dimanche 6 mai 2012

Une autre foutue manif nocturne à Trois-Rivières hier soir

Quand un gouvernement en est rendu à un tel point de corruption, de brutalité et de malhonnêteté, c'est un devoir pour chaque citoyen de dénoncer ce gouvernement, voire de s'insurger contre lui.

Ce devoir demande un tant soit peu de courage.

Et je suis étonné d'en trouver autant à Trois-Rivières. Dans les années '80, nous étions parfois deux ou trois à manifester. Peut-être quatre quand on payait la bière pour le quatrième. Et encore.

Trois-Rivières était peu à peu redevenue la petite ville duplessiste des années trente, avec ses politiciens des années '30 et les idées brunes qui viennent avec.

Puis tout à basculer. Les médias sociaux ont permis de réunir des forces et des esprits pour combattre cet insaisissable vide qui nous mène depuis si longtemps. Le vide se débat, par le biais de la télé et des médias traditionnels, pour ne pas dire folkloriques. Un sondage par ci par là dans les journaux de Desmarais et Péladeau et on pense que ça va faire l'affaire. Ça va rabattre le caquet des indignés.

Néanmoins les étudiants en grève ont compris que la nature a horreur du vide. Les manifestants en faveur de l'éducation pour tous ont largement gagné la bataille de l'opinion publique sur le plan international. Ce sont leurs images que CNN et Al Jazeera diffusent. On ignore  les images et le point de vue de Jean Charest. On ne sait même pas qui c'est, Jean Charest. Mais on sait qu'il fait matraquer son propre peuple. Qu'il a poussé sa jeunesse à un point d'écoeurement inégalé dans l'histoire du Québec, voire du continent Nord-Américain. Printemps Érable, Printemps Québécois ou Printemps Rouge, le Québec a plus changé en deux mois qu'en quarante ans.

Depuis deux semaines, je me joins à ces irréductibles manifestants de tous âges, majoritairement jeunes sans doute, qui réclament l'éducation pour tous.

Un site Facebook annonçait une manif nocturne pour 20:30 hier soir. Le lieu de rendez-vous était encore le Parc Champlain, à Trois-Rivières. Encore une fois, il n'y avait pas de chef. Une pensée commune. Oui. Mais pas de chef, heureusement. Comme ça s'est passé pendant le Printemps arabe. Des manifs spontanées venant de nulle part et de partout. De la désobéissance civile à l'état brut. Personne ne contacte les policiers. Aucun trajet n'est soumis aux autorités. Qu'est-ce qui peut bien mener tous ces gens à combattre le vide à pratiquer la désobéissance civile non-violente?

Pour le savoir, il n'y avait qu'à se trouver parmi tous ces braves, hier soir au Parc Champlain.

Mon compte-rendu de la manif

Je suis parti vers 20:12. J'ai croisé un couple des Balkans en me rendant au Parc Champlain. Ils étaient en train de siroter un café sur la rue des Forges.

-Zdravo! tu t'en vas où Gaétan, me demande l'homme.

-J'm'en vais à la manif! et moi de lui pointer mon carré rouge.

Les deux comprennent que le pouvoir du peuple se passe quelque part, dans le parc. Et ils viennent me rejoindre. Il est 20:23. Nous ne sommes même pas douze personnes. Il y a une fille qui joue Alouette gentille Alouette sur sa flûte à bec. Elle porte un carré rouge, des pantalons rouges. On sait qu'elle est là pour la manif. C'est évident. Puis il y a le gars à ses côtés avec un harmonica entre les dents, suspendu après un rack qu'il porte au cou. C'est pour lui laisser les mains libres pour tapocher sur une tambourine. Je sors mon harmonica pour accompagner un tant soit peu ces camarades dont j'ignore encore le nom. Et je chante Alouette gentille alouette je te plumerai...et la tête... et le bec... et un bras, une jambe, un oeil...

La foule grossit. Il y a plein de policiers autour. Des policiers sans calotte ni casque. Des chars de police. Des paniers à salade.

Des journalistes et des caméras se fondent à la foule. Une foule de cent cinquante personnes j'imagine. Il y a des drapeaux rouges, des drapeaux des Patriotes de 1837, des fleurdelisés, des pancartes rouges. Puis je vois arriver de vieilles connaissances: Al, David, Bourgon et son chum dont le nom m'échappe parce que je deviens vieux. Nous ne sommes pas tuables. Le temps passe et nous sommes encore du côté des luttes populaires, corps et âme. À mains nues. Si c'est pas du courage ça, hein?

Je me suis trouvé deux autres types avec qui jammer. Le gars qui porte le drapeau des Patriotes jouait du xylophone. Un guitariste l'accompagnait. J'ai sorti un petit blues saturnal sur mon harmonica qui tue les fascistes avec ces deux nouveaux amis. Même les policiers semblaient se détendre. C'est toujours bien de se détendre avant que d'entreprendre une longe marche.

La marche a débuté autour de 21:03 j'imagine. Personne n'a encore su comment c'est parti. 21:04 nous sommes 150 personnes ou plus sur la rue Royale à scander Charest dehors! On va t'trouver une job dans l'Nord! 


