa première émission le premier lundi suivant mon embauche.

MOMENT HISTORIQUE: À LA FONDATION DE CFOU, HOSTIE, J'Y ÉTAIS!

Nous sommes jeudi. Il me reste trois jours. Et la grille de programmation n'est même pas complétée. Le matériel est rudimentaire. Peu de gens connaissent l'art de la mise en ondes. Je mise donc sur les Disc-Josckeys de Twois-Ivièwes, ratisse les bars à la recherche de bénévoles rares capables de faire groover cette foutue ville. Les didgés répondent à l'appel. Et le lundi, nous sommes en ondes, même si ça fait broche à foin.

Je passe toutes mes journées et toutes mes soirées à la station. Mes patrons sont des abrutis: des étudiants qui n'ont jamais eu de jobs d'été qui jouent aux patrons d'une multinationale. Je crois, avec raison, que ce sont des caves. Et je fonce, tête baissée, pour que ça groove, malgré les caves. J'ai déjà dix ans d'expérience dans le domaine du journalisme et des communications. Et je vais m'appliquer à m'en servir pour que l'on puisse faire de la bonne radio à Twois-Ivièwes.

Les premiers jours, c'est l'euphorie, décuplée par la rentrée scolaire, et ces premiers jours de mon été, qui commence vraiment. Je ne me les gèle plus au Labrador. Je me sens en Floride, c'est pas mêlant. Il fait beau et chaud. Le ciel est bleu. J'avais oublié que Twois-Ivièwes pouvait être une belle ville.

On reçoit des tas d'appels de types qui nous encouragent, nous émeuvent, nous disent qu'enfin nous sommes là pour changer de radio rock-matante et radio-rayons-lasers.

On entend de la musique du monde, à Twois-Ivièwes, du blues, du rock, du hiphop, du rap, du funk, n'importe quoi, comme s'il n'y avait plus de censure. Tout d'un coup. C'est une victoire et, bon sang, ça nous monte tous à la tête. Nous sommes les Beatles. Nous apportons la démesure et l'originalité à Twois-Ivièwes.Nous sommes des preux chevaliers en train de terrasser le dragon.

Au fond Léon, la pédale dans le fond. Tant qu'à être broche à foin, misons sur l'audace. Et sacrament, je la favorise cette audace, dans mes décisions, mes actes, mes paroles, sans pour autant négliger de produire des documents top niveau, avec une syntaxe impeccable, sans fautes d'orthographe -une grande première dans ce milieu...

Au lieu de vendre des sous-marins de la cafétéria, on vend de la pub aux tarifs de la radio commerciale, en adoptant leurs tactiques et en singeant leurs contrats de vente.

Un de ces soirs où je décide de rester chez-moi, pour me reposer, j'ouvre la radio pour écouter CFOU. Je faisais du travail à distance, en quelque sorte. Je tombe sur l'émission Ma porte de shed. D'un certain François, un gars de Nicolette, authentique, entier.

Je le revois, ce matin même, échevelé, encore perdu dans les vapes du joint qu'il avait fumé dans le stationnement. Je lui avais demandé s'il connaissait bien la mise en ondes et, comme il était déjà didgé, j'ai vu qu'il se débrouillerait bien.

-Suis la grille pour les bandes annonces et let's go man! C'est toé le pro, que j'ai dû lui dire.

Seul chez-moi, le même soir, je vais enfin assister à la première de Ma porte de shed.

François commence son émission avec un solo d'harmonica, qu'il joue lui-même au micro.

-Original, que je me dis.

Il joue Sweet Mathilda, un air célèbre du pays des kangourous. Aussitôt qu'il a terminé, il enchaîne.

-J'ai perdu ma blonde hier, mais je t'nais à lui jouer ça, rien que pour elle. La vie est chienne, hein? Ce serait niaiseux de dire que je l'aime quand même. Et j'l'aime quand même, même si c'est niaiseux.

Bon sang! Ça commence bien cette nouvelle émission...

François cesse de parler et enchaîne avec des chansons: Ma porte de shed, de Plume Latraverse, Toujours un bum, de Cassonade et Le freak de Montréal, du groupe Aut'chose.

Excellent. Ça groove.

François revient au micro.

-J'sors souvent dans les bars, ici, à Trois-Rivières, et j'trouve que les gens sont faux-nez et faux-culs. Ça lève le nez sur toé, juste parce que tu viens d'Nicolette. L'autre soir j'suis sorti au Bibob et c'était plein de p'tits-bourgeois snobs qui avaient le petit doigt en l'air devant des peintures lettes comme un chien mort depuis deux mois...

Le Bibob! me dis-je en moi-même... Un commanditaire de la station! Gulp...

-Ouin, c'est faux-cul au Bibob. J'n'aime pas aller au Bibob. J'vous déconseille d'aller au Bibob. Le Bibob c'est plate. Le Bibob c'est pour les ceusses qui s'prennent pour d'autres! Pouah le Bibob!!!

Pas besoin de vous dire que je faisais des bulles à chaque fois qu'il mentionnait le Bibob...

-À part de ça, mon p'tit neveu Kevin sait plus dessiner qu'eux autres. I' savent pas peindre ni dessiner, c'est ben évident. Pis c'monde-là j'venais pour leur parler, leur dire bonjour, comment ça va pis qu'est-ce que tu penses d'la vie, d'la mort, d'l'amour... Rien! I' m'disaient rien. Comme si j'existais pas. C'est-tu parce que j'viens d'Nicolette, hein? Viârge qu'le monde est snob à Trois-Rivières, et pas juste au Bibob, partout!

Et il se met, bien sûr, à nommer tous nos commanditaires. Et il ne s'en prend plus qu'aux bars, mais aussi aux restaurants, à un centre de photocopie, un libraire, un marchand de disques usagés, tous commanditaires de la station qui, je vous le rappelle, n'en est qu'à ses débuts.

Je freak un peu. Et plus je freak, plus je l'écoute, son émission, comme jamais je n'en avais écouté une auparavant.

Et François fait tourner d'autres chansons de Charlebois, Dubois, Desjardins, La Bottine souriante... Très Québécois, ce François. Il ne lui reste plus que cinq minutes de mise en ondes.
Il revient au micro pour sa conclusion.

-En tout cas... J'changerai pas l'monde. Que voulez-vous qu'on fasse? Je r'pense à Mathilda, ma douce Mathilde, une fille de Ste-Clothilde, belle comme le jour, même la nuit. J'vois ben que tout ça mène nulle part. La radio? Non. J'n'en ferai plus. C'était ma première et dernière émission. Pis ça s'appelait Ma porte de shed.

Et là, François empoigne son harmonica et termine sur Sweet Mathilda, en fondu, enchaînant avec le bloc de pubs.

Je suis émerveillé, vraiment.

J'en pleure presque.

Ce type qui fait sa première et dernière émission ne sait pas qu'il a fait, rien que pour moi, la meilleure émission de radio que j'aie écoutée de toute ma vie.

Aujourd'hui encore, j'y reviens. Et j'y reviendrai toujours.

Comme quoi ce n'est pas la durée qui juge le mieux d'un talent, mais son effet à long terme.

J'ai écouté des tas d'émissions de radio dans ma vie dont je ne me souviens plus du tout.

Pourtant, je n'oublierai jamais Ma porte de shed, à CFOU, animé par François, un gars de Nicolette que je n'ai jamais revu ni rentendu.

samedi 30 août 2008

Le rock and roll est toujours vivant... à Cuba!


Le rock and roll est toujours vivant... à Cuba!

J'en tiens pour preuve ce chanteur cubain du groupe punk Porno Para Ricardo qui vient d'être arrêté le 25 août dernier pour «dangerosité sociale prédélictuelle».

Lisez cette entrevue, et dites-moi qu'il est encore possible de soutenir le régime des Castro.

Ça me donne envie d'acheter tous les albums de Porno Para Ricardo.

¡No Pasarán! Le fascisme brun ou rouge ne passera pas! Libérons les prisonniers politiques!

BIG BOUDDHA & LES FOUS EN GÉNÉRAL


Les fous, ça m'émeut. Je suis fait comme ça. Vous me présentez le Premier ministre et je baye aux corneilles. Vous me dites qu'il est fou, je me mets à le trouver intéressant. Laissez-moi vous dire que nous avons eu des premiers ministres très intéressants.

Les travers humains, au fond, il n'y a que ça de vraiment humain.

Toutes les belles qualités, l'héroïsme et le reste, ne valent pas cette folie de penser que toutes les qualités se réalisent mieux par inadvertance, sans réfléchir, et à ce compte-là les fous sont aux premières loges.

Prenons ce fou qui, riche à craquer, se met un jour à donner tous ses biens et à se promener tout nu dans la rue en parlant à sa soeur la lune ou bien à son frère le soleil. Il n'y a pas que François d'Assise qui ait fait ça, je vous jure. J'en ai connu au moins quelques pelletées de St-François non reconnus, ici même à Twois-Ivièwes, sans besoin d'aller bien loin. Et j'en ai connu dans toutes les religions et irreligions.

Le plein aux as qui garde tous ses biens pour lui et marche tout habillé dans la rue, avec des vêtements et accessoires de renom, celui qui ne se parle qu'à lui-même, qu'on écoute servilement en réprimant l'expression de l'ennui qu'il provoque, celui qui s'achète du soleil et des terrains sur la lune, franchement, il ne m'intéresse pas. C'est banal. Machinal. Terne. Mort.

Le gus m'intéressera s'il pète une coche, se laisse pousser les ongles démesurément, badtrippe sur la salubrité des lieux, cligne des yeux comme le dernier des lessivés mentaux, jappe en lisant des livres de cuisine japonaise, etc.

Au moins, c'est un cas, clinique ou non, un humain.

Chaque fois que je croise des musiciens de rue siphonnés, je jubile. Alors là, en termes de folie ceux-là sont certainement les plus généreux. Mettons qu'ils donnent leur max, même s'ils ne sont pas tous forcément à poil.

Le dernier musicien de rue que j'ai en mémoire est un musicien de parc. Je l'ai vu deux fois. La première fois, le type était assis en bedaine, toé chose, dodu comme un bouddha, derrière son clavier et il jouait quelque chose que je n'entendais pas puisque je le voyais par la fenêtre, de l'intérieur d'un édifice public.

