mardi 27 avril 2021

Quand j'tais p'tit j'tais pas bin grand

 

Quand j'tais p'tit j'tais pas bin grand. Plus grand qu'les autres de mon âge, peut-être, mais pas bin grand. Même si j'tais parmi les derniers d'la rangée à 'école a'ec Corbin pis Massicotte.

J'm'achetais des épinards Popeye en canne dans l'espoir de battre un jour tous les Brutus de mon quartier.

J'm'entraînais. J'montais en bécik aux Vieilles-Forges. Ou bin don' j'faisais l'sentier d'hébertisme de l'UQTR, avec lever des pitounes de bois pis toutte le kit. Sauf l'échelle. J'ai jamais été bon e'dans 'es z'échelles. J'ai le vertige. Pis j'en ai un peu trop pesant sous 'es bras pour me d'mander ed'déjouer 'a gravité!

J'me sentais inspiré par Rocky Balbao. Il vivait dans un quartier pauvre, proche d'une shop qui pue 'a marde, comme moé quand j'tais p'tit. Pis y'avait un bon escalier à l'église Notre-Dame-des-Sept-Allégresses pour faire comme si j'tais dans l'film avec les trompettes qui résonnent tintin-tintintin-tintintin-tintintin....

J'montais pis descendais 'es marches d'l'église comme un hostie d'malade pour faire comme Rocky. J'mangeais des épinards pour faire comme Popeye. Pis j'me battais comme Hulk en projetant tout ce qu'i' avait devant moé. J'étais influençable... Ou bin don' j'avais l'instinct d'survie.

Quand j'tais p'tit ej' jouais dans 'a ruelle. Dans ma ruelle c'était pas si pire. Dans la ruelle des autres c'tait une autre paire de manches. Tu pouvais manger une puissante garnotte su' 'a gui-yeule. Y'avait des p'tites gangs pis des p'tits baveux. 

C'qui fait que Rocky, Popeye, Hulk ou Bruce Lee, à treize ans, ça s'expliquait autant qu'ça expliquait Fifi Brindacier pour les filles, une fille capable de te r'filer une mornifle su' 'a gui-yeule.

J'ai grandi. Chu plus vraiment p'tit maintenant. Et plutôt gros et grand. Mais qu'est-ce qu'on s'en sacre...

Chu tombé su' une vieille photo d'la P'tite Pologne pis j'me suis mis à écrire n'importe quoi comme un hostie d'cas dingue. Quand j'tais p'tit blablabla... On dirait Pogo dans 'a P'tite vie avec sa Linda perdue pendant 'a Coupe Stanley ed'soixante-et-douze.

J'sais pas plus pourquoi j'écris mal aujourd'hui.

Ni pourquoi j'parle mal la plupart du temps. 

J'peux parler tous 'es langues humaines ou de singes avec un peu d'pratique.

L'angla, el frança pis el joual chu pas pire.

Les autres mettons qu'ça force pas mal.

Quand j'tais p'tit j'm'en calissais pas mal de tout ça.

J'trouvais pas qu'mes parents pis nos voisins parlaient mal. Y'a jusse les ceuzes des quartiers d'en haut qui disaient ça. Ou bin don' ceuzes qui voulaient aller vivre dans 'es quartiers d'en haut.

C'qui fait qu'on finit par s'ennuyer du temps qu'on était p'tit. Qu'on vive en haute ou bin don' en basse ville. 

Être grand, prout, ça n'en vaut souvent pas l'coût.

Les grands ont des faces d'envie d'chier.

Ça rit pas. Ça danse pas. Ça dessine pas.

Ça fait juste chiâler su'a température pis d'autres affaires dont j'me calisse plus souvent qu'autrement.

Si c'est ça être grand, fuck, I don't want to grow up.



vendredi 23 avril 2021

Conversation entre une résistante et un collabo

Affiche de propagande du régime de Vichy
sous l'Occupation Allemande 

Une ville, quelque part en France. Un petit parc. Un collabo et une résistante discutent tant bien que mal en ne savourant plus ce qu'ils croyaient un moment de détente. La discussion passe rapidement de la météo à l'Occupation allemande.

Le collabo: Monsieur Hitler ne saurait être pire que ce que l'on dit de lui... Et qui lui en veut tant sinon ceux et celles qui ont toujours tout fait pour faire perdre la France? Juifs, métèques, homos, socialistes, communistes et tous ses paresseux pour qui le travail et l'ordre ne veulent rien dire... Les Français ne travaillent pas assez! Il faudra bien un jour en être LUCIDES!!!

La résistante:  Hitler est un sale connard... un clown... 

Le collabo: On voit comment la politesse s'envole... En voilà des manières! Est-ce en traitant les gens de clowns que l'on peut discuter avec eux? Où sont tes arguments?