Le cortège s'élance ensuite vers le pont Lejeune. Un policier semble intimer l'ordre de prendre un autre chemin. L'ordre n'est pas respecté. La foule s'enfonce sur le pont Lejeune. Le policier nous suit...

-Si la police nous suit, c'est parce qu'elle nous appuie! que l'on se met à scander.

La direction se précise peu à peu: le pavillon Ste-Marie du CHRTR où se trouvent les blessés des matraquages du congrès libéral de Victoriaville tenu la veille. Dont le jeune manifestant Maxence Valade qui a perdu un oeil.

Passant devant le Ludoplex, on se met à scander quelque chose comme Poubelle à fric du gouvernement.


Le policier qui nous accompagne a un sourire bon enfant. Pas sûr qu'il apprécie de faire les sales jobs de Johnny la matraque par ce beau samedi de printemps où luit la pleine lune. Les jeunes discutent avec le policier qui marche à nos côtés. Je ne sais pas ce qu'ils se disent.

On tourne à droite devant le poste de police du boulevard des Forges.

-La police avec nous! La police avec nous! 


Bourgon a soif comme le christ. Je lui tends ma dernière gorgée d'eau dans ma bouteille. À peine une cuillère à thé. De quoi nous rendre au bout de notre longue marche qui tourne sur la rue de la Terrière puis sur Louis-Pasteur où se trouvent des tas de logements pour étudiants. Des étudiants sont sur leurs balcons et nous font le V de la Victoire.

-Charest! Charrue! Le peuple est dans la rue!


Atmosphère de pays en train de se libérer de sa fatigue mentale et de ses antidépresseurs communautaires. On tourne ensuite sur Laviolette puis sur le boulevard du Carmel.

On s'arrête un moment au pied de la croix.

-Jésus dans la rue! Jésus dans la rue!


Je ne sais pas c'est qui qui crie ça. Peut-être Bourgon mais ça m'étonnerait. La soif lui coupe la parole. Enfin, je crois.

On marche encore quelques pieds. Puis nous nous trouvons toute la bande devant l'hôpital.

On observe une minute de silence pour les blessés du gouvernement, autant les flics que les manifestants, avec une pensée toute particulière pour Maxence Valade qui est encore au CHRTR et qui vient de perdre un oeil.

C'est un moment émouvant. Même les flics ont la mine basse. Ils sont plus dignes que leur Premier ministre, premier responsable de tous ces maux et souffrances inutiles.

22:04 peut-être? On reprend la marche. Je me sens pas mal en forme pour un vieux.

-On avance! On avance! On recule pas!

Direction centre-ville via le boulevard du Carmel. Un christ en croix au couvent des Ursulines rappelle le sort réservé aux manifestants de toutes les époques. On reprend le boulevard des Forges et on redescend vers le fleuve Magtogoek (anciennement Saint-Laurent).

C'est samedi soir. Les terrasses et les trottoirs sont remplis de fêtards. Il est tout près de 22:30. On nous applaudit spontanément. Qui a dit que le peuple n'était pas du bord des manifestants?

On se transmet le V de la Victoire avec nos doigts.

Puis au beau milieu de cette fièvre du samedi soir, à la pleine lune, alors que l'un boit sa bière et l'autre sa sangria, l'on se met à scander quelque chose de malcommode.

-D'l'argent y'en a dans les poches d'la mafia!


Ça fesse d'entendre ça sur la rue des Forges, la belle rue des Forges de cette belle et TR-ès rebelle Trois-Rivières.

On tourne sur Notre-Dame puis sur la rue Radisson.

-Duplessis, charogne, retourne dans ton cercueil!


Ça c'est moi qui l'ai parti. On m'a fait l'honneur de scander ce poème de la rue avec moi.

23:00. Retour au point de départ, au Parc Champlain. Nous ne sommes plus qu'une vingtaine. Ils se sont peut-être tous dispersés quelque part sur Radisson quand j'ai gueulé Duplessis, charogne, retourne dans ton cercueil. Ce n'était peut-être pas ma meilleure. Je m'en fous. Ça m'a fait du bien.

23:12 Je suis chez-moi. Je bois deux litres d'eau pour m'éclaircir la voix. Je me fais couler un bain. Je suis seulement fier et heureux de ne pas avoir fait tout seul mon devoir de citoyen. Mon devoir de m'insurger contre un gouvernement corrompu avec lequel il est absurde et surréaliste de négocier.

Après la vague orange viendra la vague rouge. Vous saurez me le dire.

Je n'ai pas vu personne manifester hier soir pour dire «oui Johnny la matraque, toé tu l'as l'affaire». Personne.

À qui la rue? À nous la rue!



PS: Images et liens vidéo suivront au cours de la journée...

3 commentaires:

  1. Excellent!
    Moi j'aurais gueulé avec toi, Duplessis, crisse de charogne, retourne dans ton cercueil!

    Merci d'être là.

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  2. Depuis la France où l'on vient de "sortir" Sarko, j'adresse mes encouragements à mes rebelles cousins qui luttent pour une vie plus juste.

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