Ce que je voyais était tout de même stupéfiant.

Le gars dans la quarantaine, un peu chauve, un peu gros, était dans la position d'un bouddha derrière son clavier et il s'y donnait à coeur joie dans l'indifférence générale, tout fin seul au beau milieu de la place.

Ça jurait dans le décor, en plein centre-ville. C'est ma blonde qui me l'avait fait remarquer. Elle aussi, les fous, ça l'émeut. C'est pour ça que nous sommes ensemble, j'imagine.

En tout cas, les jours passent et, un beau dimanche après-midi, je revois mon musicien de parc, dans un autre parc, et cette fois il porte un tee-shirt (gaminet en langage de fif). Ma blonde me pousse du coude, folle de joie à l'idée d'assister à une de ses prestations musicales, et nous nous assoyons sur un banc, juste en face de lui, avec le couple d'amis qui nous accompagne.

Le bouddha discute de son art musical avec deux inconnus, un homme et une femme maigres comme des Q-Tips.

-Là, là, j'ai une belle chanson de Patrick Normand... ouais... disait-il en effeuillant son cartable posé sur un lutrin. Pis une autre d'Alain Morrisod, ouais... ouais... c'est dur à jouer mais je l'ai presque... ouais... ouais...

On attend. Cinq minutes. Dix minutes.

-Pis... j'ai cette chanson de Patrick Zabé... ouais... ouais... Monsieur Météo...

Ma blonde, qui est toujours la première à se tanner d'attendre, se lève d'un coup et nous dit qu'on pourrait revenir quand il jouera. C'est sûr.

Donc on continue notre promenade. On fait le tour des brocantes du quartier, je ne sais plus trop, puis on revient s'asseoir au même endroit, une heure plus tard, toujours devant le même musicien de parc.

Big Bouddha porte encore son tee-shirt et discute avec une bonne femme qui semble sur les pilules, les cheveux qu'on aurait si l'on reviendrait d'une séance d'électrocution, les joues collées ensemble, les bulles dans le regard. Elle ressemble à Claire Lamarche qui fumerait trois paquets de clopes par jour et ne mangerait que du baloney. Par ailleurs, elle marche en faisant des tours sur elle-même, comme les derviches, sonnée ben raide. Un pas, une valse, un pas, une valse. C'est dur à suivre. Big Bouddha, lui, ne s'en formalise pas. Et il poursuit:

-Pis... j'ai commencé à jouer Sonate à la lune de Beethoven...ouais... ouais... Pis L'incendie à Rio de Sacha Distel...

On attend. Deux minutes. Ma blonde se tanne.

-Cou' don' (écoute donc), i' joue-tu du clavier où i' fait juste parler? qu'elle me dit.

-J'sais pas, que je réponds.

Nous sommes repartis et, à ce jour, je n'ai jamais entendu jouer ce musicien de parc, ce Big Bouddha qui, déjà, figure au panthéon de mes célébrités locales, bien plus que:
-le maire et ses conseillers;
-la présentatrice des nouvelles télévisées de la Mauricie;
-le paresseux qui honore de sa photo ses notes écrites à la hâte, sans talent ni génie, pour la chronique mondaine de tel ou tel torchon;
-le plouc qui se fait une belle crête de coq à la mode pour avoir l'air cool... à la radio, et rien que là parce que c'est plutôt vide ce qui sort de la crête de coq.

Bon, bref, je suis du côté des fous. Je trouve toute la poésie du monde chez les fous, le mystère, l'espoir, la grandeur, la transcendance, le génie, le talent. Bien sûr, d'aucuns diront que je suis fou et, bon sang, je les en remercie tout de suite.

Je prends cela pour une marque de reconnaissance selon mes standards de qualité.

Et puis, qui d'autres que les fous pour bâtir une oeuvre littéraire au petit jour la misère, sans compter, sans rémunération, tout à fait gratuitement, pour être certain que personne ne me fasse le reproche d'être une pute au service de quelques flibustiers des arts et des lettres.

Ma plume est libre comme l'air.

Et elle flotte entre ma soeur la lune et mon frère le soleil.

That's it. That's all.

vendredi 29 août 2008

Les réflexions d'un Roger Bontemps


Je suis dans une phase extrêmement prolifique de ma vie d'écrivain amateur. Les histoires filent et se défilent à un rythme d'enfer. Je vais devoir m'arrêter, une semaine ou deux, que je me dis, pour relire tout ça, ne serait-ce que pour compter mes bons et mauvais coups.

Mais non, l'envie d'écrire est plus forte que celle de me lire. Alors je retourne derrière le clavier et je télécharge vers la communauté des internautes tout ce qui traîne dans ma mémoire, avant qu'elle ne me joue de sales tours.

Je sais, j'écris parfois des banalités. Et vous ne m'en voulez pas trop, j'imagine, puisque vous revenez me voir, ce qui me fait plaisir, ne serait-ce que par narcissisme.

On a tous un peu de Narcisse en soi, allez. Même moi, qui suis souvent le premier à me traiter de cave, ne serait-ce que parce que je le pense vraiment.

Narcisse n'est jamais très loin, même chez les caves, même chez les sages, même chez les barbiers, même chez les curés, même chez les péripatéticiennes ou les éleveurs de coqs enragés.

«Tout le monde veut être une star mais personne n'veut être une planète» chantait Luc de Larochelière, auteur-compositeur-interprète de talent un peu downer mais sympathique.

Qui veut être une planète et tourner stupidement autour d'un Narcisse ou d'une personne qui se croit le centre de l'univers, hein?

Personne, finalement.

Et comme notre civilisation est terriblement artificielle et narcissique, tout le monde est seul dans son coin à se regarder le nombril, soit par narcissisme, soit par dégoût du narcissisme ambiant.

Chacun dans sa bulle, dans sa cellule, avec ses rêves crétins d'être ceci ou cela, d'avoir cela ou ceci, rêves qui rarement touchent au but ultime de la vie: être heureux tout de suite et maintenant, avec un verre d'eau en main ou une verrue sur le bout du nez, qu'importe.

Être heureux.

Regarder un arbre et le sentir plus vivant que bien des gens que nous croisons tous les jours. L'arbre ne bouge pas, change lentement, et il est constant jusqu'à la mort.

Je ne dis pas que je voudrais être un arbre. Je dis juste que j'aime ça, regarder un arbre. Ça me détend encore plus que la télévision ou les conversations humaines.

La force d'une communauté solide et humaine, selon mon avis de cave, réside dans cette prise de conscience à savoir que la force de tous réside dans la variété de possibilités que l'on retrouve chez chacun, et non seulement chez tel ou tel crétin qui prétend détenir toutes les réponses, toutes les clés, et qu'il faudrait suivre aveuglément vers les précipices comme les porcs des évangiles qui étaient possédés par l'esprit malin.

Et encore une fois, vous voyez bien que je suis un cave puisque je fais référence à des fables auxquelles je ne crois pas moi-même.

Pourtant, il reste que je ne veux pas attirer personne vers mes précipices quotidiens ou mes abîmes intérieurs.

Je ne suis pas un gourou. Je ne cherche pas de disciples ni d'élèves. Tous ceux qui ont cru qu'ils pouvaient me tenir pour un maître, je les ai tous déçus pour ne pas m'encombrer d'un rôle qui me fait vomir. J'attire les confidences de tout un chacun, allez savoir pourquoi. J'ai l'air du gars à qui l'on peut tout raconter. Comme si je ne jugeais pas les gens ou bien comme si j'avais l'air trop cave pour être vraiment méchant avec ceux qui me confient leurs pensées les plus intimes.

Oui, je bouge de l'air, mais je n'ai pas de réponses, je ne suis pas sage et mes rires, désolé, ne sont qu'un état d'âme bien propre à mon comportement de cave relativement insouciant.

Je suis un Roger Bontemps, comme on dit par chez-nous, qui fait ce qu'il croit juste, juste pour croire qu'il est juste de faire quelque chose, même une connerie, plutôt que de rester là, les bras croisés, à regarder le régiment passé, les yeux hagards, le filet de bave aux lèvres comme le dernier des légumes.

Je vis au jour le jour, comme je peux, et j'entends rire au moins cent fois par jour, pour faciliter ma digestion et vivre pleinement ma folie.

En tant que Roger Bontemps, je n'en veux à personne et ne me reconnais pas d'ennemis, même en politique.

Je ne m'attends pas à ce que les gens soient brillants quand l'expérience m'a appris que nous étions tous stupides sans exception.

J'ai des opinions, des points de vue et des valeurs. Et je me trompe parfois. Mais je me targue de ne tromper personne. Comment voulez-vous que je le fasse? Je suis solitaire de nature et les foules me dégueulent.

Dès que quelqu'un me dit que j'ai raison, je laisse entendre que j'ai peut-être tort. Ce n'est pas que je manque de constance, au contraire. C'est juste que je sais bien que rien n'est jamais tout noir tout blanc et qu'il faut agir avec les humains comme on le fait avec un rat coincé devant soi: il faut lui laisser de l'espace pour s'enfuir afin d'éviter qu'il ne vous morde et ne vous transmette sa peste ou sa rage.

J'essaie, en parfait cave que je suis, de suivre cette règle avec les humains quand je me rappelle que je l'ai déjà écrite quelque part et que je dois me conformer à ce que je dis - ou dire que je suis un cave. Un Roger Bontemps. Et croyez-moi, je ne me fais jamais mordre par les rats parce que mon attitude de cave me déroute autant qu'elle déroute tout le monde. C'est ça, être un Roger Bontemps. La vie c'est une beurrée de marde et plus ça va moins y'a de pain. Une maxime pour se sortir de l'embarras, coup sur coup.

Évidemment, j'en arrache un peu avec les personnes vraiment mesquines qui prennent plaisir à faire souffrir les gens. Comme je ne les côtoie jamais longtemps, je ne me laisse pas trop contaminé.

Et cela me permet de maintenir ma réputation chèrement acquise de Roger Bontemps, de gars insouciant, difficile à saisir, qui ne semble jamais malheureux, ni triste, ni malade. Comme si la vie me gratifiait d'être un Roger Bontemps, c'est-à-dire un cave, comme tout le monde, ou presque.

