mardi 28 février 2017

Centenaire de la révolution russe de février 1917

Manifestation de femmes dans les rues
de Petrograd en février 1917...
1916. La Russie est désorganisée. Toute l'attention des autorités organisées autour du tsar est tournée vers la production de guerre. On oublie chaque jour un peu plus ce qui se passe loin du front. Les villes russes font face à un manque d'approvisionnement en nourriture et biens de consommation. Tout est relativement désorganisé et laissé à l'abandon. Le pouvoir s'estompe en même temps que tout va au diable vauvert: écoles, hôpitaux, etc.

Les conservateurs sont au pouvoir. Ils ne s'inquiètent pas des foules qui réclament du pain et des roses. Ils pratiquent l'austérité du temps de guerre. Pourtant, les soldats comme les civils manquent de tout. Et on continue de penser qu'ils avanceront comme toujours, à coups de fouet, comme un vieux cheval paresseux qu'il faut ramener au travail.

Un pouvoir parallèle s'établit en cette époque désorganisée. L'aide ne vient plus d'en haut. Elle s'organise en bas. Le tsar ne s'occupe plus de son peuple, mais d'autres prennent le relais. Ils tiennent des soupes populaires. Ils distribuent une forme d'aide, aussi petite soit-elle, aux nécessiteux. Le tsar est loin, mais ces gens-là sont proches. Ils écoutent les doléances du peuple. Ils le comprennent. Ils saisissent le sens de cette époque de désenchantement à laquelle ils répondent avec des promesses d'espoir qui sont prises au sérieux.

Les semaines et les mois passent. L'agitation gagne les rues. On croyait que ça n'arriverait plus. On croyait avoir enterré à jamais la révolution de 1905. On pensait que les cosaques viendraient toujours à bout des manifestants et autres pouilleux malodorants.

Mais voilà que des femmes en ont assez. Le 8 mars 1917 (le 23 février selon notre calendrier julien) elles sont des centaines de milliers à défiler paisiblement dans les rues de Petrograd. Elles réclament du pain, le retour de leurs maris partis au front, la paix et aussi l'instauration de la république. Elles n'ont pas obéi au mot d'ordre d'un parti politique. Elles ont spontanément pris la rue. Et les ouvriers se sont tout aussi spontanément mis en grève pour se joindre au cortège. Ce sera le premier jour de la révolution russe. Celle qui mena à l'instauration de la république, de la démocratie, des conseils ouvriers et paysans. 

Cette révolution spontanée, que l'on connaît mal encore, est profondément pacifique et démocratique.

Le tsar abdique au bout de cinq jours. 

Il n'y a pas de massacres ni de traques aux ennemis du peuple. Il n'y a pas d'effusions de sang hormis celui de quelques braves manifestants matraqués par quelques policiers trop zélés qui bientôt désobéiront en masse pour se ranger du côté des révolutionnaires.

C'est le printemps du peuple russe.

Un printemps auquel succédera un coup d'État qui viendra tuer dans l'oeuf cette révolution pacifique, démocratique et légitime.

Lénine sera financé par des banquiers allemands afin de foutre la pagaille dans cette Russie enfin libre.

Trotsky sera financé par des banquiers américains.

On rêve déjà d'appauvrir la Russie pour mettre le grappin sur ces ressources.

Les contre-révolutionnaires bolcheviques mettront fin à ce rêve qui prit naissance le 8 mars 1917 du calendrier grégorien.

La contre-révolution d'Octobre est un coup d'État. Curzio Malaparte ne s'y était pas trompé en comparant les coups d'État de Bonaparte, Lénine et Mussolini. Son essai intitulé Tehcnique du coup d'État lui valut même un séjour en prison sous Mussolini qui ne supportait pas que l'on dévoile ainsi au grand jour sa stratégie pour établir une dictature: s'emparer des journaux, des télégraphes, des gares et autres organes de communication dans un même élan. Puis envoyer un message à la fourmilière humaine: ce n'est plus X l'autorité centrale, mais Y. Vive Y! Et ceux qui ne voudront pas de Y seront des traîtres exécutés sur-le-champ!

