dimanche 31 octobre 2010

Conte de Noël (1)

Novembre est le plus triste de tous les mois. Décembre est beaucoup plus gai. Parlons du mois de décembre. D'autant plus que l'événement s'est passé en décembre, le jour que les chrétiens appellent Noël.

Ah! Décembre qui redevient pur et lumineux avec les premières neiges. Puis le froid qui s'installe. Les couleurs païennes des fêtes du solstice. Et puis Noël.

Que dire de cette journée? Oh! C'est la naissance du p'tit Jésus. C'est la carte de crédit overload pour payer les cadeaux. Et ce sont les enfants qui rient, pleurent ou ne font rien parce qu'on ne fête pas Noël dans tous les foyers.

Ismaël Atik ne fêtait pas Noël. Enfin, pas au sens où les chrétiens l'entendent. Il n'était pas musulman mais ses parents l'étaient. Essayez d'expliquer ça au juge. Ou bien au clan. Bref, Ismaël terminait son post-doctorat en physique à l'université et vivait pour le moment dans une chambre miteuse du boulevard Saint-Joseph. Ismaël ressemblait un peu à Bob Marley mais avec les cheveux coupés ras. Il se rasait de près, du menton aux cheveux. Et portait de petites lunettes rondes d'intellectuel.

Ismaël vivait dans une maison de chambres. Il partageait une douche et une chiotte avec trois autres ahuris qu'il n'avait jamais vus. Leurs heures d'entrée et de sortie ne concordaient pas.

Sauf ce jour de Noël. Ils se sont enfin vus.

Cet après-midi de Noël, Ismaël avait une forte envie de pisser et chaque fois qu'il venait pour aller aux chiottes il fallait que ce soit toujours occupé.

Aux grands maux les grands remèdes. Ismaël se décida à faire son pipi dehors, du côté de la sortie de secours.

Comme il pissait, Nelson Bonenfant sortit la tête de la fenêtre de sa chambre miteuse, située tout près du jet de pipi. Nelson était un freluquet de soixante ans qui portait une calotte de baseball.

-Tu pisses en tabarnak mon homme! La vessie va t'exploser! lui dit Nestor tout en se présentant et en lui tendant la main.

-J'm'appelle Nelson Bonenfant, pis toé?

Ismaël fût tout de suite saisi. D'abord il pissait à deux ou trois pieds de cette main qui se voulait fraternelle. Et puis c'est un peu mal aisé que de tendre sa dextre à la dextre d'un autre quand on tient sa queue avec. Ce qui fait qu'Ismaël le salua avec sa senestre - sa main gauche au risque de tomber dans un récit didactique.

-J'm'appelle Ismaël. Bonjour monsieur. Désolé de ne pas vous serrer la main!

-Désole-toé pas mon homme! Moé c'est rare que j'me lave les mains après avoir pissé...

Ismaël comprit qu'il avait affaire à un ivrogne. Et puisqu'il ne pratiquait plus la religion de ses parents, il crut qu'il serait poli de ne pas refuser une bonne lampée d'alcool pour célébrer la mémoire du prophète Ioussif alias Jésus.

Il rentra sa bastringue dans son pantalon, rezippa le tout, et prit dans sa senestre la bouteille de gin De Keeper que lui tendait Nelson.

Dix minutes plus tard, il rencontrait son deuxième voisin, Lambert Lafortune, un électricien qui vivait des primes de la CSST depuis qu'il s'était électrocuté sur une ligne à haute tension dans les années '80. Ses amis l'appelaient «Séquelles». Nelson et Ismaël l'appelaient simplement Lambert.

Au bout d'une heure, tout le monde était saoul et les trois allaient pisser dehors, du côté de la sortie de secours, en se passant la bouteille par la fenêtre de la chambre de Nelson. Les chiottes étaient encore occupées. Pas moyen de faire autrement.

-Cou' don' saint-chrême d'hostie! cria Séquelles. Ça fait combien d'heures qui chie l'gros Freaks?

Campbell Freaks était le gus qui s'était enfermé dans les chiottes. C'était un labradorien originaire de Goose Bay, membre du Labrador Party, un parti réclamant que le Labrador se sépare de Terre-Neuve pour devenir une province canadienne, sinon un pays,

Évidemment, il était mort.

Ce qui fait que les trois ivrognes pissaient pour rien dehors.

C'est Nelson qui se décida à défoncer la porte en foutant un coup de pied qui arracha la serrure.

Campbell Freaks était mort étouffé dans ses vomissures. Il avait probablement trop bu. Un exemplaire du Journal de Monrial était déplié sur ses genoux. Campbell Freaks était mort en regardant les images de la section des sports. Son français n'était pas suffisant pour lire le Journal.

-C'est des choses qui arrivent! philosopha Nelson.

-I drink to that! renchérit Lambert.

Quant à Ismaël, il ne dit rien.

Quelqu'un dut appeler la police ou l'ambulance.

Les chiottes étaient enfin libérées.

Plus besoin d'aller pisser dehors sur cette fine neige qui rappelait à toute la chrétienté qu'un Sauveur était né.

samedi 30 octobre 2010

Happy Halloween!

Le règne animal ne nous donne pas toutes les réponses. Néanmoins nous pouvons constater que le type nerveux est le propre des proies. Les écureuils sont extrêmement nerveux. Ils regardent de tous côtés et grimpent dans un arbre au moindre signe de confrontation avec une autre espèce. Idem pour les chevreuils, les souris et les oiseaux-mouches.

Par contre, les félins sont calmes. Et ce sont de farouches prédateurs. Ils ne s'en font pas avec la vie parce que la vie leur en donne plus qu'ils n'en ont besoin. Ils prennent même du temps pour s'amuser. Regardez les chats comme ils sont enjoués et calmes, la bouche toujours pleine d'oiseaux ou de souris.

Yolande Bournival était du type souris. Un rien la faisait sursauter. Elle avait peur du matin au soir, et même la nuit. Ce qui fait qu'elle s'était trouvé un matou, Ralph Bukarski, un Mexicain d'origine soviétique dont le grand-père avait été garde du corps de Léon Trotski en 1942, l'année même où il s'était fait enfoncer un piolet dans le front par un agent de Staline.

Bukarski se foutait pas mal de la politique, cela dit. Il était éboueur pour la compagnie Waste Moving. Et comme il travaillait de nuit, Yolande avait encore plus peur la nuit puisque Ralph n'était pas là pour la défendre. Pourtant, on sait tous que la nuit tous les chats sont gris. Et d'autant plus grisés s'ils sortent des bars, à trois heures du matin.

Yolande ne dormait jamais la nuit parce qu'elle avait peur. Elle demeurait juste en face d'un bar renommé pour ses meurtres à la mitrailleuse. Trois en dix ans. Le bar Bar était un bar barbare où les barbares se réunissaient pour se partager entre eux la paie du crime. Et de temps à autres, takatakatak, quelques-uns se faisaient trouer et vider de tout leur sang.

Ce qui fait que Yolande avait toujours un bâton de baseball et un couteau de boucherie sous son lit. S'il advenait qu'un gus vienne pour la voler ou la violer, eh bien elle le réduirait en charpies, même si c'était une petite femme nerveuse, maigre comme une échalote, qui fumait trois paquets par jour pour se calmer un peu et prenait des tas de petites pilules pour l'insomnie qui ne fonctionnaient pas.

Son gros Ralph était loin, la nuit, se promenant d'un bout à l'autre de la ville pour ramasser les ordures. Quand il ne faisait pas face à des tas de rats, Ralph devait combattre les ours noirs au dépotoir. Il fumait comme un crématorium lui aussi. Ralph s'allumait toujours une nouvelle cigarette avec son botche. Il fumait huit paquets par jour. Huit paquets, sérieusement. Il devait lui rester trois semaines à vivre. On se disait ça entre camarades de travail. Mais non. Ralph toffait la run. Il fumait ses huit paquets tout en faisant une job physique comme le Yab.

Une nuit d'Halloween où tout le monde s'était déguisé au bar Bar, Yolande reçut la visite d'un gars déguisé en serpent à sonnettes qui s'introduisit par l'une des fenêtres du sous-sol. Alertée par le bruit, elle surprit le type en train de vomir dans ses toilettes.

Yolande, nerveuse comme une portée de souris, s'empara du bâton de baseball et le frappa plusieurs centaines de fois en criant sur une même note inaudible.

Le sang revola sur tous les murs. Les os du crâne fendirent. Le cerveau se transforma en gibelote. Les yeux quittèrent leurs orbites. Puis la vie s'en alla, dans un dernier rêve éthylique.

Yolande cessa de frapper au bout d'une heure vingt-deux minutes. Elle était transie par l'adrénaline.

