samedi 29 mai 2021

Je ne suis pas impartial


J'emprunte souvent la rue Hart pour rejoindre la piste cyclable près de la rivière Tapiskwansipi, appelée Saint-Maurice sous l'ancien régime colonial. Cette rue a été nommée en l'honneur du premier député juif d'Amérique du Nord... Ezéchiel Hart n'a jamais pu siéger au parlement sous la pression des Patriotes. Trois-Rivières est une ville inclusive dans un monde qui, manifestement, ne l'est pas tant que ça.

Le Palais de Justice de Trois-Rivières se trouve au carrefour des rues Hart et Laviolette. Laviolette c'est le soi-disant fondateur de Trois-Rivières. D'autres prétendent que c'est Théodore Bochart. Il y a plus de 8000 ans de présence autochtone sur le site dit des Trois-Rivières, autrefois appelé Métabéroutin, c'est-à-dire «lieu où se déchargent tous les vents». 

Il vente toujours fort à attacher sa tuque avec de la broche dans le delta de la rivière. Mais l'Histoire ne pouvait commencer qu'avec Bochart, Tif ou Tondu... Pas avec ceux qui s'appellent tout simplement les «humains», entre eux, dans leur langue: les Atikamekws. Ni avec les Anichinabés. Ni avec les Innus. Ni avec les Haudenosaunees ou les Wendates. Parce que ces derniers ne polluaient pas les paysages avec le culte de la personnalité. Ils ne nommaient jamais un lieu en l'honneur d'un être humain. Ça manquait d'humilité et c'était interprété comme un mauvais comportement social. Ça laissa aux Européens le soin de tout nommer en leur nom, dont le continent lui-même, donné tout entier à Amerigo Vespucci. Exit l'Île de la Tortue et ses légendes. Nous sommes tous nés de la cuisse de Jupiter dorénavant. Notre histoire débute à Rome ou Saint-Malo. Jamais du temps où ce territoire venait à peine de se libérer de ses glaciers. Du temps où les premiers humains, nos frères et nos soeurs, foulèrent le sol vierge de la vallée du fleuve Magtogoek.

En passant à vélo par la rue Hart, puis par le Palais de Justice, je suis tombé un matin sur quelques Atikamekws qui attendaient à l'extérieur. J'ai pensé immédiatement à Madame Joyce Echaquan, une mère Atikamekw décédée dans des circonstances de portée criminelle. 

La malheureuse aura tout filmé avant de décéder. On a pu entendre des infirmières qui font honte à leur profession tenir des propos racistes et violents envers la patiente. 

Elles ne lui ont pas donné les soins nécessaires et l'ont carrément tuée. 

La coroner, Me Géhane Kamel, se fait critiquer pour son manque d'impartialité dans son traitement des témoins qui, manifestement, se conforment à la loi du silence de ce milieu toxique qu'est la santé publique au Québec. C'est vrai qu'elle ne s'appelle pas Bouchard ou Tremblay. Kamel, ça sonne moins impartial. Ça sonne trop sensible à l'apartheid occulté. Ça sonne comme si l'on reconnaissait l'existence du «racisme systémique», ce dont notre belle Laurentie ne veut pas. 

On se croirait à une commission d'enquête sur l'accident nucléaire de Tchernobyl. À entendre tous les larbins et les larbines du régime, conditionnés à penser dans un petit carré fleurdelisé, Mme Echaquan n'est pas morte. Ils ne savent pas qui c'est... Du racisme à l'hôpital? Jamais. Les infirmières auraient traité aussi salement une personne assistée sociale. Au fond, on en voulait seulement à sa condition de pauvre qui fait trop d'enfants... Tout le monde déteste les pauvres, non? 

Tout le monde déteste les enfants? Un petit peu s'ils ne sont pas du bon teint. 

Je reviens de ma randonnée à vélo, le coeur déjà secoué, et j'apprends que les restes de 215 enfants ont été retrouvés sur le site d'un ancien pensionnat autochtone à Kamloops, en Colombie-Britannique... 

Je suis démoli. Démoli par ce génocide qui eut lieu et qui se poursuit insidieusement, dans le déni, avec l'approbation du nationalisme le plus crasse qui soit, tissé de mensonges historiques, de raccourcis intellectuels pour pharaons modernes, de lieux communs dénués d'assises humanistes.

Vous voulez vraiment que je vous parle de réconciliation avec les Autochtones?

Je ne sais pas par où commencer moi-même.

Sinon par le commencement: rétablir l'humanité tant dans notre justice que dans nos rapports sociaux.

Il faut rabaisser le caquet des caquistes et autres néo-duplessistes qui entretiennent le déni du racisme et la toxicité de nos rapports sociaux. 

On avance jamais avec ceux qui reculent.

Je ne suis pas coroner. Je ne suis pas impartial. Je suis partie prenante pour le respect des droits civiques de tout un chacun, sans aucune exception.

Les Autochtones comme toutes les autres personnes marginalisées, en ont soupé de ce cirque conformiste et dégradant pour petits fascistes en format poche. Tout le monde fait partie de la fête ou bien nous allons casser votre party en tabarnak.

Il est plus que temps de cesser le niaisage.

Idle no more!


mercredi 26 mai 2021

Monsieur Ixe, chambre 234-B de la Résidence des Pimbinas

Monsieur Ixe habitait depuis peu à la Résidence des Pimbinas. 

