vendredi 31 décembre 2021

Bonne et heureuse année 2022 !

 Je termine l'année 2021 avec cette toile intitulée «La lumière au bout du sentier». Je me suis largement inspiré de mes randonnées pédestres au parc de la rivière Batiscan pour la réaliser. Voici le résultat de mes souvenirs:




mardi 26 octobre 2021

Ces pissous qui traînent un Cheuf sur un bouclier

C'était quelque chose comme un petit peuple replié sur lui-même. 

Ce peuple promenait un Cheuf sur un bouclier et cultivait la peur du monde entier. 

C'était un peuple servile qui se croyait libre quand ça faisait l'affaire du Cheuf.

Et le Cheuf ne serait pas arrivé là où il est s'il ne savait pas Tout... n'est-ce pas? Ce peuple ne réfléchissait pas, voyez-vous. Ce peuple adorait soit des idoles, soit des statues de plâtre. Ils n'étaient pas très évolués mais très au fait qu'ils étaient les meilleurs en tout. Pouvait-il y avoir mieux que cette Nation sur la Terre? Non.

Toute remise en question des méthodes et traditions était perçue comme un crime condamnable de la pire peine qui soit.

Il fallait marcher les fesses serrées parmi ces pissous qui avait appris à ramper sous le bouclier du Cheuf.

«Et Nation par ici, et Nation par là!», le Cheuf n'avait que le mot Nation en bouche pour impressionner son peuple essentiellement constitué de peureux et de larbins dénués d'honneur autant que d'humanisme.

L'empire médiatique de la Nation était au service du Cheuf et mettait de l'avant toute une gamme de petits êtres vils et mesquins pour vider le coeur autant que les poches de tout ce petit peuple apeuré et facilement exploitable.

Les «Autres» étaient donc effrayants pour ce petit peuple soumis et toujours à genoux devant son Cheuf. Cette Nation n'était pourtant qu'une pitoyable colonie. Elle avait pris racine dans le sacrifice des Autres, de ceux et celles qui n'auraient pas dû être là puisque la Nation allait briller sur leur territoire non-cédé...

Les Autres ne seraient jamais comme Nous. Aussi bien les tenir à l'écart, dans des enclos.

Les Autres contaminaient l'esprit des enfants qui se mettaient à critiquer la Nation et à s'inventer des identités sexuelles jamais vues ni d'Ève ni d'Adam. 

Il fallait donc faire disparaître les Autres. Boucher toutes les entrées. Créer des espaces bleus ou je ne sais trop quelle merde nationaliste dégoûtante. Se masturber dans un drapeau en hurlant sa foi en la Nation. Crier sur tous les toits les noms des personnages des téléromans de la Nation. Chanter les louanges de tous les mangeux de marde racistes et sexistes. Tenir pour des essais en sociologie les vulgaires basses oeuvres des scribes du Cheuf. Tenir pour des intellectuels des poules et des dindes pas de tête. Avoir l'apparence d'un pays tout en n'étant qu'un marécage national où ça sent franchement mauvais.

Les Autres ne voulaient pas se laisser disparaître...

Ils étaient toujours plus nombreux et cette Nation de tarlais et de tarlaises toujours plus enfoncée dans un passé glauque et peu glorieux de larbins soumis à un Cheuf.

On savait tous et toutes que la non-histoire de cette Nation touchait à sa fin.

On savait aussi qu'avant de crever elle ferait encore quelques dégâts. Peut-être pour rappeler aux Autres de ne plus jamais ressusciter cette Nation-là . Cette abstraction avilissante qui rampait sous le bouclier d'un Cheuf porté à bout de bras par ces nullités qui se croyaient l'élite de la Nation.

Oui, ils étaient de plus en plus isolés, dans leur coin, à porter un Cheuf sur un bouclier.

Ils étaient de plus en plus près du bord de la Mer, dernier bastion avant que de se noyer.

Ils étaient depuis trop longtemps nulle part et n'importe où en même temps.

Cette Nation de pissous qui traînent un Cheuf sur un bouclier était désormais trop malade et trop fatiguée pour continuer ainsi.

Elle était comme le Roi Lear qui parle de sa grandeur passée tout déguenillée sur la plage.

Elle était ridicule.

mercredi 13 octobre 2021

Les soins de santé... encore les soins de santé...

Je hurle intérieurement chaque fois que l'on me parle de l'état actuel des soins de santé au Québec. Un peu plus et je me tiendrai coi pour toujours. 

J'ai débuté dans le métier d'aide-soignant en décembre 1988. C'était au Centre hospitalier de l'Université Laval (CHUL). L'emploi idéal pour survivre à mes cours à la faculté de droit de la même université, lesquels m'avaient tout à fait déplumé financièrement. 

Je n'avais strictement aucune formation. Mais j'étais prêt à travailler et je n'avais pas peur de me salir les mains... On m'a donné quelques vaccins, contre l'hépatite B entre autres. Puis une ou deux heures de cours sur l'art de plier les draps d'un lit et sur la manière de déplacer des personnes. Un cours rapide de RCR. Puis en moins de deux jours je commençais mon premier quart de travail à l'unité des soins coronariens du CHUL, jumelé à un autre préposé.

Cela ne faisait pas cinq minutes que je bossais qu'une dame a fait un arrêt cardiaque. On entend «Code 90 chambre 101» dans les haut-parleurs et on sait qu'il faut ramener à toute vitesse le défibrillateur cardiaque dans la chambre 101. Le médecin et les infirmières sont déjà montés dessus pour exécuter les manoeuvres de réanimation. Je n'ai pas encore 10 minutes de métier que je me demande ce que je fais là. Puis la dame meure. Tout le monde s'en va sauf moi et mon collègue. On doit nettoyer le corps et attacher des étiquettes au nom de ladite dame après ses mains et ses chevilles. Puis on la roule dans un linceul et on descend la porter dans un réfrigérateur, à la morgue...

En revenant du boulot après cette première journée quasi dantesque, je me suis dit que je n'étais pas capable de faire ce travail. Puis en constatant que je n'avais rien dans mes poches, j'ai changé d'idée. Et j'y suis retourné. Plusieurs fois. Cela ne faisait pas deux semaines que j'avais été embauché que je me tapais du temps et demi, du temps double et même du temps triple. On m'a fait faire 36 heures d'affilée les 24 et 25 décembre par manque de personnel. On m'a fait du chantage émotif pour que je reste en plus des bonis en argent. Et je suis resté.

J'ai obtenu un poste de nuit rapidement. Personne ne voulait faire de nuit. Moi si. Je me disais que je pourrais poursuivre mes études en droit de jour, comme l'aurait fait Martin Eden ou Jack London...

Quoi qu'il en soit j'ai travaillé sur tous les départements: gériatrie, orthopédie, bloc opératoire, soins coronariens, soins intensifs, psychiatrie, etc. De jour, de soir comme de nuit. Pendant deux ans.

Puis j'ai poursuivi le métier dans un centre pour personnes âgées à Trois-Rivières, pendant deux ans là aussi, pour me payer un baccalauréat en philosophie.

Les années passèrent. En 2018, écoeuré de travailler dans un domaine peu gratifiant, je saisis l'opportunité de reprendre du service en tant que préposé aux bénéficiaires. 

On ne reconnaît pas mes 4 années d'expérience. Je dois tout recommencer depuis le début. Pas besoin de vous dire que je m'y suis prêté avec beaucoup de dégoût. Des malades ont besoin de moi et tout ce qu'on trouve à me faire c'est de perdre mon temps précieux avec des formations qui se dédoublent et se répètent inlassablement pour satisfaire je ne sais trop quel fonctionnaire de la commission scolaire. Je sais laver des fesses. Je sais soulever un corps. Je n'ai aucun problème de dos connu. Je suis solide comme un roc, sérieusement. Qu'est-ce que je dois faire? Une pirouette? Une gigue?

Cent quatre-vingts heures plus tard, qui me faisaient faire des semaines de 70 heures avec le travail, j'obtins le sacro saint droit de pratiquer mon métier. Mais que le chemin était long et tortueux comparativement à celui que j'avais emprunté en 1988!

Je ne suis pas contre les formations.

Je suis contre la perte de temps et la surenchère bureaucratique.

Il y a des limites à vouloir tuer un corps de métier et je crains qu'on ait atteint cette limite avec les préposé.e.s aux bénéficiaires.

Nous sommes en pleine pénurie de personnel dans les soins de santé comme ailleurs dans les autres domaines. On ne peut pas jouer à la fine bouche comme si tout était normal. Il n'y a plus rien de «normal». Nous avons collectivement frappé un mur.

Il reste l'option de reculer. S'enfoncer plus en avant dans le mur est absurde.

Voyons ce qui s'est brisé dans notre système de santé et reconstruisons-le comme il se devait d'être.

On donnait des collations aux patients et patientes à l'urgence dans les années '70, le saviez-vous?

Il n'y avait pas de personnel caché derrière des panneaux de plexiglass comme si nous étions tous des pestiférés ou bien des repris de justice.

La déshumanisation a commencé quelque part. 

On aura beau mettre du cash dans la patente, si la patente est déshumanisée ça va s'en aller au diable vauvert.

Chacun va se crisser de la patente et s'en crisser plein les poches, ici et là, parce que c'est comme ça qu'on vit au Québec. L'imprimante à 80$ je te la fais à 6000$ et tope-la pour le budget. Qu'on crève dans les corridors de l'hôpital sans recevoir un peu d'eau fraîche, ça dérange qui?

On se fout de ce qui se passe sur le plancher.

C'est au sommet de l'organigramme que ça se passe.

C'est dans les officines du pouvoir que ça se casse.

On pourrait faire mieux et on fera pire encore.

Je salue, au passage, celles et ceux qui continuent d'offrir des soins de santé aux personnes malgré l'état lamentable de nos ressources.

Il reste bien un peu d'humain dans tout ça somme toute...

vendredi 8 octobre 2021

L'arbre

Il y a de la sagesse sous un arbre. 

Trente minutes sous un arbre et notre esprit est revigoré. 

L'arbre sait que l'homme est une créature faible et souvent nuisible. Mais il est dans la nature de l'arbre d'être accueillant. Tout un chacun doit un peu protéger l'arbre comme s'il était sa maison. À moins d'être hanté par je ne sais quel instinct autodestructeur. 

L'arbre est une arche dans un monde qui pourrait être sinistre et désertique. Il nous dit: «Venez ici qui ou quoi que vous soyez! Il y a de la place pour tout le monde: humains, hirondelles, écureuils, chats, insectes et j'en passe!»

L'arbre est le dernier espoir de ce monde.

C'est ce que j'ai l'envie de vous dire, à rêvasser sous un orme, perdu au beau milieu d'un grand stationnement vide.




mercredi 29 septembre 2021

L'indicible platitude d'Untel et son appel de la crasse

Heureux l'imbécile qui s'est trouvé une marotte. Il n'a plus qu'à enligner les poncifs pour jouer dans les clubs et lobbies qui traînent ici et là dans les bas-fonds des jeux d'esprit.

Untel joue dans le club nationaliste et ne reconnaît ni l'anglais, ni l'inuktitut et encore moins le racisme systémique. Son ancêtre croyait que les syndicats étaient une invention des Juifs américains et autres envahisseurs étrangers. Son descendant est un pissou tout autant que lui. Sinon un larbin qui se cherche un maître.