-Qu'est-ce que j'ai fait mon Dieu! Qu'est-cé qu'j'ai faitte my God! Ah non! hurla-t-elle faiblement.

Elle sortit son galon d'eau de javel et son nettoyant tout usage préféré. Elle reviendrait laver plus tard les déjections qui maculaient la salle de bain.

Elle fit glisser le cadavre sur un vieux drap puis traîna péniblement le corps jusqu'au sous-sol où elle fit boucherie pour faire disparaître les traces de l'assassinat. Elle se mit une valse de Strauss, Le Danube bleu, pour se calmer un peu tandis qu'elle découpait en tranches le serpent à sonnettes.

-Les réponses aux grandes questions métaphysiques se trouvent toujours au hasard. Que l'on s'agenouille ou bien que l'on se fende le cul en quatre, rien ne viendra si l'on ne laisse pas le hasard entrer dans nos vies.

C'est ce que se disait Yolande en son for intérieur tandis qu'elle affûtait sa hache.

vendredi 29 octobre 2010

Il savait faire la vague comme pas un

Jérôme Langevin savait faire la vague comme pas un. Il ne savait rien d’autre. L’école, le travail, le bénévolat? Tout cela ne représentait aucun intérêt pour lui. Langevin savait faire la vague comme pas un et cela lui suffisait pour trouver en ce monde ne serait-ce qu’une infime poussière d’immortalité. Ce qui faisait qu’il ne faisait rien d’autre que faire la vague et remplir ses formulaires pour recevoir des subsides de l’État.

Il était petit et souple comme un chat, le gros Langevin. Car il était gros. Comme quoi l’on peut faire la vague comme pas un et avoir la taille d’un tonneau.

J’ai écrit que Langevin n’avait aucun intérêt pour le bénévolat. Pourtant, il consacrait son art de faire la vague à des œuvres communautaires, comme la Fête de quartier ou bien le festival hiphop de tel ou tel petit bar de yos. La musique yo convenait parfaitement à ses vagues et, se sachant dans le coup, il portait toujours son pantalon sous son ventre, avec le fond de culotte qui lui pendait entre les genoux. Même qu’il se laissait surnommer Dji Daddy Cool par ceux qui riaient de lui quand il faisait la vague.

Au fil des années, on ne peut pas dire que Langevin soit devenu une légende. Même que les yos se crissaient pas mal de lui. Ce qui fait qu’il a abandonné le bandana, la casquette et le fond de culotte qui pend aux genoux. Il a troqué ça contre un pantalon de travail Big Bill, mieux ajusté à son ventre. Et il porte maintenant un tee-shirt jaune fluo tout à fait affreux avec toutes sortes de petits brillants qui vous agacent les yeux.
Bien sûr, Langevin fait encore la vague. Il est dans sa mi-trentaine et sent que son talent n’a plus toute la force de ses vingt ans.

Souvent le gros Langevin perd pied et revole dans le décor. Son sens de l’équilibre est devenu à peu près nul. Pas parce qu’il boit. Juste parce qu’il vieillit un peu trop vite entre les deux oreilles.

On pourrait croire qu’il serait porté à boire, lui qui faisait la vague comme pas un. Mais pas du tout. Il ne boit que de l’eau.

-Parce que l’eau, c’est la vie, qu’il dit, le gros Langevin.

Évidemment, on ne nourrit pas un cochon à l’eau claire.

Et le gros Langevin mange beaucoup trop de charcuteries et de patates frites.

S’il en mangeait moins, peut-être réussirait-il à retrouver la vague de jadis.

Une vague toute en souplesse, avec des mouvements de doigts et des roulements d’épaules à la hauteur de ce qui se faisait mieux dans tout ghetto qui se respecte.

Quel gâchis! La vie est vraiment dégueulasse pour de purs talents comme celui du gros Langevin, ce gus qui savait faire la vague comme pas un.

jeudi 28 octobre 2010

La véridique histoire du maire Jocelyn Flagorneur: un autre gros hostie d'cave

Jocelyn Flagorneur était un gros hostie d'cave.

-Moé, j'hayis ça lire des livres pis les zintellectuels c'est yien qu'des mongols!

Cela ne faisait pas nécessairement partie de son programme politique. Un programme de droite, pas nécessairement étoffé, qui avait au moins l'heur d'être on ne peut plus précis.

-Si e'j'su's élu maire d'la ville, m'en va's crisser dehors les Taboules pis ceusses qui portent des nappes su' 'a tête! Les cyclistes? M'en va's agrandir les routes pou' les zautos sacrament! Pis fuck les cyclistes, les zintellectuels pis les mongols! Moé j'veux une ville propre calice!

Ça, c'était son programme politique...

-J'aime les idées du maire Ford, moé, pis e'j'veux faire comme à Toronto calvaire! M'en va's toutte les faire marcher au pas saint-chrême d'hostie! qu'il hurlait devant les médias en brandissant une moppe.

Cette ordure d'extrême-droite, rougeaud, blondinet et gros comme son idole de Toronto, se fit facilement élire par une majorité simple de 79%. Seulement 12,6% des personnes en âge de voter s'étaient déplacées le jour du scrutin. Les autres étaient restés chez-eux à se décrotter le nez.

Le gros Flagorneur charcuta dans la fonction publique, vendit l'eau potable de la ville pour 1$ à une compagnie d'eau embouteillée, puis se mit à dépenser pour des projets loufoques tout en disant fuck à tout ce qui avait l'air trop à gauche ou trop bronzé.

Comme il connaissait bien le gypse et le stucco, le gros Flagorneur fit élever des tas d'arcs de triomphe et de pyramides en gypse et en stucco. Il donna à tous ses bâtiments des noms d'explorateurs et conquistadores français. Ce n'est pas qu'il raffolait de l'histoire. Mais fallait bien qu'il leur montre qu'on en connaît un peu même si on ne retient pas les dates ni les événements.

Des organisations internationales dénonçaient la situation des droits de la personne dans sa ville. Flagorneur s'en calissait d'autant plus qu'il ne lisait pas les journaux ni les livres, comme à peu près tout le monde dans sa ville qui s'était vidée de tous ses cerveaux. Il n'était resté que trois ou quatres zintellectuels, pauvres comme Job et qui travaillaient dans les bas-fonds du marché du travail. Tous les autres se décrottaient le nez en se plaignant à peine. Comme si c'était normal d'être représenté par un gros hostie d'cave raciste et onaniste qui parlait de lui à la troisième personne du singulier.

-Flagorneur est un gars d'convictions... I' faut faire des bidous. Pis c'est toutte... Les chiâleux, moé, j'hayis ça!

C'était sa rengaine. Les journalistes la connaissaient par coeur. Et ils étaient mieux de filer droit s'ils voulaient garder leur job dans le torchon local qui publiait toutes sortes d'articles gluants sur le nouveau maire de la ville.

mercredi 27 octobre 2010

Mademoiselle Poitrasse et son chapelet

Dans sa chambre du Foyer Charbonneau, qu’elle occupait depuis quinze ans, elle exigeait que les stores soient toujours baissés. Elle vivait dans le noir.


Elle égrenait son chapelet tous les jours et comme elle faisait de l’insomnie elle l’égrenait aussi toutes les nuits. Elle égrenait son chapelet, seule dans sa chambre, avec ses ténèbres chéries

Elle ne descendait jamais dans la salle à manger. Elle se faisait monter un cabaret dans sa chambre. Elle mangeait comme un oiseau. C’est à peine si elle picorait son grilled-cheese quotidien et sa tranche de tomate. 

-Mais venez don’ à la salle à manger! Ça va vous faire du bien! que lui disaient les membres du staff.

-Y’a rien qu’des vieilles folles pis des vieux pas propres qui crachent pis pissent partout! qu’elle répondait avec aplomb.

Elle s’appelait Mademoiselle Poitrasse. Elle était montée sur un frame de chat. Une vieille fille de cinq pieds, soixante-trois livres. Qui ne mangeait que du gruau. Et parfois des craquelins au Paris Potée.

Son visage était ratatiné. Et tout son corps aussi. Elle avait quatre-vingt-seize ans bien sonnés.
Il paraît qu’elle vivait dans cet état de prostration depuis 1947. Elle avait trente-trois ans quand elle perdit son papa et sa maman, puis ses frères, ses sœurs et tous les membres de sa famille. Ce n’était pas dans un incendie ni dans le cadre d’un accident d’auto. C’était arrivé comme ça. Le cœur, le cancer, la whatever et tout le monde était mort autour d’elle. En 1947. Il ne lui resta que quelques photographies et un chapelet.