Il avait été retrouvé au sol, à demi paralysé, dans son logement devenu plutôt insalubre avec le temps. Il y habitait seul avec une caisse de bière.

Sa voisine avait alerté les policiers, puis les ambulanciers étaient venus ramasser Monsieur Ixe.

Monsieur Ixe devait avoir dans les 80 ans. Alcoolique et anxieux de nature, il avait comme qui dirait pris sa dernière cuite. Et depuis son retour à la vie institutionnalisée, il pestait comme mille diables après tout un chacun et n'importe quoi.

Il était petit et chauve. Ça venait avec une panoplie de soins à n'en plus finir compte tenu de l'extrême dégradation de sa peau, de son corps, de ses yeux, alouette... Il était plogué de partout. Et rien n'était jamais à son goût. Surtout avec les femmes. Et les personnes de teint et d'accent étrangers.

-Hostie d'tabarnak c'est pas mangeable icitte calice!

C'était d'autant plus ironique que Monsieur Ixe s'était nourri très mal au cours des dernières années de sa vie. On ne peut pas dire que du ragoût de boulettes en conserve ce soit de la haute gastronomie. Pourtant, Monsieur Ixe n'était pas sans laisser son avis sur la cuisine de la résidence qui était somme toute potable et mangeable.

Monsieur Ixe pouvait sonner 36 fois d'affilée pour ceci ou cela. C'était souvent pour livrer un char de problèmes au personnel-soignant.

-J'veux pas être lavé par des Noirs! J'veux du monde normal! Sacrament! Hostie! Tabarnak!

Évidemment, on ne pouvait pas toujours l'accommoder. Ni protéger le personnel de la malveillance de Monsieur Ixe. Mais bon, Mustapha et Fatima étaient capables d'en prendre. Ils ne s'en laissaient pas imposer. Ils étaient l'avenir et lui le passé...

-Si je suis offusqué par quelqu'un qui a une maladie mentale, je dois me questionner sur ma propre santé mentale, répliquait tout bonnement Fatima. Mustapha acquiesçait. 

Ils demeuraient stoïques et impassibles devant Monsieur Ixe qui continuait son sale manège.

Monsieur Ixe faisait dans sa culotte. Il ne sentait plus ses sphincters et était désormais incapable de se nettoyer lui-même. 

D'autres que lui se seraient sentis une petite gêne. Pas lui. 

-Viens m'torcher tabarnak! J'encore la couche pleine hostie! 

-J'arrive Monsieur Ixe j'arrive...

-Ça fait une demie heure que j'attends tabarnak! Grouille-toé l'cul ciboire! Dans ton pays i' dorment-tu au gaz toute la journée ciboire?

-56 secondes monsieur. C'est chronométré sur mon bidule...

-T'as menti! Pis christ ej' chie-là tu voés bin tabarnak???

La merde lui coulait le long de ses jambes. Fatima l'essuyait. Mustapha nettoyait le plancher.

Monsieur Ixe, enfoncé sur la chaise d'aisance, se releva péniblement et fit caca sur le siège ainsi que sur le plancher. Fatima et Mustapha nettoyèrent à nouveau. Ils l'installèrent au lit et il fit encore dans sa culotte. Ils le changèrent. Il réclama de retourner sur la chaise d'aisance. Il se vida encore. Tartina le siège et le plancher... Le staff était à bout mais flegmatique, stoïque, positif malgré tout.

La famille de Monsieur Ixe s'en mêla. 

-Comment ça s'fait que vous prenez tant d'temps à v'nir quand mon père a l'envie d'aller aux toilettes?  Pourquoi c'est pas bon la nourriture? En tout cas on n'est pas bin bin contents d'vos soins! Ça fait dur!

-Si vous croyez qu'il n'est pas bien ici, il vous est possible de lui trouver une place ailleurs ou bien de l'emmener vivre avec vous, lui répondit sagement Muriel, la coordonnatrice.

Ils ne trouvèrent rien à redire...

Ils ne venaient jamais le voir. Ils n'avaient pas le temps. Mais ils en trouvaient pour menacer le personnel soignant. Ceux et celles qui lui achetaient des vêtements à la friperie parce que personne ne s'occupait de lui trouver de vêtements ou d'accessoires. 

-Au moins il aura d'quoi à s'mettre sur le dos, se disait Fatima. C'est un pauvre homme... Un cas de grande misère sociale...

Vraiment, ce n'est pas de la tarte travailler dans ce milieu.

Il faut faire face à des sommets d'ingratitude.

Et se donner du coeur à l'ouvrage pour recommencer le lendemain à soigner même ceux qui ne soignent pas leur langage et vous méprisent.

Par contre, c'est un privilège que de travailler avec des personnes qui ont le coeur à la bonne place. Cela permet d'oublier certains irritants que la pauvreté, la maladie et la misère rendent inévitables en certaines circonstances exténuantes...



L'histoire d'un ex-prof d'histoire du Québec


Victor Grenier-Plamondon était professeur d'histoire jadis. Il enseignait surtout l'histoire du Québec puisqu'il était unilingue francophone et, surtout, nationaliste à l'os.

-Chu nationalisse à l'os, qu'il disait. Le pays est tatoué sur mon bras!

Il ne portait bien sûr aucun tatouage. Il était bien trop douillet pour ça. Se faire piquer des milliers de fois par la même aiguille, vous n'y pensez pas?