Untel n'a presque pas évolué. Son idée est un sermon qui sent l'appel de la crasse. C'est une ridicule grenouille qui se prend plus grosse qu'un boeuf. Au moins le boeuf n'emmerde personne avec des rêves de grandeur... Tandis que la grenouille est devenue boursouflée comme un gros crapaud baveux. On n'y trouverait même pas Le Prince de Machiavel en l'embrassant. Seulement quelque chose d'informe et flasque comme un coup d'argent au Monopoly.

Hier l'ancêtre d'Untel fustigeait les Juifs, aujourd'hui son rejeton pointe du doigt les wokes (c'est quoi ça?) ou les Musulmans. 

Quand tu as appris que tu étais victime d'autrui, c'est difficile de réaliser que tu étais surtout ton propre bourreau, à piler toujours sur le même tabarnak de râteau. À le recevoir toujours en pleine face comme le dernier des abrutis.

Untel a été formaté loin des idées de tolérance religieuse héritée de Martin Luther. Il a plus à voir avec les Borgia ou bien les Bougon. Il se cherche un petit catéchisme et croit que la vie doit se soumettre au chef du village ou bien aux leçons d'histoire sans ces maudites remises en question sur le colonialisme, l'esclavage et toutes ces affaires-là. Untel vous dira qui étaient les bons et qui étaient les méchants à tout coup. Untel possède la clé qui rouvre le livre de l'Histoire et ferme la discussion.

Untel n'a rien sinon un drapeau.

Alors il l'agite.

Et il parle, parle, parle. 

On en baye aux corneilles.

Plutôt baiser que d'entendre ses conneries.

Blablabla l'histoire la langue et troulala.

Pas foutu d'écrire une phrase avec son coeur. Pas foutu de s'indigner des vraies misères et vraies injustices de ce monde. Untel est seulement un braillard, c'est vrai.

J'ai beau dire que je ne l'écoute plus qu'Untel est partout parce qu'on tient, je ne sais où, à vous rentrer dans la gorge qu'il faut absolument revoir sa Normandie. C'est un peu absurde en 2021, dans une société réellement multiculturelle, de tenir des propos totalement déphasés de vieux con qui ne change pas.

J'imagine qu'en haut lieu les boss aiment ça.

Diviser pour régner.

Occuper la racaille avec de commodes boucs émissaires.

Bravo...




jeudi 23 septembre 2021

Nous à 0,1%, 1%, 3% ou 20%? Toi à 100%!


Il y a plusieurs manières de voir la vie en société.

Il y a d'abord la manière forte. N'oublions jamais que même le roi parle souvent de lui-même à la première personne du pluriel. Son Nous ne représente que son bon vouloir qui s'étend à tous ses serviteurs. «Il Nous fait bon plaisir d'informer Nos sujets qu'ils doivent obéir.»

Quand la manière forte s'érode un peu, le Nous est représenté par quelques-uns et s'étend à tous leurs nouveaux vassaux et serviteurs. On en fera du spectacle autant que faire se peut pour calmer les ardeurs des uns et des autres. On se donnera, comme Humpty Dumpty sur son mur, le privilège d'établir la définition des mots selon que l'on soit le maître ou pas. La liberté veut dire l'esclavage. Et woke veut dire ennemi de la Nation.

Je m'en voudrais d'oublier qu'il y a cette fleur fragile, cet espoir aussi rare que précieux qui parfois nous submerge dans notre humanité. 

Il y a la solidarité, l'entraide, la générosité et la compassion.

Il y a cette possibilité d'inclure chacun et chacune dans un ensemble qui tend vers le respect et l'abandon des structures archaïques du pouvoir.

Le vieux monde ne tombera pas sans combattre, même si la bataille des us et des coutumes est déjà perdue pour lui. Ce vieux monde morose n'empêchera pas l'humanité, dont l'âge médian tourne autour de 19 ans, de lui faire comprendre que son temps et ses institutions sont totalement finies, out, déphasées, dépassées et probablement pourries.

Il y aura donc plus d'ouverture sur le monde et sur les idées au cours des prochaines années.

Ici, comme ailleurs, la politique est totalement déphasée avec ce qui se passe en temps réel dans la communauté.

Elle est encore au XIXe siècle. On y parle encore de nationalisme, de valeurs traditionnelles, de trucs qui font roter d'ennui.

Dans la vraie vie, on baise, on boit, on fume n'importe qui n'importe quoi n'importe comment et va chier si t'es pas content. Regarde ailleurs. Ouste du balai. On ne veut pas vivre parmi des talibans d'ailleurs ou du Texas. On emmerde les Savonarole. On rit des curés. 

Et on ne vote pas tant que ça dans la vraie vie. Un peu plus que la moitié des citoyens et citoyennes votent encore. L'autre moitié n'avait pas le temps ni l'intérêt.

À peine 3% des gens sont membres d'une formation politique. 

Plus de 97% des gens n'y trouvent aucun intérêt.

Le Congrès de la jeunesse caquiste, péquiste, libérale ou solidaire? Trois pelés et un tondu. Parfois un peu plus. Jeunes autant que vous et moi. Je me souviens que seuls les blaireaux militaient au sein d'une formation politique lorsque j'étais jeune. Ça ne doit pas avoir changé.

Le Nous, auparavant, c'était le roi.

En ce moment, c'est le 3%.

Il ne suffit que de récolter à peu près 20% du vote total des électeurs inscrits pour former un gouvernement qui se tapera les bretelles comme s'il représentait la «Nation».

Bref, nous sommes tous et toutes floués.

Du moins pour le moment.

Parce que la politique est en retard de deux cents ans sur l'évolution naturelle de la communauté.

Parce qu'elle représente l'état actuel des préjugés sociaux et économiques de l'élite au pouvoir.

Parce que nous ne sommes que de la poussière sur leur jeu de Monopoly.

Ça ne veut pas dire qu'il ne faille pas donner un coup de pied sur le jeu de Monopoly pour se faire de l'espace pour des logements sociaux et une vie digne de ce nom. Bien au contraire.

Mais ça, on en parlera une autre fois.

Il y a cette fleur fragile, cet espoir aussi rare que précieux qui parfois nous submerge dans notre humanité. 

Il y a la solidarité, l'entraide, la générosité et la compassion.

Il y a la révolte contre l'injustice.

Il y a l'insoumission et l'indocilité.

Il y a la liberté.



vendredi 27 août 2021

Faire ses recherches

Tout homme sur Terre cherche quelque chose qui n'est pas toujours l'amour ou le bonheur.

L'une cherche ses clés. L'autre cherche son portefeuille.

Tout le monde cherche quelque chose, souvent en vain.

Tenez, moi je me cherche encore. Je me trouve de temps à autres. Et quand je ne m'y trouve plus, je perds du temps à me chercher.

Il y en a qui prétendent ne plus chercher.

Il y en a qui ont trouvé réponses à tout.

Ce sont ceux et celles que je plains le plus. Avoir tout trouvé alors qu'il y a tant à chercher encore... Avoir la réponse, la foi, la Grande Idée -et ne plus rien chercher que les réponses qui rentrent dans les bonnes cases. Des réponses souvent simplistes, pas vraiment réfléchies. Des réponses pour se dispenser de penser. Croire, c'est ne plus chercher. Montrez-moi un fanatique et je prendrai la direction opposée. Plutôt crever seul dans la toundra que de frôler les murs parmi les Savonarole.

Alors voilà. Je me cherche. Je cherche. Et ce n'est pas ce que je trouve qui m'importe, mais ce que je ne trouverai jamais.

L'amour? Le bonheur? Vous savez bien que je suis de ces veinards qui peuvent prétendre y goûter un peu.

Ce n'est pas là le problème.

Le problème est plus grand que toute question que je pourrais me poser.

Je suis là, quelque part entre l'infiniment petit et l'infiniment grand.

Et je ne suis rien de plus que ce point, ce détail, cette anecdote dans l'univers impassible et immortel.

Tout le monde se cherche.

Tout le monde fait ses recherches.

Tout le monde.

dimanche 22 août 2021

Raymond le chamane

Raymond était un chamane. La plupart de ceux qui prétendent l'être sont généralement des faussaires. Mais pas Raymond. D'ailleurs, il n'en parlait à personne. Il buvait, certes, du soir au matin. Comme bien d'autres dont on ne s'intéresse pas plus qu'il ne le faut. C'est vrai qu'ils ne sont pas tous chamanes.

Raymond communiquait avec le monde des esprits avec ou sans alcool. L'alcool, en fait, c'était pour tenir le coup. Parce qu'en plus de communiquer avec l'autre monde, Raymond ressentait avec intensité tout ce qui se vivait autour de lui. Il pouvait devenir fourmi, chat, chien et vous-même. Toutes les souffrances, tous les ennuis vécus par le vivant lui trituraient l'esprit à le rendre presque fou. Alors il buvait pour oublier. Bien plus que pour communiquer avec les esprits. Il buvait pour mettre fin à la compassion avec le vivant et, pauvre Raymond, cela ne marchait pas vraiment. Même en rêves il devait parler avec tout un chacun et souffrir avec tout le monde.

Alors vous comprenez que les chamanes, en général, ne sont guère loquaces.

-J'te l'dis à toé mon Guétan... Parce que t'es une vieille âme qui erre dans l'univers depuis trop longtemps... La vie d'chamane, c'est pas d'la tarte! T'es mort trois fois Guétan... T'es pogné a'ec ça toé itou! T'es un hostie d'chamane man!

Il m'avait dit ça sans rire, enfilant ce qui lui restait de vodka dans son verre.

Puis il s'était effondré au sol de tout son long, dans le bar, devant les clients nettement plus blasés que médusés.

-Ce gars-là, Guétan, m'ont dit les gars au bar, c'est vraiment un chamane. Il lit dans les esprits. Tu lui parles même pas pis il répond à ce que tu penses dans ta tête... Y'est fucké en tabarnak! I' nous fait peur calice! Pis les taxis veulent jamais l'embarquer... Raymond y'est sur leur liste noire parce qu'i' pisse su' le siège tellement y'est beurré...

-Ah bin! J'ai mon hostie d'voyage! D'la discrimination envers les chamanes!

-C'est ça qu'on s'dit aussi... Raymond! Réveille Raymond!!! Es-tu mort Raymond?

-Allez chier tabarnak! répondit Raymond, le visage bien écrasé au sol.

Raymond vivait encore. Et il répondait encore aux esprits.

Normal. C'était un chamane.

samedi 21 août 2021

Je m'abandonne à l' autobiographie

On ne sait jamais comment ça commence et comment ça finit lorsqu'on s'abandonne à l' autobiographie. Chaque mot dévoile une nouvelle vérité aussi bien qu'il dissimule un nouveau mensonge. Les confessions sont toujours plus ou moins organisées. C'est d'ailleurs un genre littéraire que je déteste. Moins de Jean-Jacques Rousseau et plus de Rabelais. Les ivrognes intelligents plutôt que les braillards tristes et sérieux qui servent d'inspiration à Robespierre.

Pourtant, tout me pousse à la confession pour une raison qui m'échappe. Peut-être me faut-il passer par ce que Rimbaud aurait appelé des «rinçures», des confessions sur mon petit moi, mon petit passé, mes petits étés ou bien je ne sais quoi.

Commençons par l'été... Puisque j'ai été. 

