dimanche 17 août 2008

UNE AUTRE LÉGENDE TRIFLUVIENNE: POPS, L'HOSTIE DE TROU D'CUL!



Connaissez-vous Pops? C'est une autre figure légendaire de Twois-Ivièwes qui semble disparue du décor. Ce n'est pas que je m'ennuie de lui, mais bon, j'aime la stabilité même si ça ne paraît pas. Pops était une créature sortie tout droit des marais de la baboche et de la dope bon marché qui, de temps à autres, me mendiait quelques sous pour appeler quelqu'un, prendre l'autobus ou s'acheter un médicament.

Pops ressemblait vaguement à Clint Eastwood qui aurait mangé un coup de pelle en pleine face et serait resté marqué à vie, nez épaté, regard vitreux, cheveux gras et sales.

Il s'habillait en cow-boy, comme Mon nom est personne. Il aurait aussi pu ressembler à Terence Hill, avec quelques coups de pelles supplémentaires en pleine face.

Quoi qu'il en soit, Pops plantait à pleine face tous les jours de la semaine et c'était un miracle, d'une journée à l'autre, qu'il soit toujours en vie.

On le croisait parfois au Trou, un bar d'éclopés du centre-ville, situé dans un sous-sol, où les crottés de tous poils pouvaient aller fumer un joint tranquillement. Le lieu tout désigné était l'escalier de secours, l'endroit ayant été rebaptisé La chambre à gaz par les habitués des lieux compte tenu de la fumée verte qui s'en dégageait. Cette fumée attirait Pops, vous vous en doutez bien. Pops mendiait sa poffe.

-Soyez blood les gars! Donnez-m'en une poffe!

Il finissait par l'avoir, sa poffe. Parce que plus rien n'appartient à personne chez les poteux qui n'ont aucun sens de la propriété, d'où la nécessité de les pourchasser et de les emprisonner quand on les voit.

Pour la bière et les cigarettes, Pops faisait usage d'autres subterfuges pour s'en procurer. Il vendait sa blonde Linda, entre autres.

Linda ressemblait à Brigitte Bardot qui aurait reçu un coup de pic à glace dans la face. C'était une femme extrêmement laide et ravagée par la vie. Elle se prêtait aux astuces de Pops parce que, comme lui, elle aimait bien la bière et les cigarettes.

-Paye-nous chacun une grosse bière avec un paquet d'cigarettes pis Linda va t'sucer dans les toélettes! A suce ben en hostie Linda! disait Pops aux clients potentiels.

-Ouin, disait Linda. Mais j'veux des Player's Light calice!

-Ok... Rajoutait Pops. Ça va t'coûter deux grosses bières pis un Player's Light. Come on mon chum! A suce ben Linda!

-J'suce ben en tabarnak! rajoutait la Linda en sortant la langue, un énorme torchon d'au moins douze pouces. Ce qui était vraiment impressionnant.

-Y'as-tu vu l'torchon! disaient les vieux secs qui s'achetaient ses services à rabais. Christ! C'est pas humain c'te langue-là! Pis pas cher en plus: deux bières, un paquet d'clous.

Je ne sais pas combien de types se sont faits sucer par Linda au cours des deux ou trois ans où ce couple maudit fréquenta Le Trou. Mais je sais que Pops et Linda buvaient tout le temps de la bière et fumaient tout le temps des Player's Light. Ils étaient comme les goélands du Trou. Ils ramassaient tout ce qu'ils pouvaient et trouvaient le moyen d'être saoul et gelé à l'os à tous les jours que le Diable ramenait.

Quand Linda creva, un jour, écrasée par une automobile alors qu'elle était complètement saoule et défoncée, Pops se sentit désemparé. Comment allait-il faire pour boire et fumer?

-Hostie! Linda pensait ben juste à elle! Dans quel trouble A m'a crissé, hein? se disait-il en lui-même tout en parlant à voix haute, accoudé au comptoir du bar.

Pops se mit à vendre de la poudre pour subvenir à ses besoins fondamentaux: boire et fumer.

Et c'était de la poudre qu'il fabriquait lui-même en frottant deux cendriers de vitre translucide l'un contre l'autre. Une poudre de verre se formait sur la table. Pops l'ensachait et ne se donnait pas plus de peine que ça pour dire qu'il vendait la meilleure poudre en ville, la preuve étant que tu saignais du nez en la reniflant...

Évidemment, cette astuce ne dura pas très longtemps. À peine deux ou trois jours. Tant que Pops vendait sa poudre trois fois moins cher à des clients complètement saouls, personne ne s'en rendait compte. Même qu'ils la trouvaient bonne, sa coke, cette coke qui faisait saigner du nez...

Pops eut le malheur de vendre sa poudre de verre à un motard doté de gros bras qui avait coutume de travailler pour un shylock local, à titre de malabar. Le gros Yvan, comme il s'appelait, avait la carrure d'Obélix et son regard vide attestait sans l'ombre d'un doute qu'il aurait pu vous tuer sans que cela ne l'empêche de dormir.