Les bolcheviques aboliront la démocratie, transformeront en ennemis politiques tous leurs contradicteurs, rempliront les prisons et instaureront des camps de concentration. Un vrai gâchis que les humanistes révolutionnaires paient encore. Tolstoï se serait reviré dans sa tombe. Ah! si Vladimir Korolenko avait été président de la république, un tolstoïen révolutionnaire  et démocratique au lieu d'un Lénine totalitaire...

Ce n'est  pas ce que souhaitaient ces femmes qui  défilèrent courageusement et pacifiquement dans les rues de Petrograd le 23 février 1917. Elles obtinrent à tout le moins la chute du tsar, l'instauration de la république et de la démocratie, le retour des hommes du front.

Mais leurs espérances furent trahis par l'argent, une fois de plus, une fois de trop.

***

En 1916, personne n'aurait cru qu'il y aurait une révolution en Russie.

Le 22 février 1917, une journée avant la manifestation des femmes dans les rues de Petrograd, personne ne croyait qu'elle surviendrait.

Cela s'est produit ici aussi, il y a cinq ans.

Le 20 mars 2012, personne n'aurait cru en ce quelque chose qui allait devenir le Printemps Érable.

Le 21 mars 2012, des centaines de milliers d'étudiants prirent la rue. Ce fut la plus grosse manifestation à ce jour du Québec.

Pendant les jours, les semaines et les mois qui suivirent, le monde entier allait parler de nous, pour les bonnes comme pour les mauvaises raisons.

Le pouvoir libéral, tout aussi indigne qu'infâme, allait faire couler le sang du peuple dans nos rues.

Dans ces rues où de jeunes idéalistes scandaient "D'l'argent y'en a dans les poches d'la mafia!"

***

Un jour ou l'autre, sans qu'on ne l'ait vu venir, des centaines de milliers de personnes reprendront la rue et renverseront pacifiquement ce pouvoir illégitime et odieux.

La nature a horreur du vide et elle se débarrassera facilement de ces politiciens insignifiants à la solde des banquiers et autres promoteurs véreux.

D'aucuns peuvent croire que cela n'arrivera jamais.

C'est mal connaître les cycles de l'histoire.

Je sais que cela se produira.

Je ne saurais dire quand.

Mais ça viendra, tout naturellement, un jour ou l'autre. 

Peut-être demain.

Peut-être le 8 mars 2017.

Peut-être l'an prochain.

Comme les réformes sont maintenant impossibles, la révolution est devenue inévitable.

Puisse-t-elle être menée de façon pacifique.

Puisse-t-elle nous permettre de voir de notre vivant un peu de justice et de liberté, tous autant que nous sommes, pour le bien commun.

Pour la république.

Contre toutes les formes que peuvent prendre la tyrannie.


lundi 27 février 2017

Propos décousus sur l'art

L'atelier imaginaire de Régent Ladouceur (détail)
G.Bouchard
Tout le monde ou presque a dû voir L'homme qui plantait des arbres.

Ce court-métrage de Frédéric Back, tirée d'une nouvelle de Jean Giono, s'est mérité avec raison l'Oscar du meilleur film d'animation en 1987. Il a été produit par l'Office National du Film qui devrait aussi faire notre fierté.

Elzéar Bouvier vit seul avec son chien et ses moutons. Il plante des graines jour après jour pour faire pousser des arbres là où il n'y avait rien. Les années passent. Les intempéries et la guerre tuent une partie de ses arbres. Bouvier ne se décourage pas pour autant et continue d'en planter. Puis, au bout de plusieurs années, Bouvier a fait naître une forêt habitée par des oiseaux et de petits animaux. La vie a triomphé de la mort.

Je ne plante pas des arbres. Je devrais peut-être le faire. J'ai néanmoins la sensation de planter ma graine jour après jour. N'y voyez pas une allusion salace. Je sème à tous les jours par le biais de l'écriture, du dessin, de la peinture, de la musique et j'en passe. 

Je ne prétends pas avoir accouché d'une forêt.

Mais il reste tout de même quelque chose au bout du compte.

J'ai produit des oeuvres. Tellement que j'hésite à les compter. Je croule sous les toiles, les textes, les chansons et autres trucs que j'ai produits au fil des ans. 

Je n'ai plus à ressentir le malaise du débutant qui se prétend poète parce qu'il n'a écrit qu'un seul sonnet, artiste-peintre parce qu'il n'a peint que deux toiles, musicien parce qu'il n'a appris qu'à jouer Hotel California...