Elle n’écoutait ni la télé ni la radio. Elle ne lisait pas de livres. Elle ne parlait à personne.

Mademoiselle Poitrasse se lavait elle-même et envoyait toujours son linge chez un blanchisseur privé.

mardi 26 octobre 2010

Les corpuscules de Krause

« Pour certains, il existe un moment imprécis, un instant de grâce indescriptible situé quelque part entre trois et quatre heures, qui sépare les ténèbres du café et du jus d’orange. Un instant tout-puissant où l’esprit est clair et à l’affût, dispos et inébranlable. Les peurs se dissipent, le corps se métamorphose et tout devient possible. La puissance du petit matin. Lucie faisait partie de ceux-là. »
Sandra Gordon, Les corpuscules de Krause, p. 204



Son éditeur veut nous faire accroire n’importe quoi : « Les corpuscules de Krause est l’enfant naturel qui serait né des semences de Réjean Ducharme et Charles Bukowski pendant le tournage d’une comédie de situations. Lecteurs politiquement corrects, abstenez-vous. »
   Peut-être que Leméac moussera ses ventes avec ces deux phrases publiées à l’endos du roman. Néanmoins, il serait judicieux de laisser cela de côté. D’abord, cela ne dit rien. Et puis ça fait même un peu kitsch : « lecteurs politiquement corrects, abstenez-vous »… C’est une phrase réductrice qui confine à la fatuité. Et je puis l’écrire d’autant plus que j’ai lu Les corpuscules de Krause de la première jusqu’à la dernière page. Je puis vous assurer que la politique y occupait un rôle tout à fait négligeable. Tout autant que la sociocritique, sinon plus. Et la comédie de situations? Bof.
   Ne lisez plus l’endos des livres. Les corpuscules de Krause est le premier roman d’une auteure qui s’explique très bien par elle-même. Elle ne raconte pas des histoires à la Ducharme ou bien à la Bukowski. Elle raconte ses fictions et ses Laurentides à sa manière. Elle n’a pas cette manie de faire des jeux de mots à la Ducharme. Et ce n’est pas parce qu’on boit un verre ou dix dans un roman qu’on est en train de marcher dans les bottines de Bukowski. Ce sont des raccourcis faciles.
   S’il faut absolument trouver des similitudes, allons plutôt du côté de John Steinbeck, l’auteur de Cannery Row(Rue de la Sardine) et de Wayward Bus (Les naufragés de l’autocar) . Les niveaux de langage s’équivalent. Le ton aussi. Comme si les Laurentides et la Californie pouvaient se rejoindre quelque part, dans la simplicité de ces vies vécues en-dehors des grands centres urbains. Le récit est dépouillé comme une estampe japonaise. Quelques traits suffisent pour nous représenter les Laurentides, la baise et tout le saint-frusquin.
   Pour ce qui est du récit, on ne sait pas si c’est de l’autofiction, même si le nom de l’auteure apparaît ça et là au cours du récit en guise d’indices.
   Pour résumer, c’est l’histoire d’une fille de vingt-quatre ans qui fout le camp de Montréal pour fuir un obsédé sexuel égocentrique. Lucie aboutit dans un vieux motel des Laurentides transformé en maison à logements. Elle vit au-dessus d’un restaurant. Elle y fréquente la tribu du coin tout en se rongeant les ongles.
   Et Les corpuscules de Krause? Wikipédia me dit que ce sont des récepteurs sensoriels que l’on trouve sur le pénis et le clitoris. 
   Sandra Gordon ne nous dit pas grand' chose là-dessus. C'est le bout qui m'échappe.
   Je pensais que c'était le titre d'un recueil de poèmes de Korsakoff. Ce n'est pas le cas. 
   Et qui c'est, ce Korsakoff? C'est un vieil écrivain un peu fou et pas mal ivrogne, qui se promène ça et là, entre les chapitres. Il est logé par Maurice, le propriétaire du restaurant et du motel où Lucie habite.
   Korsakoff a dressé une liste des bibliothèques municipales pour les dépouiller de tous les livres qu’il a publiés. Il veut faire disparaître son œuvre. Et prend les moyens qui s’imposent. Il rappelle un peu VLB, sauf qu’il ne porte ni béret ni combines à panneaux.
   Je ne vous raconterai pas toute l’histoire, évidemment.
   Tout ce que je puis vous dire, c’est que je remercie Sandra Gordon de ne pas appuyer trop fort sur les touches de son clavier, de ne pas sombrer dans le métalangage et le babillage psychanalytique, de ne pas écrire pour une coterie d'intellectuels. Son écriture est sobre et dépouillée. Elle maîtrise parfaitement l'argot. On entrevoit le chantier d’une nouvelle comédie humaine adaptée aux Laurentides.
   Sandra Gordon est aussi l’auteure d’un blogue qu’elle anime depuis déjà quelques années. Ça s’intitule La cour à scrap . Sandra Gordon est l’une de mes blogueuses préférées pour toutes les raisons que j’ai pu évoquées ci-dessus : écriture sobre, pas trop de flaflas littéraires, etc. Son blogue est à l’image de son roman et vice-versa.
   Lecteurs politiquement corrects, lisez Les corpuscules de Krause. Ça va vous déniaiser un peu.


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Sandra Gordon, Les corpuscules de Krause, Leméac, Montréal, 2010, 238 p.

Le blogue de Sandra Gordon :

http://lacourascrap.blogspot.com/


vendredi 22 octobre 2010

L'homme qui n'avait pas de conseils à donner

Il disait qu'il n'avait pas de conseils à donner à qui que ce soit.

-J'ai pas d'conseils à donner, non, non. J'me suis planté assez souvent dans 'a vie pour m'la fermer là-dessus...

Il n'était pas très extraordinaire, un gars de cinq pieds dix pouces, deux cents livres. Les cheveux bruns. Cinquante-cinq ou soixante-six ans. Les dents plutôt droites et plutôt propres. Pas moyen de dire quel était son nom, son prénom ou bien sa profession. Il était accoudé au comptoir du bar et il répétait sur tous les tons qu'il n'avait pas de conseils à vous donner.

-Admettons que j'vous conseille de quoi pis qu'vous le faites, j's'rais juste un hostie d'crosseur parce que la plupart du temps j'me trompe... Faites don' c'que vous voulez... C'est toutte.

Georges, le philosophe du bar qui faisait aussi office de concierge, n'en revenait tout simplement pas de l'entendre. Il remuait des mains à en échapper sa vadrouille. Sa grosse voix de gros lard chauve tintait fort dans les verres et les bouteilles des naufragés.

-Voyons don' calice! C'est du nihilisme total ça!!! Nietzsche dirait que t'es le dernier homme, alors qu'il faut viser par-delà l'humain!!!

Le gars de cinq pieds dix pouces ne broncha pas. Il but même une gorgée de sa Molson Ex avant que de reprendre la parole.

-Moé, j'ai pour mon dire que tu t'appelles Nitche ou ben don' Germain Prudhomme, on chie toutte à la même place. Pis on s'trompe. Oui. On peut pas avoir raison sur toutte parce que la vie c'est rien qu'une beurrée d'marde, plus ça va moins y'a d'pain...

Il reprit une gorgée, salua l'assemblée et leva les feutres vers ailleurs.

On ne le revit jamais.

mercredi 20 octobre 2010

E'l'chien à Lafond

Éphrem Parenteau est un installateur d'abris Dempo pas mal occupé par les temps qui courent. L'automne est frisquet et déjà on sent que la neige va venir. Tout le monde veut son abri Dempo parce que tous sont trop lâches pour déneiger leur hostie d'entrée de cour pour leur hostie de char sale.

Petit avec une tête de Lénine quinquagénaire, Éphrem passe pour le gars qui ne cause d'ennuis à personne. Ses abris Dempo sont toujours bien installés. Les véhicules s'y garent sans problème. Et puis il ne se bat pas. Ce qui n'est pas très difficile puisqu'il ne sort jamais le soir et ne fréquente pas les bars. Les incidences de rencontrer ce type de trous du cul diminuent tout de suite de quatre-vingt-quinze pourcent. Le cinq pourcent qui reste, c'est le hasard. Le hasard qui fait qu'on est l'homme qui est au mauvais endroit au mauvais moment.

Et justement, il fallait bien qu'il tombe sur un incident, un jour ou l'autre. Ça ne pouvait pas toujours se passer comme ça, dans le confort de sa différence, loin du monde et de ses bruits.

Il fallait bien qu'il tombe sur cet hostie de trou d'cul.

Et cet hostie de trou d'cul, c'était E'l'chien à Lafond.

