vendredi 18 juillet 2008

Patof le chien saucisse mâtiné de chien bâtard


Je déteste les chiens. Tous les chiens, sauf Patof. Patof, c'était le nom d'un chien qui errait dans la ruelle de mon enfance, près de l'usine de textile Wabasso, à Trois-Rivières. Nom d'un chien! Quel nom pour un chien: Patof!

Évidemment cela faisait référence à Patof le clown, célèbre animateur d'émissions pour enfants des années '70. Un genre de Krusty le clown psychédélique avant la lettre personnifié par Jacques Desrosiers.

Patof, le chien pas le clown, était un chien saucisse mâtiné avec un chien encore plus laid. Ne me demandez pas sa race: je n'y connais rien. Je sais que c'était un chien saucisse parce que sa bite traînait au sol, et pas nécessairement parce qu'elle était longue. Patof était un chien saucisse court sur pattes, comme tous les chiens saucisses du monde, mâtinés ou pas.

Patof ne jappait jamais. C'était le chien le plus nul au monde. Il te regardait avec de grands yeux indifférents, sans broncher. C'est à peine s'il sortait la langue ou branlait de la queue. Rien. Patof était le chien le plus nihiliste du monde entier.

C'était le chien idéal pour lui attacher des objets autour de la queue, l'espèce de boudin plat qui lui sortait du cul. Patof avait donc de bonnes raisons de ne plus branler de la queue: on la lui avait coupée - pas la bite, mais la queue, je précise encore au risque de passer pour un impudent.

Donc, Patof avait un boudin plat en guise de queue, tout ce qu'il fallait pour y nouer une corde au bout de laquelle les gamins de ma ruelle attachaient des bouts de bois, des boîtes de conserves, des vieux pneus, etc.

Il y avait des jours où Patof n'en pouvait plus. Quand on t'accroche un radiateur après la queue, normalement tu finis par abdiquer, que tu sois humain ou canin. Il y a des limites à ce qu'une queue peut supporter.

Du coup, Patof se couchait. Il faisait la grève. Il ne bougerait pas son gros cul laid avant qu'on lui ait retiré la corde autour de la queue.

Sacré Patof! On lui en a fait voir de toutes les couleurs. Et le on, remarquez bien, m'exclut en tant que personne qui parle. Je dis ça comme ça, pour ne pas passer pour un gros crotté qui attache des boîtes de conserves après la queue amputée des chiens bâtards mâtinés de saucisses.

En fait, on me surnommait «le curé» quand j'étais jeune. Je n'aimais pas baiser une pauvre fille en meute de huit garçons dans les wagons abandonnés de la ligne de chemin de fer, ni donner des coups de poing aux vieillards, ni mettre le feu, ni attacher des cordes autour des queues amputées des chiens saucisses mâtinés de «on s'en calice».

Bref, j'étais plate. Et l'on ne m'invitait jamais à aller faire de mauvais coups.

On a vite compris que je n'étais qu'un cave qui lisait des bandes dessinées. C'est donc le on qui m'excluait, comprenez-moi bien.

J'étais aussi le cave qui finissait par enlever la corde autour de la queue de Patof.

-Ok! Les gars... C'est assez! Laissez Patof souffler un peu!

-Hostie! Gros Boutch! qu'ils me disaient. Tu fais encore ton curé Boboutch?

-Crissez-moé patience gang d'hostie d'mongols! que je leur répondais.

-Boboutch! I' va encore pogner les nerfs Boboutch? répliqua un rouquin.

-Appelle-moé pas Boboutch mon tabarnak pis laisse Patof tranquille!

Bon, je ne vais tout de même pas vous défiler toute la conversation. Je crains de ne pas m'en souvenir in extenso. C'est loin tout ça. Et puis je parlais de Patof, non?

Donc, Patof était laid et il puait.

Je n'ai jamais flatté Patof. Sérieux, on aurait dit que son poil était fait en laine d'acier Bulldog, vous savez, la marque pour récurer les chaudrons cramés.

Ce n'est pas parce que j'avais de l'affection pour Patof que je raconte cette histoire.

C'est juste parce que j'ai cette foutue histoire en tête, pour je ne sais quelle calice de raison. Elle trotte dans ma tête, comme s'il n'y avait pas mieux à faire que de raconter l'histoire d'un vieux chien sale.