Je respecte le débutant, qu'on ne s'y trompe pas, mais l'art me semble exigeant et nécessite peut-être plus de travail que de talent.

Je commence à peine à récolter les fruits de mon travail acharné.

Jour après jour, beau temps mauvais temps, en faisant abstraction des bonnes comme des mauvaises critiques, j'ai continué à planter mes graines.

***

Je connais un tant soit peu un guitariste célèbre de Trois-Rivières. Il s'appelle Steve Hill. Je l'ai connu au début de sa carrière. Nous fréquentions les mêmes personnes. Je me souviens d'une conversation que j'avais eue avec lui un jour que le hasard nous amenait à prendre tous deux l'autobus en direction de Montréal. Il me racontait qu'il couchait pratiquement avec sa guitare. Il jouait le matin, l'après-midi, le soir et même la nuit. Pendant des jours. Puis pendant des années.

On entend aujourd'hui un virtuose du blues. On oublie trop facilement le travail qu'il y a derrière ce talent. Tandis que d'autres se curaient le nez en jalousant sa carrière, Steve passait le plus clair de son temps à maîtriser son art afin d'avoir un peu plus d'une chansonnette dans son portfolio.

Je l'entendais récemment sur les ondes de Radio-Canada interpréter Tough Luck. J'en suis tombé en bas de ma chaise.

Steve Hill va encore plus loin que le talent que je lui connaissais déjà. Il a gagné en sensibilité, en finesse d'interprétation et probablement en vécu. Il n'aurait pu être qu'un virtuose de la guitare électrique. Il ne s'est pourtant pas assis sur ses lauriers. Il joue de l'harmonica avec une émotion authentique. Ses chansons viennent me toucher au fond de l'âme. N'est-ce pas ça, un grand artiste?


***

On me demande parfois si je vis de mon art.

Je réponds invariablement que je ne saurais vivre sans l'art. Que le fric soit au rendez-vous ou n'y soit pas importe moins que de produire de l'art, encore et encore, pour transfigurer ma propre existence.

Ma plus belle récompense, en tant qu'artiste, je l'ai trouvée chez ces gens que j'ai émus avec mon art au cours de ma vie.

J'en ai vu rire et même pleurer. Je me suis parfois senti mal à l'aise et même un peu coupable de déranger la vie des gens avec mes visions.

Je me rappelle entre autres d'un jeune garçon au visage crotté qui s'était émerveillé de mes peintures lors de mon vernissage intitulé Simplement dans ma cour qui s'est tenu les 15 et 16 mai 2010.

-Wow monsieur! C'est beau!!! J'aimerais ça faire ça quand j's'rai vieux!!!

Il doit être un jeune homme aujourd'hui. Peut-être qu'il peint ou dessine. Je n'en sais trop rien. Mais il me plaît à croire que j'aurai eu une petite influence dans sa vie. 

-J'ai connu un gros monsieur qui peignait des petits bonshommes... C'était beau... Il habitait sur la rue Saint-Olivier à Trois-Rivières...

Peut-être qu'il se dit ça en ce moment.

Ou peut-être pas.

Je n'en sais trop rien.




dimanche 26 février 2017

Encore deux nouvelles toiles

 Je suis une vraie machine aujourd'hui...

Nouvelle toile: l'éveil de la nature

J'ai abandonné les scènes d'hiver pour me concentrer sur des scènes de printemps et d'été.

Cette toile vient tout juste d'être terminée. Je m'apprête à la vernir.

J'ai trouvé beaucoup de sérénité en l'extirpant de ma tête.

Je rappelle que je travaille sans photographies et sans plan. C'est de l'art naïf à l'état brut.

On peut la voir à mon atelier-galerie d'art sis au 448 de la rue Niverville au centre-ville de Trois-Rivières. Je suis ouvert les samedis et dimanches de 13h00 à 17h00.


samedi 25 février 2017

Mon épître est publiée ce matin dans Le Nouvelliste

C'est à la page 21 de l'édition d'aujourd'hui du quotidien Le Nouvelliste. Le texte complet est disponible ici.

Ou bien ici...