Ou presque, puisqu'il est vrai qu'il y a des gens qui ont de l'argent. Quand tu as de l'argent, tu es prodigue en conseils et en réponses toutes faites pour se débarrasser des rustres et des quêteux. Avoir de l'argent, c'est comme être un obèse étranger dans un quelconque pays de cannibales affamés. Il faut calmer l'appétit des uns et des autres avec des sermons, des breloques, des colifichets, des miroirs, des traités que l'on ne respecte pas, des contrats avec lesquels l'on se torche le cul.

Tout le monde sait qu'il n'y a que les caves qui n'ont pas d'argent.

En tout cas, c'est l'avis d'un cave, d'un Roger Bontemps.

J'ai assez écrit pour aujourd'hui.

J'aurais mieux fait de me relire...

jeudi 28 août 2008

Les publicains, les pharisiens, le bizutage...


Je ne suis pas chrétien, mais j'ai épousé une partie de sa morale. Probablement celle qui faisait le plus mon affaire. Le reste, j'ai compris que c'était à moi d'établir les limites, à la mesure de ce que j'acquiers de l'expérience, tous les jours, en me trompant parfois, sinon souvent. Je ne suis pas parfait et, là, franchement, je me dis que c'est tant mieux.

Les gens parfaits, d'abord, ça n'existe pas. Tous les exemples que j'ai eus sous les yeux, dont le mien, me rappellent que la bêtise est universelle. C'est le fondement même de l'humanité. Vous me montrez un sage et je montre ses failles tout de suite, tant au niveau de sa prétendue vertu que de son désintérêt de Tartuffe. Pourquoi suis-je comme ça? Parce que tous les hommes sont cons, sans exception, et encore plus cons sont ceux qui l'ignorent encore.

Si je me fie aux évangiles, Jésus disait qu'à la messe ce sont ceux qui sont derrière, les publicains, la racaille quoi, qui portent des vêtements malodorants et baissent les yeux devant le poids de leurs fautes qui, sans doute, sont le plus près du Royaume des Cieux. C'est lui qui le dit, je ne voudrais pas laisser entendre qu'il avait raison, n'est-ce pas.

En comparaison, Jésus disait que les pharisiens en sont le plus éloignés, les pharisiens qui se tiennent dans les premières rangées, parfumés, la tête haute, se vantant d'avoir aidé untel ou untel, pleins aux as, repus, contents, la vie est belle et Dieu ne peut que nous aimer.

Bref, le Christ revenait toujours là-dessus, que c'est plus facile à un chameau d'entrer par le chas d'une aiguille qu'à un riche d'entrer au paradis. Et Paul de Tarse, son manager posthume, disait aux premiers chrétiens que la foi n'était rien sans la charité, que les belles idées, belles théories et autre bullshit ça ne valait pas un sourire, une poignée de main, un pain, un verre de lait, etc.

Évidemment, je ne crois pas en Dieu, ce qui rend un peu caduque mon sentiment, si ressentiment il y a, sait-on jamais.

Cependant, je vois plus d'intégrité chez nombre de malfrats que je n'en voie chez certaines personnes bien en vue qui se mentent à elles-mêmes et veulent faire avaler leurs mensonges aux autres. Au moins, les malfrats ne mentent que par vice. On sait à quoi s'en tenir. Un menteur qui ment tout le temps n'est plus menteur, il est juste drôle. On s'en amuse quoi. Il ne ment plus à personne. Il ne fait que se mentir à lui-même. Et plus personne ne lui en veut, au final, parce qu'on voit bien à quel pauvre abruti l'on s'adresse.

Les pharisiens, eux, mentent sans mentir, avec l'apparence et le parfum de la vertu. C'est un peu moins drôle. Surtout quand ça se met à donner des leçons aux autres.

Voilà pourquoi j'ai parfois rencontré plus d'intégrité dans les bas-fonds de la société que je n'en ai trouvée parmi le gratin de la société, chez les bourgeois, qui s'expliquent tout et ne comprennent rien. Comme si l'argent finissait par remplacer le cerveau.

BIZUTAGE de la rentrée scolaire

Le bizutage recommence avec la rentrée des classes au Cégep.

On a voulu me bizuter quand je jouais au soccer, vers 12 ou 13 ans.

Un des bizuteurs, un grand avec des oreilles décollées, s'emparaient des recrues avec quatre ou cinq gars pour les coucher par terre et leur pisser dans la figure.

C'est du moins ce qu'il faisait à un autre, cinq minutes avant qu'il ne vienne me voir pour me dire que c'était à mon tour de me faire pisser dessus.

Je lui ai crissé mon poing dans la figure, simplement.

L'année suivante, il a tenté la même chose avec mon frère benjamin qui a eu la même réaction. Il l'a cogné en pleine gueule lui aussi.

Son nez est devenu croche depuis ce temps-là. Il y a un petit peu de nous autres là-dedans.

Il aura toute sa vie le nez croche, le gars qui voulait pisser sur les autres. C'est ma manière de faire des sermons aux crétins.

mercredi 27 août 2008

Willy, le gars timide qui hurlait son amour


Ce gars-là était timide comme quatre. Ces gestes étaient toujours brusques et maladroits chaque fois qu'il entrait dans la bulle d'une personne, que ce soit la caissière du dépanneur ou bien le curé. Il s'appelait Willy, mesurait quatre pieds huit pouces et était plutôt du genre pichou au point de vue esthétique. Ses cheveux semblaient faits de laine d'acier à récurer les chaudrons, il avait de grandes dents jaunes, de grandes oreilles et de vrais fonds de bouteille en guise de lunettes.

Willy parlait extrêmement fort, même s'il était timide, comme s'il l'assumait pleinement. Il te croisait sur la rue et, marchant vers toi comme un robot, à pas saccadés, comme s'il craignait de t'importuner, il se mettait à bégayer comme s'il hurlait. Après coup, je me demande s'il n'était pas un peu dur de la feuille, sourd comme un pot ou tout simplement d'une timidité hors du commun qui le poussait à crier.

On le croisait toujours au bar, moi et mes potes. Et Willy venait vers nous naturellement, parce que nous ne refusions personne dans notre bande, acceptant surtout ceux et celles qui étaient refusés partout, dont des timides, des fous dangereux, des artistes et des psychopathes. C'était la vie de bohême, quoi. Et le diable sait que les marginaux sont nobles et bons avec ceux que l'on baptise affectueusement, à l'anglaise, «les rejects».

Rien ne désespérait plus Willy que de ne pas savoir comment s'y prendre avec les femmes. Bien que timide, Willy commentait chaque fille avec une certaine verve, malgré ses bafouilles, ses bégaiements, ses hurlements, ses postillons, ses dents mal brossées, son haleine fétide, etc.

-Chelle-là, disait Willy, ch'trouve qu'alle a vraiment des beaux ch'vê-ê-Ê-Ê-tements-man-man-man-gue-gue-gou-gou... Ch'veux dire... Hee.... Choli visage!
Comment c'que c'est que ch'ferais pour l'awouère pour moé, hein, les gars?

-C'est un deux pour un sur la bière, ce soir, mon Willy, que je lui avais dit. Si tu veux plaire aux femmes, Willy, faut que tu leur offres au moins une bière.

-Chuper! Bo-bo-bonne idée! Ch'va's l'faire tout d'suite! Ch'va's lui donner une bière, me dit-il, en pointant une pépette au regard vide, authentique blonde aux courbes régulières qui était du genre à fréquenter des sportifs et certainement pas des timides comme Willy.

Et voilà Willy qui part s'acheter de la bière. J'avais dit ça juste pour rire. Faire la cour en tendant une bière, c'est une tactique de nul. Et là, je me sentais un peu cheap. Pauvre Willy! Elle va se crisser de lui et son petit coeur va se fendre encore.

Willy ne savait pas que c'était une tactique de nul. Alors nous l'avons vu faire le tour du bar une fois, deux fois, dix fois, avec une bière dans chaque main. Puis vingt fois, trente fois. Enfin, Willy revint vers nous, la mine basse, toujours avec ses deux bières même pas entamées.

-Qu'est- qu'i' y a mon Willy? lui demandé-je.

-Y'a qu'ça marche pas, répondit-il.

-Comment ça?

-Tu sais ben qu'alle a pas voulu l'accepter, la bière. Pour... pour... pourquoi les filles aiment mieux les baveux pas gentils plutôt qu'les gars bien élevés, gentils et propres, hein?

Willy cala ses deux bières rapidement. Puis tout le monde se mit à payer la traite à Willy en le surnommant «Willy-le-bourreau-des-coeurs».

Willy a ri jaune avec nous. Certains de mes potes proposèrent de lui payer une pute. Je n'étais plus là quand cette proposition tomba sur la table.

Je serais bien embêté de vous dire comment ça s'est terminé.

Tout ce que je peux vous dire, c'est que Willy vit seul, encore et toujours, vingt ans après le moment où s'est produit cette anecdote que je vous raconte.

Willy manque cruellement de féminité dans sa vie de célibataire ramolli. Et ce n'est pas parce qu'il n'aura pas essayé de se trouver une femme. C'est juste que sa timidité et sa laideur n'arrangent pas les choses.

Alors les discours ronflants qui prétendent que l'amour est pour tout le monde, vous vous doutez bien ce que j'en pense. La vie est chienne pour les timides. Oui monsieur. Oui madame.

Bon, une bonne bière me ferait du bien.

mardi 26 août 2008

Il s'appelait Toothpick


Nous l'avions surnommé Toothpick, parce qu'il était maigre comme un cure-dent. Nous aurions pu le surnommer Cure-dent mais ç'aurait sonné un peu louche, même si c'est du bon français. Toothpick lui convenait comme un gant. Il tenait, par ailleurs, à ce que tout le monde le surnomme ainsi. Il s'était fait une gloire de son surnom et tout le monde allait respecter Toothpick. Il était maigre comme un cure-dent, certes, mais complètement sûr de lui.

Il ne fallait jamais lancer un défi à Toothpick. Toothpick les relevait tous, au péril de sa vie si nécessaire.

-T'es pas game de casser la vitre de la Caisse populaire, disait tel ou tel niaiseux.

-Moé pas game? répondait Toothpick en fracassant la fenêtre sur-le-champ.

Tout le monde partait aussitôt à courir en riant.