Quoi qu'il en soit, il était nationaliste à l'os et enseignait avec zèle toutes les demi-vérités qu'il avait apprises par coeur. Bref, il voulait revoir sa Normandie et ravoir sa Laurentie. Ou quelque chose comme ça. (Lorsqu'on ne joue pas à ce jeu-là, il est difficile d'en démêler toutes les subtilités mentales...)

Victor y avait mis tant d'efforts que seul un salaud aurait pu venir lui dire qu'il avait tout fait ça pour rien. Il s'accrochait à son histoire comme s'il s'accrochait à son portefeuille. Il en vint à confondre avec le temps sa survie avec celle de la nation. Plus il vivait bien, plus la nation était sur le bon chemin. C'était l'évidence même, malgré quelques irritants, dont des gens qui n'avaient rien et lui reprochaient un peu tout.

-Jamais je n'abandonnerai mon Québec, mon pays, ma nation... S'attaquer à moi c'est s'attaquer à l'âme du Québec!!! Ne voyez-vous donc pas clair dans le jeu des quénédiennes et des hyènequizes?

Grenier-Plamondon se foutait évidemment des gens. C'était un radin doublé d'un rat. On lui connaissait peu d'amis, sinon des gens comme lui, opportunistes et ridicules, pas vraiment formés intellectuellement parlant, bouffis de lectures obligatoires, mais très fiers de montrer leurs médailles et leurs distinctions dérisoires.

-J'ai obtenu le premier prix de la Société indépendantiste d'histoire du Québec... La revue Action Patriotique a publié mon texte portant sur Bourassa le tricheur et Chrétien le menteur... J'ai été historien en résidence à Saint-Malo... L'Islam menace le Québec et la civilisation occidentale... Je suis ami Facebook avec MBC. Les gauchistes exagèrent et on devrait les faire taire quand je parle. Mon long poème patriotique «Ô toi mon Québec!» a été publié aux Éditions 1837...

Tout ce qu'il disait dégoulinait d'un je ne sais quoi d'hypocrisie et de collaboration avec les farces de l'ordre. On ne l'écoutait pas vraiment. On savait à l'avance ce qu'il allait dire. Tout un chacun connaissait les questions et réponses de son sacrement de bréviaire de larbin de la nation.

Victor était non seulement ennuyant comme dix, mais menteur comme vingt.

Et raciste par-dessus le marché. Sinon sexiste.

Victor aimait se pogner le paquet devant ses étudiants et ses étudiantes, en classe, pour se donner de la virilité facile, lui qui n'en avait pas tant que ça tout compte fait. Il faisait semblant qu'il avait un charme irrésistible avec son poste et son chèque de paie. Pourtant, chaque fois qu'il revenait de pisser on voyait un énorme rond de pisse bleu marine sur son éternel pantalon d'acrylique bleu pâle, du même bleu que son veston et sa cravate. Et puis, sans s'en rendre compte, il se décrottait le nez devant son auditoire et lançait ses découvertes sur les étudiants assis dans la première rangée.

On lui aurait sans doute pardonné d'être un gros dégueulasse. On ne lui pardonna pas d'être une vieille cochonnerie qui s'accroche à une idéologie surannée.

Victor étirait longuement ses phrases et multipliait ses remarques assassines sur l'immigration qui menace le Québec, sur les personnes transsexuelles, sur les lesbiennes radicales, sur les ceci ou les cela.

Tant et si bien qu'on a fini par voir sa tronche un peu hébétée sur les médias sociaux -et pas pour les bonnes raisons...

Ses étudiants en avaient plein le cul de ses remarques de connard, de son histoire de deux de pique. 

Aussi se chargèrent-ils de le filmer à son insu tandis qu'il tenait des propos racistes, sexistes et carrément fascistes.

-Les juifs avaient trop de pouvoir en Allemagne... Que pouvaient faire les Allemands, hein? Et puis on a beaucoup exagéré la Shoah... C'est comme pour les Autochtones. Ils ont toujours été bien traités sous le régime français... Il faut se méfier des gens qui veulent «canceller» l'histoire, annuler la culture, bon sang de bonsoir! On n'a pas à avoir honte de vouloir un pays pour les nôtres avant les autres!!!

La direction de l'école se sentit tenue de le sacrifier. Le syndicat aussi, malgré quelques molles protestations du péquiste qui avait été nommé président.

Grenier-Plamondon se retrouva le cul à l'eau, sans travail et sans trop de possibilités de réembauche compte tenu qu'il était maintenant une authentique célébrité dans le domaine du trou-du-cul-tisme.

Victor pesta encore plus contre les communistes, les fédéralistes et l'immigration.

Mais il n'avait plus les rênes du pouvoir.

Un de moins pour faire chier le Québec et ridiculiser les Québécois.

mardi 18 mai 2021

Dialogue dans un abribus sur le sens de la vie

 -C'est quoi pour toé el' sens d'la vie d'abord?

-Qui c'est qui a dit qu'la vie avait du sens? Moé j'me bâdre pas avec rien. J'fais mon affaire sans me d'mander de c'que c'est qu'les autres vont en penser... Chu en paix avec moé-même pis quand les autres me font trop chier, j'fais mille pas de côté. J'reste jamais dans l'champ d'tir longtemps... Tu m'fais chier? Bin chie tout seul hostie!

-Ouin... Moé j'aimerais ça me foutre de toutte... On dirait que j'pense trop... J'fais du pensi-pensa, comme qui dirait: chu trop pansu!