Dan Quéquette Quesnel n'a plus sa Corvette

Dan a déjà été plein aux as. Il fut une époque où Dan roulait en Corvette flambant neuve et menait la grosse vie sale. C'était dans le tournant des années '70 et '80. Dan avait fière allure dans sa Corvette. Il travaillait fort pour s'octroyer des plaisirs.

Dan vendait de la cocaïne, du speed et autres cochonneries à tout venant et même aux revenants. Puis ce fut la chute. Dan s'est fait pincer avec tout son club de balle molle. Les policiers avaient eu la partie facile. Tous les vendeurs de ce réseau s'était offert la fantaisie d'une grande affiche sur laquelle figurait la photo de chaque membre du groupe avec son surnom.  Sa photo apparaissait au-dessus de la mention Daniel Quéquette Quesnel. Ce surnom de quéquette originait de Quesnel autant que de sa Corvette, comme dans l'expression grosse Corvette, p'tite quéquette.

Quant au club de balle molle, il s'appelait Les Sanwich-O-Dinde. Pourquoi sandwiches à la dinde? Parce qu'il n'y avait pas de sandwiches à la dinde à la Rôtisserie Ti-Poulet. Les clients appelaient à cette rôtisserie pour passer leur commande en cocaïne avec service de livraison à domicile. Une sandwiche au dinde voulait dire un gramme. Trois sandwiches au dinde trois grammes. Et ainsi de suite.

Dan a été condamné à faire un séjour de deux ans moins un jour en prison. À sa sortie, il reprit les affaires qui avaient périclité entre temps avec l'arrivée de nouvelles équipes de balle molle.

Dan connut son déclin, comme toute bonne ou mauvaise chose. Il perdit sa Corvette et sa maison. Puis il se retrouva à peu près tout nu dans la rue. Il occupa un petit espace pour à peine un lit dans un logement pour chambreurs misérables du centre-ville.

Pour se saouler tous les jours, Dan Quéquette Quesnel lavait les planchers des bars environnants qui ne le payaient qu'en boisson. Il vendait aussi du pot mais il consommait plus qu'il n'en vendait et finit par se trouver entre de pas très beaux draps. Il devait plus de deux milles dollars au propriétaire du club de balle molle.

Dan se fit casser le dos et la tête et les ailes: alouette... Puis il raccrocha les gants et abandonna la partie.

Comme un malheur n'arrive jamais seul, son médecin lui apprit qu'il avait un cancer de l'intestin. Puis un cancer généralisé.

Quéquette passa de deux cent livres à quatre-vingt-trois livres. Il était devenu un squelette ambulant avec une grosse barbe. Il lui restait cependant de l'empathie. Il s'arrêtait devant tous les mendiants du centre-ville pour leur livrer un mot d'encouragement après s'être informé sur l'état de leur santé. C'était devenu sa mission sur cette terre.

***

Hier, Dan parlait avec un gars un peu plus rêveur que lui qui arbore toujours une grosse barbe blanche. Il vendait un poème qu'il avait photocopié.

Armand, comme il s'appelait, n'hésitait pas à investir un dollar de son budget pour servir la poésie. Cela représentait au moins 75% de ses actifs puisqu'il ne lui restait que vingt-cinq sous en poche. Dan l'aida à vendre ses poèmes. Comme Quéquette connaissait tout le monde, ce n'était pas sans l'aider. Beaucoup se sentaient coupables d'avoir acheté de la coke à Quéquette par le passé, dont des juges, des notaires, des avocats et des conseillers municipaux. Ils achetèrent donc ledit poème d'Armand. Un poème qui allait comme suit:

Ô belle sirène de nuit qui me délivre de l'ennui
Quand je serre mes oreillers je ne pense qu'à toi
Mais je suis seul toutes mes nuits et je m'ennuie
Et même que j'ai froid aux doigts
Viendras-tu me border belle sirène de nuit
Pour que je me désennuie?

Ce n'était pas le roi des poètes, Armand, mais au moins il offrait quelque chose aux passants au lieu de quêter sans rien faire, le summum de la paresse pour les uns et le point zéro de la déchéance pour les autres.

***

Un peu plus loin, un autre mendiant avait compris qu'il devait offrir quelque chose aux badauds pour qu'on le prenne en pitié. Bossu, maigre et sentant le vieux tabac extirpé des cendriers publics, l'homme qui avait autrefois étudié en psychologie à l'université s'était mis à chanter Le Messie de Haendel. Il chantait mal mais il y mettait autant d'émotions que de grands gestes.