Ce gars-là, dire que c'est un trou d'cul c'est insulter le trou d'cul. C'est un hostie d'chien. Point final. Pis E'l'chien à Lafond ça y va bien comme surnom. C'est un grand tarlais qui joue aux bras juste parce qu'il est incapable de nommer la capitale de l'Australie. Il a une grosse barbe et des yeux bien droits. Son nez est un peu retroussé comme celui d'un cochon. Quoi qu'il en soit, c'est vraiment un hostie d'chien.

Ce qui fait qu'Éphrem installait un abri Dempo chez les Courteau, des Capons de la rue Fusey, au Cap-de-la-Madeleine.

Les Courteau lui avaient offert du café, de la bouffe, de la bière pis toutte le kit. Éphrem réduirait ça sur la facture, comme d'habitude, parce que c'était pas un hostie d'crosseur, Éphrem. Il vivait comme il pouvait. Et possédait plus d'argent que les autres parce qu'il ne sortait pas le soir. Encore qu'une bonne part de son argent servait à essuyer ses pertes et à payer ses fucking impôts qui l'étranglaient littéralement.

Enfin, Éphrem installait un abri Dempo chez les Courteau et voilà qu'E'l'chien à Lafond se pointe. Tout de suite ce tabarnak lui bumme une cigarette.

-Donne-moé une cigarette! qu'il lui dit, E'l'chien à Lafond, et remarquez qu'il ne connaît même pas Éphrem.

-J'fume pas monsieur, qu'il lui répond sans malice.

-J't'ai dit donne-moé une cigarette e'l'trèfle! Faut-tu que j'te fasse un dessin sacrament?

-J'voudrais bien mais je ne fume pas.

Éphrem avait conservé son air bon enfant. E'l'chien à Lafond n'avait pas envie de rire.

-Tu m'niaises-tu mon tabarnak? qu'il hurla. Donne-moé une cigarette calice!

Les Courteau avaient tout entendu mais n'étaient pas sortis. Ils ne voulaient pas plus alerter la police. Tu commences comme ça et tu te ramasses avec plein d'ennuis ensuite. Ce qui fait qu'Éphrem affrontait seul cet hostie de chien sale.

-M'as t'coudre mon point dans l'front mon torvâsse! M'en va's t'en snapper un dans 'a face que l'os du nez va t'rentrer dans 'a tête!

E'l'chien à Lafond s'élança et manqua Éphrem qui, par bonheur, recula d'un pas.

Fessant dans le vide, E'l'chien à Lafond perdit beaucoup de sa force brute initiale. Ce qui permit à Éphrem de partir en courant.

E'l'chien à Lafond n'avait pas envie de courir. Alors il poursuivit son chemin vers des victimes plus faciles.

-M'a te r'pogner un jour mon hostie! qu'il gueula pour impressionner les voisins. Tu créras pas ça!

Éphrem se cacha derrière un arbre, deux cents pieds plus loin, et attendit qu'E'l'chien à Lafond soit bien loin pour rvenir au boulot. Il effectua l'installation de l'abri Dempo en un tournemain. Puis il crissa son camp, souhaitant ne pas rencontrer E'l'chien à Lafond sur son chemin.

Encore une fois, Éphrem fût soulagé de ne s'être jamais battu.

Il mit un CD de Neil Young dans le vieux lecteur déglingué de sa vieille camionnette Dodge, modèle 1971.

Et il chanta...

-Keep me searching for a heart of gold and I'm getting old...

Cré Éphrem.

mardi 19 octobre 2010

Une vie toute croche

Sa vie était toute croche.

Son père l'avait violée plusieurs fois avec la complicité de sa mère. C'est même ce couple infernal qui l'avait faite entrer dans le domaine de la prostitution.

Ils allaient la porter dans un club tous les vendredis soirs. Des séances privées. Elle dansait pour des peddlers d'un quelconque village. Elle devait avoir treize ans.

À vingt-cinq ans, elle avait déjà douze ans de métier dans le corps. Elle sniffait beaucoup. Elle vidait des queues sans sourciller, comme si elle trayait une vache, machinalement.

-Ça m'prend deux minutes pour vider un vieux sec... qu'elle disait froidement.

Elle avait un chum. Un ancien client qu'elle ne faisait plus payer. Enfin plus tout à fait.

Quand elle était sobre, elle aurait pu passer dans n'importe quel milieu sans mal paraître. Elle était plutôt belle et très délurée. Elle parlait bien. Avait même de la classe puisqu'elle en avait vue de toutes les couleurs en vingt-cinq ans. Six fois le tour du monde avec tel ou tel client. Du moins à ce qu'elle racontait quand elle était sur la poudre.

Elle chantait des chansons de Ginette Reno sans faire de fausses notes. Elle chantait juste.

Et elle parlait de son passé avec un ton de chirurgien. Comme si tout passait au scalpel, sans émotion, à vif comme dans une vraie vie sale et toute croche.

lundi 18 octobre 2010

Alex Coriandre, écrivain

Alex Coriandre est un bon écrivain. On ne peut pas dire qu'il a publié beaucoup. Par contre, son oeuvre fesse dans le dash. Ce n'est pas l'oeuvre d'un gus qui s'amuse avec les mots. Il n'a pas cette manie de transformer ses récits en calembours et calembredaines. Il en vient toujours au fait, que ce soit subtil ou non, laid ou joli. Bref, on lit Alex Coriandre comme on se fait une bonne tartinade au beurre. C'est frais, vivifiant, vivant et surtout très drôle.

Coriandre ne fait pas dans la dentelle et pourtant il maîtrise sa langue. Il en a saisi tout le génie le jour où il s'est mis à raconter des histoires plutôt que d'écrire des poèmes cons qui ne valent pas une chansonnette. Alex a brûlé toute son oeuvre d'adolescent pubescent pour mieux renaître en tant qu'authentique littérateur, capable de vous raconter des tas de trucs qui vous allument comme le tabarnak.

Et pour raconter ses histoires, vous savez ce que fait Alex? Il se faufile dans la vie, dans tous les milieux, des bas-fonds jusqu'aux hauts-fonds de la société. Et il ne s'enlise jamais nulle part parce qu'il aime la solitude.

Alex est petit, ressemble un peu à Balzac et porte des verres de contact. Ses cheveux sont noirs et crépus.

Il est entre deux âges.

Et il gagne sa vie à changer des pneus dans un garage.

Parce que la littérature, ça ne donne pas un rond.

Ou si peu que même un artiste-peintre s'en tire mieux.

-Tu devrais écrire en anglais Alex. Fuck le français! que je lui dis souvent.

Et l'imbécile me répond qu'il aime mieux écrire en français parce que son anglais est trop poche.

C'est une raison valable.

Une raison qui nous vaut tous ces romans de Coriandre. Publiés aux Éditions Pirate. Une maison qui ne reçoit aucune subvention de l'État, qui n'enregistre pas ses bouquins à la Bibliothèque nationale et qui vend sous le manteau, à la bonne franquette, dans les marchés aux puces et les centres d'achats.

Vous aimerez sûrement Saint-Chrême de calice! C'est un récit à la deuxième personne sur l'art de démonter un pneu.

dimanche 17 octobre 2010

Au restaurant Mama Mia

La moelle de ses os avait commencé à sécher. Son corps était noueux comme un vieil arbre tout croche. Ses lunettes avaient l'apparence de deux fonds de bouteille. À part de ça, il portait son habit du dimanche et il sentait un peu l'Aqua Felva.

Il s'asseoya à la table comme un grand prince et attendit sagement que la serveuse s'approche de lui pour prendre la parole.

-Bonjour mademoiselle, dit-il sur un ton cauteleux. Est-ce que vous avez des hot-dogs?

-Non. On n'vend pas d'hot-dogs. Juste des hamburgers pis des smoked meat.

-Hum... souffla-t-il, l'air un peu contrarié. Et est-ce que vous avez une soupe du jour mademoiselle?

-Oui. Soupe aux légumes ou soupe aux pois.

-Je vais prendre une bonne soupe aux légumes avec cinq biscuits soda et un petit beurre s'il-vous-plaît.

-Allez-vous prendre autre chose? Une liqueur? Un café?

-Un grand verre d'eau avec de la glace. Merci. Merci beaucoup mademoiselle...

Elle lui apporta sa commande en moins de deux.

Le vieux slurpa sa soupe aux légumes très lentement et but son grand verre d'eau froide méthodiquement, un décilitre par gorgée.

La serveuse, une femme dans la quarantaine qui en avait assez de travailler dans un restaurant, devinait que ce vieillard ne serait pas son client le plus payant.

-J'vais m'fendre le cul pour y amener une soupe pour un petit dix cents de pourboire... se disait-elle.