-El' cimetière y'est plein de gens qui se pensaient indispensables... Sont morts pis c'est toutte... Pis nous autres on vit pis c'est toutte aussi.

-Ouin. Mourir, c'est pas drôle, drôle...

-Vivre c'est bin plus drôle j'imagine, hein?

-C'est sûr, c'est sûr...

-Coudon' elle arrive-tu la calice d'autobus?

-Est en retard.

-Hostie d'christ...

-Faut pas s'en faire. I' fait beau au moins...

-C'est sûr, c'est sûr...

-Qu'est-cé tu penses du troisième lien?

-Du quoi?

-T'as pas lu les nouvelles?

-J'lis jamais Le Journal de Montréal pis les cochonneries de Québecor...

-Moé non plus. J'lis juste Le Nouvelliste.

-Moé j'lis Rimbaud...

-Rambo?

-Rimbaud. Un genre de poète... Un poète voéyou.

-Ah. Ouin. Moé pis les rimes, crime, ça rime en crime! J'suis un voéyou voyez-vous!

-Arf. Arf.

-En tous 'es cas. La bus va bin finir par arriver. Saint-chrême!

-J'cré bin qu'oui...

Les autos et les camions continuent de passer à vive allure sur le boulevard Gene-H.-Kruger, anciennement le Chemin du Roy. Kruger est devenu le nouveau roi de la ville. On lui doit cette légendaire odeur de soufre et d'excréments qui flotte en permanence sur Twois-Ivièwes.

Nos deux zigotos ne parlent plus. D'ailleurs ils ne s'entendent plus avec les trois camions qui grondent au stop.

C'est plutôt laid dans ce coin-là. Alors les zigotos regardent le ciel en renâclant un peu.

C'est mieux que rien, le ciel, les nuages.

Tout le reste est plutôt laid, comme d'habitude.



mercredi 12 mai 2021

Mon chemin de l'intégration...

Trois-Rivières est une ville de langue française à 95%. Il s'y trouvait peu d'étrangers jusque vers les années '80 où l'on favorisa l'intégration des immigrants dans les régions du Québec.

Le premier «étranger» que j'aie connu était Cambodgien. Le deuxième était Vietnamien. Les deux étaient arrivés en même temps. Le Cambodgien était de notre âge, environ treize ans. Le Vietnamien n'avait pas encore quatre ans mais il était tout de même notre voisin. Il y avait bien sûr leurs familles mais nous ne vivions pas vraiment dans le monde des adultes. 

Monsieur Pépin, vétéran de la Seconde guerre mondiale, fût sans doute le premier de la rue à leur parler dans un mélange de français, d'anglais et de trucs qu'il avait dû apprendre pour communiquer avec toutes sortes d'humains au cours de ses aventures périlleuses. Il nous faisait toutes sortes de numéros comme souffler dans son pouce tandis que ses biceps ondulaient comme des vagues. On essayait de le faire ensuite et on n'y arrivait jamais. Encore aujourd'hui je me demande comment il faisait ça...

Tout étranger devenait tout de suite l'ami de Monsieur Pépin et comme il était le meilleur et seul ami de mon père, on finissait nous aussi par nous ranger sur la sagesse et la généreuse hospitalité d'Irenée Pépin.

C'était lui, le guerrier, l'homme qui en avait vu de toutes les douleurs, avec qui tout étranger pouvait trouver illico le chemin de l'intégration. Tu ne pouvais pas ne pas devenir l'ami de Monsieur Pépin. C'était tout bonnement impossible. 

Ce qui fait que je suis allé à la bonne école. Je me rends bien compte aujourd'hui que de tous les gens qu'il y avait sur la rue Cloutier dans ce temps-là, Monsieur Pépin était celui pour qui la peur de l'autre n'existait pas.

Mes parents avaient certaines réserves, certaines peurs. Ils arrivèrent à les surmonter plus souvent qu'autrement. Mais l'étranger, l'Autochtone, celui qui ne faisait pas comme tout le monde, je crois bien que ça les rendait parfois anxieux. Ils n'avaient pas connu d'étrangers. 

Néanmoins, mon père et ma mère ne laissèrent pas cette part d'ombre les terrasser. Ils suivirent timidement le chemin ouvert par le soldat Pépin. 

À l'école, je fus de plus en plus en contact avec des étrangers. Mais c'est à l'université que vraiment je pus connaître des personnes provenant de tous les horizons. Et m'en faire des camarades que je fréquente encore dans la vraie vie. Le travail en Colombie-Britannique, au Yukon puis au Labrador élargirent mes horizons. C'était désormais moi l'étranger avec mon anglais très primaire qui s'améliora avec le temps.

Je fus l'étranger, comme Monsieur Pépin. Au retour chez-moi, je me suis juré que je vivrais dans un monde où plus personne ne se sentirait étranger.

J'ai adopté la fameuse technique de Monsieur Pépin. Tout étranger porte une histoire que je veux connaître. Je salue, parle, trouve des points de discussion, questionne, m'étonne, m'émeus. 

Mes petites misères ne sont pas grand chose quand j'écoute les récits d'horreur des uns et des autres, de la Bosnie jusqu'à l'Amérique latine, en passant par la corne de l'Afrique. Je m'en voudrais de ne m'en tenir qu'à l'horreur, mais elle était souvent là pour les inciter à trouver refuge ici parmi d'autres humains qui ne sont pas en guerre et vivent relativement en paix. 

Au fond, il n'y a pas d'étrangers pour moi.