-Allélouya! Allélouya! Alléééé-é-lou-yaaa! Allélouya! Allélouya-allélouya-allééé-éé-louyaa!

Dan passait par là évidemment. Il avait un dollar sur lui. Un dollar qu'Armand lui avait donné pour le remercier de son aide. Dan, qui n'avait ni faim ni soif et se sentait crever à petit feu, lui remit ce dollar.

-J'te donne une piastre pour que t'arrêtes de chanter Jacques! Tu m'casses les oreilles tabarnak!!!

Jacques lui sourit. Il souriait toujours à ceux qui lui donnaient un dollar. Puis il entonna un autre air, pour montrer à Dan qu'il avait du répertoire.

-Bon... D'abord je vais te chanter l'amour en héritage... J'aiii reu-çu l'amourrr en héritaaage-heu!!!

***

Dan constata en fouillant dans ses poches qu'il lui restait encore cinquante sous. Mais d'où pouvait bien venir ce cinquante cents? Mystère et boule de marde.

Un autre mendiant se trouva sur sa route. Celui-là ne vendait pas de poème et ne chantait pas. Il se contenait d'être assis en Indien sur le trottoir gelé. Sa casquette de baseball lui servait de réceptacle pour les aumônes. C'était un gars dans la trentaine qui avait le visage tatoué et le manteau d'hiver déchiré. On ne lui aurait pas donné le bon Dieu sans confession, si vous voyez le genre.

-M'sieur! lorsqu'il vit Dan. S'il-vous-plaît! Avez-vous pitié de moé m'sieur? J'mange pas depuis trois jours... Avez-vous pitié de moé?

-J'ai pas pitié d'toé lui répondit Dan. Mais j'vais t'donner mon dernier cinquante cents avant qu'tu commences à brailler...

-Ah bin marci bin... rétorqua le quêteux. T'aurais-tu aussi une cigarette?

-J'fume plus... J'ai l'cancer man...

-Ah bin... Bonne journée à toé. Que Dieu ait pitié d'toé!

-Laisse Dieu tranquille avec ça! Y'est assez occupé d'même ciboire!

***

Trois coins de rue plus loin, Dan perdit conscience.

Il tomba sur un banc de neige.

Les passants pensèrent qu'il était saoul et ne crurent pas essentiel de lui porter secours.

C'est vrai que les gens sont très affairés dans ce coin-là et qu'ils n'ont pas que ça à faire, ramasser les ivrognes et les drogués.

Ce qui fait que Dan Quéquette Quesnel mourut comme il avait vécu.

Un doigt dans l'oeil et l'autre dans l'cul.

Évidemment, c'est une figure de style.

Ses doigts étaient plutôt propres.

Dan était couché en position foetale sur le banc de neige, avec ses petits poings prêts de sa bouche, comme s'il cherchait à téter une dernière fois les mamelles de cette chienne de vie.

Il n'y eut personne à son enterrement.

Sinon Armand le poète et un ancien joueur de son club de balle molle.


vendredi 24 février 2017

L'agence spatiale de la Fédération Bloubienne

L'agence spatiale de la Fédération Bloubienne allait faire une annonce pour le douzième et dernier jour de l'année stellaire. Tout le monde se demandait ce qu'elle allait bien nous révéler. Aucun signe de vie n'avait été trouvé au-delà de Bloub. On pensait qu'il y avait déjà eu de l'eau en grande quantité sur Glub. Mais Glub était devenu un désert aride depuis au moins trois milliards d'années en raison de la disparition de sa couche d'ozone.

L'agence s'était tournée vers les étoiles les plus proches à la recherche d'exoplanètes où il pourrait y avoir de l'eau liquide, sans laquelle la vie est impossible. Elle avait développé de nouvelles techniques pour les traquer en tournant les télescopes vers les étoile les moins éloignées de la galaxie.

On ne s'attendait pas à grand chose.

-Oh! Ils vont encore nous dire qu'ils pensent avoir détecté quelque chose qu'ils ne peuvent même pas voir à des dizaines d'années-lumières... Ils vont nous foutre des calculs savants dans la gueule pour justifier leurs subventions...