Et il n'y avait pas d'autres clients ce dimanche-là. Seulement le vieux et un couple de joueurs de bowling qui regardaient dehors pour trouver à chaque passant une occasion d'émettre une remarque désobligeante: une fille avec des grosses fesses, un gars avec une verrue au menton, etc.

Aussitôt que le vieux termina sa sousoupe, il s'en alla discrètement vers les toilettes pour y faire son affaire.

Malheureusement, l'affaire ne se passait pas très bien. Les toilettes étaient bouchées. C'est du moins ce qu'il fit savoir à la serveuse.

-Les toilettes sont bouchées mademoiselle... Je viens de voir ça...

La serveuse réprima l'envie de dire tabarnak ou ciboire. Elle se contenta d'aller aux toilettes avec le siphon pour les déboucher.

Qu'elle ne fût pas sa surprise de constater que le drain était obstrué par un écureuil mort...

-Sacrament! Veux-tu ben m'dire quel hostie d'cochon m'a crissé un écureuil mort dans les chiottes?

L'hostie de cochon en question, c'était le vieux. Le vieux qui profita de cette diversion pour partir lentement du restaurant, sans payer son dû.

Le vieux traînait toujours quelques saloperies sur lui pour boucher les toilettes de tous les restaurants qu'il ne fréquentait jamais deux fois. C'était parfois un vieux journal. Ou bien une guenille. Voire un écureuil mort.

-Le vieux calice a pas payé son addition! constata la serveuse, avec autant de rage que d'amertume. J'parierais que c'est lui qui a calicé l'écureuil mort dans les chiottes! D'mande au livreur d'aller le pogner le vieux ciboire! I' doit pas être ben loin!

Le livreur, Stéphane Langevin, n'était pas chaud à l'idée d'arraisonner un vieux.

-Appelez la police saint-chrême! Pourquoi qu'ce serait moé qui doive courir après l'vieux? Hein? M'en calice du vieux pis d'sa soupe!

Ce qui fait que personne ne courrut après le vieux.

La serveuse ramassa le bol de soupe vide et nettoya la table des miettes de biscuits soda.

Stéphane Langevin ramassa ses commandes et partit faire ses livraisons.

Le couple de joueurs de bowling rota de l'air sans faire de bruit pour ne pas passer pour des porcs.

Et le vieux? On ne le revit jamais.

Pas plus qu'on ne revit d'écureuil mort dans le trou des chiottes du restaurant Mama Mia.

vendredi 15 octobre 2010

À propos des miracles de Johnny Boy Siffleux Charbonneau, original de Saint-Marsouin-des-Mines

Les miracles ça n'arrive pas tous les jours. Et des gars comme Johnny Boy Charbonneau, on en voit tous les jours, tellement qu'on oublie que les miracles peuvent aussi se produire fréquemment. Ce qui fait qu'on n'est jamais trop sûr de rien, sinon qu'on va tous crever un jour, la tête dans le trou des chiotes, à se demander ce qu'il y a par-delà les étoiles.

Johnny Boy Charbonneau n'était pas rongé d'angoisses métaphysiques et donnait à son prochain sans faire de publicité pour sa cause. Il n'avait pas de cause, Johnny Boy. Sinon celle d'avoir sa ration quotidienne de pain tendre, de bière et de cigarettes, tous trois produits étant au coeur même de son existence. Il n'allait pas à l'église et de toute manière il n'y avait plus de paroisse à Saint-Marsouin-des-Mines. Les gens se crissaient de toutte et se faisaient une foi à la mesure de leurs rêves, sans clergé, sans maudits papiers à remplir ou bien à sortir de ses poches.

C'était un gringalet un peu chauve dans la cinquantaine, ce Johnny Boy. Il avait l'air de rien. Un froc de jeans. Des pantalons en jeans. Même sa casquette de baseball était en denim. Aucun logo de marque. Un tee-shirt blanc. Rien de particulier.

Sa barbe était toujours de trois jours, comme s'il l'entretenait ainsi. En fait, il se faisait la barbe avec un rasoir à cheveux. Il coupait le plus long. Et se foutait bien du reste.

Il lui manquait deux dents devant. Les palettes. Ce qui fait qu'on le surnommait aussi Siffleux. Johnny Boy Siffleux Charbonneau était son nom complet pour le club de balle molle du village de Saint-Marsouin-des-Mines. Il jouait dans le champ gauche. Ce n'était pas un très bon joueur mais les autres joeurs étaient saouls aussi.

À Saint-Marsouin-des-Mines, Siffleux passait pour un type qui faisait des miracles. Et pas juste chez les ivrognes, bien qu'ils soient d'excellents diffuseurs de toute bonne ou mauvaise nouvelle.

Siffleux avait redonné la parole à un type qui mendiait dans les bars environnants avec sa petite carte où il était écrit qu'il ramassait de l'argent pour les sourds-muets. Il s'était approché derrière lui et lui avait lâché tout un wac dans les oreilles.

-TOUTUNWAC! hurla Siffleux.

Et le sourd, surpris, lâcha un mot d'église.

-Tabarnak!

Et puis Siffleux lui dit à peu près qu'il était un hostie de crosseur qui n'était ni sourd ni muet, juste un salopard qui ramassait du cash dans les bars pour payer son party. Le gars avait décrissé sans demander son reste.

En plus de redonner la parole aux sourds-muets, Johnny Boy passait aussi pour un gars qui marchait sur les eaux.

C'était dans les années '80. À une époque où l'on se servait encore des cours d'eau pour alimenter les papetières en billes de bois, affectueusement surnommées des «pitounes» par les aborigènes de Saint-Marsouin-des-Mines.

Johnny Boy était saoul et il avait traversé la rivière en marchant sur les pitounes.

Ce n'était pas tout à fait marcher sur les eaux. Mais parmi ceux qui suivirent Johnny Boy cette nuit-là, il est le seul à avoir réussi l'exploit. L'un s'est noyé, Charles Gorille Martel, et les autres sont revenus sur la berge après une ou deux tentatives infructueuses et une noyade. L'enterrement fût triste. C'était à Shawinigan. Dans une des églises qui restent debout pour les vieux. On fit jouer l'air des noyés, vous savez l'air que l'on joua sur le Titanic. Gorille était dans une boîte de carton fermée. On avait retrouvé son corps une semaine après, pas mal balouné.

Siffleux n'était jamais à cours de miracles. Surtout après la mort de Gorille. Comme s'il en avait fait un cas de conscience.

Il a sorti son neveu Luc Lasagne Charbonneau d'une mauvaise passe. Lasagne se shootait à l'héroïne dans la grande ville, là où les gens sont fous.

Johnny Boy était descendu dans sa vieille Buick jusque dans la métropole pour s'enquérir de l'endroit où se trouvait son neveu. Il l'avait finalement trouvé dans un bunker, quelque part en bas de la rue Ontario. Ça sentait l'urine et la claque brûlée.

-Lasagne! prends tes affaires et marche! qu'il lui avait dit, Siffleux.

Et Lasagne avait pris ses affaires et était redescendu avec son oncle à Saint-Marsouin, pour reprendre sa job de débroussailleur après que son oncle l'ait désintoxiqué en lui faisant boire de l'eau tiède dans laquelle il faisait toujours tremper une pelure de patate.

Il n'est recommandé à personne d'essayer cela à la maison. La scopolamine que peut contenir la pelure en fait un produit peu digestible en plus d'être potentiellement dangereux.

Pourtant, c'est ce qui redressa Lasagne.

D'autres miracles du Siffleux? Oh! Il y en a plein et on en fera pas un saint pour autant.

D'abord il faut n'avoir jamais trempé son pinceau pour pouvoir devenir un saint. À moins que je ne m'y trompe en droit canon. Et Siffleux avait déjà trempé son pinceau. Même qu'il a un gars et trois filles. Dont l'une d'entre elles qui est championne olympique de tir à l'arc.

N'allez pas fouiner sur Google pour savoir c'est qui. Vous allez vous y péter les dents.

Johnny Boy a aussi ce don de se rendre invisible tout en étant partout. Il surgit là où nous l'attendons le moins, au hasard d'une escapade dans les nuits froides de Saint-Marsouin, du Bar à Dédé jusqu'au Restaurant Chez Rita.

Chez Rita... Avec son hostie d'enseigne dégueu d'un autre temps qu'ils feraient bien mieux de changer. Sont gratte-la-cenne les Michaud-Lavergne, un couple de lesbiennes propriétaires de Chez Rita. Encore que le monde s'en calice à Saint-Marsouin. En autant qu'il y ait des frites pis des crottes de fromage pis tout le monde est content. La beauté pis ses affaires-là c'est pour les «étranges». Pis la Michaud est imbattable au tir au poignet. Même que la Lavergne a du chien dans le nez. Elle répare des moteurs pis de la machinerie agricole «en d'sour d'la couvarte».