Car Patof est devenu vieux, vous voyez. Encore plus vieux, plus lent, plus laid. Ses grandes oreilles pendaient lamentablement sur l'asphalte quelques années plus tard, alors que je pratiquais le kung-fu de façon très personnelle dans mon arrière-cour, dans le but de devenir Bruce Lee ou Bud Spencer. J'avais vieilli moi aussi. Encore un an et j'entrerais au collège.

Patof n'était plus capable de lever la patte pour pisser.

Il trottait jusque vers le premier escalier venu, mettait ses pattes d'en avant sur la première marche, puis livrait sa marchandise. Pour chier, je ne me souviens plus ce qu'il faisait. Il ne devait pas se donner tant de mal, j'imagine, et lâcher le paquet sans sourciller.

Les enfants avaient vieilli dans le quartier. Plus personne ne se souciait de Patof. Il passait devant nous comme un fantôme. On ne disait même plus «Tiens! C'est Patof.» Même pas. On le laissait vivre, sans plus.

Puis un beau jour, alors que je revenais d'une journée de travail au supermarché, où j'étais crisseur de sacs, voilà que je tombe sur Patof, l'écume aux lèvres, qui jappe comme un damné et nous regarde avec un regard halluciné de bête féroce!

-Wouhouhou!!! qu'il hurle, comme si personne ne l'entendait. Wouhouhou!!!

Son maître était absent, comme d'habitude. En fait, c'était qui son maître? Le gars au troisième étage? L'autre au premier? C'est loin tout ça. Je ne m'en souviens plus.

Qu'est-il advenu de Patof, ce chien saucisse mâtiné de pas achalant? Pourquoi qu'il hurle à tous vents, l'écume aux lèvres?

Patof a la rage. Bingo! On a tout compris, l'écume aux lèvres et les hurlements. Il faut tuer Patof, voilà.

Au bout d'une demie heure, les gars de la fourrière arrivent puis tirent une fléchette dans le cul de Patof, caché sous une galerie.

On ne l'entend plus japper. On retire Patof de là puis, un peu plus loin, on lui injecte quelque chose pour qu'il crève, j'imagine, et on jette son cadavre dans un bac, j'imagine aussi.

J'ai connu bien des chiens, des Tibis, des Fidos, des Kikis et des Cocos. Mais aucun d'entre eux n'arrivent à la cheville de Patof, le chien bâtard de la ruelle de mon enfance.

Oh! Patof! Oh! Patof, Patof blou! Oh! Patof blou!


PS: C'était fucké en hostie dans les années '70. Quel vidéoclip instructif!

1 commentaire:

  1. Salut Gaétan, ton histoire de Patof m'a ému. Elle symbolise bien toutes ces autres histoires d'horreur sur les animaux chiens, chats ect, pognés avec des maîtres sans-soucis, sans aucune affection et souvent méchants avec l'animal qu'ils ont pourtant choisis d'enfermer dans leurs univers fucké d'esti.

    Je crois qu'inconsciemment ces gens choisissent un animal pour transférer leurs propres souffrances intérieure fucké.Ça les soulage en quelque sorte de voir l'animal souffrir ou déprimer à leur place, de cette façon ils n'ont pas à ressentir leur propre bidon de marde qui leur sert de caboche, c'est le chien qui le ressent à leur place.

    Ce chien par exemple, qui passe toute son existence attaché à sa cabane, on lui donne de l'eau aléatoirement, seulement quand on réalise un bon jour de juillet de 35 degré qu'il est à la veille de péter. Faudrait pas qu'il meure quand même, c'est la soupape de sécurité névrotique du gros crisse de mongol assis devant la tv dans la maison.

    Je dis que lorsqu'on décide d'enfermer un animal dans son univers on lui doit tout ce qu'il est en droit de réclamer naturellement. Affection, nourriture, et distractions, autrement qu'on le détache, il ira lui-même à la chasse pour se nourrir et au moins il sera libre et beaucoup plus heureux.

    Quand on entend au loin dans le paysage un chien qui jappe continuellement entrecoupé de temps en temps d'un ''TA YEULE CÂLISSE VOCIFÉRÉ'' eh bien c'est un drame de la sorte dont il est question, et cette souffrance par procuration je la ressens et ça me dérange certainement.

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