-T'es malade dans 'a tête Toothpick! Malade!

-Ma gang de p'tits tabarnaks! hurlait le gérant de la Caisse, loin derrière nous, en agitant les bras.

Toothpick avait le même âge que moi. Il demeurait dans mon quartier, au troisième étage d'un bloc à logements vétuste, à peine dératisé.

Un monde me séparait de Toothpick, tant au niveau de l'école que de la famille. J'étais premier de classe et mes parents buvaient du Seven-Up ou du thé. Toothpick était dernier de classe et ses parents se saoulaient la gueule. Je mangeais mes huit repas par jour. Toothpick mangeait des beurrées de beurre de peanuts, toute la journée, ou bien s'achetait des bonbons avec l'argent qui aurait dû servir à lui acheter une boîte de raviolis Chef Boyardee.

Ce n'est pas pour rien qu'il était maigre. Ce n'est pas pour rien que j'étais gros.

Il était, à l'école, le roi des bouffons. Je riais tout le temps des mauvais coups de Toothpick, ce qui l'incitait à en commettre toujours plus pour me remercier d'être un aussi bon public.

À l'approche de Noël, en première année à l'école St-Jean-de-Bosco, l'institutrice nous avait demandé, à tour de rôle, ce que nous offririons à nos parents pour ladite fête.

-Je vais leur donner plein de beaux bisous! avait dit la petite Hélène Monfette.

-Moi, ce sera une belle lettre avec des coeurs! enchaîna Ti-Guy Hubert.

-Je vais leur dessiner un père Noël! ajouté-je.

-Et toi, continua la maîtresse d'école, en s'adressant à Toothpick.

-Moé? À Noël? J'va's acheter plein de vaisselle et j'va's toute leu' casser ça su' 'a tête!

Ayoye! C'était une réponse fracassante, surtout pour un jeune d'à peine six ans.

Cela n'améliora pas les résultats scolaires de Toothpick que de se rendre compte que tout le monde riait et l'appréciait pour son sens inné de la répartie.

Toothpick était détesté de tous les profs pour ses réponses du tac au tac. Par conséquent, il était toujours en punition, soit dans le corridor, ou bien dans la classe, entouré de paravents, comme s'il était en prison, pour ne pas lui permettre de distraire la classe. Pourtant, dès que la prof avait le dos tourné, Toothpick se glissait de sa chaise, rampait au sol jusqu'à nous et faisait toutes sortes de niaiseries, dont baisser ses culottes pour nous montrer ses fesses.
Ce qui lui valait toujours plus de mauvaises notes en comportement, et Toothpick s'en foutait royalement.

Au printemps de cette première année d'école, Toothpick s'était fait prendre dans la cour de l'école, nu comme un ver, à courir de tous bords tous côtés en se frottant la bizoune devant au moins 200 élèves. On riait comme jamais. Et plus l'on riait, plus Toothpick beurrait épais. Tant et si bien que les surveillants de la cour de récréation constatèrent son méfait. Cette fois-là, il avait été trop loin et la directrice lui avait remis un billet à faire signer par sa mère. Il était écrit ceci sur le billet: «Votre fils a montré son zizi dans la cour d'école. Il sera expulsé de l'école s'il recommence.» Toothpick capotait un peu.

-Si je lui montre ce papier-là, ma mère va vouloir me tuer! Elle va m'fendre le crâne avec une pelle, la christ de folle...

-Ok, Toothpick, lui avais-je répondu. Passe-moé l'papier, j'vais imiter la signature de ta mère.

Je n'aurais jamais dû lui dire ça! Au cours des années suivantes, je passerais mes jours à signer des papiers pour Toothpick: «Votre fils a cassé la fenêtre, a fait exploser un bol de toilettes, a obstrué le tuyau d'échappement de la voiture d'un professeur avec une patate, a craché au visage d'un prof, a escaladé les murs de l'école, a mis le feu dans un hangar, a martyrisé un chat, etc.»

J'en avais un peu marre d'être l'agent de probation de Toothpick et de lui signer tous ses papiers.

Nous nous sommes donc séparés vers l'adolescence.

Toothpick était encore en secondaire un alors que j'entrais en secondaire quatre. Les petits coups de l'enfance ne faisaient plus son affaire. Toothpick avait besoin de relever de nouveaux défis. Il commença par des vols sans but, tout à fait gratuits, comme de remplir ses poches avec deux milles pesées pour la pêche, volées chez Canadian Tire. Il s'était fait prendre, cette fois-là, et il avait fait semblant de pleurer pour qu'on le laisse filer.

Le lendemain, Toothpick volait chez Zeller's, des jeux vidéos, puis chez Sear's et un peu partout quoi. Je n'aimais pas ça et je le fuyais de plus en plus. Voler n'était pas dans ma nature. Je tremblais comme une feuille à l'idée de me faire prendre. Tandis que Toothpick s'en foutait comme de l'an quarante.

Toothpick remplissait ses poches sans sourciller et revendait le produit de ses vols pour se payer des parties de jeux électroniques au casse-croûte de la rue Ste-Julie. Évidemment, il trouva un truc pour ne pas payer. Il collait un fil à pêche sur une pièce de vingt-cinq cents, avec du ruban gommé, puis il faisait remonter et descendre la pièce autant de fois que possible sur le senseur du jeu pour accumuler de 300 à 400 parties gratuites de Q-Bert ou de Donkey Kong, par exemple.

Comme nous passions toutes nos soirées-là, à se faire gaver de hot-dogs et de hamburgers payés par Toothpick, le patron finit par nous regarder d'un mauvais oeil, surtout qu'il n'y avait jamais plus que 2,75$ dans sa machine. Et vint le jour où Toothpick se fit prendre avec sa pièce de monnaie reliée à du fil à pêche. Il fit semblant de pleurer et, une fois de plus, il fût libéré sans trop d'anicroches.

Comme tous les propriétaires de casse-croûte de la ville l'avaient mis sur leur liste noire, Toothpick se lança à corps perdu dans la drogue, l'alcool, la colle et le PCP, faussement appelé de la mescaline. Le PCP, ou phencyclidine, est une drogue utilisée par les vétérinaires pour geler les chevaux. Les effets sur l'homme sont stupéfiants. Deux types pourraient se donner des coups de poing dans la gueule en riant, pendant dix heures, et rentrés à l'hôpital avec un sourire édenté, sans ressentir aucune douleur. Ça s'est déjà fait, évidemment. Le personnel médical du Pavillon Ste-Marie m'en est témoin. Et il y aurait tellement de conneries à raconter à ce sujet que vous feriez mieux de ne retenir que ceci: le PCP c'est d'la marde!

Avec ce mélange d'alcool, de colle et de PCP, Toothpick se sentit rapidement invincible. Il prit du galon dans la société des amis du crime. Tant et si bien que Toothpick devint un surnom qui pouvait susciter la crainte et la frayeur autour de lui. Tout le monde, bientôt, allait travailler pour Toothpick. Et tout le monde était mieux de lui démontrer du respect, sans quoi Toothpick jouerait de la lame ou de la fourchette.

Dans de pareilles conditions, je n'avais pas le choix de ne plus fréquenter Toothpick. Le crime me faisait peur. Et je voulais devenir avocat pour aider les exploités, les veuves et les orphelins.

Cela fait des années que je n'ai pas revu Toothpick. Qu'est-il devenu? Je ne sais pas. Aux dernières nouvelles, Toothpick vendrait de la poudre. Il aurait des maisons, des automobiles, des piscines, des femmes...

La dernière fois que je l'ai vu, c'était il y a quinze ans, sur la rue Champflour alors que je marchais vers le centre-ville, Toothpick sortait tout juste de prison et il m'avait serré la pince chaleureusement tout en m'invitant à aller faire un peu de poudre avec lui. J'avais refusé, comme un faux-cul.

J'espère que ce petit texte me réchappera auprès de lui qui, au fond, faisait pitié comme il a toujours fait pitié. C'était mon ami parce que je pouvais le protéger. Je l'ai perdu de vue parce que j'aurais dû vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec un douze à canon tronçonné sous mon lit pour me protéger des aléas de la vie de criminel.

N'empêche que Toothpick, quoi qu'on en dise, a été le plus formidable fouteur de merde que j'aie rencontré au cours de ma vie. Qu'il soit devenu un notable du crime est dans la suite logique des choses. Pourtant, si vous aviez connu cet enfant maigre, mal nourri, qui élevait ses parents tout seul, eh bien peut-être que vous y songeriez à deux fois avant que de hurler qu'il faudrait agrandir les prisons pour les remplir de racaille et alourdir leurs peines.

Petit détail à ajouter, Toothpick est un métis d'ascendance algonquine, comme moi. Sa grand-mère avait tout plein d'oiseaux et de capteurs de rêves dans sa maison, une vraie indienne, avec des tresses et des yeux en forme d'amande.

Si je le revois un jour, je lui dirai salut en algonquin, tiens. Kwey Toothpick! Et fuck le reste.

On se prendra une bière en écoutant Kashtin.

lundi 25 août 2008

Power to the People, les amis...


J'aimerais vous écrire quelque chose de substantiel ce matin, avec des anecdotes, de la poésie et tout le reste.

Malheureusement, je suis dans le jus.

Alors, je vais y aller de quelque chose de plus prosaïque, plus terre à terre, mais non moins essentiel.

D'abord, la pétition que j'ai pondue en deux temps trois mouvements suit son petit bonhomme de chemin vers une victoire absolue... au plan symbolique.

Il reste à voir ce que dira la ministre Normandeau, que j'ai rebaptisée Normandin dans ma pétition, par distraction. Il est impossible de modifier une pétition électronique une fois qu'elle est conçue. Il faut donc retripler d'attention avant que de la publier. C'est mon erreur. Il y a des gens qui m'appellent Gaétan Boucher pour les mêmes raisons que je change Normandeau en Normandin. Je ne suis pourtant pas un patineur olympique et la ministre n'est pas une chaîne de restaurants.