Nous sommes tous et toutes frères et soeurs et mieux encore: Terriens.

Nous n'avons pas décidé des frontières et des administrations.

Mais nous pourrions décider de vivre mieux ensemble malgré les frontières et les administrations.

J'ai l'espoir de vivre dans un monde où l'on partage autant les repas que les connaissances.

Je ne trouve aucun plaisir et aucune utilité dans l'humiliation des gens qui nous entourent. 

On fait tous partie du même État, de la même ville, du même quartier, du même bout de ruelle.

S'il arrive quelque chose à mon voisin, quel qu'il soit, je me porterai naturellement à son secours. 

Je ne laisserai pas personne se sentir exclus de la fête sous prétexte que sa tête ne revient pas à tel ou tel peureux qui ne sait pas que c'est lui le méchant du party. Même lui nous pourrons le ramener. Parce qu'inclure tout le monde ça ne laisse pas pour autant les niaiseux de côté. 

Arrête de faire le con. Arrête d'avoir peur. Et fêtons ensemble.


mardi 11 mai 2021

L'Hibachi de feu mon père Conrad Bouchard


Conrad et Jeannine s'étaient achetés un Hibachi. Juillet 1981. C'était l'été après tout et il fallait bien faire un peu comme les autres qui avaient des barbecues sur leur perron. 

Il faisait toujours chaud me semble-t-il ces étés-là. Nous étions six à suer dans un petit cinq et demi. La moitié avant était de briques. Quant à la moitié arrière, c'était demeuré à l'état de baraquement d'usines. Un mélange hétéroclite de bois, de tôle et de papier-brique goudronné. C'était plutôt laid mais nous ne le savions pas encore. Pour moi, c'était encore mon Far West. La ruelle était l'endroit où j'apprenais à survivre avec mes camarades, souvent plus pauvres que moi. J'avais un père et une mère, un toit, de la nourriture dans le frigidaire. Il ne nous manquait qu'une auto et une télé en couleurs pour rejoindre la moyenne nationale de l'époque. J'imagine que nous étions légèrement au-dessus de la moyenne dans mon quartier. Quoique mes souvenirs soient plutôt anciens, voire vagues et confus...

Par contre, ce foutu Hibachi habite encore ma mémoire...

Conrad, mon père, n'était vraiment pas habile de ses mains. Il en avait développé un certain complexe qu'il camouflait sous des tonnes de sacres et de jurons tous très catholiques. J'ai malheureusement hérité de cette propension à enligner des millions de sacres l'un après l'autre. Quant au côté manuel, j'ai eu la chance d'hériter de ma mère...

Enfin! Je me perds encore en digressions... Revenons à l'Hibachi.

Ils l'avaient acheté chez Canadian Tire, le plus loin qu'on pouvait aller à pieds, à la sortie du pont Duplessis, au Cap, près de la Reynold's Aluminium Company où Conrad travaillait.

C'était emballé dans une boîte et il fallait malheureusement assembler l'Hibachi...

Conrad, n'écoutant que sa masculinité, se mit à la tâche d'assembler ce petit grill portatif en fonte. 
Il vissa le pied puis s'attaqua aux poignées de l'Hibachi.

Une fois que tout fût terminé, fier de son ouvrage, Conrad nous montra son pitoyable résultat.

Les deux poignées étaient vissées vers l'intérieur de l'Hibachi plutôt que vers l'extérieur.

J'avais 13 ans. J'étais un peu insolent, même avec mes parents, comme tous les foutus membres de ma génération X de sans-desseins. 

-Heille p'pa cibouère tu l'as vissé à l'envers! lui ai-je probablement dit.

-On sacre pas tabarnak! Hostie d'sacreux de calice de cibouère! m'aurait-il répondu.

-Ouin bin tu sacres bin toé p'pa... Pourquoi qu'ej'sacrerais pas?

-J't'ai dit d'pas sacrer calice pis tu sacres pas tabarnak c'est toutte hostie!

-Ouin bin tabarouette tes pognées sont quand même vissées à l'envers p'pa mautadit...

-M'as t'en faire qu'i' sont vissées à l'envers hostie d'cibouère de calice de tabarnak de jésus marie de christ de tabarnak de saint-chrême de calvaire! A' sont vissées comme du monde tabarnak! C'est d'même que ça va hostie d'christ!!! Hostie d'jeunes maillets qui pensent qui connaissent toutte pis qu'i' connaissent rien!!! C'est ça l'bonhomme connaît rien! Gnangnangna! Cibouère de christ de tabarnak!!!

-Bin non p'pa... tu voé bin qu'el' feu va poigner après 'es poignées... 'stie...

-Hostie! 'Stie! Arrête de sacrer calice!!! I' vont toutte dire qu'les Bouchard sua rue c'est des hosties d'sauvages pis des calices de sacreux! Sont correctes les poignées cibouère de tabarnak!

-Christ p'pa allume hostie les poignées sont à l'envers!

-Soé poli tabarnak! Pis arrête de sacrer cibouère! Sont correctes les hosties d'poignées d'l'Hibachi! C'est toutte!!! Viârge d'étol de saint-cibouère du christ de tabarnak de saint-chrême d'hostie d'christ de tabarnak!

Il devait être mauve ou vert. En tout cas assez coloré pour que j'arrête de remettre en question son ouvrage...