J'oubliais de mentionner un dernier miracle attribué au Siffleux. Il peut siffler même en mangeant des biscuits soda. C'est dû au fait qu'il n'a plus de palettes. Ça laisse rentrer plus d'air. Ce qui fait qu'il peut facilement engloutir jusqu'à cinq biscuits soda tout en sifflant des airs tirés de La Traviata.

Les «étranges», d'habitude des gars d'Hydro-Québec venus rétablir le courant, n'en reviennent pas du légendaire Siffleux de Saint-Marsouin-des-Mines.

Chaque fois qu'un pied-tendre se présente au village, il faut qu'on lui demande s'il connaît le Siffleux. Et quand on lui montre Johnny Boy Siffleux Charbonneau, il faut toujours qu'il leur fasse le coup de La Traviata avec cinq biscuits soda dans la bouche. Ce qui fait que Siffleux, c'est comme le Cow-boy de Trois-Rivières, une vraie légende, un faiseur de miracles comme il y en a trop dans notre belle région 04, alias la Mauricie.

La Mauricie est en fait la cour des miracles du Québec.

Calice que oui.

dimanche 10 octobre 2010

La trajectoire de mon popa

Mon père est né en 1933 dans le Bas du Fleuve, quelque part entre Ste-Luce et Métis-sur-Mer.

Il a passé une bonne partie de son enfance à Sayabec, dans la Vallée de la Matapédia.

C'était l'un des coins les plus pauvres de la province. L'électricité ne se rendait pas encore dans le coin. On se chauffait au bois et on s'éclairait à l'huile.

Popa était l'aîné de ma grand-mère, une Anishnabée originaire de Kanasataké (alias la  réserve de St-Régis), la seconde épouse de mon grand-père qui avait déjà six ou sept enfants avec lui. Selon ce que m'en a dit mon père, sa première femme était morte le jeudi et le veuf s'était marié avec une vieille fille de vingt-quelques années trois jours plus tard.

Je connais le passé de mon père par bribes et j'aurai cette pudeur de ne pas tout vous dire. J'y reviendrai un jour, quand je serai vieux et que le passé sera bien froid.

Ce que je sais, c'est qu'il ne l'a pas eue facile, la vie.

Ils étaient presque vingt autour de la table dans une petite maison mal isolée où les clous pétaient par grands froids.

Ils allaient à l'école à tour de rôle parce qu'il n'y avait pas assez de bottes pour tout le monde. Un jour c'était untel, le lendemain c'était l'autre. L'été, c'était moins problématique. Ils pouvaient tous y aller pieds nus.

Évidemment, on ne voulait jamais d'eux sur les photos d'école. Ils avaient l'air trop pauvres. Mon père, même s'il était premier de classe, devait rester à la maison les jours où il y avait de la grande visite, l'évêque ou bien le député, voire le boss de la shop.

À la maison, ils bouffaient toujours de la morue, des navets et des patates. Avec un peu de pain et de mélasse pour le dessert. Ils ajoutaient à leurs repas le produit de leur pêche et de leur cueillette de baies.

Ils en arrachaient, c'est évident, même si popa n'a jamais été très clair sur cette partie de sa vie.

Ils sont déménagés au Cap-de-la-Madeleine après la guerre.

Toute la trâlée d'enfants est atterrie dans un logement avec de l'eau courante, des toilettes qui flushent et de l'électricité.

Mon grand-père travaillait comme foreman dans une scierie locale, pour ce que j'ai retenu de cette époque.

Ma grand-mère torchait et nourrissait toute la gang, en se faisant dire par son curé de ne pas empêcher la famille les fois où elle aurait souhaité un break ou bien un miracle.

Ce qui fait qu'elle est morte au milieu des années cinquante. Je ne l'aurai jamais connue puisque je suis né à la fin des années soixante.

Les enfants ont probablement tous travaillés dans les usines du coin. Mon père a dû lâcher l'école très tôt pour contribuer à l'économie familiale.

Je connais moins cette partie de son histoire. Je sais qu'il était un bon joueur de billard. Et qu'il a rencontré ma mère, un soir, dans un genre de Casa Loma trifluvienne, où jouaient les idoles du temps, Jen Roger ou Chiquita Tétrault.

À partir de ce moment-là, toute l'histoire de mon popa devient plus claire. Comme si l'amour donnait un sens et des mots à la vie. Comme si sa femme était devenue sa vie.

Ils se marient à la salle de réception du club social des travailleurs de la Wabasso. Ils font un voyage de noces à Deschambeault. Puis ils s'installent à Lachine. Parce que mon père travaille à la Dominion Bridge.

Ma mère s'ennuie à mourir à Lachine. Ils reviennent à Trois-Rivières et hop! mon frère aîné fait coucou.

Popa travaille à la Reynold's Aluminium et ma mère coud des piles de linge pour je ne sais pas trop qui.

Trois ans plus tard, et hop encore! c'est le deuxième garçon.

Puis six ans plus tard, re-hop! c'est moi. L'année suivante: hop un autre braillard. Quatre gars. Sacrament...

Bon, puis c'est le travail, la grève et des bonnes bouffes dans tout ça, de l'amour, du rire et les meilleurs parents du monde somme toute.

Je suis allé visiter la tombe de popa dimanche dernier. Sa tombe est alignée avec celles de mon oncle Marcel, son frère aîné, et de mon oncle Rémi, le frère de ma mère. Pure coïncidence. Une occasion de méditer sur le caractère éphémère de la vie et sur les hasards de la mort.

Popa est mort du cancer en 1995 ou 1996. J'ai un black-out permanent pour l'année de son décès Je ne sais pas pourquoi.

Je préfère me rappeler sa vie. Sa mort me semble arrangée avec le gars des vues, comme si elle n'était jamais survenue.

Sa vie me revient en pleine face quand je me regarde dans le miroir.

C'est vrai que je ressemble à popa.

Comme il ressemblait à sa mère.

La même gueule. Les mêmes yeux un peu bridés. Mais surtout la même shape.

Et la même révolte devant l'injustice, la misère et la pauvreté.

vendredi 8 octobre 2010

La vraie histoire des procédés mnémotechniques de Jacques «Claude Blanchard» Éthier

D'autres se souviennent de rien. Quant à lui, tout lui revenait en mémoire, de la catastrophe humanitaire survenue en quelque coin reculé du monde, en 1947, jusqu'au moindre mouvement de brin d'herbe sous un vent à peu près nul, le 8 octobre 1983...

Jacques Éthier n'était pas autiste. Il était seulement un genre de mémoire vivante. Il tenait ça de ses ancêtres aborigènes, des Micmacs de la Gaspésie, dont certains ont conservé cette formidable mémoire issue de la littérature orale la plus riche du monde.

Physiquement, Jacques ressemblait à Claude Blanchard. Ceux qui ne le connaissent pas ne doivent pas penser qu'il lui ressemblait dans sa période Nestor. Non, Jacques c'était le Claude Blanchard de sa période crooner . L'homme mature qui a du vécu dans l'oeil et du trémollo dans la voix.

Il était, pour le reste, du genre à fredonner des tas de chansons, à toute heure du jour. À rire plus que fréquemment. Ce qui finissait par être lassant pour son entourage, peut-être, mais il ne s'en souciait pas du tout. Le bonheur, ça n'attend pas. Et ça se vit intérieurement. Même si c'est prétentieux d'écrire ça d'un coup sec, sans trop réfléchir. Comme si les lecteurs avaient du temps à perdre avec la description d'un personnage qui avait une sacrée mémoire de vieil indien, qui chantait et riait tout le temps, et qui ressemblait à Claude Blanchard.

Qu'on lui demande n'importe quoi, Jacques avait réponse à tout. D'où lui venait son truc? Fallait bien que quelqu'un le lui demande un jour. Et c'est Rita Laflamme, la concierge de l'immeuble où il habitait qui le lui demanda, comme ça, par l'un de ces jours où cette grosse calice était parlable.

Parce que c'était vraiment une grosse calice, Rita. Les trois quarts du temps elle faisait juste des airs de boeuf, les bajoues pendantes, la cigarette au bec. On savait qu'elle était en sacrament ces fois-là et c'était souvent pour rien. Évidemment, elle était grosse, mais plus grosse calice que grosse. La mauvaise humeur, ça rend le muscle un peu faible. Le bide devient mou. Un fardeau de plus à porter. Remarquez que c'est son affaire de bouffer des petits plats congelés achetés à vil prix chez Wall Marde.

-Calice de ciboire de tabarnak! qu'elle disait, sans y ajouter de verbe ou bien de complément. Comme si la grosse se torchait du bien perler français.