Je vous ai déjà dit que je voulais démontrer les contradictions du «système». Je maintiens cette approche dans le cadre de ma pétition. Je trouve incroyable que j'aie à me fendre le cul en quatre, en tant que citoyen, pour faire respecter les règles du jeu. C'est comme s'il n'y avait pas d'arbitre. Un maire peut-il faire ce qu'il veut dans sa ville, au mépris des règles du jeu démocratique? Peut-on refuser un référendum à 3015 citoyens qui en demandaient un quand il n'en fallait que 1917 pour l'obtenir? Peut-on le refuser sur la base que ces citoyens n'ont rien compris, qu'ils sont des syndiqués de la CSN ou des membres des communautés culturelles? Ce sont des questions à poser à la ministre Normandeau.

Je vais tout arrêter ça le 3 septembre, pour la première levée de pelletée de terre contaminée par le maire de Twois-Ivièwes. Si la ministre n'a rien fait d'ici là, c'est que nous sommes baisés jusqu'au trognon les amis. Il ne restera que les tribunaux. And I won't give a shit for that.

Heureusement que Mario Dumont appuie le projet Trois-Rivières-sur-St-Laurent. Ça prouve qu'il se torche lui aussi des règles du jeu. Et ça met en lumière que les dinosaures conservateurs et les adéquistes mènent le bal dans la capitale nationale du chômage. Ça promet en tabarnak!

Power to the People, les amis.

Bonne journée!

dimanche 24 août 2008

C'EST MISÉRABLE!


Cela faisait un bail que je n'avais pas mis les pieds au Cégep de Trois-Rivières. J'y suis allé récemment avec Massif, l'un des surnoms du fils de ma blonde, tout un colosse croyez-moi. Ce n'est pas pour rien que Massif était joueur de ligne offensive au football, puis passeur de ballon. Que de jeunes footballeurs j'ai vu détaler comme des lièvres, totalement apeurés, devant ce cher Massif qui courait après eux pour les terrasser brutalement d'un solide coup d'épaule. C'était le Super Bowl à chaque fois que nous allions le voir jouer en famille. «Let's go Massif!», que nous gueulions tous en choeur. Et maintenant, de voir Massif faire son entrée au Cégep, ça me fait un drôle d'effet. Comme si la roue de Cronos, alias Saturne, ça tournait trop vite... Je me fais vieux et Massif est devenu un homme.

Néanmoins, on aurait dit que rien ne change au Cégep. Les nouveaux étudiants, surtout les garçons, ont tous la mine renfrognée de l'adolescence, le vocabulaire restreint en présence d'inconnus, les boutons dans la face et tout le reste. Les filles semblent plus confiantes, la tête relevée, plus légèrement vêtues que les gars, cherchant à travers cette masse de jeunes hommes un regard auquel s'accrocher. C'est mon interprétation et elle ne vaut pas grand chose. Après tout, je n'ai pas étudié le sujet pendant des semaines. Rien de scientifique. Juste de l'émotion pure, parce que je suis un écrivain, pas une machine.

Moi et mon adorable Massif nous promenions à travers les corridors du Pavillon des Humanités du Cégep de Trois-Rivières en nous comptant toutes sortes de blagues pas rapport. Je ne vous raconterai pas tout. Vous n'y comprendriez rien. Il est des complicités dans le rire qui ne s'expliquent pas. Un clin d'oeil, une mimique, un geste - et c'est la rigolade pure et dure, intense moment métaphysique, satoris qui valent bien des leçons à mon sens.
Pour son cours de littérature, on lui propose une édition tronquée du plus célèbre roman de Victor Hugo. Massif va lire Les Misérables dans sa version Sélections du Reader's Digest, ni plus ni moins.

Évidemment, ça m'a fait sauter les plombs. Ce qui m'a permis d'enseigner un peu de sens critique à Massif, qui se demandait par ailleurs s'il y avait une machine à rootbeer au Cégep pour étancher sa soif.

Tout en cherchant une distributrice à eau gazeuse, je me suis lancé dans un de mes soliloques de vieux freak sur Les Misérables en version allégée, avec 60% moins de gras, passant de 879 pages à 182, ce qui est tout à fait misérable et parfaitement nul en termes d'éducation. Le professeur de littérature qui fait lire Les Misérables en version allégée ne sera jamais rien d'autre qu'un enseignant, un plouc qui communique juste ce qu'il faut de matière pour collecter son salaire.
-Massif! que j'ai dit à mon joueur de football préféré, ne sois pas étonné, dans tes études, qu'on vous prenne parfois pour des cons. Vous faire lire des extraits du roman Les Misérables plutôt que lire le roman en entier, je trouve que c'est manquer de respect envers votre intelligence. Comme si vous n'étiez pas assez brillants pour lire un roman de 800 pages, ne serait-ce qu'une seule tabarnak de fois dans votre vie!

-Ouin, c'est nul, j'avoue, opina Massif du bonnet. Au fait, 'est où la machine à liqueurs?

-Les Misérables, c'est un christ de bon roman, Massif. Ça raconte l'histoire d'un plein d'marde, d'un hostie de crosseur, d'un bandit, d'une charogne, d'un manipulateur, d'un menteur invétéré, bref d'un restant de prison qui devient juste et bon. Un homme, un jour, lui fait du bien alors qu'il aurait toutes les raisons de le faire crisser en prison. Il l'avait accueilli la veille, pour une nuit, et c't'hostie de plein d'marde, Ti-Jean Valjean, s'est enfui le lendemain avec tous les ustensiles qui brillent un peu pour les r'vendre au pawnshop. Valjean se fait pogner par les boeufs et il dit que c'est le type qui l'a hébergé, la veille, qui lui a donné ces chandeliers en or et cette belle coutellerie. Et...

-'Est où la machine à liqueurs? Y'a-tu d'la rootbeer que'que part?

-...et là, on le ramène menotté devant le gus qui l'a hébergé la veille. Les policiers lui racontent que Valjean prétend que les chandelliers et la coutellerie lui avaient été donnés. Le gus, l'évêque de Digne, un chrétien comme il ne s'en fait plus, couvre le mensonge de Valjean pour le sauver du bagne et des galères. Dans c'temps-là, tu volais un oeuf pis tu faisais vingt-cinq ans de travaux forcés...

-Vingt-cinq ans! Putain! ajoute Massif, par politesse.

-...et là, Valjean capote. Une fois que les boeufs l'aient relâché, n'ayant aucun motif de l'arrêter, Valjean demande à l'évêque pourquoi tout ce cirque. Il est vraiment un bandit, Valjean, et il pourrait même égorger l'évêque, drette là, sans sourciller, en partant avec tout son cash, en plus des chandelliers et de la coutellerie, parce que Valjean n'est qu'un hostie de crosseur. L'évêque de Digne reste digne. Et...

-Y'est plutôt dingue ton évêque, mettons...

-...et il lui accorde une seconde chance. Et tu sais quoi?

-Oui, j'ai vu le film. Il va travailler, puis devenir propriétaire d'un atelier, pis d'une usine. Il va devenir maire de la ville. Pis y'aura toujours un flic à face de rat à ses trousses, toute sa vie. Plus une petite fille qu'il ramasse chez des gens qui abusent d'elle...

-Ok Massif. On va arrêter là notre cours de littérature.

Comme il n'y avait pas de rootbeer au Cégep, nous sommes allés au dépanneur, au centre-ville, pour s'en acheter de la fraîche, de la vraie, bref de la rootbeer A&W.

Il faisait chaud. Elle coulait bien en calice.

-Tu sais quoi Massif?

-Burp! Quoi? me dit-il en rotant sa première gorgée.

-J'pense que t'es mieux d'apprendre le plus possible par toé-même. Si t'as envie de te claquer Les Misérables au complet, vas-y fort. T'es pas obligé de ne lire que la version pour les nuls. Fais-les chier d'aplomb Massif. Lis Les Misérables au complet...

-J'avoue qu'ça s'rait pas mal chien d'leur faire ça.

Nous avons poursuivi notre chemin jusqu'à la maison, en rigolant un bon coup, avec notre rootbeer noire qui absorbait tous les rayons du soleil tandis que nous bloquions tout le trottoir en marchant côte à côte. Massif lâcha quelques rots tonitruants pour m'impressionner.

Ces rots m'ont permis de comprendre que l'éducation est un ensemble de facteurs. Et qu'il vaut mieux roter comme un porc, même en public, que de faire lire Les Misérables en version Sélections du Reader's Digest, comme si l'on traitait les étudiants comme une bande d'abrutis.

samedi 23 août 2008

À Twois-Ivièwes, en 1984, quand Céline Dion chantait «Une colombe»


C'était en 1984. Céline Dion chantait Une Colombe au stade olympique, devant le pape Jean-Paul Deux.

Bruce Springsteen, lui, chantait Born in the USA, un hymne aux prolétaires bien plus qu'un hymne chauvin.

Pour les gars de mon patelin, qui ne comprenaient pas trop l'anglais, l'hymne de Springsteen voulait seulement dire que les Américains étaient number one et que l'on ne voulait pas vivre toute sa vie en losers.

La mode était donc à gueuler Born in the USA tout en portant des vêtements dits «rebelles» pour une raison qui m'échappe.

Les jeans et les chemises des rockers du ghetto de mon enfance, Notre-Dame-des-Sept-Allégresses à Twois-Ivièwes, étaient bariolées aux couleurs du drapeau étasunien. C'était ça, le look «rebelle», au temps de Ronald Reagan et Brian Mulroney.

Moi, j'étais encore aux couleurs de Paul Piché, la chemise à carreaux et les bottes Kodiak à embouts d'acier galvanisé au cas où il y aurait de la bagarre, sait-on jamais. J'étais encore un jeune garde bleu de la révolution tranquille.

Je m'apprêtais à muter en punk bon chic bon genre, trop propre pour faire vrai, mais ça c'est une autre histoire. Nous sommes encore en 1984, pendant la visite du pape. Et je suis un petit bum du quartier, plus en théorie qu'en pratique.

En 1984, comme c'est le cas aujourd'hui encore, Twois-Ivièwes était la capitale nationale du chômage. Les usines qui restaient debout étaient subventionnées à l'os pour maintenir une apparence d'industrie. Ça faisait dur. Le monde crevait de faim. Des pères de famille se pendaient dans les sheds. Des mères de familles passaient out en gobant des pilules. Sale époque.

En 1984, c'était aussi le 350e anniversaire de la fondation de Twois-Ivièwes. J'avais même participé à un quizz historique télévisé, du genre Génie en herbes, qui s'appelait Salut Trois-Rivières!