Mon souvenir est vague. Je crois que c'est Jeannine qui, probablement une fois de plus, a dû rappeler humblement à la raison son mari si peu habile avec ses mains. Pas bricoleur, mais prêt à vous claquer vingt heures d'heures supplémentaires par semaine à la shop pour qu'on se paie un Hibachi, une laveuse, une sécheuse, un fauteuil Lazy-Boy...

Jeannine le tenait par le lit. Quand Conrad sacrait comme un charretier, elle lui faisait la grève de la tendresse. Conrad arrêtait subito-presto de sacrer. Et de s'énerver pour rien.

-Ma belle fiancée... ma Jeannine... hein... 

-Waf! Tu m'diras ça quand tu s'ras vraiment moins fou comme d'la marde...rétorquait Jeannine.

-Bin là chu tranquille ma Ninine d'amour... Chu... heu... doux. Viens t'coucher Jeannine... Chu dans l'lit là... Viens t'coucher hein? Viens que j'te serre dans mes bras ma fiancée! Viens-t'en ma belle Ninine!

Et elle finissait par aller le rejoindre. Parce que c'était un homme bon. Et ma mère une femme bonne. Nous étions des gens bons... Enfin, c'était le scénario auquel l'on adhérait plus ou moins volontairement.

La paix revint un tant soit peu autour de l'Hibachi cet été-là.

Sinon que ça donna plus de travail que prévu à ma mère, dont les standards de propreté ne pouvaient qu'être trop élevés pour un Hibachi toujours dégoulinant de gras et de suie. Ce qui fait que l'été suivant, on laissa tomber l'Hibachi pour le remplacer par un truc moins salissant qui salissait tout autant... L'Hibachi a probablement été enterré au dépotoir de Saint-Étienne-des-Grès avec tous les Hibachi des années '80.

Mon père vissa probablement les poignées à l'envers une fois de plus dans le nouveau barbecue dont l'annonce était passée pendant l'émission Les tannants à Télé-Métropole

Mais bon, au deuxième essai, tout revenait un tant soit peu dans l'ordre. Sinon que certaines vis tournaient dans le beurre et que certaines pièces étaient chambranlantes.

On se fit encore des hot-dogs et des hamburgers. 

Jeannine frotta les grills mieux que nous ne nous intéressions vraiment à le faire, nous les cinq garçons de la famille en incluant mon père.

On enterrait le charbon dans la cour quand la braise avait un tant soit peu refroidie. 

Si l'on fait un jour des fouilles archéologiques derrière le 856 de la rue Cloutier à Trois-Rivières , il s'y trouvera sans doute quelques vestiges de nos repas sur l'Hibachi.

Pour l'atmosphère qui régnait autour de cet Hibachi, on pourra toujours bien se référer à ce que je viens de vous écrire. J'aurai livré une autre partie de mon histoire que je bégaie à tous vents lorsque je ne m'assois pas pour tout bonnement l'écrire. Vous trouverez, ici, une version épurée et moins bavarde. Vous ne voudrez plus jamais de la version orale et c'est tant mieux. Je dois moi-même passer à autre chose et en finir avec les Hibachi.






vendredi 7 mai 2021

Germaine teste mon humanité au Super Calice et ailleurs


Germaine est handicapée intellectuelle. Je ne sais même pas si Germaine a une famille. D'aussi loin que je me souvienne je l'ai toujours vue tout fin seule, traînant derrière elle son légendaire petit carosse de broche.

Germaine est petite, un peu boursouflée du visage et du corps, la bouche souvent pincée comme si le souffle lui était coupé.

Je l'ai croisée souvent au cours de ma vie. Il y a une dizaine d'années, je me souviens qu'elle vomissait assis sur «le banc des innocents» - comme l'aiment à l'appeler certains chauffeurs d'autobus infâmes de notre société de transport en commun.

Germaine vomissait sous l'oeil indifférent d'à peu près tout le monde. Personne ne réagissait. J'étais assis dans le fond de l'autobus, avec les parias de mon acabit. Je la vois vomir. Je vois que personne ne fait rien. Je me lève dans l'autobus en marche, tanguant vers Germaine qui continue de restituer je ne sais quoi. Je demande au chauffeur sa poubelle. Il me la tend volontiers. Germaine poursuit ses vomissures dans la poubelle jusqu'au terminus, au centre-ville. Je sors avec elle. Je lui demande si elle va bien. Ses yeux sont un peu vagues mais elle ne vomit plus. Elle me dit «Ma'ci! Ma'ci! Ch'correct... M'en va's chez-nous moui... Mautadine!» Et je me dis que Germaine ne va pas si mal après tout. Elle poursuit son chemin comme la veille et sans doute le lendemain.

Une autre fois, Germaine avait un gros filet de morve qui coulait sur sa poitrine. Nous étions dans la salle d'attente de l'urgence du CHRTR. Je lui ai proposé un papier-mouchoir. Il a presque fallu que je la mouche moi-même. Elle ne savait pas trop comment gérer sa morve, sinon son vomi. 

Pourtant, elle continue son chemin avec son petit carosse de broche, jour après jour, semaine après semaine, année après année.

J'ai revu Germaine hier. Plutôt trois fois qu'une. 

Je l'ai d'abord croisée au Super Calice. (C'est le surnom de notre supermarché du pauvre dans le quartier...) Germaine venait d'échapper toutes ses boîtes de conserve par je ne sais quel trou dans son quossin de broche devenu tout croche et tout de travers avec les ans. Les boîtes roulaient partout autour d'elle, dans le stationnement bondé d'automobilistes impatients et sans coeur.