J'aimais l'école parce que mes étés finissaient par devenir longs et ennuyants. Je fuyais peu à peu tous les jeux avec mes amis, sinon tous mes amis étaient disparus. Je me retrouvais seul à errer dans Trois-Rivières. Il ne s'y passait jamais rien. C'était triste et monotone. Avec cette sempiternelle odeur d'excréments produite par les papetières qui montaient à mes narines devenues indifférentes. Notre logement devenait trop chaud et trop humide, tout comme l'hiver il était trop froid et trop humide. C'était un logement mal isolé situé dans un quartier ouvrier, un «faubourg à la mélasse» comme disait mon père. Ça hurlait le soir. Tout le temps. Tout le monde semblait se donner des claques sur la gueule autour de chez-moi.

La bibliothèque municipale était mon havre de paix. Avec la piscine publique du parc de l'exposition où j'allais faire des longueurs pendant deux ou trois heures, jusqu'à me faire des bras gros comme des jambons. Je partais aussi à vélo, seul, le plus loin que je pouvais. J'allais pêcher du brochet sur la rivière Saint-Maurice. Je cueillais des mûres en haut du pit de sable, près de la rivière Milette. Je me bourrais la face de bleuets récoltés sous les tours électriques du boulevard des Prairies, dans le coin de Sainte-Marthe-du-Cap. Et le soir je travaillais au dépanneur. J'étais commis et livreur. Toutes les livraisons se faisaient à pieds, pas de bicyclette. Je livrais surtout du vin et de la bière. Je me faisais des bras.

Le reste de mes temps libres était consacré aux livres. Je lisais tout ce qui me tombait sous la main. De la biographie de Paolo Noël jusqu'à Le charbon de l'encyclopédie Que sais-je?...

Pour les filles, je n'étais ni prêt ni pubère. Certains le sont à 12 ans. Moi je le fus à 17. De 12 ans à 17 ans j'aurai cru que j'étais un monstre. Je m'en voulus d'exister. J'étais totalement asexué. Je fuyais les groupes de crainte d'être démasqué comme étant impubère. J'étais seul, isolé, taciturne. J'étais en passe de devenir un genre d'ange exterminateur par cette difficulté à subir les pressions sociales qui venaient de toutes parts. Je ne croyais plus en Dieu et on me forçait à aller à l'église. Comment forcer quelqu'un à adorer quelque chose qu'il ne ressent pas? Honorer un Dieu qui me faisait traverser tant d'ennui et de misère?

Mes étés étaient tristes et monotones...

Puis, un été, c'est venu... Je ne dirai pas comment ni pourquoi. Un échauffement subit et incontrôlé pour des formes féminines qui me hantaient. Une brûlure au bout de mon sexe.  Quoi donc? C'est donc ça... J'étais libéré d'un grand poids. J'étais enfin pubère! Je croyais en Déesse!

Malheureusement, il me fallut encore quelques années de maturité pour me débarrasser de ma vieille pelure infantile. 

Mes étés se passèrent ensuite au IGA, en tant que commis. Puis au Centre hospitalier de l'Université Laval, où je devins préposé aux bénéficiaires pour payer mes études à la faculté de droit.

Dans mes temps libres, à défaut d'avoir une blonde, je devins un agitateur politique relié à toutes les luttes de l'extrême-gauche. Je devins officiellement camarade et membre sympathisant de la 4e Internationale. C'est dire comment je me cherchais. Et qui je cherchais pour transformer ce monde pourri. J'ai finalement dévié vers l'anarchisme. Puis j'ai quitté à jamais toute forme de collectif politique pour mieux devenir moi-même, abandonnant à jamais le sectarisme et autres instincts grégaires que je ne ressens pas.

Mes étés étaient encore tout aussi tordus et soporifiques. Je travaillais. J'étudiais en philosophie. J'étais seul. Je prenais des psychotropes.

Les psychotropes m'auront peut-être sauvé la vie. Ils me permirent de mettre fin à ma virginité à tout le moins et de connaître, enfin, quelque chose comme l'amour et la sexualité. Idées et émotions se chamboulèrent dans ma tête. Bientôt, je ne fus plus le même.

J'errais d'une peine d'amour à l'autre parce que j'étais en retard de dix ans dans ma sexualité. Je devais apprendre plus vite que je n'avais jamais appris. Et j'appris. En quittant le Québec. En devenant un pur étranger, sans passé, prêt à vivre l'audace du moment présent.

Je vécus le premier et plus bel été de ma vie à Whitehorse, au Yukon. Musique, amours, amitiés: tout y était. C'est là que le petit Gaétan est devenu Grizzly. Ma pensée s'est modifiée au contact des voyageurs et voyageuses d'un peu partout dans le monde. J'ai appris l'anglais et par le fait même j'ai élargi le domaine de mes connaissances. Je me suis mis à tout lire en anglais.

Beaucoup d'eau coula sous les ponts depuis.

Je ne sais même pas pourquoi je vous raconte ça.

C'est décousu et ça tient un brin sur rien.

J'essaie d'écrire sur mes étés soporifiques pour me rendre compte que c'est ma vie qui l'était en quelque sorte avant que je ne brise ma chrysalide, trop tard sans doute.

On peut bien accuser l'été de tout et de n'importe quoi puisque je viens moi-même de le faire...

Si ça ne vous dérange pas je vais arrêter mon texte ici.

C'est pas la finale du siècle. Mais c'est mieux que rien.

On ne sait jamais comment ça commence et comment ça finit lorsqu'on s'abandonne à l' autobiographie.



lundi 2 août 2021

C'est la Fin y'a p'u d'Nouvelliste!

Il faisait froid. C'était le dixième hiver depuis la Fin. C'était quoi la Fin? Tout le monde l'appelait ainsi: la Fin... Eh bien, c'était la Fin.

Marcellin revoyait en boucle cette image de Madame Grenon qui, une main sur la marchette et l'autre tendue vers le Ciel, s'écriait que c'était la Fin.

-C'est la Fin y'a p'u d'Nouvelliste!

Pauvre Madame Grenon! Toute menue, toute chétive, vieille, malade, toute seule face à la Fin qui débuta, pour elle, lorsque son Nouvelliste cessa de paraître tous les jours pour devenir un hebdomadaire...

Le Nouvelliste, pour ceux qui ont vécu avant la Fin, était le quotidien le plus lu de la Mauricie. Même le Journal Le Goglu de Montréal ne réussissait pas à le détrôner. Plus personne ne lisait des journaux à cette époque, sinon les personnes dans les salles d'attente ainsi que les personnes âgées, les deux clientèles étant souvent les mêmes. Le Nouvelliste subsistait tant bien que mal avec sa rubrique nécrologie mais tout un chacun savait bien que l'histoire touchait à sa fin. 

Mme Grenon avait su que c'était la Fin dès que Le Nouvelliste cessa de paraître à tous les jours lors de la première pandémie d'on ne sait plus trop quoi tellement tout s'écroula vite.

Marcellin était originaire de l'Île Maurice. C'était curieux que ce gros gaillard soit venu s'établir en Mauricie. Encore plus qu'il devienne préposé aux bénéficiaires, de l'autre côté de la Terre, pour y vivre sa Fin du monde, loin de tout, avec Madame Grenon qui se prenait la tête à deux mains d'assister de son vivant, à l'âge vulnérable de quatre-vingt-dix-huit ans, au début de la Fin du Nouvelliste... Le Nouvelliste! Vous auriez dû lire ça... Un qui raconte que le président de L'entrepôt du soulier passe du beau temps sur la plage en Floride... L'autre qui liche le cul des gens au pouvoir. Et le même qui crache sur toute forme d'opposition à ce pouvoir qui nous mena vers la Fin...

Dix ans s'était écoulé depuis et il ne restait plus rien. Et quand on dit plus rien c'est plus rien. Le monde était devenu le chaos primordial. C'était la guerre de l'un contre l'autre pour un bout de ceci ou de cela tellement il ne restait plus rien. L'homme ne s'était pas raisonné et tout avait foutu le camp. Pandémie, extinction des espèces animales, ouragans, inondations, pluies de sauterelles, éruptions volcaniques, famines, guerres civiles, chute du bitcoin, tempêtes solaires, rayons gamma, pollution atmosphérique, name it all: c'était la Fin!

Marcellin s'était trouvé une planque idéale pour survivre. Il n'allait pas me dire où c'était vous savez bien. Il trouvait de l'eau et de la nourriture à tout le moins.

Je l'avais croisé alors que je pêchais. Je ne l'avais pas reconnu et l'avais d'abord menacé avec mon bâton de baseball pour qu'il poursuive son chemin. De nos jours, on ne peut plus se promener tout seul sans savoir à quel fou l'on a affaire. Et comme il n'y a plus ni de police ni de gouvernement, il faut bien se débrouiller avec ce que l'on a. Mon bâton de baseball fait office de sceptre pour affirmer ma souveraineté individuelle dans un monde qui ne tient plus sur rien, où c'est vraiment la Fin...

-Excuse-moi Marcellin! Je ne t'avais pas reconnu! Ça roule Raoul?

-Oh! Je comprends mon pote... Pas de soucis...  

-C'est la Fin hein? lui dis-je avec un clin d'oeil narquois.

-C'est la Fin y'a p'u d'Nouvelliste! ricana-t-il en me remémorant cette image qui me hantait aussi puisque j'avais travaillé au même endroit que Marcellin.

-Il n'y a plus rien mec... Plus de Nouvelliste... Plus de civilisation... Plus d'électricité... Plus d'eau courante... Plus rien. Mais j'ai deux brochets. Je t'en donne un si tu veux mon ami.

-Ok. Je te donne en retour une boîte de Chef Boyardee... Ce n'est pas si bon mais ça dépanne...

-Va pour le Chef Boyardee... C'est la Fin...

-Oui, c'est la Fin...


vendredi 16 juillet 2021

42 ans: l'âge médian d'un Québécois...

 Quel est l'âge médian d'un être humain sur Terre? Autour de 30 ans si je me fie à Wikipédia. Il est de 42 ans au Canada. Il tourne autour de 19 ans en Afrique et en Amérique du Sud. 

L'Occident est vieux et ses idées se sont oxydées. 

Pour cette Terre, je puis me considérer comme un vieillard à 53 ans passés.

Mes idées, mon rapport à la technologie, à la société, à la culture, à tout ce que vous voudrez, est désormais teinté par mon âge presque vénérable, sinon vulnérable, malgré tous mes appels au progrès.

La très grande majorité des êtres humains sur Terre sont plus jeunes que moi. Et c'est évident qu'ils et elles ne voient pas les choses comme moi. 

À voir les vieux roter leurs vieilles doctrines sur les chaînes de Québecor World je finis par me dire que nous sommes déjà finis, kaputt. Rien de nouveau sous notre soleil gris. Toujours la même poutine. 

Ça n'ira pas bien loin mes amis ce vieux joual bleu. Il est à bout de souffle. Il ne tient que par l'âge médian. Le monde entier est plus jeune et ne s'impressionne plus de nos vieux mouvements, de nos vieux gestes, de nos vieilles rengaines. Même nos punchlines sont éculés. On ressemble de plus en plus au boss de la série télévisée The Office: un regrettable crétin narcissique au pouvoir qui n'apporte rien de plus que son insignifiance à l'avancement de la société.