Comme j'étais une bolle en histoire, on m'avait foutu là avec trois autres étudiants, dont mon meilleur ami, Frank Bill Bull, mon partenaire de brosse invétéré, un Charlie Chaplin de visage comme de gabarit, un vrai comique au naturel. Avant le quizz, nous avions calé un peu de rhum Captain Morgan. Pendant le quizz, ça faisait bégayer Frank Bill Bull quand venait le temps d'épeler des noms de lieux. Maudite boisson!

Maudite émission itou. Le feu avait pris dans le studio, dans le panneau de contrôle situé sous la table derrière laquelle j'étais assis. Le panneau de contrôle faisait broche à foin et le foin avait pris en feu. Nous avions tout de même gagné la partie. Cependant, comme c'était tourné en différé, l'animateur du quizz nous dit qu'on allait recommencer la partie le lendemain. Il ajouta qu'il faudrait nous vêtir de la même manière et que nous allions reprendre seulement les cinq dernières minutes où l'on nous voyait dans un nuage de boucane, ce qui ne pouvait pas passer à la télé pour des raisons esthétiques. En portant les mêmes vêtements, pour reprendre les cinq dernières minutes, nous gagnerions quand même la partie. Captain Morgan nous avait aidé à prendre une confortable avance.

Le lendemain, les étudiantes de l'autre équipe étaient toutes vêtues différemment de la veille. Elles étaient rusées. On a tout repris depuis le début et, sans l'aide de Captain Morgan cette fois-là, nous avons stupidement perdu.

Je ne suis pas là pour me plaindre de ce foutu quizz. Pardonnez-moi cette digression, mais je vous raconte 1984 tel que je l'ai vécu. Et je ne veux pas y revenir deux fois. Donc, aussi bien régler le cas de 1984 tout de suite.

1984, c'était aussi le pire creux de vague du mouvement indépendantiste québécois. René Lévesque, roi Lear désabusé, fumait cigarette sur cigarette. Il s'allumait avec son botche et il crachait vert. Pierre-Marc Johnson allait bientôt devenir Premier ministre. La social-démocratie québécoise s'acoquinait avec les conservateurs fédéraux. Reagan au pouvoir. C'était vraiment un temps nul à chier.

Pour la venue du pape, à Twois-Ivièwes, les autorités incompétentes avaient fait quelques rénovations de dernière minute. On avait peint et replâtré la moitié du tunnel de la rue St-Maurice, celle que le pape pourrait voir, bien entendu.

On avait laissé le plâtre décrépit et les graffitis sur l'autre moitié. Tout le long du passage du pape avait été passé au peigne fin, repeint, revampé, décoré des drapeaux jaune et blanc du Vatican. Comme dans un pays du Tiers-Monde, où l'on met de gros panneaux publicitaires pour cacher le bidonville, quoi. Et ce qu'on cachait, en fait, c'était mon quartier.

Jean-Paul Deux arriverait à la gare de Twois-Ivièwes vers 14h00. Puis, à bord de sa papemobile blindée, il emprunterait les rues Champflour, St-Maurice, Notre-Dame, jusqu'au Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap où l'attendrait une marée de vieillards et de bons catholiques, dont mes parents, bénévoles pour l'événement.

J'étais à cette époque athée comme une roche. Aujourd'hui, je suis athée comme un oiseau. Comme quoi je m'approche moi aussi du Ciel, à ma manière.

J'ai le même âge que Céline Dion. Elle est née en 1968, comme moi. Pourtant, en 1984, je n'étais pas du genre à chanter Une colombe devant le pape. J'écoutais 1812 de Tchaïkovski tout en lisant des pamphlets révolutionnaires de la collection des classiques anarchistes édités par la maison d'édition Spartacus. J'étais un original. Et je m'amusais à faire pomper mes parents en disant que le pape pouvait bien manger de la marde pour son opposition au sexe avant le mariage, à l'usage de moyens de contraception, à l'interdiction de l'avortement. Et je mettais toute la gomme, bien sûr, en reprenant tous les sales coups de l'église catholique, de Paul de Tarse à nos jours. J'étais assez con pour avoir lu la Bible et la critiquer du tac au tac, avec Voltaire dans ma manche et Nietzsche dans l'autre.

Mes parents, bénévoles pour l'événement, contenaient en quelque sorte les curieux qui s'entassaient sur les trottoirs tout au long du trajet de la papemobile.

Pendant ce temps, avec mes copains délinquants, sur nos bicyclettes, nous nous amusions à sacrer à voix haute en nous criant des insanités, juste pour troubler un peu les chastes oreilles des dévots.

-Yes! Hostie d'trèfle! Le pape va v'nir à Twois-Ivièwes, i' va mettre d'la dèche partout! Tabarnak! Calice! Ciboire! Sacrement! St-Chrême! Christ!

Pour mes lecteurs d'outre-mer, cela signifie à peu près ceci: «Oui! Ducon-Lajoie! Le pape va éjaculer à Trois-Rivières! Il va répandre son sperme partout! Tabernacle! Putain d'enfoiré de mes deux! Suce-balustre! Curé! Calotté!»

Évidemment, quand le pape passa devant nous, nous lui tendîmes le majeur pour répondre à ses salutations de la main.

-Fuck you l'pape tabarnak! disais-je avec mes potes qui portaient tous des pantalons d'édu en coton ouaté, avec leur surnom écrit en grosses lettres de vinyle blanc sur le côté: Ti-Kas, Ti-Ouin, Ti-Caille. Je me gardais une petite gêne à ce sujet. Boutch, c'était mon surnom, avait un peu plus de classe, que voulez-vous. Je ne l'écrivais pas sur mes pantalons.

Le pape ne pouvait pas nous en vouloir. C'était évident que nous provenions d'un milieu défavorisé, là où la croyance n'est pas toujours très vivace, où l'incrédulité et l'athéisme font des ravages irréparables.

J'ai terminé mon récit, tiens. Ça s'est encore écrit tout seul, les deux doigts dans le nez.

C'était la fois où j'ai vu le pape Jean-Paul Deux. Et je n'ai rien trouvé d'autre à lui montrer que mon majeur, tendu bien haut.

Demain, ou bientôt, je vous raconterai la fois où j'ai vu Élisabeth Deux. Ce sera pissant aussi.

J'suis pas méchant, juste un peu con. Je m'excuse si cela vous offense. Je n'avais même pas encore 18 ans. Hého. Si t'es pas un peu con à cet âge-là, tu seras toute ta vie un crétin de premier ordre.

Je n'en veux plus au pape Deux. Ma blonde s'appelle aussi Carole. Ça dit tout.

***

Je me relis et je me dis, en moi-même, hostie qu'j'ai pas d'allure...

Ok. Bye!

vendredi 22 août 2008

LA JUSTICE AVEC UN GRAND J


J'ai vu la Justice une fois dans ma vie.

La Justice avec un grand J.

C'était à Prince George, une petite ville au nord de la Colombie-Britannique. Au printemps de 1993, si je me souviens bien.

J'étais en voyage désorganisé avec deux hippies rencontrés à Vancouver. Ce fût tout un voyage, mes amis. Nous étions montés jusqu'en Alaska, en passant par le Yukon.

Nous nous trouvions tous trois à Prince George, une ville forestière, pour se reposer de la route pendant au moins une soirée. Nous avions loué un espace sur un terrain de camping pour planter nos tentes. Bien sûr, nous pouvions planter nos tentes dans la nature. Mais il faisait encore froid la nuit et se laver à l'eau glaciale n'était pas toujours apprécié. Au terrain de camping de Prince George, nous pourrions à tout le moins prendre une bonne douche et boire une ou deux bières auprès du feu tout en jouant de la musique.

C'était la saison du treeplanting qui débutait. Des tas de treeplanters avaient dressé leur tente sur le terrain de camping où nous étions ce soir-là. Ils devaient être près de deux cents.

Deux d'entre eux, des Québécois, vinrent me demander du feu.

-Sorré bodé botte dou you have fayeur?

-Vous parlez français? demandé-je.

-Comment tu sais ça? J'ai-tu un si gros accent qu'ça, me dit le plus grand des deux, un punk, avec un mohawk vert.

L'autre avait la boule à zéro. Tous deux portaient des tee-shirts de groupes punk déchirés. Je leur offris du feu à même une brindille plongée dans le feu de camp et, plutôt que d'allumer une cigarette, mes compatriotes allumèrent un joint. Je ne sais pas ce qu'ils ont à fumer tout le temps sur la côte Ouest, mais c'est comme ça. Il faut bien se faire aux coutumes locales de chaque tribu.

Donc, mes deux Québécois fumèrent leur joint et me racontèrent leur vie de treeplanter. Cela semblait infernal. Il fallait produire son quota, sans quoi la compagnie ne te payait rien, considérant qu'elle t'offrait de la nourriture et une place pour aller chier assis. Ils passaient toute la journée sous la pluie ou le vent fort, les deux pieds dans la vase, à planter des pousses de conifères ou de feuillus. Ils toussaient. Avaient toujours froid. Et le foreman gueulait tout le temps.

Comme ils m'expliquaient les dures réalités de leur métier et l'impasse de leur vie, un gros camion rouge fit son entrée sur le terrain de camping.

-Hostie! dit le punk chauve. C'est l'foreman! J'espère qu'i' m'parlera pas parce que j'suis gelé tight en tabarnak! Hoo man! It's too crazy! I'm flying out!-Calme-toé Buzz, lui dit le punk au mohawk vert, alias Jean-Daniel. J'vais lui parler au foreman. Pis y'est ben mieux d'nous payer le christ de sale!

Le foreman, un gros cave à la mine sévère d'imbécile malheureux, stoppa son camion dans un nuage de poussière. Puis il monta dans la boîte de son pick-up et, porte-voix à la main, il gueula ses ordres quotidiens.

-Some of yours didn't work enough and won't be paid! gueula-t-il. We're not a charity organization! You've got to work hard if you really want to keep your job. Otherwise, you'll be fired!Quel crétin! Pas de bonjour comment ça va. Juste grimper dans son pick-up et gueuler des ordres à cent personnes. Ce gros christ de niaiseux ne se rendait pas compte du danger auquel il s'exposait, me disais-je. Personne n'aime ça se faire traiter comme de la merde. Et il faut toujours s'attendre à ce que la majorité ne soit pas toujours silencieuse et amorphe.