En fait, ce n'est pas tant le français qui la faisait chier que la vie en soi.

-Que j'fasse cecitte, que j'fasse ça, c'est toujours d'la calice de marde! qu'elle pouvait glisser de temps à autres pour que les touristes aient l'impression qu'il y avait deux ou trois écoles dans le coin.

Et c'est cette Rita, évidemment, qui accostait souvent Jacques «Claude Blanchard» Éthier, pour lui demander ceci ou cela.

-Heille Jacques! C'est y'où la Rôtisserie Sainte-Flavienne? C'est-y dans l'quartier Sainte-Flavienne?

-C'est au coin des rues Drolet et Berthelot, dans Sainte-Flavienne. Choubidou-wa! qu'il lui répondait en tchattant sur l'air de Bobino.

-Calice tu r'tiens toutte Jacques! J'ai mon hostie d'voyage! Qu'ça soye pour cecitte ou cela, tu r'tiens toutte! Comment c'que c'est qu'ça s'fait que tu r'tiens toutte de même Jacques? Tabarnak!

-C'est bien simple Rita. J'ai une mémoire absolue. C'est comme si tout était photographié et classé minutieusement dans mon esprit. Je fais usage de procédés mnémotechniques très élaborés pour lesquels tu me priveras de t'étourdir avec une définition qui ne saurait être que soporifique...

-Ah oui? Combien font deux fois quatre? Hein? lui demanda Rita.

-Huit, bien sûr, ha! ha! répondit Jacques avec une bonhomie bien servie par son rire gras mais franc.

-Calice que tu r'tiens toutte de calice que tu r'tiens toutte! rétorqua la grosse calice. Moé je r'tiens rien. C'est ben juste si je r'tiens mes culottes Jéritol!* Ha! Ha! Ha!

Et c'était vrai. Jacques retenait tout, facilement, pour mieux répondre à ces tas de questions que se posent ceux et celles qui n'ont pas d'ordinateur ni de calculatrice.

Ce qui fait que Jacques savait se rendre utile, sans trop se forcer, au hasard de ses allées et venues.

Pour ce qui est de Rita, la grosse calice, je parie qu'elle se plaint encore. Cependant, elle a un coeur d'or, dissimulé sous des airs bourrus, un parfum de vanille et une odeur de cigarettes Weaver's extra fortes.

Je vous en reparlerai un jour.

Pour cette fois, vous vous contenterez de la vraie histoire des procédés mnémotechniques de Jacques «Claude Blanchard» Éthier.


___________

*Jéritol: souvent entendu, aucune idée d'où ça vient et comment cela s'écrit. Est-ce un Dieu, un laxatif acheté en pharmacie, une onomatopée, du vieux français du temps de Rutebeuf?

jeudi 7 octobre 2010

Virgin Mary

Ça faisait près d'une heure que Jack buvait au comptoir du bar Chez Gogosse. Sa bière d'après le travail était sacrée. Et il y avait toujours un deux pour un sur la bière à tous les cinq à sept de la semaine.

D'habitude, Jack était à peu près seul au bar.

On ne peut pas dire que les foules se pressaient pour aller boire Chez Gogosse. D'abord, on y nettoyait rarement les toilettes, ce qui faisait fuire la clientèle. Jack ne s'en formalisait pas trop puisqu'il ne faisait que pisser un coup, sans plus. Jamais il n'y livrait la grosse cargaison, si vous voyez ce que je veux dire.

Donc, Jack buvait sa bière, puis ses bières. Au bout d'une heure, il en avait enfilé au moins six.

Et c'est à ce moment que Germain Lavertu fit son entrée.

Jack était un solide gaillard dans la trentaine au regard un peu triste mais inflexible.

Il était tout le contraire de Lavertu, un patapouf quinquagénaire un peu mou du bide qui avait un regard un peu hilare mais sans consistance.

-Bonjouuuuur! déclara Lavertu pour signifier qu'il était là. Je vais prendre un Virgin Mary s'il-vous-plaît!

-Tu veux dire un Bloody Mary pas d'alcool? questionna le barman, un type taciturne qui n'avait qu'un seul gros sourcil et beaucoup de poils dans les narines.

-Ex-ac-te-ment! répondit la grosse pâte molle. Je ne bois pas d'alcool!

Jack se demandait bien ce qu'un type qui ne buvait pas d'alcool venait faire dans un bar où, hormis l'alcool, il n'y avait rien d'intéressant. La télé était sur le point de lâcher et le proprio n'avait pas cru bon d'installer le cable, de sorte qu'on ne pouvait capter que deux ou trois postes, dont Radio-Canada. Il n'y avait plus de système de son et la radio jouait en même temps que la télé. Le barman passait ses journées à écouter des lignes ouvertes stupides sur le sport ou bien sur les problèmes psychologiques des auditeurs.

-Je m'appelle Germain, et vous monsieur?

Bon, le gros voulait lier la conversation avec Jack. Comme il ne trouvait pas moyen de se dérober, Jack lui fit un signe de tête puis répondit «Jack» sans plus de cérémonies.

-Je suis membre de l'Association québécoise des hommes hypersensibles... Est-ce que vous connaissez l'AQHH? poursuivit le gros Germain.

-Non. J'connais pas, répliqua Jack tout en calant sa bière comme un assoiffé dans le désert.

-Les hommes ont le droit de pleurer, d'être sensibles... Ce n'est pas honteux de pleurer ou bien d'avoir des sentiments pour un homme... On se réunit tous les mardis soirs... Et c'est justement ce soir... Juste ici, dans le local situé en haut de la pharmacie d'en face...

-Eh ben... ajouta Jack, visiblement irrité.

-Les hommes peuvent pleurer, verser des larmes et se sentir tristes... Oui car...

-Sacrament! gueula Jack, hors de lui. J'm'excuse mais j'viens icitte pour boire mes six à douze bières, ben peinard, pour oublier que j'me suis faitte chier toute la journée à ma job avec des hosties d'innocents émotifs, stressés ou dépressifs... Pis toé tu débarques dans l'bar, tu t'calles un breuvage pas d'alcool, pis tu viens brailler toute ta calice de marde New-Age qui me donnerait l'envie de crisser des grands coups d'poing dans l'mur!?! Veux-tu ben me crisser patience s'i'-vous-plaît avec ton hostie d'braillage? T'es émotif? Tu veux brailler à ta moman? Ben braille hostie! Mais braille loin d'moé pis calice-moé la paix!!! Hostie d'époque de braillards pas d'couilles de tabarnak!!! Les hommes sont devenus des mauviettes!!!

Germain Lavertu se sentit humilié. Il but son Virgin Mary d'un trait, la larme à l'oeil, puis quitta les lieux sans rien dire.

Aussitôt qu'il fût parti, Jack et le barman sentirent un grand soulagement.

-Marci Jack! conclut le barman. Du monde de même j'suis juste pas capable...

-Y'a pas d'quoi... Moé 'ssi...

Les nouvelles du sport jouaient à la télé.

Les toilettes étaient toujours aussi sales.

Et plus personne ne pleurnichait pour rien en buvant des Virgin Mary.

lundi 4 octobre 2010

En vrac

C'est un lundi en vrac parce que je n'ai pas le temps d'organiser mes idées et encore moins celui de me donner du style.

J'ai peint comme un forcené toute la fin de semaine et je ressens mieux ce que me disait le grand peintre Régent Ladouceur, à savoir qu'on déplace des forces quand on peint avec passion. En peignant, nous nous plaçons dans un état de conscience qui nous fait entrer en communication avec l'indicible. Nous passons des messages que nous ne croyions pas avoir à passer.

L'artiste-peintre devient le catalyseur de mystères existentiels qui ne demandent qu'une révélation. Il est en cela semblable au chamane des cavernes qui représentait un boeuf et des chasseurs pour anticiper une bonne chasse. Je parie même que son truc marchait. Il ne suffit que d'évoquer le Nom pour que le Verbe se fasse chair...

Voilà dans quel état de pulsion mentale je me trouve au terme d'une puissante session de peinture. C'est comme si je synthonisais tous les postes de l'univers d'un coup sec. Comme si j'étais sur l'acide alors que je suis sobre en diable.

***

Parlant de grand peintre, j'ai rencontré Maurice Fournier hier. C'est un ami commun à moi et Régent. Il est, entre autres, l'auteur de La maison du Diable, un recueil de nouvelles publié en 1989 aux Éditions du Beffroi. Ça n'a rien à voir avec la peinture, mais il faut quand même le signaler, ne serait-ce que pour souligner son talent. Sa plume exquise rappelle parfois Daudet et Bloy. Et ses pinceaux, pour ce que je me rappelle, était dans la grande tradition d'un Gustave Moreau. De l'intelligence et de la beauté finement travaillée.