Quand je pense aux jeunes d'ici, je ne puis que m'attrister de penser qu'ils vivent une situation encore plus pénible que la mienne, à la même époque. La nature s'est détériorée. Nous faisons face à des changements et des événements climatiques extrêmes. Sans compter la pandémie de la COVID-19. Être jeune et n'avoir aucune voix, aucune parole dans la patente laurentienne aux cheveux gris. Être méprisé pour son humanisme, ses valeurs à la bonne place, sa compassion, son empathie... Pour que The Office soit éternellement géré par d'authentiques hosties de restants des années '80 bouchés des deux bouttes... Par des mononcles pis des matantes qui ne connaissent rien et s'en font un point de fierté. Qui pensent que les jeunes ne savent pas écrire alors qu'il y en a des masses qui le font mieux qu'eux.

Nous sommes une vieille société où l'espérance s'éteint.

Plus personne n'a vraiment le coeur à l'ouvrage. Ce n'est pas en laissant des vieux bozos crier des ordres que ça pourra s'arranger. «Crève avec ton vieux monde, mononcle. Tu ne trouves personne pour se tuer chez-toi au salaire minimum? Mange ton profit et fous-nous la paix.» Et ferme ton commerce. Mets la clé sur la porte. Va te faire soigner pour ton burnout. Retrouve ta jeunesse...

Les jeunes vont s'en partir des restaurants qui marchent avec des conditions cool pour leurs employés.

C'est toutte.


mercredi 30 juin 2021

L'Île de la Grande Tortue plutôt que l'Amérique

 Amerigo Vespucci, conquistador qui a donné son prénom à ce continent charcuté, possédait au moins cinq esclaves.  «Il a deux domestiques blancs et cinq esclaves : quatre femmes et un homme46. L'une d'elles, appelée Isabel, des Canaries, donne naissance à un garçon et une fille dans cette même maisonn 2,46. En se basant sur certains indices du testament d'Amerigo Vespucci, Consuelo Varela Bueno n'écarte pas l'hypothèse, comme il était courant à cette époque, qu'ils soient les enfants du navigateur46 (Source: Wikipédia)

Ahem... C'était sans doute un «grand homme»(sic!).  Il a «découvert» ce que les Autochtones couvraient depuis au moins quatorze millénaires avant son arrivée sur nos côtes. L'air de rien ce continent avait un nom avant l'arrivée de Amerigo le Florentin esclavagiste. Les Autochtones s'entendaient, s'entendent et s'entendront encore pour désigner leur continent comme étant l'Île de la Grande Tortue. C'est de la poésie pure, vous ne trouvez pas?

J'ai toujours trouvé infâme que l'Île de la Grande Tortue soit appelée l'Amérique. 

C'est un peu comme si l'Afrique s'appelait la Léopoldie.

Ou bien comme si l'Asie se nommait la Françoisxaviérie.

Cela témoigne, en quelque sorte, de la profonde maladie que colporte la civilisation impérialiste gréco-romaine dans ce monde où nous n'en sommes tous que des métèques, ad vitam aeternam, si nous laissions les choses aller vers le stupide culte de la personnalité qui s'y rattache.

L'Autochtone cultive l'humilité et l'écoute. Ce sont des valeurs qui vont en quelque sorte à contrecourant des valeurs véhiculées dans le cadre d'une société capitaliste centrée sur la «réussite» (sic!) individuelle, la résonance de son nom à travers l'appropriation des ressources et l'expropriation des humains. Plus tu humilies de gens autour de toi plus on t'élèvera des statues. Vous appelez ça de la culture? Moi j'appelle ça de la pure soumission à l'autorité. Vouer un culte à un être humain est une perversion de l'esprit. Moins de piédestaux s'il-vous-plaît. Plus d'arbres.

La toponymie autochtone est toujours poétique ou bien utilitaire. On ne désigne jamais les lieux par le nom d'un être humain. Ce serait manquer d'humilité dans ce Grand Cercle de la Vie où nous évoluons avec les créatures et la création. On ne dira pas le Lac Bouchard mais le Lac Caribou. Pas la rivière Saint-Maurice mais la rivière Tapiskwansipi: la rivière de l'enfilée d'aiguille. On ne voue pas de culte à la personne et en ces hauts faits. 

Voilà pourquoi je plaide depuis fort longtemps en faveur du recours à la toponymie autochtone. Ce n'est pas pour «canceller la culture». (De quelle culture s'agit-il? Planter une croix sur un terrain ne fait pas de vous un dieu!) 

Rendons justice à l'humain plutôt qu'en ses barrières sur un territoire enfin libéré du colonialisme. 

Que sait-on des Autochtones? Mille fois rien. On a enseigné à nos grands-parents qu'ils étaient des Sauvages tandis que Catholiques et Anglicans fournissaient les kapos pour les pensionnats autochtones. On a justifié, en quelque sorte, les abus et les mauvais traitements. On leur avait enlevé leur continent. Il valait mieux aussi leur enlever leur culture. Pour que le Hobbit en le colon puisse mieux dormir à voir gonfler ses intérêts pour ses activités foncières sur un territoire occupé de force, au mépris de tout un chacun.

Je nous invite humblement à considérer le rétablissement de la toponymie autochtone pour réparer l'histoire et ne plus commettre les mêmes erreurs. Moins de saints, moins d'esclavagistes, moins de politiciens et moins d'artistes à la morale douteuse. Moins de statues pour nous rappeler que nous n'étions rien et qu'ils étaient tout. 

Plus de poésie. Plus d'humilité. Plus d'humanité.


Gaétan Bouchard

Humain (traduction: Anichinabée, Innu, Iyéyou, Inuit...) né sur l'Île de la Grande Tortue


mardi 29 juin 2021

La culture vivante annule le mensonge


La culture vivante annule le mensonge.

On trouvera plus de vérité dans un poème que dans un système, aussi parfait soit-il aux yeux de ceux qui en profitent. 

On peut mentir dans un essai. 

On peut tordre la vérité dans un bréviaire à l'usage des séminaristes ou des talibans.

On peut voir le monde par le petit bout de la lorgnette identitaire et médire sur tout ce qui devait être tu pour ne pas passer sous le rouleau compresseur des conquistadors anciens ou modernes.

Mais on ne peut pas mentir dans un poème, ni dans une musique, ou si peu que ce ne peut être ni de la poésie ni de la culture.

En quelque sorte, le monde renaît dans cette apparence de chaos primordial dans lequel nous nous démenons tous plus ou moins comme des rats pris au piège.

Alors que certains exploitent les uns et les autres, spolient leurs biens et leurs culture, détruisent leur corps, d'autres continuent de rêver à un monde meilleur, plus juste, plus humain. 

Il n'y a  pas tant ce que l'on appelle la «cancel culture», oeuvre d'épouvantails plus ou moins fabriqués dans l'imaginaire des menteurs. 

Il y a la vérité et le mensonge. La vérité n'est pas une fabrication artisanale. Elle repose sur des faits, sur une forme de justice supérieure indépendamment des institutions ou du système qui les représente. 

La culture survivra très bien à l'annulation des mensonges et des génocides.

La culture vivante annule le mensonge.



lundi 14 juin 2021

La quête de la douceur

On ne se fait pas de mal à recevoir de la douceur, en petites comme en grandes quantités. Ce n'est pas de la grande sagesse, mais c'est utile au quotidien.

Longtemps j'ai tenté de mimer la tête du dur-à-cuire. Je n'y ai jamais vraiment réussi. Il me prend un fou rire aux deux secondes. Et la seconde d'avant je suis un juke-box ambulant, fredonnant les conneries qui habitent mon esprit pour traverser l'espace-temps en flottant sur la musique. Faire le dur me semble même un peu ridicule. J'y vois immanquablement le gorille qui se tape la poitrine pour impressionner et recule ensuite de 10 pas dans la savane pour se demander s'il a bien joué son rôle. Bref, il m'est difficile de croire en la dureté naturelle des primates. Les humains font beaucoup plus d'esbrouffe que de combats. Dans la vraie vie, tu ne reçois qu'une seule chaise en pleine face et tu es paralysé pour le restant de tes jours.

La douceur est tout ce qui me fait fondre. J'y suis tellement sensible qu'elle m'oblige à faire semblant de ne pas pleurer chaque fois que je suis ému. Et ça vient de plus en plus souvent en vieillissant parce que je ne mets plus d'énergie à jouer le rôle du fanfaron. C'est plus facile de flotter sur la musique et de pacifier son caractère, ne serait-ce que sous la forme d'un voeu non exaucé. 

Les gens doux m'impressionnent. Je ne parle pas des gens mous. Mais des gens doux. On peut être doux sans être mous. Et bien que ma bienveillance n'ait rien de particulier contre les mous, il me reste sans doute un peu trop de solide pour endurer ça.

N'empêche que je protège les doux de toute forme de malveillance. Comme s'ils et elles étaient le sel de la terre ou bien un truc du genre.

Les personnes dures, malveillantes, bourrées de préjugés, n'ont toujours réussi qu'à me les faire fuir. Ils ne m'impressionnent pas. Ils se pensent des alphas, ils ne sont que l'oméga de mes préoccupations et ne m'inspirent que de la pitié un peu condescendante. Je les trouve plus minimes que maximes à l'échelle de la douceur.

Je suis donc en quête totale de douceur.

Et j'en trouve suffisamment dans le minime combat de ma vie pour me réjouir de ne pas avoir été oublié par elle, cette sainte et pacifique douceur de vivre. Ce besoin de ne pas se sentir rationner en émotions fortes et profondes. La douceur. Autrement dit: la tendresse.

Un non-poème pour poétiser un peu l'impoétisable

J'aimerais écrire un poème qui réussirait à concentrer mon message dans sa plus complète pureté. 

Je n'y arriverai jamais parce que moi-même je ne sais pas départager la gangue du diamant brut de ma pensée. 

Je suis une énigme pour moi-même autant que pour autrui. Qui prétend me connaître ne peut être qu'un imposteur.

Néanmoins je me connais assez pour savoir où je n'irai pas. Il serait faux de croire que je flirte essentiellement avec la sagesse. Il y a en moi cet enthousiasme indescriptible, cette montée aux barricades, ce goût du combat. Je suis pacifique sans être pacifiste. Je suis doux mais aussi extrêmement violent et difficile à contrôler. Peut-être même que je suis libre.

Je ne suis surtout pas cette image idéalisée que je me fais de moi-même. Et je ne suis pas plus la description d'Untel qui ne se divulgue lui-même que pour faire semblant d'expliquer autrui.

Je suis parce que je suis. La pensée n'a rien à voir là-dedans. On peut très bien être quelque chose sans nécessairement penser. 

Ma philosophie est toujours en friche, incomplète, prête à boire n'importe quelle ciguë plutôt que d'avoir à m'expliquer à Pierre, Jean, Jacques. Tout ce que je bois je le recrache. Je ne digère pas bien tout ce qui est indigeste. 

Je ne suis le prosélyte de personne, même pas de Diogène. 

Je ne porte pas de poisson pourri dans le dos en priant derrière un gourou. Je ne sais hisser aucun drapeau. Je me contente d'exister, membre d'aucun club, d'aucun parti, d'aucune équipe. 

Je joue avec tout un chacun sans me casser la tête. S'ils ne veulent pas jouer je fais un pas de côté. Rien ne mérite d'être pris au sérieux ici-bas. Sinon la mort. La mort, c'est la fin de tout ça. Si c'est le début de quelque chose d'autre, moi je n'en sais rien parce que je ne l'ai pas vu. 

Pour l'heure, nous sommes autant là que nous sommes las. Nous sommes dans la file d'attente et parfois nous passons à l'action pour aussitôt nous rasseoir avec notre numéro, craignant de perdre notre place parmi ceux qui patientent pour je ne sais quoi: une retraite heureuse qui n'arrivera pas, un projet qui tombera à l'eau, une maladie qu'on ne souhaitait pas ou tout bonnement la vie, aussi rationnée soit-elle.