La résistante: Il n'y a pas de discussion possible entre les victimes et leurs bourreaux! Ami, tu n'entends pas le vol noir des corbeaux sur nos plaines?...

Le collabo: Hitler ne saurait être pire que les juifs et les bolcheviques! Après tout, il est Européen et chrétien comme nous, Français! Et le maréchal saura guider la France vers cette Europe nouvelle et resplendissante... La civilisation européenne contre la juiverie internationale, le libéralisme et le bolchevisme!

La résistante: Tu es totalement lessivé mentalement... Je suis sans voix...

Le collabo: Et ça ne m'étonne pas! Tu as le verbe creux quand on te dit tes quatre vérités! 

La résistante: En effet. Au lieu de parler, je crois que je ferais sauter un camion de la Gestapo ou bien la rédaction de Je suis partout...

Le collabo: C'est bien ce que j'anticipais! Saboteurs et terroristes! Voilà ce que vous êtes! Tout ça parce que vous êtes amis de la saleté et de la pourriture! Amis de toutes les perversions de l'art ou de la nature! Complices de la plus abjecte des décadences! La peste soit de vous!

La résistante: Attends-toi à voir un jour mon nom inscrit sur une affiche rouge...

Le collabo: Et tu recevras ce que tu mériteras!

La résistante: Je ne mourrai pas agenouillée devant les fascistes!

Le collabo: Ah oui? Elle est bien bonne! Tu t'en vas droit vers le peloton d'exécution! Pan! Pan! Debout ou à genoux c'en sera fini! Ça te fera une belle jambe! Et la vie continuera comme si tu n'avais jamais existé!

La résistante: ...

Le collabo: Qu'est-ce que tu fais?

La résistante: Tu vois bien, je sors une bombe...

Le collabo: Arrête dépose ça! Et si je me faisais attraper avec toi! Es-tu devenue folle? On finirait tous au cachot!

La résistante: Je pensais faire sauter la prison de la Gestapo mais finalement j'ai changé d'idée... Je vais plutôt faire sauter un collabo...

Le collabo: Sors d'ici et que je ne te revois plus jamais! Sinon je te dénoncerai à la police! Comme terroriste!

La résistante: Tu fais ça et mes camarades viennent illico te trancher la gorge.

Le collabo: Vous êtes tous fous! C'est Laval et Darnand qui vont remettre de l'ordre!

La résistante: C'est ça... Cause toujours.

La résistante enfourcha son vélo en prenant bien soin de déposer sa bombe artisanale dans le petit panier accroché à son guidon. Elle alla bien sûr placer sa bombe devant la prison de la Gestapo, tel que promis. La bombe explosa à 14h30 pile. Deux officiers SS y perdirent la vie.  Ils s'y trouvaient tout à fait par hasard pour une mission de routine. Malheureusement, cinquante Français triés au hasard furent fusillés par les Allemands, dont le collabo. Il avait eu beau les supplier, leur dire qu'il admirait monsieur Hitler, le maréchal et tous les autres que rien n'y fit. La soldatesque le mena devant le peloton d'exécution avec les quarante-neuf autres victimes anonymes. Et pan! Il mourut.

Il y eut encore un hiver puis un printemps. Puis Paris fût libéré.

La résistante redevint marchande de fleurs.

Et Jean Moulin rentra au Panthéon.

jeudi 22 avril 2021

Le monde n'est pas un exercice littéraire

Le monde n'est pas un exercice littéraire.

Le monde n'est pas un grand discours.

Le monde n'est pas un rot ni ces cris de guerre assommants qui ne raisonnent pas.

Le monde est immense voyez-vous. Dans tous les sens. Même lorsque c'est absurde.

C'est du moins ce que je vois, en moi et partout autour de ma tête.

Je tourne mes yeux vers l'intérieur ou l'extérieur. 

Je vois tant l'atome que l'étoile.

Je ne m'explique plus le monde.

Je le vis intensément. En me trompant. En ayant parfois tort et occasionnellement raison.

La haine s'insinue en moi comme en vous-mêmes.

Je déteste pourtant la haine.

Mon royaume ne devrait pas être de ce monde.

Si tant est que je puisse me mériter une couronne d'épines.

Dans une autre vie, je battais des grenouilles dans un étang pour le compte d'un seigneur en fomentant une jacquerie à la taverne du coin. 

Dans celle-ci, je ne sais pas trop.

Dans l'autre: on verra.

Le monde tel que je me l'explique ne tient pas dans mon explication.

Ni dans mes désirs.

Et encore moins dans ce monde.

Je cultive l'idée qu'il n'y a rien d'autre que ce monde, ici et maintenant.

Ce n'est pas pour me rassurer.

Ni pour me faire pleurer.

C'est comme ça, pour moi comme pour Jacques le batteur de grenouilles du Comte De Banque.