Germaine regardait rouler ses «cannes» sans savoir quoi faire tandis que les automobiles détournaient autant Germaine que les boîtes de conserve, sans l'aider de quelque manière que ce soit. Des piétons déambulaient aussi dans la plus plate des indifférences, comme si cela ne les regardait pas. 

Je me demande parfois si Germaine n'existait pas que pour tester le degré de mon humanité...

J'ai débarqué de mon vélo. J'ai enfilé mon masque. Puis j'ai ramassé les boîtes de conserve de Germaine l'une après l'autre. Et même qu'un monsieur d'origine latino-américaine m'a aidé pour ne pas me laisser sur l'impression qu'il n'y a que moi pour ne pas laisser tomber Germaine dans cette putain de ville.

J'ai laissé Germaine poursuivre sa route tant bien que mal avec son carosse. Puis j'ai fait mes emplettes.

Quelques minutes plus tard, retournant vers la maison, je la vois devant un poste de L'arbre à livres. C'est une initiative communautaire, des livres laissés gratuitement à la disposition des gens sous un présentoir de plexiglass. S'y trouvait-il Les filles de Caleb ou bien le Tome XI des oeuvres de V.I. Lénine? Je ne saurais le dire. J'espère qu'elle y trouva quelque chose de substantiel puisque la bibliothèque municipale est hors d'usage depuis l'incendie du stationnement souterrain qui a enfumé livres et locaux.

Je la revis justement devant la bibliothèque Gatien-Lapointe, vers 14h00. 

Elle était assise toute seule sur un banc dans le Parc Champlain, à côté de son carosse de broche rempli de je ne sais trop quoi.

Elle regardait la fontaine qui ne crachait pas encore ses eaux.

Le soleil piquait un tant soit peu les yeux de Germaine dont les cheveux avaient blanchis.

Germaine doit avoir à peu près mon âge. Peut-être 50 ans. Seule. Ou dans une maison d'hébergement. L'Archipel ou je ne sais quoi. 

J'ai ressenti sa solitude. Elle me semblait plus immense que toutes les solitudes que je pouvais m'imaginer ou bien croiser autour de moi. 

Il devait bien y avoir quelqu'un pour s'occuper d'elle, sinon elle-même le faisait tant bien que mal.

Je l'ai saluée au passage. Elle n'a pas vraiment répondu à mes salutations. Germaine n'est pas très facile d'approche. Et c'est sans doute mieux ainsi pour je ne sais trop quelle raison vous offrir.

Je suis rentré chez-moi. Je l'ai oubliée, bien entendu.

Puis voilà qu'elle ressurgit ce matin. Comme une hantise.

Tu fais quoi Germaine dans la vie?

Qui s'occupe de toi Germaine?

Es-tu en sécurité Germaine?

Je suis fou comme ça. 

Je pense trop.

C'est ce que me diraient ceux et celles qui passent devant Germaine avec la plus totale indifférence lorsqu'elle a besoin d'un peu d'aide.

Évidemment, leur avis, comme le reste, ne pèse pas lourd dans la balance de la justice sociale.

Aussi je continuerai, tant bien que mal, de lui porter secours lorsque je la reverrai.

Je vous demande humblement de faire la même chose.

Elle n'est pas méchante.

Elle ne vous mordra pas.

Elle va pincer ses lèvres et siffler un peu d'air au passage en vous regardant avec ses grands yeux atteints de strabisme convergent. 

Ce sera sa manière de vous remercier j'imagine.

À moins qu'elle ne soit plus causeuse avec vous qu'avec moi.

Je fais peur un peu, tout compte fait, avec mon air et ma carrure de Shrek.

Que voulez-vous? On ne choisit pas ses bons Samaritains...

Et pourquoi en serais-je un, hein? Je ne vais même pas à la messe...

Peut-être que Germaine y va.

Et que je suis tout ce que Dieu a trouvé pour donner un peu suite à ses prières. Surtout par les jours où elle vomit en public ou bien échappe des trucs dans le stationnement du Super Calice, sous l'oeil mauvais des automobilistes chiens sales.

jeudi 6 mai 2021

Le crépuscule des idoles

 Au hasard de mes lectures j'ai cru comprendre que les missionnaires n'étaient pas très polis envers les croyances des Autochtones qu'ils tenaient pour de diaboliques superstitions. Les Autochtones, tout aussi stoïques que les plus grands des philosophes de la Vieille Europe, ne coupaient pas la parole des missionnaires lorsqu'ils leur racontaient Jésus ou bien les aventures de Samson. D'aucuns reprochaient par contre aux missionnaires chrétiens de ne pas adopter le même respect et la même attitude qu'ils avaient à leur égard. 

«Tout ce qu'on vous dit est absurde, ridicule, fondé sur rien... Cependant, quand vous nous parlez de personnes qui ressuscitent ou marchent sur les eaux, jamais on ne vous traite d'idiots...»

Les années ont passé et il s'en trouve encore des tas de petits clercs pour reprendre le travail de sape des missionnaires là où ils l'ont laissé. Tout ce qui n'est pas la civilisation occidentale est nécessairement de la diablerie, sinon de la superstition, voire du terrorisme...

On veut bien croire à la splendeur de votre civilisation occidentale. Vous croyez que nous ne l'avons jamais observée? On nous l'enseigne ad nauseam dans nos écoles en ignorant de larges pans de l'histoire et de la culture universelles pour qu'elle soit unique sans compétition. 