Il n'y a pas de poème à écrire sur tous ces sujets-là.

Il suffit de demeurer humain, solidaire et vivant.

En attendant que ça passe, comme d'habitude...

jeudi 10 juin 2021

L'histoire vraie de Carlos Qui-Picosse

 Carlos Qui-Picosse se sacrait pas mal de plaire ou bien de déplaire. Il ne devait pas son surnom du fait d'être déplaisant. Il ne picossait personne, Carlos. D'ailleurs, il se prénommait Charles. Le picosse c'est parce qu'il picossait tout le temps de l'index pour à peu près rien et tout le temps. Un toc. Sinon un tic. Carlos Qui-Picosse ne s'en préoccupait pas trop. Et s'il n'avait pas picosser autant, même ses amis ne l'auraient plus reconnu. Ce qui fait que Carlos Qui-Picosse lui était resté collé au corps comme une cicatrice. Et même qu'il s'en était fait un point de fierté, Charles Boivin. 

Ce petit homme pas très musclé n'arborait pas moins son surnom sur sa calotte, son pantalon d'édu, sa veste, son chandail, ses bas... On voyait Carlos Qui-Picosse partout sur lui. On ne pouvait même pas l'éviter. 

-Vous voulez m'appeler Carlos Qui-Picosse mes tabarnaks? semblait-il s'être dit. Eh bien j'vais vous en crisser plein la vue du Carlos Qui-Picosse!

Effectivement, il nous en avait crissé pleine la vue et plein la ville.

Ses entreprises fleurissaient: Carlos Qui-Picosse Pizza, Buanderie Carlos Qui-Picosse, Salon mortuaire Carlos Qui-Picosse. Il n'y avait plus rien à son épreuve.

Il mourut en 1997.

Il était alors âgé de 68 ans.

Un cancer ou bien une cochonnerie du genre l'emporta.

Il laissa dans le deuil pas grand monde pour tout dire, sinon ses employés, dont certains l'aimaient bien somme toute parce que Carlos Qui-Picosse a toujours été un gentleman du monde interlope. Il faisait comme si c'était normal de fumer des joints avec eux en écoutant du Led Zeppelin à fond de train.

Il s'acheta un gros terrain au cimetière.

Avec une grosse pierre tombale sur laquelle il fit graver toutes ses propriétés: restaurant, buanderie, prêt sur gage, etc.

C'était écrit

CI-GÎT CARLOS QUI-PICOSSE

PROPRIÉTAIRE DE TOUTES CES ENTREPRISES.

Et rien d'autre.

J'ai trouvé ça cute en quelque sorte.

Short and sweet.


vendredi 4 juin 2021

Fatima l'Africaine et le «peuple invisible»


J'ai le privilège de travailler et de vivre auprès de gens qui proviennent de tous les horizons. Cela me permet de nourrir ma curiosité insatiable. Et aussi de découvrir d'autres manières de vivre. Sinon d'autres manières de voir les choses. On n'apprend rien en ne sachant rien d'autrui. Et on ne lui apprend rien en le privant de tout ce qu'il est.

Fatima est Malienne. C'est un esprit solide, une âme stoïque au coeur généreux. Elle est dans le domaine médical, bien à sa place, surmontant toutes les épreuves, toutes les vexations, toutes les discriminations avec ce regard aussi fier que souverain. Ce même regard indicible que je perçois chez la majorité de mes frères et soeurs des Premières Nations. Quelque chose qui veut dire «paix intérieure» pour laquelle je ne trouve pas de mots assez forts en français. 

Quoi qu'il en soit, je me souviens d'une discussion avec Fatima à propos du racisme. Elle me racontait quelques anecdotes ça et là où elle s'en sortait toujours plus forte. Bien des racistes sont devenus moins racistes à son contact. Elle se faisait aimer naturellement de tout le monde, malgré toutes les barrières, tous les préjugés, tout ce que vous voulez. Elle ne se laissait pas impressionner. Vraiment, Fatima les avait tous et toutes par son flegme, sa présence, et je dirais même sa spiritualité authentique. Elle a plus fait contre le racisme, par le simple fait d'être là, debout, que tout ce que je ne pourrai jamais faire.

-Je pensais que nous les Africains vivions le summum du racisme ici, me racontait Fatima. C'était avant que je ne sois témoin du racisme envers les Autochtones... En classe, on me parlait, même si j'étais une Africaine... Il y avait une fille autochtone dans ma classe et tout le monde l'ignorait. C'est comme si elle était invisible... Je trouvais ça tellement étrange... Et je voyais ça partout, cette mise à l'écart des Autochtones... Puis les préjugés... J'allais la voir et lui parlais. Nous sommes même devenues amies... Nous allions prendre des cafés ensemble. Et elle m'a appris des mots... Je ne me souviens plus très bien... Kwé pour bonjour je crois...  Tout ce que j'entendais à propos des Autochtones, chez les filles de ma classe me hérissait... Elles les appelaient les «kawiches» et colportaient toutes sortes d'âneries sur elles... Je leur disais que c'était non seulement pas vrai mais particulièrement méchant... Je n'en revenais pas! Voyons les filles vous valez mieux que ça!

-Ça ne m'étonne pas... Nous sommes sur leur territoire et nous ne savons rien ni de la langue ni de la culture des Autochtones. C'est comme si leur présence nous rappelait quelque chose de honteux que nous souhaitons cacher... 

-Oui. Elle s'appelait Uapikun, qui veut dire fleur qu'elle m'a dit...

-Elle était de quelle communauté?

-Je sais pas... C'était au Lac St-Jean... J'ai vécu quatre ans au Lac St-Jean...

-Ok...

Je ne me souviens plus du reste de notre conversation. Il devait y avoir beaucoup d'humour. Fatima avait le don de tout revirer en blagues. Et ce n'était jamais déplacé. Des blagues qui révèlent l'humain sans fards et sans malice.

Cette conversation a eu lieu il y a de cela deux ou trois ans. Elle me revient souvent en mémoire. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être parce que Fatima, une Africaine de confession musulmane, avait le don de faire voir et ressentir le racisme, sinon le détestable ostracisme que subissent encore les membres des Premières Nations. 

Le «peuple invisible», comme dans le film éponyme de Richard Desjardins.

Un peuple spolié, dépouillé de tout, et éloigné de leurs terres. Un peuple qui reprend aujourd'hui sa place et défile calmement, stoïquement, dans nos villes à décoloniser.

Cela prenait une Africaine pour le comprendre mieux que bien des gens de la place...

Cela prend toujours un autre pour comprendre ce que l'on fait subir aux autres.


jeudi 3 juin 2021

Respect et vérité / Minadjidawin tebwewin

 


J'ai participé hier à la grande marche pacifique pour Madame Joyce Echaquan, une mère de famille Atikamekw décédée dans un hôpital de Joliette des suites de mauvais traitements conférés par du personnel soignant bourré de préjugés racistes envers les Autochtones, voire les pauvres. 

La veille, tous les Canadiens ont appris la triste nouvelle des 215 restes humains d'enfants découverts sous le terrain d'un ancien pensionnat autochtone de Kamloops en Colombie-Britannique. Plus de 300 sites d'anciens pensionnats autochtones seront bientôt passés au radar pour découvrir, peut-être, d'autres charniers...  Rien que d'y penser, je hurle!

J'ai peine à contenir autant ma colère que ma raison à découvrir tout ça. Il faut pourtant se rassénérer, réfléchir, agir pour le changement... 

Le rassemblement pour le départ de la marche se tenait au Parc des Pins, à Trois-Rivières. C'est le parc autant que le quartier de mon enfance. Je me sentais d'autant plus ému de voir autant de monde, pour ne pas dire autant d'Atikamekws. Tous ces visages, ces yeux, ces chairs, ces costumes qui me rappellent que nous avons voulu démolir tout ce qu'ils et elles représentent, pour extirper le «sauvage» d'eux-mêmes.

Qui étaient les «sauvages» sinon ces brutes qui ont sorti des enfants d'entre les bras de leur mère pour les battre, les affamer, les violer et parfois même les tuer pour ensuite les jeter dans un trou sans sépulture? Qui sont ces êtres vils et infâmes qui ont pu faire ça? Au nom de qui et de quoi? 

Nous ne savons rien de notre histoire tant que cette histoire-là sera submergée sous la pointe blanche de notre iceberg national. 

Combien étions-nous pour cette marche? Je m'attendais à 200 personnes. Il y en avait certainement 10 à 20 fois plus. La rue Laviolette était remplie d'êtres humains du Parc des Pins au Palais de Justice de Trois-Rivières. C'était flamboyant comme si les Autochtones réoccupaient l'embouchure de la rivière Tapiskwan Sipi et du fleuve Magtogoek après 400 ans d'exclusion brutale. Ils étaient pleinement chez-eux. C'est moi qui étais l'invité...

Nous avons scandé «Justice pour Joyce» sans arrêt, au son des tambours traditionnels, jusqu'au port de Trois-Rivières. Les représentant.e.s de plusieurs communautés autochtones ont tenu des discours tous très marquants. Il est clair que les Autochtones ne veulent plus plier et qu'ils avancent vers la pleine reconnaissance de leurs droits civiques et de leur histoire.

Le racisme systémique est reconnu partout en Amérique du Nord sauf au Québec.

Cela met de la pression sur le gouvernement de la CAQ, un gouvernement nationaliste bouffi d'idéologies vicieuses du XIXe siècle qui conduisent à tant de décisions malheureuses et barbares, dans le plus pur mépris d'une forme non-écrite d'humanisme universel. 

Je suis revenu totalement ému et bouleversé de cette marche.

Les enfants atikamekws que j'ai croisés pourraient enfin vivre dans un monde meilleur que celui que nous avons fait subir aux membres de leur lignée familiale. Un monde moins rude, moins haineux, plus solidaire et surtout plus humain.

À la lumière de ce que j'ai pu vivre hier, je crois que ce monde peut changer. Je crois même qu'il est déjà changé quoi que l'on fasse pour revenir vers l'horreur.

Nos manuels d'histoire sont tous devenus obsolètes hier et méritent une réécriture.

Le respect et la vérité doivent triompher dans les relations que les gouvernements coloniaux entretiennent avec les membres des communautés autochtones des Premières Nations. Les électeurs et les électrices ont le devoir de décoloniser l'administration de leurs affaires.

Minadjidawin: respect.

Tebwewin: vérité...

Justice pour Joyce.



mardi 1 juin 2021

Le Grand Cercle de la Vie plutôt que le grand trou de la mort

Image tirée du film Black Robe


J'ai visionné hier le film Robe Noire. C'est un film australo-canadien réalisé en 1991 par Bruce Beresford et entièrement tourné au Québec. Il met en scène Lothaire Bluteau dans le rôle principal d'un jésuite qui doit rejoindre une mission catholique établie chez des Wendates. Le jésuite passe un mauvais quart d'heure, tourmenté tant par ses idées que par les hommes autour de lui. C'est une sale époque. Il faut voler un continent. Il croit sauver des âmes. On lui reproche plutôt d'être un démon embarrassant qu'il faut promener ça et là pour satisfaire l'alliance avec le gouverneur de la colonie, Samuel de Champlain.