Que puis-je y faire?

Un peu n'importe quoi, comme d'habitude.

Jouer de la flute.

Jongler avec des salières.

Souffler dans des harmonicas avec mon nez.

Éplucher des pommes de terre.

Porter des pancartes.

Promouvoir les droits civiques.

Morigéner les fascistes.

Je ferai de ce monde ce qu'aurait fait n'importe qui pour ne pas se faire chier par des abrutis qui ne voient ni l'atome, ni l'étoile, ni le coeur humain.

Le monde n'est pas un exercice littéraire.



Gaétan Bouchard

Trois-Rivières, 22 avril 2021



mardi 13 avril 2021

À la Notre-Dame-des-Sept-Allégresses...

Église Notre-Dame-des-Sept-Allégresses
Trois-Rivières (Québec)
Source image: patrimoine culturel du Québec

J'ai le coeur rempli de ce que l'on appelle de l'allégresse. Ce qui me convient parfaitement, moi qui suis né dans la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, dans le «faubourg à m'lasse» de Trois-Rivières.

Dans la paroisse de mon enfance, il arrivait que les conflits se réglassent à coups de bâtons de baseball. Ou bien en brandissant un pic à glace devant tous les clans réunis de la P'tite Pologne et de Ste-Cécile. Parfois, pour ne pas dire souvent, il n'y avait pas de conflits ouvertement violents. Il n'y avait que des parades agressives semblables à celles des ours ou bien des gorilles. On se gonflait le torse. On brandissait les poings. Comme pour conjurer la violence avant même qu'elle ne nous en fasse voir trente-six chandelles. Puis il y avait l'apaisement. Un va chier ou deux en finale. Peut-être une bière la prochaine fois pour sceller l'alliance retrouvée. Ou bien l'allégresse chacun de son bord. C'est dur à dire.

Tellement dur à dire que je m'étire sur n'importe quoi n'importe comment. Comme si j'étais un genre de Balzac qui parle des boiseries des meubles anciens pour bourrer de la copie par jours fades.

Où en étais-je donc?

Ah oui! à mon coeur débordant d'allégresse qui dérape sur Notre-Dame-des-Sept-Allégresses et les violences de mon antiquité...

Je voulais seulement dire que je me sens bien parce que je me suis réconcilié avec une personne que je considère comme un chacal. Non pas que je l'aime. Mais j'ai trouvé la force morale de le saluer et de lui souhaiter une bonne journée. Ce qui n'est pas rien pour un chacal. Tout m'inciterait à le chasser à coups de pelle ou bien en brandissant un pic à glace tel un sceptre au-dessus de ma tête de Shrek. Ce que j'ai bien sûr cessé de faire vers l'âge adulte. Hélas! il m'arrive de ne pas tout à fait contrôler le feu de mon esprit. Il reste quelque chose d'un peu trop dur en moi. Ce n'est même pas de l'orgueil. C'est ce même quelque chose qui me fait tenir debout droit comme un i, le torse bombé, devant n'importe quel chacal ou raciste du quotidien. Si les racistes et les chacals veulent dominer le monde, eh bien ils me trouveront toujours sur leur chemin, droit, debout, avec le regard qui ne vous lâche pas. Bref, je ne plierai pas. Mais je vais dire salut, bonjour et comment ça va. Ça, c'est pour cultiver mon allégresse que d'autres trouveront dans le zen. 

Je suis trop en contact avec la misère et la maladie pour jouer à Bouddha. Alors j'y vais avec l'allégresse, à défaut d'être zen. J'y vais à la Notre-Dame-des-Sept-Allégresses.

Je suis cool avec les ceuzes qui sont cool.

Je cultive l'allégresse devant les chacals en les traitant, au pire, comme des animaux de compagnie malcommodes. Les pires, je ne suis pas obligé de vivre avec. La Terre est vaste, pour eux comme pour moi. À chacun son marécage, mais que la bouette ne déborde pas sur la quiétude d'autrui. C'est-à-dire dans ma cour. Je veux la sainte christ de paix.

Pour le reste, j'aime à peu près tout le monde.

Je n'en veux à personne au final.

Soyez stupides si vous ne pouvez pas faire autrement. Ne le soyez pas trop longtemps en ma présence. Je ne vous apporterai rien qui ne vous semblera pas désagréable. Je suis patient comme un vieux clou rouillé. Mais je file encore comme le vent devant toute forme de zoufferie. Je ne me colle ni de gré ni de force sur la méchanceté, l'avarice et tous les autres défauts capitaux. Je vis ma vie de vieux bum en grattant allégrement ma guitare, en soufflant dans mes harmonicas et en crachant sur mes pinceaux. 

Et je salue encore rats, chacals et crocodiles comme un gars de Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, sans crainte ni remords, comme si le monde entier ne pouvait pas me faire chier.