Il tenait une table de trouvailles et de merveilles dans le sous-sol de l'église Sainte-Marguerite, à Trois-Rivières. Évidemment, on a parlé de mes niaiseries, lettres aux journaux, manifestations et autres coups de gueule dont je suis coutumier. On a aussi jasé de son accordéon diatonique que j'aurais souhaité m'acheter si j'avais été plus en foin.

Par ailleurs, Maurice a trouvé l'une de mes toiles dans un bazar de l'Armée du Salut, il y a quelques années. J'avais donné cette toile à une résidente d'un foyer pour personnes désorganisées. Quand elle est morte, tous ses trucs ont été donnés aux disciples de William Booth. Et Maurice est tombé sur mon tableau intitulé «Le carrousel». Il l'a eu pour dix cents... Dix sous...

Bon. L'orgueil en prend pour son rhume, mais ça arrive à tous les peintres, grands ou petits, de sorte qu'il y a toujours de bons achats à faire pour qui a bon oeil et bon pied.

Comme je lui parlais de Paul Gauguin, un peintre daltonien comme moi, Maurice m'a sorti un tableau qui pourrait rappeler une oeuvre de celui que l'on surnommait le Sauvage. Ça ne m'a même pas coûté dix cents. En fait, Maurice me l'a donné ce tableau anonyme représentant une éruption volcanique dans un magnifique encadrement en plastique doré.

Je ne sais pas qui a peint cette oeuvre, mais je sais qu'il a déplacé des forces, ce peintre. Ne serait-ce que des forces géologiques, voire des forces telluriques.

***

J'oubliais de dire que je suis allé visiter la tombe de mon père au cimetière St-Michel.  Ça faisait dix ans que je n'y étais pas allé.

C'est ma blonde qui a trouvé sa pierre tombale.

Elle a aussi trouvé celle de mes oncles Marcel et Rémi. Les trois tombes étaient sur le même alignement. Cela m'a tout de suite étonné.

J'ai salué les mânes de mes ancêtres puis c'est comme si toute ma journée s'était déroulé dans un songe vaporeux suite à cette visite.

dimanche 3 octobre 2010

Lulu et Big Brodeur à la Marche bleue

Brodeur, alias le Big, était un gars qui n'aimait voir que deux choses dans son assiette: de la viande pis des patates. Et plus de viande que de patates, s'il-vous-plaît, parce qu'on n'engraisse pas son cochon à l'eau claire. Ce qui fait que la femme de Brodeur, aussi grosse que lui, se chargeait de loader son assiette comme s'il s'agissait d'une auge.

Lui, le Big, il devait faire dans les cinq pieds trois pouces deux cent cinquante livres. Elle, Lucie Boudreaut alias Lulu, faisait à peu près le même poids, moins dix livres pour la semaine dans l'année où elle suivait le régime minceur du magazine Madame.

Les deux n'étaient ni beaux ni laids. Des ronds, comme les personnages de Botero. Rien de bien méchant. Toujours quelque chose d'enfantin, sinon de puéril, dans les visages de ces deux chérubins abonnés à la viande pis aux patates.

Le Big, lui, ne suivait jamais de régime. Il mangeait sa potée de viande et de patates avec l'oeil farouche du guerrier de salon, Tartarin de Tarascon des temps modernes qui s'imaginait une vie toute autre pour mieux mâcher la tiraille qui parfois se mêlait à la bonne chair.

-Y'a d'la tiraille dans l'boeuf! qu'il gueulait en ces temps-là. J't'avais dit de faire cuire la viande toute la nuitte à petit feu, dans l'four, sacrament d'calice!

-Heille le Big! lui répondait Lulu. Mange ta viande pis calice-moé 'a paix tabarnak!

Ça se répondait «solide» dans le couple, comme on dit dans le langage des amateurs de hockey. Et le Big, et même sa Lulu, étaient des amateurs de hockey.

Toute leur vie tournait autour du hockey, quand ils n'étaient pas à s'engueuler pour la viande pis les patates.

-Peter Statsny... Ça c'était du bon hockey! répétait souvent le Big.

-I' faut le retour des Nordiques à Québec! entonnait Lulu à sa suite.

Et voilà que notre couple de tourtereaux, qui ne levaient jamais leur cul pour prendre une marche autour du bloc ou bien pour protester contre une injustice, eh bien les voilà qu'ils s'étaient mêlés à la foule de la Marche bleue, sur les Plaines d'Abraham.

Et ils n'étaient pas seuls, non. Des milliers. Soixante-quinze milles personnes pour que l'argent de nos taxes et de nos impôts soient siphonnés pour le retour des Nordiques, pas pour les infirmes, les impotents ou les indigents, non, pour le sport tabarnak...

Et ça criait.

Et ça hurlait.

Big Brodeur, après cette grande marche qui avait duré tout l'après-midi, avait un petit creux.

-J'ai 'es jambes molles comme des tranches de baloney cibouère! déclamait le Big. J'aspère qu'j'ai pas faitte toute c'te calice de marche-là pour rien sacrament! Ayoye don'!

-En tous 'es cas, d'ajouter Lulu, dès que j'serai à 'a maison m'en va's prendre mon bain pis mettre mon pyjama pis mes pantoufles! Sûr qu'i' vont r'venir à Québec les Nordiques! Y'a ben qu'trop d'monde su' 'es Plaines!

Pour souper, ils se callèrent de la pizza pour faire changement de la viande pis des patates.

Puis le Big s'endormit dans son lazy-boy, la télécommande dans les mains.

Il n'entendit même pas le livreur cogner à la porte.

Il a encore fallu que Lulu se bouge le cul pour son Big qui était parti dans les vapes.

Elle laissa un bon tip au livreur.

Et elle cria un bon coup au Big pour le taquiner un peu:

-Réveille-toé calice!!!

Le Big tressauta dans son fauteuil et, alléché par l'odeur de la pizza et des frites, fit un dernier effort pour se rendre à la table.

vendredi 1 octobre 2010

Ma démarche artistique

Il s'agit d'abord de vivre pleinement. D'observer les gens, les événements et le passage des saisons.

C'est le point zéro de ma démarche artistique.

Quand l'idée me prend de jouer à faire de l'art, je reproduis ces impressions par toutes les formes de communication qui me semblent appropriées: la peinture, le dessin, la musique et même l'écriture, ce qui est le nec plus ultra de la paresse.*

Pour la peinture, je prends mes pinceaux, les trempe dans la peinture et fais ressortir des tas de personnages dans des scènes hétéroclites et polychromes sur des toiles que j'achète ça et là.

Pour le dessin, je me casse encore moins la tête. Un crayon suffit. Pour le support, j'utilise ce qui se trouve à portée de main. Une serviette de table ou bien un bout de papier de toilette.

La musique ne nécessite aucun support. Le seul bout ennuyant, c'est le bout où il faut accorder sa guitare. Entendre la note s'étirer dans l'espace et s'assurer que l'autre corde vibre au diapason. C'est de la grosse job et ça m'a pris bien plus que trois mois pour comprendre l'astuce. Le truc, c'est de reposer ma guitare sur ma bedaine et d'entendre vibrer le caisson. Touuuuuuuuu! C'est comme si le la me rendait all shook up.  Ensuite, ma vieille guitare classique Yamaha s'accorde toute seule.

Et l'écriture? Comment ça l'écriture?

Ah oui, l'écriture...


*Bien écire est à la portée de tous. Il ne suffit que d'écrire des phrases courtes et d'approfondir son dictionnaire des difficultés de la langue française. Trois mois de travail à temps plein et vous rivaliserez de génie avec Voltaire, ne serait-ce que pour la forme. Trois mois de plus seront nécessaires pour les idées, si vous êtes du genre à tout absorber rapidement, comme un enfant de l`ère numérique.
Il y a des écrivains de langue française seulement parce que personne n'a envie de se taper ce trois mois de lectures obligatoires. C'est tout de même plus facile que d'apprendre l'araméen en trois mois, un défi que certains humains relèvent haut la main et sans efforts, comme Champollion. Champollion qui mangeait ses trois repas par jour comme tout le monde. Et qui respirait le même air que tous. Il connaissait des tas de langues parce qu'il n'était pas paresseux. Et aussi parce qu'il ne travaillait pas physiquement toute la journée. C'est vrai qu'il faut un bon trois mois de travaux légers pour devenir un bon scribe. Et avec l'Internet, tout est encore plus facile.
Assez de tout ce galimatias et venons-en au fait: le bon écrire français, ce n'est pas la mer à boire.