Évidemment, tout au long du film le bon jésuite ne trouve que des défauts aux Wendates. Contrairement au jeune Français qui l'accompagne. Ce dernier préfèrerait vivre comme eux somme toute.

-Ils ne pensent qu'à chasser et manger! Ils ne planifient rien! se révolte le jésuite pour faire comprendre au jeune Français de ne pas s'acoquiner avec les Autochtones, non baptisés, et susceptibles d'être inspirés par le démon...

***

Les Français planifiaient. Les Britanniques et les Allemands aussi. Mais pas les Autochtones. Ils vivaient en symbiose avec les ressources mises à leur disposition par le Grand Esprit. Certains s'étonnaient que les Français prétendent que l'Europe soit pleine de richesses et de choses merveilleuses. Si c'était le cas, pourquoi traversaient-ils mers et océans pour venir remplir leurs bateaux de tout ce qu'ils trouvaient ici? 

-Ce sont les gens les plus misérables du monde, prétendaient les Autochtones les plus compatissants. Ils travaillent du matin au soir pour remplir leurs navires alors que nous n'avons qu'à chasser ou pécher un peu pour avoir toute la journée pour nous sans travailler...  Ils doivent être très pauvres là-bas, en France... Prenez soin d'eux... Ce sont de pauvres gens...

Ils l'étaient. Il fallait qu'ils le soient pour piller ainsi tous les continents.

Peut-être parce qu'ils «planifiaient»... Planifiaient quoi, hein?

***

Un Autochtone qui habite sur une réserve ne peut pas hypothéquer sa maison. Sa maison n'a aucune valeur autre que celui que lui accorde le Conseil de Bande. Il ne pourra donc jamais jouer au Monopoly comme les autres capitalistes qui se sont emparés de leurs territoires non-cédés.

On voudrait qu'il planifie... Planifier quoi? Avec quel argent? Avec quelles valeurs de marde?

On voudrait qu'il nous imite... Imiter quoi? Une merveille de la création sans doute? Imiter la destruction massive de la vie sur Terre? Obtenir du crédit? Acheter une piscine? Organiser une course automobile à côté d'un hôpital? Creuser un tunnel de 10 milliards de dollars sous le fleuve et donner des peanuts aux exclus de ce grand «cauchemar climatisé»?

***

Le Grand Cercle de la Vie nécessite moins de planification et plus de symbiose avec la nature dans le moment présent.

Beaucoup d'observateurs européens trouvaient un air stoïque, pour ne pas dire philosophique, aux Autochtones. Lorsqu'ils comparaient leurs libertés aux leurs, ils se sentaient nettement désavantagés. Ce n'est pas pour rien que Benjamin Franklin s'est inspiré de la Confédération iroquoise pour rédiger sa constitution. Malgré tout ce qu'on leur a fait subir, on sait que la Vie est du côté autochtone. On l'a toujours su. Et toujours renié. Pour tuer le païen qui est en nous. Pour ignorer la beauté du monde. Pour vivre comme si la morue était faite pour être vidée de tous les océans.

Plus on avance dans le temps, plus il est évident que notre mode de vie est toxique, violent et susceptible de provoquer autant de catastrophes naturelles que de génocides. Ce n'est pas du rêve: c'est la réalité crue. Crue comme une peinture de l'artiste iyéyou (Cree) Kent Monkman.

***

Une grande marche est organisée pour Joyce Echaquan demain à Trois-Rivières. Je ferai tout ce que je peux pour y être avec mes frères et soeurs atikamekws. 

D'autres marches suivront sans doute. La découverte de 215 restes humains d'enfants enfouis sous le terrain d'un pensionnat autochtone à Kamloops n'est pas pour arrêter la vérité et la réconciliation... 

Pour une fois, je demande aux colons de se taire. Ce qu'ils n'ont jamais été capables de faire encore à ce jour. Quand un Autochtone parle, ou bien un être humain tout court, fermez-vous la et écoutez. Nos explications, nos théories, notre monde ont échoué. Tout est un champs de ruines autour de nous. Il est peut-être temps de laisser pousser les fleurs et les arbres entre ces ruines. Il est temps de reverdir la Terre et de soigner les blessures qui ne pouvaient pas se refermer.

Changer le monde est plus que jamais à l'ordre du jour.

C'est vraiment une question de vie ou de mort.

Nous n'avons pas seulement détruit les cultures autochtones.

Nous avons aussi détruit la vie.

Et voilà que les aborigènes se soulèvent et nous rappellent à nos devoirs envers cette vie.

Envers le Grand Cercle de la Vie.

Pour que les âmes ne s'effacent plus et continuent d'habiter cette terre, cette Île de la Tortue.

Peut-on servir la vie plutôt que la mort?

Le pouvons-nous vraiment?

Je le souhaite.

Migwetch (merci en anichinabé) à tous ceux et celles qui sauront faire la différence.

samedi 29 mai 2021

Je ne suis pas impartial


J'emprunte souvent la rue Hart pour rejoindre la piste cyclable près de la rivière Tapiskwansipi, appelée Saint-Maurice sous l'ancien régime colonial. Cette rue a été nommée en l'honneur du premier député juif d'Amérique du Nord... Ezéchiel Hart n'a jamais pu siéger au parlement sous la pression des Patriotes. Trois-Rivières est une ville inclusive dans un monde qui, manifestement, ne l'est pas tant que ça.

Le Palais de Justice de Trois-Rivières se trouve au carrefour des rues Hart et Laviolette. Laviolette c'est le soi-disant fondateur de Trois-Rivières. D'autres prétendent que c'est Théodore Bochart. Il y a plus de 8000 ans de présence autochtone sur le site dit des Trois-Rivières, autrefois appelé Métabéroutin, c'est-à-dire «lieu où se déchargent tous les vents». 

Il vente toujours fort à attacher sa tuque avec de la broche dans le delta de la rivière. Mais l'Histoire ne pouvait commencer qu'avec Bochart, Tif ou Tondu... Pas avec ceux qui s'appellent tout simplement les «humains», entre eux, dans leur langue: les Atikamekws. Ni avec les Anichinabés. Ni avec les Innus. Ni avec les Haudenosaunees ou les Wendates. Parce que ces derniers ne polluaient pas les paysages avec le culte de la personnalité. Ils ne nommaient jamais un lieu en l'honneur d'un être humain. Ça manquait d'humilité et c'était interprété comme un mauvais comportement social. Ça laissa aux Européens le soin de tout nommer en leur nom, dont le continent lui-même, donné tout entier à Amerigo Vespucci. Exit l'Île de la Tortue et ses légendes. Nous sommes tous nés de la cuisse de Jupiter dorénavant. Notre histoire débute à Rome ou Saint-Malo. Jamais du temps où ce territoire venait à peine de se libérer de ses glaciers. Du temps où les premiers humains, nos frères et nos soeurs, foulèrent le sol vierge de la vallée du fleuve Magtogoek.

En passant à vélo par la rue Hart, puis par le Palais de Justice, je suis tombé un matin sur quelques Atikamekws qui attendaient à l'extérieur. J'ai pensé immédiatement à Madame Joyce Echaquan, une mère Atikamekw décédée dans des circonstances de portée criminelle. 

La malheureuse aura tout filmé avant de décéder. On a pu entendre des infirmières qui font honte à leur profession tenir des propos racistes et violents envers la patiente. 

Elles ne lui ont pas donné les soins nécessaires et l'ont carrément tuée. 

La coroner, Me Géhane Kamel, se fait critiquer pour son manque d'impartialité dans son traitement des témoins qui, manifestement, se conforment à la loi du silence de ce milieu toxique qu'est la santé publique au Québec. C'est vrai qu'elle ne s'appelle pas Bouchard ou Tremblay. Kamel, ça sonne moins impartial. Ça sonne trop sensible à l'apartheid occulté. Ça sonne comme si l'on reconnaissait l'existence du «racisme systémique», ce dont notre belle Laurentie ne veut pas. 

On se croirait à une commission d'enquête sur l'accident nucléaire de Tchernobyl. À entendre tous les larbins et les larbines du régime, conditionnés à penser dans un petit carré fleurdelisé, Mme Echaquan n'est pas morte. Ils ne savent pas qui c'est... Du racisme à l'hôpital? Jamais. Les infirmières auraient traité aussi salement une personne assistée sociale. Au fond, on en voulait seulement à sa condition de pauvre qui fait trop d'enfants... Tout le monde déteste les pauvres, non? 

Tout le monde déteste les enfants? Un petit peu s'ils ne sont pas du bon teint. 

Je reviens de ma randonnée à vélo, le coeur déjà secoué, et j'apprends que les restes de 215 enfants ont été retrouvés sur le site d'un ancien pensionnat autochtone à Kamloops, en Colombie-Britannique... 

Je suis démoli. Démoli par ce génocide qui eut lieu et qui se poursuit insidieusement, dans le déni, avec l'approbation du nationalisme le plus crasse qui soit, tissé de mensonges historiques, de raccourcis intellectuels pour pharaons modernes, de lieux communs dénués d'assises humanistes.

Vous voulez vraiment que je vous parle de réconciliation avec les Autochtones?

Je ne sais pas par où commencer moi-même.

Sinon par le commencement: rétablir l'humanité tant dans notre justice que dans nos rapports sociaux.

Il faut rabaisser le caquet des caquistes et autres néo-duplessistes qui entretiennent le déni du racisme et la toxicité de nos rapports sociaux. 

On avance jamais avec ceux qui reculent.

Je ne suis pas coroner. Je ne suis pas impartial. Je suis partie prenante pour le respect des droits civiques de tout un chacun, sans aucune exception.

Les Autochtones comme toutes les autres personnes marginalisées, en ont soupé de ce cirque conformiste et dégradant pour petits fascistes en format poche. Tout le monde fait partie de la fête ou bien nous allons casser votre party en tabarnak.

Il est plus que temps de cesser le niaisage.

Idle no more!


mercredi 26 mai 2021

Monsieur Ixe, chambre 234-B de la Résidence des Pimbinas

Monsieur Ixe habitait depuis peu à la Résidence des Pimbinas. 

Il avait été retrouvé au sol, à demi paralysé, dans son logement devenu plutôt insalubre avec le temps. Il y habitait seul avec une caisse de bière.

Sa voisine avait alerté les policiers, puis les ambulanciers étaient venus ramasser Monsieur Ixe.

Monsieur Ixe devait avoir dans les 80 ans. Alcoolique et anxieux de nature, il avait comme qui dirait pris sa dernière cuite. Et depuis son retour à la vie institutionnalisée, il pestait comme mille diables après tout un chacun et n'importe quoi.

Il était petit et chauve. Ça venait avec une panoplie de soins à n'en plus finir compte tenu de l'extrême dégradation de sa peau, de son corps, de ses yeux, alouette... Il était plogué de partout. Et rien n'était jamais à son goût. Surtout avec les femmes. Et les personnes de teint et d'accent étrangers.

-Hostie d'tabarnak c'est pas mangeable icitte calice!

C'était d'autant plus ironique que Monsieur Ixe s'était nourri très mal au cours des dernières années de sa vie. On ne peut pas dire que du ragoût de boulettes en conserve ce soit de la haute gastronomie. Pourtant, Monsieur Ixe n'était pas sans laisser son avis sur la cuisine de la résidence qui était somme toute potable et mangeable.

Monsieur Ixe pouvait sonner 36 fois d'affilée pour ceci ou cela. C'était souvent pour livrer un char de problèmes au personnel-soignant.

-J'veux pas être lavé par des Noirs! J'veux du monde normal! Sacrament! Hostie! Tabarnak!