Malheureusement pour les nostalgiques du temps des conquistadores, le monde a bien changé.

L'information tout autant que la désinformation circulent à très grande vitesse.

On pouvait mentir avant et espérer que le mensonge ne soit pas relevé avant deux générations compte tenu des moyens de communication de l'époque.

Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Vous pouvez commettre un crime ou bien une injustice et lui faire 600 fois le tour de la planète dans la minute qui suit. Et vous savez quoi? Je ne suis pas certain que cela soit sur le point de changer. Il faudra s'y habituer. Les partisans de tel ou tel mensonge n'en seront que plus souvent déculottés.

Cela dit je refuse d'argumenter contre ceux et celles qui veulent me faire rentrer dans la gorge qu'il nous faille «défendre la civilisation occidentale» et ses sinistres oripeaux. Moi et sans doute plusieurs autres n'en avons rien à branler de rendre hommage à César ou Napoléon, esclavagistes d'une autre époque. Rien à foutre des idoles, du culte de la personnalité, des règles du jeu de Monopoly ou de celui de Rome. Rien à faire des Rodion Raskolnikov qui étrangleraient une vieille usurière puisque Napoléon n'hésitait pas à en tuer des milliers pour la gloire de son nom.

Nous ne vivons pas pour nous soumettre à l'histoire mais pour en créer une nouvelle moins obsédée par l'obédience aux Grands Chefs et aux Grandes Idées surannées.

Suis-je un «woke», un «sans-culotte», un serf dans une «jacquerie», voire un paria, un tchandala, un intouchable?

Je n'en sais rien. Je me sens plutôt humaniste. Pas très porté sur les protocoles. Plus anarchique qu'anarchiste. Du genre à vous ramasser dans la rue si vous tombez, même si vous êtes sale ou propre.

Je veux vivre ma vie de citoyen d'un État de droit sans avoir à me soumettre à rendre hommage à des ploucs pour toutes sortes de très mauvaises raisons.

Je ne vis pas pour me soumettre au Manuel abrégé de l'histoire du Québec ni pour son catéchisme.

Faites ce que vous voulez à partir de là. Pleurer, crier, chier: je m'en contrecrisse.

Vos idoles sont mortes. Je ne tiens pas à revoir ma Laurentie.

Nous en sommes vraiment au crépuscule des idoles.

Nietzsche avait sans doute ressenti que tout était en train de foirer.

Quelque chose est en train d'émerger. L'Ancien Monde s'est effondré. On pourrait faire mieux. On ne pourra plus faire comme avant. À moins de vouloir nuire aux autres pour mieux nourrir les peurs imbéciles, la petite gloriole toxique, le culte de la personnalité et le narcissisme de privilégiés.



mardi 4 mai 2021

L'adrénaline du préposé aux bénéficiaires

L'adrénaline est une puissante drogue. J'y ai souvent recours dans ma vie. Et vous aussi, je le suppose.

Nous ne sommes jamais plus forts que dans ces 10 secondes où l'adrénaline est sollicitée par notre corps pour accomplir quoi que ce soit de surhumain. Louis Cyr l'avait probablement compris. Et bien d'autres aussi, en tous genres et en tous temps.

Je ne suis pas ambulancier mais c'est tout comme certains jours où j'exerce ma profession de préposé aux bénéficiaires, pour ne pas dire d'homme à tout faire. Je vois des trucs que je ne peux même pas vous raconter sans vous faire royalement vomir.

Cela dit, je déplace êtres humains et objets en ayant recours à ce sublime 10 secondes d'adrénaline qui rend presque possible l'impossible.

Un, deux, trois et hop! Je pourrais soulever une montagne sur un pic d'adrénaline.

Cela tombe bien puisque j'ai souvent besoin de plus de force que nécessaire pour relever tout ce qui choit.

Mon métier, voire ma «vocation», ne peut se pratiquer sans une gestion rigoureuse de l'anxiété, du stress et, surtout, de l'adrénaline.

Je m'entraîne à produire de l'adrénaline plusieurs fois par jour. Moins de dix secondes et hop! Une autre montagne vient de se faire déplacer, si ce n'est pas un bac à ordures rempli à ras bords ou bien un blessé.

L'autre partie de mon entraînement consiste à contrôler ma quiétude d'esprit dans un climat de maladie et d'inquiétude exacerbées. Ce n'est pas la plus mince de mes tâches vous l'aurez compris. 

Je me détache sans pour autant laisser mon coeur au placard.

Je suis carrément au front. J'ai parfois cette funeste impression que je me promène sans armes sur un champs de bataille tandis que les balles sifflent tout autour de moi et que la peste bubonique nous menace.

Je ramasse les blessés. Je libère un passage pour les sortir des feux de la maladie. Ça hurle parfois. Ça saigne un peu. Et ça peut même perdre la tête.

Je sors mon adrénaline. 10 secondes ici. 10 secondes là. Et hop! Tout finit par se faire.

Et je retrouve enfin, au petit matin, ce qu'on pourrait appeler le repos du guerrier...

Fatigué, fourbu, vanné, comme après une partie de hockey.

Avec des crèmes et des pilules pour apaiser les douleurs musculaires.

Avec aussi ce sentiment d'avoir parfois fait la différence dans la vie d'une personne.

D'avoir été utile.

D'avoir mis à off ce ciboire de narcissisme qui me dégoûte tant chez autrui.