Comme ce soir-là, justement. Le soir où j'ai vu qu'il y avait une Justice ici-bas. Une Justice avec un gros fucking J.

Le gros con continuait de gueuler ses ordres dans son porte-voix quand je vis trois camions foncer à pleine trombe vers son camion. Il devait bien y avoir une vingtaine de personnes. Tous de gros types avec de très gros bras.

Ils freinèrent devant le pick-up du foreman. Deux d'entre eux grimpèrent dans la boîte du pick-up. Le plus gros des deux, un colosse de type ukrainien, 6 pieds 5 pouces, trois cents livres, prit le porte-voix tandis que l'autre crissait un puissant coup de pied au cul du foreman et le sortait manu militari de la boîte du pick up. C'était comme dans un film muet des années folles.

-Ok guys! dit le colosse aux treeplanters, dans le porte-voix. You've got rights! You don't have to let them piss you off, y'know. So, if you want to stand up in front of those goddam cocksuckers, let me tell you, guys, there's no way like to sign up your card. The union will work for you, guys, for your rights, for your fuckin' money! Those ass-holes won't do nothing against you, guys! They will pay you, that's for sure!

-Yes sir! Hurray! les treeplanters gueulaient comme des malades en signant les cartes de membres du syndicat.

C'était le plus beau soir de ma vie, je vous jure. J'avais rêvé de voir ça une fois dans ma vie, des travailleurs qui se réveillent, qui ne se font plus engueuler par des trous de cul vulgaires et grossiers, sans politesse, sans rien de ce qui fait un grand homme quoi.

Le foreman, dépité, s'en allait sous le mépris absolu des treeplanters. Il avait l'air encore plus trou du cul. Ah! le pitoyable destin des boss de bécosse...

Il se faisait traiter de tous les noms, de sale porc répugnant, de crosseur, de lèche-bottes, de liche-cul, de tout ce que vous voudrez. La mine basse, se massant les fesses d'une main pour engourdir la douleur, il s'appela un taxi à l'accueil pour revenir à la maison. Il comprenait que ce n'était pas le temps de jouer au fanfaron. Il aurait pu finir pendu à un arbre. Pendu à un arbre par des treeplanters en colère, ç'aurait été une fin de carrière tragique.

Je ne sais pas ce qui s'est passé par la suite puisque le lendemain matin nous reprenions la route.

Je ne suis plus jamais repassé par Prince George.

Je me plais tout de même à croire que ce soir-là, j'aurai vu la Justice au moins une fois dans ma vie.









jeudi 21 août 2008

Let's go Djo calice!

Ma première vraie job consistait à remplir des frigidaires de bière et d'eau gazeuse, des racks à chips, des présentoirs à bonbons vendus à l'unité. Je devais avoir douze ou treize ans. Une vingtaine d'heures par semaine. Bref, j'étais commis de dépanneur. Et, pour couronner le tout, je livrais de la bière et de petites commandes d'épicerie. Je faisais ça à pied. Le dépanneur n'était pas assez riche pour avoir un vélo.

Puis j'ai pris du galon. Je suis devenu crisseur de sacs au supermaché de mon quartier. Autrement dit j'étais commis à la caisse. Je remplissais les sacs et j'allais les porter aux voitures. Cela me donnait quelques pourboires, de quoi m'abreuver d'une quille ou dix au Gosier, bar que je fréquentais à l'époque. Cela finissait toujours par défoncer les poches de mon pantalon, toute cette menue monnaie. J'avais la technique pour recevoir du tips: un sourire, quelle belle journée aujourd'hui, hein, et hop par ici les beaux trente sous. Merci beaucoup. À la prochaine. Au revoir.

À tous les mardis soirs, après la fermeture, je lavais les planchers et les bécosses du supermarché avec deux autres camarades, dont l'un d'entre eux, appelons-le Jean, un cousin par alliance, qui me faisait rire comme pas un au travail.

Travailler avec Jean, c'était toujours super. Je savais que j'allais pas m'ennuyer et qu'il se passerait quelque chose. D'abord, il a la face qui porte à rire. C'est comme Olivier Guimond. Tu lui vois la face et tu ris, parce qu'il a le sens du comique quoi, quelque chose d'inné.

Les mardis soirs, Jean mettait le paquet pour faire rire.

Le bureau du boss surplombait le plancher. Monter au bureau, c'était vraiment monter chez Dieu et il fallait presque marcher sur la pointe des pieds. Évidemment, nous avions l'extrême privilège de pouvoir y aller pour vider les poubelles et nettoyer les bureaux.

Au Ciel, c'est-à-dire au bureau du boss, il y avait aussi un micro à travers lequel l'on pouvait lancer les ordres appropriés: un commis est demandé au département des fruits et légumes, à la boucherie, dans le stationnement, etc. Quand le boss était sur le plancher, sans le micro, il nous appelait tous Djo. «Djo, fais-ci, Djo, fais-ça!» Il ne nous appelait jamais par notre prénom, les minables commis, non, mais toujours Djo, juste Djo et jamais plus que Djo.

Jean brûlait d'essayer le micro ce soir-là. J'étais en bas, en train de passer la moppe quand, tout à coup, Jean fit résonner sa voix dans les hauts-parleurs.

-Enwèye Djo tabarnak! Ramasse la marde Djo! Torche la bolle Djo! Let's go Djo calice! Travaille hostie de Djo! disait Jean, au micro, en imitant la voix colérique du boss.

Je riais en saint-chrême, croyez-moi.

Mais mon rire se coupa d'un coup, tout net. Une clé tournait dans la serrure de la porte. Il faut dire que le boss nous enfermait dans le supermarché. S'il y avait eu un feu, nous aurions dû péter la vitrine pour sortir. Généralement, on ne le voyait pas avant huit heures. Ce soir-là, il était en avance. Et Jean, qui ne faisait que commencer son show, ne savait pas encore que le boss était entré.

-Enwèye Djo tabarnak! Ramasse la marde Djo! Torche la bolle Djo! Let's go Djo calice! Djoooooooooo!

-Qu'est- qu'tu fais là toé? lui hurla le boss.

Et là, Jean, dans un éclair de génie, continua au micro:

-One! Two! Testing! One! Two! Testing! Je suis en train de tester le micro, boss! One! Two! Testing!

La suite de l'histoire s'est passée au bar Ailleurs, un bar «heavy mental» de la rue Notre-Dame, où nous avons trinqué et rigolé tout en nous appelant Djo l'un et l'autre.

-Chu saoul en christ Djo!

-Moé 'ssi Djo!

mercredi 20 août 2008

L'été à St-Roch-de-Mékinac


C'était l'été et l'existence était douce.

Les poissons sautaient à la surface des eaux vertes de la rivière Métabéroutin.

J'avais le privilège de conduire seul ma propre barque et je ramais sur la rivière avec la joie au coeur.

J'étais un Indien. J'étais Radisson. Bref, je n'étais pas encore moi-même. J'étais jeune et je me contais des pipes, ce qui était plus facile que de m'en faire moi-même, hého, je ne suis pas si acrobate.

Pour manger, je n'aurais qu'à attraper du poisson. Ou bien qu'à récolter des mûres ou des bleuets. L'autarcie m'était accessible, enfin.

Pour finir, je plongerais dans la rivière pour me rafraîchir un peu et je contemplerais les arbres du Parc National de la Mauricie, sur l'autre rive, l'eau dégoulinant sur mon visage, le soleil cuisant ma peau de Métis.

Ah! ces étés à St-Roch-de-Mékinac, au chalet de mon parrain et ma marraine...

L'autre partie de l'escapade, c'était de faire les quatre cents coups avec mon cousin et mon frère benjamin. Nous nous suivions tous d'un an et faisions tout un trio: le cousin étant le plus vieux, puis moi et enfin mon frère. Moi et mon frère nous foutions des taloches pendant que mon cousin tentait de nous séparer.

Le ski nautique parmi les pitounes (billes de bois) qui flottaient sur la rivière à cette époque, au début des années '80 , c'était tout un sport extrême.

Je vous avouerai que j'étais plutôt maladroit à ce sport. Comme j'étais déjà gros et grand, c'était un peu comme si le moteur vingt forces du yotte ne voulait plus tourner. J'enfonçais dans l'eau plutôt que de surfer sur les vagues et les pitounes. Et quand c'était le temps de remonter dans le yotte, ma christ de grosse veste de flottaison jammait en-dessous. Ce qui fait que l'on me remorquait jusqu'au quai, comme une baleine. Ce qui, vous l'avouerez, était plutôt humiliant. Mon cousin et mon jeune frère se foutaient de ma gueule et, aujourd'hui encore, chaque fois que je les vois ils m'humilient avec cette histoire que je dois aujourd'hui vous raconter, comme si j'étais en thérapie.

***

Cela fait vingt ans que les pitounes ne flottent plus sur la rivière, grâce aux actions des environnementalistes.

Pour moi, malgré les pitounes et la puanteur qui s'en dégageaient, St-Roch-de-Mékinac était tout ce que je pouvais me représenter du paradis terrestre.

En fait, c'était la porte du paradis.

Le paradis était sur la rive ouest de la rivière, du côté du Parc National de la Mauricie.

J'approchais de l'âge où je pourrais parcourir ce parc d'une extrémité à l'autre, dans toutes les directions, à pieds, à bicyclette, à la nage, en canot et en portage.

Tout mon entrainement physique convergerait vers ces buts: l'autarcie, la nature et le paradis terrestre.

Le Parc National, c'est mon Rosebud, pour ceux qui se rappellent le film Citizen Kane.

Pour les autres, eh bien, c'est un christ de beau spot.

Voilà.

mardi 19 août 2008

L'ASSEMBLÉE ÉTAIT «PAQUETÉE»* ET JE N'ÉTAIS PAS ASSEZ SAOUL POUR RESTER

*En politique, une assemblée paquetée c'est une assemblée remplie des amis, des amis, des amis des élus. Le paquetage d'assemblée se pratique fréquemment dans les caisses populaires, les commissions scolaires, les organismes communautaires et les conseils de ville.