Évidemment, on ne pouvait pas toujours l'accommoder. Ni protéger le personnel de la malveillance de Monsieur Ixe. Mais bon, Mustapha et Fatima étaient capables d'en prendre. Ils ne s'en laissaient pas imposer. Ils étaient l'avenir et lui le passé...

-Si je suis offusqué par quelqu'un qui a une maladie mentale, je dois me questionner sur ma propre santé mentale, répliquait tout bonnement Fatima. Mustapha acquiesçait. 

Ils demeuraient stoïques et impassibles devant Monsieur Ixe qui continuait son sale manège.

Monsieur Ixe faisait dans sa culotte. Il ne sentait plus ses sphincters et était désormais incapable de se nettoyer lui-même. 

D'autres que lui se seraient sentis une petite gêne. Pas lui. 

-Viens m'torcher tabarnak! J'encore la couche pleine hostie! 

-J'arrive Monsieur Ixe j'arrive...

-Ça fait une demie heure que j'attends tabarnak! Grouille-toé l'cul ciboire! Dans ton pays i' dorment-tu au gaz toute la journée ciboire?

-56 secondes monsieur. C'est chronométré sur mon bidule...

-T'as menti! Pis christ ej' chie-là tu voés bin tabarnak???

La merde lui coulait le long de ses jambes. Fatima l'essuyait. Mustapha nettoyait le plancher.

Monsieur Ixe, enfoncé sur la chaise d'aisance, se releva péniblement et fit caca sur le siège ainsi que sur le plancher. Fatima et Mustapha nettoyèrent à nouveau. Ils l'installèrent au lit et il fit encore dans sa culotte. Ils le changèrent. Il réclama de retourner sur la chaise d'aisance. Il se vida encore. Tartina le siège et le plancher... Le staff était à bout mais flegmatique, stoïque, positif malgré tout.

La famille de Monsieur Ixe s'en mêla. 

-Comment ça s'fait que vous prenez tant d'temps à v'nir quand mon père a l'envie d'aller aux toilettes?  Pourquoi c'est pas bon la nourriture? En tout cas on n'est pas bin bin contents d'vos soins! Ça fait dur!

-Si vous croyez qu'il n'est pas bien ici, il vous est possible de lui trouver une place ailleurs ou bien de l'emmener vivre avec vous, lui répondit sagement Muriel, la coordonnatrice.

Ils ne trouvèrent rien à redire...

Ils ne venaient jamais le voir. Ils n'avaient pas le temps. Mais ils en trouvaient pour menacer le personnel soignant. Ceux et celles qui lui achetaient des vêtements à la friperie parce que personne ne s'occupait de lui trouver de vêtements ou d'accessoires. 

-Au moins il aura d'quoi à s'mettre sur le dos, se disait Fatima. C'est un pauvre homme... Un cas de grande misère sociale...

Vraiment, ce n'est pas de la tarte travailler dans ce milieu.

Il faut faire face à des sommets d'ingratitude.

Et se donner du coeur à l'ouvrage pour recommencer le lendemain à soigner même ceux qui ne soignent pas leur langage et vous méprisent.

Par contre, c'est un privilège que de travailler avec des personnes qui ont le coeur à la bonne place. Cela permet d'oublier certains irritants que la pauvreté, la maladie et la misère rendent inévitables en certaines circonstances exténuantes...



L'histoire d'un ex-prof d'histoire du Québec


Victor Grenier-Plamondon était professeur d'histoire jadis. Il enseignait surtout l'histoire du Québec puisqu'il était unilingue francophone et, surtout, nationaliste à l'os.

-Chu nationalisse à l'os, qu'il disait. Le pays est tatoué sur mon bras!

Il ne portait bien sûr aucun tatouage. Il était bien trop douillet pour ça. Se faire piquer des milliers de fois par la même aiguille, vous n'y pensez pas?

Quoi qu'il en soit, il était nationaliste à l'os et enseignait avec zèle toutes les demi-vérités qu'il avait apprises par coeur. Bref, il voulait revoir sa Normandie et ravoir sa Laurentie. Ou quelque chose comme ça. (Lorsqu'on ne joue pas à ce jeu-là, il est difficile d'en démêler toutes les subtilités mentales...)

Victor y avait mis tant d'efforts que seul un salaud aurait pu venir lui dire qu'il avait tout fait ça pour rien. Il s'accrochait à son histoire comme s'il s'accrochait à son portefeuille. Il en vint à confondre avec le temps sa survie avec celle de la nation. Plus il vivait bien, plus la nation était sur le bon chemin. C'était l'évidence même, malgré quelques irritants, dont des gens qui n'avaient rien et lui reprochaient un peu tout.

-Jamais je n'abandonnerai mon Québec, mon pays, ma nation... S'attaquer à moi c'est s'attaquer à l'âme du Québec!!! Ne voyez-vous donc pas clair dans le jeu des quénédiennes et des hyènequizes?

Grenier-Plamondon se foutait évidemment des gens. C'était un radin doublé d'un rat. On lui connaissait peu d'amis, sinon des gens comme lui, opportunistes et ridicules, pas vraiment formés intellectuellement parlant, bouffis de lectures obligatoires, mais très fiers de montrer leurs médailles et leurs distinctions dérisoires.

-J'ai obtenu le premier prix de la Société indépendantiste d'histoire du Québec... La revue Action Patriotique a publié mon texte portant sur Bourassa le tricheur et Chrétien le menteur... J'ai été historien en résidence à Saint-Malo... L'Islam menace le Québec et la civilisation occidentale... Je suis ami Facebook avec MBC. Les gauchistes exagèrent et on devrait les faire taire quand je parle. Mon long poème patriotique «Ô toi mon Québec!» a été publié aux Éditions 1837...

Tout ce qu'il disait dégoulinait d'un je ne sais quoi d'hypocrisie et de collaboration avec les farces de l'ordre. On ne l'écoutait pas vraiment. On savait à l'avance ce qu'il allait dire. Tout un chacun connaissait les questions et réponses de son sacrement de bréviaire de larbin de la nation.

Victor était non seulement ennuyant comme dix, mais menteur comme vingt.

Et raciste par-dessus le marché. Sinon sexiste.

Victor aimait se pogner le paquet devant ses étudiants et ses étudiantes, en classe, pour se donner de la virilité facile, lui qui n'en avait pas tant que ça tout compte fait. Il faisait semblant qu'il avait un charme irrésistible avec son poste et son chèque de paie. Pourtant, chaque fois qu'il revenait de pisser on voyait un énorme rond de pisse bleu marine sur son éternel pantalon d'acrylique bleu pâle, du même bleu que son veston et sa cravate. Et puis, sans s'en rendre compte, il se décrottait le nez devant son auditoire et lançait ses découvertes sur les étudiants assis dans la première rangée.

On lui aurait sans doute pardonné d'être un gros dégueulasse. On ne lui pardonna pas d'être une vieille cochonnerie qui s'accroche à une idéologie surannée.

Victor étirait longuement ses phrases et multipliait ses remarques assassines sur l'immigration qui menace le Québec, sur les personnes transsexuelles, sur les lesbiennes radicales, sur les ceci ou les cela.

Tant et si bien qu'on a fini par voir sa tronche un peu hébétée sur les médias sociaux -et pas pour les bonnes raisons...

Ses étudiants en avaient plein le cul de ses remarques de connard, de son histoire de deux de pique. 

Aussi se chargèrent-ils de le filmer à son insu tandis qu'il tenait des propos racistes, sexistes et carrément fascistes.

-Les juifs avaient trop de pouvoir en Allemagne... Que pouvaient faire les Allemands, hein? Et puis on a beaucoup exagéré la Shoah... C'est comme pour les Autochtones. Ils ont toujours été bien traités sous le régime français... Il faut se méfier des gens qui veulent «canceller» l'histoire, annuler la culture, bon sang de bonsoir! On n'a pas à avoir honte de vouloir un pays pour les nôtres avant les autres!!!

La direction de l'école se sentit tenue de le sacrifier. Le syndicat aussi, malgré quelques molles protestations du péquiste qui avait été nommé président.

Grenier-Plamondon se retrouva le cul à l'eau, sans travail et sans trop de possibilités de réembauche compte tenu qu'il était maintenant une authentique célébrité dans le domaine du trou-du-cul-tisme.

Victor pesta encore plus contre les communistes, les fédéralistes et l'immigration.

Mais il n'avait plus les rênes du pouvoir.

Un de moins pour faire chier le Québec et ridiculiser les Québécois.

mardi 18 mai 2021

Dialogue dans un abribus sur le sens de la vie

 -C'est quoi pour toé el' sens d'la vie d'abord?

-Qui c'est qui a dit qu'la vie avait du sens? Moé j'me bâdre pas avec rien. J'fais mon affaire sans me d'mander de c'que c'est qu'les autres vont en penser... Chu en paix avec moé-même pis quand les autres me font trop chier, j'fais mille pas de côté. J'reste jamais dans l'champ d'tir longtemps... Tu m'fais chier? Bin chie tout seul hostie!

-Ouin... Moé j'aimerais ça me foutre de toutte... On dirait que j'pense trop... J'fais du pensi-pensa, comme qui dirait: chu trop pansu!

-El' cimetière y'est plein de gens qui se pensaient indispensables... Sont morts pis c'est toutte... Pis nous autres on vit pis c'est toutte aussi.

-Ouin. Mourir, c'est pas drôle, drôle...

-Vivre c'est bin plus drôle j'imagine, hein?

-C'est sûr, c'est sûr...

-Coudon' elle arrive-tu la calice d'autobus?

-Est en retard.

-Hostie d'christ...

-Faut pas s'en faire. I' fait beau au moins...

-C'est sûr, c'est sûr...

-Qu'est-cé tu penses du troisième lien?

-Du quoi?

-T'as pas lu les nouvelles?

-J'lis jamais Le Journal de Montréal pis les cochonneries de Québecor...

-Moé non plus. J'lis juste Le Nouvelliste.

-Moé j'lis Rimbaud...

-Rambo?

-Rimbaud. Un genre de poète... Un poète voéyou.

-Ah. Ouin. Moé pis les rimes, crime, ça rime en crime! J'suis un voéyou voyez-vous!

-Arf. Arf.

-En tous 'es cas. La bus va bin finir par arriver. Saint-chrême!

-J'cré bin qu'oui...

Les autos et les camions continuent de passer à vive allure sur le boulevard Gene-H.-Kruger, anciennement le Chemin du Roy. Kruger est devenu le nouveau roi de la ville. On lui doit cette légendaire odeur de soufre et d'excréments qui flotte en permanence sur Twois-Ivièwes.

Nos deux zigotos ne parlent plus. D'ailleurs ils ne s'entendent plus avec les trois camions qui grondent au stop.

C'est plutôt laid dans ce coin-là. Alors les zigotos regardent le ciel en renâclant un peu.

C'est mieux que rien, le ciel, les nuages.

Tout le reste est plutôt laid, comme d'habitude.



mercredi 12 mai 2021

Mon chemin de l'intégration...

Trois-Rivières est une ville de langue française à 95%. Il s'y trouvait peu d'étrangers jusque vers les années '80 où l'on favorisa l'intégration des immigrants dans les régions du Québec.

