Quand j'étais souverainiste, je connaissais par coeur et répétais avec fanatisme toutes les litanies que j'avais apprises dans mon missel constitué de manifestes politiques indépendantistes ou socialistes: «Nous sommes des Nègres blancs d'Amérique, des opprimés, des colonisés, des victimes de l'impérialisme canadian, un peuple qui se soulève, les fédéralistes sont des peureux et plus personne ne nous dira Speak White, etc., et vive la république socialiste des travailleurs du Québec!»
Fiou! Je m'épuisais soir et matin à chanter L'Internationale tout en tentant de convaincre mon entourage de la nécessité de faire la révolution. J'étais un indépendantiste d'extrême-gauche qui scandait le slogan «Le Québec aux immigrés! Le Québec aux travailleurs et travailleuses!» dans les manifs pour la langue française où les autres criaient plutôt «Le Québec aux Québécois»... ou «la France aux Français!».
Cela me levait le coeur, que j'avais plutôt à gauche. J'étais un marxiste révolutionnaire indépendantiste... Gulp! Un membre d'une section sympathisante de la Quatrième Internationale dans l'État canadien... (Ça mange quoi en hiver?) Bref, j'étais trotskiste.
Puis il y a eu la chute du mur de Berlin et les événements de la place Tien An Men. C'est fou, mais je me suis senti bien vieux, d'un coup sec, et je suis passé du trotskisme à l'anarchisme, au socialisme libertaire, ni dieu ni maître, plus de drapeaux, nous sommes tous citoyens du monde...
J'ai brandi le drapeau noir quelques mois. Puis, la politique a foutu le camp au contact de la littérature, des arts et, surtout, des jeux et passions de l'amour.
Tous mes discours n'ont pas tenu contre une seule partie de jambes en l'air. En fait, j'oserais presque dire que les femmes m'ont sauvé, mais je ne le dirai pas, même si je viens de l'écrire, juste pour ne pas qu'elles s'enflent trop la tête avec ça...
Le fait est que l'amour m'a délivré du fanatisme politique. Mes valeurs morales ont acquis plus d'importance que mes opinions politiques, qui ne sont plus coulées dans le béton et qui s'adaptent aux circonstances, aux alliances inopinées, aux réalités du moment. Il m'arrive même de me tromper. Mais je ne m'incrusterai jamais dans la tromperie et le militantisme primaire de mes vingt ans, où j'aurai mieux fait de baiser que de perdre mon temps à lire des traités politiques ennuyants.
Mon professeur de philosophie, Alexis Klimov, a réussi à force de sages réflexions à m'extirper du fanatisme. Mes amis du temps et mes belles lectures ont fait le reste. Bref, j'ai fait tomber mon mur de Berlin intérieur. Je me suis ouvert les yeux en quelque sorte, par une métaphore tirée du livre 7 des métamorphoses d'Ovide.
Il s'agit du mythe de Dédale et Icare. Dédale et Icare représentent la condition humaine. Nous sommes prisonniers d'un labyrinthe avec le Minotaure à nos trousses.
La seule voie qui nous soit possible pour s'enfuir est celle du ciel, d'où les plumes, avec lesquelles Dédale et Icare se font des ailes.
Ils finissent par s'envoler, tous les deux, enfin libérés du labyrinthe. Mais voilà qu'Icare plane trop haut. Il frôle le soleil, la cire qui retient les plumes fond et haaaa! c'est le grand plongeon vers l'abîme.
Bigne! Crac! Boum! Dédale a compris qu'il faut savoir planer à une distance raisonnable, entre ciel et terre.
Et pour ce qui est du Minotaure, eh bien on pourrait aussi l'affronter à mains nues mais cela ne nous libérerait pas pour autant du labyrinthe... C'est con à dire, mais un petit mythe comme ça et, paf! ma vie a changé.
La politique, c'est le Minotaure. Le labyrinthe, c'est le monde.
Et moi, eh bien, je ne veux pas être le pauvre con qui brûle ses ailes au soleil.
Alors je vole, pas haut, mais juste assez pour ne pas me sentir prisonnier de la politique et du monde. Parfois le Minotaure réussi presqu'à m'attraper, quand je ne vole pas assez haut. Je bats des ailes un peu plus vite pour prendre de la hauteur, en parlant d'autre chose, des haïkus japonais ou bien du petit-fils de Freud qui peint de si beaux tableaux.
Cela dit, le Canada est un labyrinthe bien aménagé avec quelques aires de repos protégées pour les grues, les avions ou les hommes volants. Le Minotaure y est un peu civilisé. Il annonce ses intentions avant que de vous mordre.
Mon rapport avec le monde est vertical, entre ciel et terre, bien plus qu'il n'est horizontal, entre gauche et droite. Je suis plutôt à gauche, malgré tout, même si je chiale constamment contre les gauchistes. Peut-être parce qu'on n'insulte bien que ses meilleurs amis. Peut-être parce qu'à droite parler des pauvres les fait bâiller. Je finis par le prendre personnel.
Au fait, je suis un fédéraliste solitaire. Tous mes amis sont souverainistes. Et ils m'endurent, tout le temps, même si je les bouscule un peu avec ma verve provocante. Ils sont de la bonne pâte. Et puis ils se crissent pas mal de la politique à dire vrai et on ne fait pas que parler de ça.
Je ne connais à peu près pas de fédéralistes autour de moi. Bizarre non?
Je vis dans un bastion souverainiste. Et je me dis Canadien, juste pour la forme, sans patriotisme. Je préfèrerais dire que je suis Métis, en premier, mais ça va demander trop d'explications, d'autant plus que je vais bientôt avoir la reconnaissance de ma double citoyenneté, canadienne et américaine. Sûrement que la citoyenneté québécoise ne me serait pas refusée, même si je passais pour un traître, un vendu ou un ennemi du peuple pour certains propos que j'ai tenus. Traître à qui, à quoi? À des trouducs qui se croient le peuple? Rien à foutre.
Heureusement que je mesure six pieds deux et ressemble à une armoire à glace. Cela me permet d'exprimer mes idées librement, même dans la rue, parmi mes potes souverainistes à leur chanter les charmes du Canada. Ça les fait chier, je le sais, mais ils m'endurent comme ça. Je pense même qu'ils aiment mieux lire mes niaiseries que de lire leur foutu missel. Au moins, je les amuse. Asti que ça finit par être plate de lire des banalités telles «Foin du fédéralisme impérialiste canadian! Fi de la domination anglo-saxonne!» et autres sornettes du même ordre, avec l'accent pointu du fonctionnaire féru de politique qui souhaite devenir calife à la place du calife. It's no good, buddies...
Sérieusement, je suis Canadien parce que le Canada n'exige pas de moi ces actes de foi qu'exigent le nationalisme québécois. Je suis Canadien par goût de la mesure et de la modération, même si mon passé de nationaliste extrême-gauchiste a laissé en moi ce ton de poulet qu'on égorge propre à toute la littérature québécoise.
Que voulez-vous, même Voltaire a appris des Jésuites...
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