Je suis allé hier à la réunion du conseil de ville de Trois-Rivières malgré les avis de certains de mes proches qui prétendent que les dés sont joués d'avance et que ça ne vaut pas le déplacement.

Ils avaient tort. Ça valait le déplacement. Pour un chroniqueur et caricaturiste comme moi, toujours à l'affût de quelques têtes loufoques, j'étais agréablement servi.

Prenons d'abord ce conseiller municipal dont le nom m'échappe. Il a tout de la physionomie du rat, les yeux, les dents, l'appétit, tout. Il pianote sur le clavier de son portable devant ces pauvres hères venus dont ne sait où qui s'entassent dans la salle. Il ne sourit pas. Les traits de son visage sont flasques et méchants. Il vous foutrait trois cents barrages sur la rivière Métabéroutin (anciennement St-Maurice) s'il le pouvait.

Je suis assis avec les policiers, en avant. J'aime avoir les forces de l'ordre de mon côté, sait-on jamais. J'essaie tant bien que mal de les convaincre que le conseil de ville ne respecte pas les règles du jeu, que c'est anti-démocratique, et je ne leur parle même pas de Soljenitsyne ou Vaclav Havel, mais seulement de Vancouver et d'autres villes du monde civilisé où se tiennent fréquemment des référendums municipaux sur des questions de zonage ou d'emprunt de millions. Je leur ai dit aussi qu'une bonne révolution réussit quand les forces de l'ordre se rangent du côté des émeutiers, mais je sens bien que je vais trop loin. Pourquoi les embêter avec John Lennon, Power to the People, et tous ces trucs de hippie que j'ai dans la tête, hein?

Les charmants constables, deux puissantes armoires à glace déguisées en civil, ne sourcillent pas un moment devant mes arguments. Pourtant, je continue de parler avec eux, même si ça ne se fait pas. Toute personne intelligente sait qu'on ne doit jamais parler à un policier, même habillé en civil. Sauf moi. Moi j'aime bien leur parler. Pour comprendre pourquoi il ne faut pas leur parler. Et puis je suis moi-même une armoire à glace. Entre armoires à glace, on peut se comprendre que je me dis naïvement.

Tout à coup, j'aperçois le maire, ce petit coquin qui, caché dans une pièce située derrière les armoiries de la ville, jette un coup d'oeil furtif sur l'assistance pour voir si son monde est bien en place. Tout son monde est là, sa cour, ses courtisans, et quelques minables opposants dont moi qui rassure les policiers que je ne suis là que pour caricaturer le maire en train de sodomiser les citoyens de Trois-Rivières. Je montre aux policiers mes dernières caricatures, dont un conseiller municipal dessiné sous les traits d'un rat. Ils sourient à peine. Aucun sens de l'humour.

Les policiers me rappellent alors que le maire a été élu et que ce n'est qu'une infime partie de la population qui a signé le registre, à peine 3015.

L'un des deux policiers, le plus barbu des deux, sort sa calculatrice devant moi et me sort un chiffre minable pour me rappeler que je suis un opposant minable.

Je lui dis que les règles du jeu c'était 1917 signatures pour qu'il y ait un référendum. Pas 135 000.

Le policier, encore le barbu, me dit que même si l'on portait plainte devant le Ministère des affaires municipales et des régions (MAMR), pour exiger que la ville respecte la volonté des signataires du registre, eh bien ça prendrait deux ou trois ans avant que ça ne soit traité.

Putain! Je viens tout juste d'écrire une pétition, une forme de plainte adressée au MAMR. Et ça pourrait prendre deux ans?

Mes amis avaient bien raison de dire que les dés étaient pipés! Diable que je suis con!

Deux conseillères municipales dites «progressistes», qui m'ont tout l'air d'être des brebis perdues parmi une meute de loups, viennent dans la salle pour serrer la main des gens. Le policier barbu refuse de leur serrer la main: il est pour le projet Trois-Rivières-sur-St-Laurent et il n'est pas certain, ce fin renard, que nos deux conseillères en soient. Le doute plane. Et dans le doute, on ne serre pas la main.

Je doute moi aussi. Je me demande si elles sont du côté des signataires du registre. Je leur serre la main, parce que je sais vivre. Au fond, je les plains. Elles doivent endurer ça toutes seules tous les lundis soirs. Elles ont beau être payées pour ça que je vomirais partout si l'on m'obligeait un moment à tenir leur rôle.

Et le voilà enfin, celui que ses partisans attendaient tous, le maire en personne. Il a mis une belle chemise blanche et une belle cravate qui lui donnent l'air d'un point d'exclamation inversé.

Il entre. On l'applaudit. Belle mise en scène.

Je me met à lui crier «chou!», bien sûr, de même que je crie «chou!» à certains conseillers à têtes de rats dont la tête ne me revient pas. Ce n'est pas que je les trouve choux. Bien au contraire. Je trouve juste que la situation ne vaut pas ce tonnerre d'applaudissements. On se croirait à l'ouverture des jeux olympiques en Chine, comme si tout ça avait été préparé deux mois à l'avance.

Comme je vois que les policiers deviennent nerveux de me voir hurler «chou», tout fin seul, sous l'oeil attendri des caméras de télévision qui tiennent à immortaliser mon «dégoût», j'y mets toute la gomme. Aussi bien faire un bon show si les dés sont pipés.

Mes amis avaient bien raison d'être cyniques: c'est de la grosse christ de marde cette réunion. La salle est paquetée par les beaux-frères et les belles-soeurs des élus de Dieu. Le point portant sur le registre et le règlement d'emprunt est en 29e position: un point mineur parmi tant d'autres.

Je n'ai pas la patience d'attendre plus longtemps. Le conseil se torche du résultat de la signature du registre. Il se torchera aussi de quelque intervention que ce soit, surtout de la mienne. Alors je choisis la seule intervention qu'il soit possible de faire face à des gens qui ne respectent pas les règles du jeu. Je me lève, devant l'assemblée, et je sors en criant que la salle est paquetée par les partisans du maire.

-Hostie d'crosseurs! Gang de mange-marde! que j'ajoute en sortant, tout en me frayant un chemin dans la foule qui obstrue la sortie.

Il est d'autant plus important pour moi de rappeler ces vulgarités qu'elles ne figureront probablement pas dans les journaux locaux. Je me permets cette audace parce que, même si je sais vivre, je proviens d'un milieu populaire où l'on pense que tous les politiciens sont des crosseurs. C'est un défaut génétique, j'imagine.

Je maintiens toujours ma pétition, même si je sais d'avance que les dés sont pipés. Mes proches ont raison, c'est vraiment d'la grosse christ de marde, mais je dois poursuivre naïvement ma démarche, par pur instinct.

Je le fais pour démontrer les contradictions du système. Si, si. Je veux savoir jusqu'à quel point l'État protège nos foyers et nos droits. Je suis curieux de nature. On va tous apprendre quelque chose de ça, surtout si ma pétition se terminait en queue de poisson, du genre tu peux te torcher avec ta pétition, la ministre a regardé le dossier et le maire n'enfreint pas vraiment la loi parce que blablabla, turlupinpin, pouetpouet.

On prétend vivre dans une démocratie parlementaire et tous les jours les lois et les règles sont violées par les élus, qui font appel à mille et un subterfuges pour confiner au niveau symbolique le pouvoir populaire.

Je n'irai plus perdre mon temps aux réunions de l'hôtel de ville, parmi les renifleurs de pets du maire.

Je suivrai dorénavant le conseil de mes amis. Tiens toi loin de la marde, ça pue.

Mets-leur des pétitions dans les jambes, des caricatures ou des textes rigolos.

«Les pauvres ne savent pas s'organiser, sont toujours cassés.» Bien dit, Plume.


***

PS: Propos tenus par le maire Yves Lévesque, hier, rapportés par Paule Vermot-Desroches dans l'édition papier du quotidien Le Nouvelliste ce matin, page 2: «On est en campagne électorale. On peut très bien aller en référendum, mais l'opposition va s'organiser et nous allons le perdre.»

C'est une hostie de bonne raison pour ne pas tenir un référendum.

Je vous laisse aussi sur cet article de Martin Francoeur, dans Le Nouvelliste. On y parle d'un citoyen, un certain Gaétan Bouchard, qui a foutu le camp au début de l'assemblée en criant que la salle était «paquetée».

Il ne manque que la suite, quand j'ai crié «Hostie d'crosseurs! Mangeux d'marde de christ! Ciboire de baveux!»

Les conseillers trifluviens André Noël, Françoise Viens et Sylvie Tardif méritent quelques éloges, compte tenu des circonstances. Ils devraient songer à former un parti municipal. Plusieurs les suivraient en ce moment même. Pourquoi pas le Forum Civique de Trois-Rivières, tiens?



lundi 18 août 2008

Trois-Rivières-sur-St-Laurent ou Trois-Rivières-sur-Magtogoek?


Il y aura une réunion à l'hôtel de ville de Trois-Rivières ce soir.

Le conseil de ville devrait voter sur l'emprunt ayant trait au projet Trois-Rivières sur St-Laurent.

On sait que le conseil de ville n'a pas reconnu la victoire des 3000 signataires du registre, une victoire qui devait se concrétiser par la tenue d'un référendum sur ce projet. Le gouvernement municipal se torche le cul avec le registre et fait un doigt d'honneur aux 3000, alors qu'il ne fallait que 1917 signatures pour obtenir un référendum... Non mais, ça prend vraiment une gang de baveux...

Le conseil de ville n'a pas respecté les règles du jeu. Personne ne s'en étonne. C'est comme pour la marde au fond. C'est normal que la marde pue.

Au nom de mes ancêtres algonquins, qui ont foulé le site de Trois-Rivières-sur-St-Laurent bien avant qu'il ne soit contaminé, je me sens le devoir de me tenir debout, bien droit, une fois de plus face au grand fleuve Magtogoek.

Le conseil de ville doit être au service des citoyens. Ce ne sont pas aux citoyens d'être au service du conseil de ville. Hugh. Iro. J'ai parlé.

La réunion aura lieu à 19h30. Les portes de l'hôtel de ville de Trois-Rivières seront ouvertes à compter de 18h15. Pourquoi si tôt? Le nombre de places est limité dans la salle du conseil...

Kwey!