Le premier «étranger» que j'aie connu était Cambodgien. Le deuxième était Vietnamien. Les deux étaient arrivés en même temps. Le Cambodgien était de notre âge, environ treize ans. Le Vietnamien n'avait pas encore quatre ans mais il était tout de même notre voisin. Il y avait bien sûr leurs familles mais nous ne vivions pas vraiment dans le monde des adultes. 

Monsieur Pépin, vétéran de la Seconde guerre mondiale, fût sans doute le premier de la rue à leur parler dans un mélange de français, d'anglais et de trucs qu'il avait dû apprendre pour communiquer avec toutes sortes d'humains au cours de ses aventures périlleuses. Il nous faisait toutes sortes de numéros comme souffler dans son pouce tandis que ses biceps ondulaient comme des vagues. On essayait de le faire ensuite et on n'y arrivait jamais. Encore aujourd'hui je me demande comment il faisait ça...

Tout étranger devenait tout de suite l'ami de Monsieur Pépin et comme il était le meilleur et seul ami de mon père, on finissait nous aussi par nous ranger sur la sagesse et la généreuse hospitalité d'Irenée Pépin.

C'était lui, le guerrier, l'homme qui en avait vu de toutes les douleurs, avec qui tout étranger pouvait trouver illico le chemin de l'intégration. Tu ne pouvais pas ne pas devenir l'ami de Monsieur Pépin. C'était tout bonnement impossible. 

Ce qui fait que je suis allé à la bonne école. Je me rends bien compte aujourd'hui que de tous les gens qu'il y avait sur la rue Cloutier dans ce temps-là, Monsieur Pépin était celui pour qui la peur de l'autre n'existait pas.

Mes parents avaient certaines réserves, certaines peurs. Ils arrivèrent à les surmonter plus souvent qu'autrement. Mais l'étranger, l'Autochtone, celui qui ne faisait pas comme tout le monde, je crois bien que ça les rendait parfois anxieux. Ils n'avaient pas connu d'étrangers. 

Néanmoins, mon père et ma mère ne laissèrent pas cette part d'ombre les terrasser. Ils suivirent timidement le chemin ouvert par le soldat Pépin. 

À l'école, je fus de plus en plus en contact avec des étrangers. Mais c'est à l'université que vraiment je pus connaître des personnes provenant de tous les horizons. Et m'en faire des camarades que je fréquente encore dans la vraie vie. Le travail en Colombie-Britannique, au Yukon puis au Labrador élargirent mes horizons. C'était désormais moi l'étranger avec mon anglais très primaire qui s'améliora avec le temps.

Je fus l'étranger, comme Monsieur Pépin. Au retour chez-moi, je me suis juré que je vivrais dans un monde où plus personne ne se sentirait étranger.

J'ai adopté la fameuse technique de Monsieur Pépin. Tout étranger porte une histoire que je veux connaître. Je salue, parle, trouve des points de discussion, questionne, m'étonne, m'émeus. 

Mes petites misères ne sont pas grand chose quand j'écoute les récits d'horreur des uns et des autres, de la Bosnie jusqu'à l'Amérique latine, en passant par la corne de l'Afrique. Je m'en voudrais de ne m'en tenir qu'à l'horreur, mais elle était souvent là pour les inciter à trouver refuge ici parmi d'autres humains qui ne sont pas en guerre et vivent relativement en paix. 

Au fond, il n'y a pas d'étrangers pour moi.

Nous sommes tous et toutes frères et soeurs et mieux encore: Terriens.

Nous n'avons pas décidé des frontières et des administrations.

Mais nous pourrions décider de vivre mieux ensemble malgré les frontières et les administrations.

J'ai l'espoir de vivre dans un monde où l'on partage autant les repas que les connaissances.

Je ne trouve aucun plaisir et aucune utilité dans l'humiliation des gens qui nous entourent. 

On fait tous partie du même État, de la même ville, du même quartier, du même bout de ruelle.

S'il arrive quelque chose à mon voisin, quel qu'il soit, je me porterai naturellement à son secours. 

Je ne laisserai pas personne se sentir exclus de la fête sous prétexte que sa tête ne revient pas à tel ou tel peureux qui ne sait pas que c'est lui le méchant du party. Même lui nous pourrons le ramener. Parce qu'inclure tout le monde ça ne laisse pas pour autant les niaiseux de côté. 

Arrête de faire le con. Arrête d'avoir peur. Et fêtons ensemble.


mardi 11 mai 2021

L'Hibachi de feu mon père Conrad Bouchard


Conrad et Jeannine s'étaient achetés un Hibachi. Juillet 1981. C'était l'été après tout et il fallait bien faire un peu comme les autres qui avaient des barbecues sur leur perron. 

Il faisait toujours chaud me semble-t-il ces étés-là. Nous étions six à suer dans un petit cinq et demi. La moitié avant était de briques. Quant à la moitié arrière, c'était demeuré à l'état de baraquement d'usines. Un mélange hétéroclite de bois, de tôle et de papier-brique goudronné. C'était plutôt laid mais nous ne le savions pas encore. Pour moi, c'était encore mon Far West. La ruelle était l'endroit où j'apprenais à survivre avec mes camarades, souvent plus pauvres que moi. J'avais un père et une mère, un toit, de la nourriture dans le frigidaire. Il ne nous manquait qu'une auto et une télé en couleurs pour rejoindre la moyenne nationale de l'époque. J'imagine que nous étions légèrement au-dessus de la moyenne dans mon quartier. Quoique mes souvenirs soient plutôt anciens, voire vagues et confus...

Par contre, ce foutu Hibachi habite encore ma mémoire...

Conrad, mon père, n'était vraiment pas habile de ses mains. Il en avait développé un certain complexe qu'il camouflait sous des tonnes de sacres et de jurons tous très catholiques. J'ai malheureusement hérité de cette propension à enligner des millions de sacres l'un après l'autre. Quant au côté manuel, j'ai eu la chance d'hériter de ma mère...

Enfin! Je me perds encore en digressions... Revenons à l'Hibachi.

Ils l'avaient acheté chez Canadian Tire, le plus loin qu'on pouvait aller à pieds, à la sortie du pont Duplessis, au Cap, près de la Reynold's Aluminium Company où Conrad travaillait.

C'était emballé dans une boîte et il fallait malheureusement assembler l'Hibachi...

Conrad, n'écoutant que sa masculinité, se mit à la tâche d'assembler ce petit grill portatif en fonte. 
Il vissa le pied puis s'attaqua aux poignées de l'Hibachi.

Une fois que tout fût terminé, fier de son ouvrage, Conrad nous montra son pitoyable résultat.

Les deux poignées étaient vissées vers l'intérieur de l'Hibachi plutôt que vers l'extérieur.

J'avais 13 ans. J'étais un peu insolent, même avec mes parents, comme tous les foutus membres de ma génération X de sans-desseins. 

-Heille p'pa cibouère tu l'as vissé à l'envers! lui ai-je probablement dit.

-On sacre pas tabarnak! Hostie d'sacreux de calice de cibouère! m'aurait-il répondu.

-Ouin bin tu sacres bin toé p'pa... Pourquoi qu'ej'sacrerais pas?

-J't'ai dit d'pas sacrer calice pis tu sacres pas tabarnak c'est toutte hostie!

-Ouin bin tabarouette tes pognées sont quand même vissées à l'envers p'pa mautadit...

-M'as t'en faire qu'i' sont vissées à l'envers hostie d'cibouère de calice de tabarnak de jésus marie de christ de tabarnak de saint-chrême de calvaire! A' sont vissées comme du monde tabarnak! C'est d'même que ça va hostie d'christ!!! Hostie d'jeunes maillets qui pensent qui connaissent toutte pis qu'i' connaissent rien!!! C'est ça l'bonhomme connaît rien! Gnangnangna! Cibouère de christ de tabarnak!!!

-Bin non p'pa... tu voé bin qu'el' feu va poigner après 'es poignées... 'stie...

-Hostie! 'Stie! Arrête de sacrer calice!!! I' vont toutte dire qu'les Bouchard sua rue c'est des hosties d'sauvages pis des calices de sacreux! Sont correctes les poignées cibouère de tabarnak!

-Christ p'pa allume hostie les poignées sont à l'envers!

-Soé poli tabarnak! Pis arrête de sacrer cibouère! Sont correctes les hosties d'poignées d'l'Hibachi! C'est toutte!!! Viârge d'étol de saint-cibouère du christ de tabarnak de saint-chrême d'hostie d'christ de tabarnak!

Il devait être mauve ou vert. En tout cas assez coloré pour que j'arrête de remettre en question son ouvrage...

Mon souvenir est vague. Je crois que c'est Jeannine qui, probablement une fois de plus, a dû rappeler humblement à la raison son mari si peu habile avec ses mains. Pas bricoleur, mais prêt à vous claquer vingt heures d'heures supplémentaires par semaine à la shop pour qu'on se paie un Hibachi, une laveuse, une sécheuse, un fauteuil Lazy-Boy...

Jeannine le tenait par le lit. Quand Conrad sacrait comme un charretier, elle lui faisait la grève de la tendresse. Conrad arrêtait subito-presto de sacrer. Et de s'énerver pour rien.

-Ma belle fiancée... ma Jeannine... hein... 

-Waf! Tu m'diras ça quand tu s'ras vraiment moins fou comme d'la marde...rétorquait Jeannine.

-Bin là chu tranquille ma Ninine d'amour... Chu... heu... doux. Viens t'coucher Jeannine... Chu dans l'lit là... Viens t'coucher hein? Viens que j'te serre dans mes bras ma fiancée! Viens-t'en ma belle Ninine!

Et elle finissait par aller le rejoindre. Parce que c'était un homme bon. Et ma mère une femme bonne. Nous étions des gens bons... Enfin, c'était le scénario auquel l'on adhérait plus ou moins volontairement.

La paix revint un tant soit peu autour de l'Hibachi cet été-là.

Sinon que ça donna plus de travail que prévu à ma mère, dont les standards de propreté ne pouvaient qu'être trop élevés pour un Hibachi toujours dégoulinant de gras et de suie. Ce qui fait que l'été suivant, on laissa tomber l'Hibachi pour le remplacer par un truc moins salissant qui salissait tout autant... L'Hibachi a probablement été enterré au dépotoir de Saint-Étienne-des-Grès avec tous les Hibachi des années '80.

Mon père vissa probablement les poignées à l'envers une fois de plus dans le nouveau barbecue dont l'annonce était passée pendant l'émission Les tannants à Télé-Métropole

Mais bon, au deuxième essai, tout revenait un tant soit peu dans l'ordre. Sinon que certaines vis tournaient dans le beurre et que certaines pièces étaient chambranlantes.

On se fit encore des hot-dogs et des hamburgers. 

Jeannine frotta les grills mieux que nous ne nous intéressions vraiment à le faire, nous les cinq garçons de la famille en incluant mon père.

On enterrait le charbon dans la cour quand la braise avait un tant soit peu refroidie. 

Si l'on fait un jour des fouilles archéologiques derrière le 856 de la rue Cloutier à Trois-Rivières , il s'y trouvera sans doute quelques vestiges de nos repas sur l'Hibachi.

Pour l'atmosphère qui régnait autour de cet Hibachi, on pourra toujours bien se référer à ce que je viens de vous écrire. J'aurai livré une autre partie de mon histoire que je bégaie à tous vents lorsque je ne m'assois pas pour tout bonnement l'écrire. Vous trouverez, ici, une version épurée et moins bavarde. Vous ne voudrez plus jamais de la version orale et c'est tant mieux. Je dois moi-même passer à autre chose et en finir avec les Hibachi.