Ce qui devait se produire arriva. Le gros Yvan sut, par je ne sais trop qui, que Pops fabriquait sa poudre au Trou, à partir de la poudre de verre obtenue en frottant des cendriers l'un contre l'autre. Le gros Yvan lui en avait acheté la veille, au last call, et bien qu'il ait saigné du nez il n'avait rien ressenti. Ça lui avait paru étrange. Le quidam qui dénonça Pops lui confirma ses pires appréhensions: ce n'était pas de la cocaïne, mais de la poudre de verre, de la vitre de cendriers!

Je me trouvais là, allez savoir pourquoi, en train de boire une bière avec des copains de la faculté de philosophie de l'université. Nous aimions bien fréquenter les bas-fonds de la ville pour mieux étudier l'esprit humain, un sujet de recherche tout à fait sérieux pour un philosophe, qu'il soit nietzschéen ou non.

L'esprit de Pops nous émerveillait pour toute la pourriture et toute la déchéance qui s'y étaient accumulées. C'était l'incarnation du chaos, plus que sa théorie générale. On ne se lassait pas d'entendre raconter ses mésaventures, toutes plus sensationnelles les unes que les autres. Bref, Pops était pour nous le roi des trous du cul.

Il nous émerveilla encore plus, ce soir-là, quand on vit le gros Yvan rentré en trombe dans le bar pour crisser une volée à Pops. Instinctivement, Pops se leva de son siège dès qu'il vit le gros Yvan. Ce qui se produisit ensuite semblait tiré d'un film de Chaplin. Le gros Yvan courait derrière Pops qui se sauvait, lui, en courant autour de la table de billard. Le gros Yvan lui lançait des boules, des baguettes, un triangle...

-Outche! Âtche! Arrête Yvan, j'va's t'expliquer mon bon Yvan! Pour l'amour du bon Dieu! Arrête!

-Mon hostie d'crosseur toé! M'en va's t'arracher 'a tête mon tabarnak! hurlait le gros Yvan derrière Pops, en tentant de le snapper avec une bouteille de bière, une chaise, une table. Tu m'as vendu d'la vitre mon christ de plein d'marde!

Finalement, Yvan finit par mettre la main au collet de Pops et, croyez-moi, Pops en a mangé toute une. Fiou! Son visage était saignant comme des tomates broyées. Yvan l'avait salement battu à coups de poing et de bottes. Il se poussa tout de suite, le gros, de crainte d'avoir à s'expliquer en présence de policiers.

-J'peux pas rester... J'su's mandat, dit le gros Yvan. Vous dites rien sinon j'vous crisse dans l'St-Maurice avec des pantoufles en béton!

Voilà ce que ça fait de vendre de la mauvaise coke, des types aigris qui veulent vous tuer pour un rien.

Évidemment, personne ne dit rien. Que dire, hein? Pops vendait quand même de la poudre de verre, c'est pas bon pour le nez et puis ça fait crosseur. Et c'est normal que les crosseurs mangent des volées, que voulez-vous, c'est comme ça depuis que le monde est monde.

Au fil des jours suivants, tous les clients qui s'étaient fait vendre de la poudre de verre revinrent vers Pops, un par un, pour lui foutre une raclée. Laissez-moi vous dire que Pops, cette semaine-là, n'avait plus de visage et y perdit sûrement les dernières dents qui lui restaient.

La vie m'écarta peu à peu du Trou. Puis le Trou fit faillite ou je ne sais trop. Du coup, je ne vis Pops que très rarement.

On m'a rapporté plusieurs fois que Pops avait mis le feu à son logement, en s'endormant fin saoul avec une cigarette. Je n'aurais pas aimé l'avoir pour voisin, ce trou du cul.

La dernière fois que je l'ai vu, c'était un dimanche.

Je marchais près de l'église Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, sur la rue St-Maurice. Pops était couché dans l'escalier de l'église, flambant nu, au chaud soleil d'été, tandis que les fidèles sortaient de la messe. Il était saoul mort et gelé raide.

-Bonne journée braves gens! gueulait-il en pissant devant lui, c'est-à-dire sur lui, comme la dernière des épaves toxicomanes. Que le bon Dieu vous baptise! Vous baptise! Hahaha!

Et Pops baptisait l'escalier de son urine, comme un chien. Sa pisse giclait sur 360 degrés, une vraie fontaine. Les fidèles évitaient de lui parler, voire de l'approcher. C'était comme s'il n'existait pas. Je fis de même, moi aussi. J'imagine que les flics ont dû l'embarquer, comme d'habitude.

Franchement, je me demande pourquoi je vous raconte ça.

C'est bien évident que Pops ne mérite pas tant d'attention.

C'est clair que c'est un hostie de pas de génie, de sans dessein et de freak comme ça ne se peut plus.

Si Pops est encore vivant, il doit être nourri à la petite cuillère dans un quelconque hospice pour personnes atteintes de démence précoce.

Sûr qu'il doit encore crisser le feu partout, l'hostie de freak fucké.

1 commentaire:

  1. Frérot,

    Tu nous racontes l'histoire de Pops parce que trop souvent les philosophes négligent les pauvres hommes; les penseurs s'intéressent plutôt à l'être en tant qu'être et à d'autres notions, fort intéressantes par ailleurs, qui les tiennent aussi loin que possible du monde en tant que monde. Le Trou dont tu parles, c'est un peu la caverne de Platon, avec Linda dans le rôle de Diotime. Les temps changent, on dirait.

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