Ce fut pourtant une grande nouvelle.

La voix de Bloublou le 5432e du nom était chargée d'émotion lors de la conférence de presse de l'agence spatiale bloubienne.

-Nous vous en parlions depuis quelques années... Nous savions qu'il existait des exoplanètes qui nous semblaient situées dans la zone où la vie peut être possible... Eh bien ce que nous allons vous révéler dépasse toutes nos espérances... Le 3e jour de cette année, à 38% du cycle bloubien, nous avons détecté des signaux provenant d'une planète située à 35 années-lumières de Bloub. Ces signaux ont été analysés et décryptés par une équipe de spécialistes de l'agence spatiale. Ce ne fut pas facile, on doit vous l'avouer, mais ce que nous avons découvert dépasse tout ce que nous savions jusqu'à maintenant de l'univers et apporte la preuve hors de tout doute d'une forme de vie intelligente provenant de ce système stellaire comprenant neuf planètes. Les signaux proviennent de la troisième planète de ce système stellaire. On y dénote la présence d'eau et il y règne une lumière deux cent fois plus intense que sur notre planète. Les signaux témoignent d'une vie intelligente qui communique par la voie des ondes. On a capté des musiques étranges et, mieux encore, des images de ce monde renvoyés par les habitants de cette planète. C'est tout à fait bouleversant. Nous estimons avoir affaire à des géants qui sont mille fois plus grands que nous et qui marchent sur deux pattes. Il règne sur cette planète des tempêtes et des éclairs saisissants, des marées folles, des océans tumultueux... Évidemment, ces bipèdes sont très laids et il est difficile de ne pas ressentir de la répulsion en les voyant... Pourtant, ils ont une intelligence et tentent comme nous d'entrer en contact avec d'autres formes de vie intelligente dans l'univers... Aussi, nous avons réuni une équipe d'experts pour leur faire parvenir un message. Nous allons émettre des ondes en direction de cette planète en continu dans l'espoir qu'ils captent notre signal et nous répondent... Vous comprendrez que dans l'état actuel de nos connaissances il sera difficile d'obtenir une réponse avant des milliers d'années... Il faut pourtant le faire pour les générations futures, pour aller toujours plus loin dans notre connaissance du cosmos... Cela dit, nous allons vous montrer ces images et ces musiques étranges qui nous sont parvenues. Nous vous avisons tout de suite que ces images sont troublantes... Cependant, c'est un grand pas pour l'exploration spatiale... un grand pas pour tous les Bloubiens...

Bloublou le 5432e du nom se tut pour laisser place aux images provenant de la troisième planète de ce système stellaire.

On n'en croyait pas nos senseurs.

Quelle lumière! Quelle musique! Quels êtres monstrueux!

Personne ne savait encore ce que ça voulait dire.

Nous savions seulement que nous n'étions plus seuls dans l'univers.

Il y avait désormais nous et, bien sûr, eux les extrabloubliens...


jeudi 23 février 2017

Les référendums municipaux: moins cher que la dictature!

Les soutiers dans le film Ben-Hur de William Wyler (1959).
La démocratie c'est de la chicane et ça coûte cher. Le maire Yves Lévesque, ce visionnaire, l'avait compris en 2008. Cette année-là, les citoyens de Trois-Rivières avaient obtenu le double du quorum requis lors de la signature du registre réclamant un référendum à propos de l'amphithéâtre. Le maire a renié ce droit aux citoyens de Trois-Rivières. J'ai cru que cela ne se faisait pas en démocratie. J'ai donc rédigé une pétition que j'ai adressé à Mme Nathalie Normandeau, alors ministre des Affaires municipales. Cela fut reçu comme une lettre morte, vous vous en doutez bien. J'étais, à l'instar des cosignataires de ce registre, trop petit pour les élus de droit divin. Qui étions-nous pour confondre un forfait clés en main avec de la forfaiture?

En 2012 les étudiants descendaient dans la rue pour réclamer un peu plus que l'éducation gratuite. Je me souviens aussi qu'ils se battaient contre la corruption. Je les entends encore scander "D'l'argent y'en a dans les poches d'la mafia." On les matraquait pour ne pas entendre cette vérité. Dans la foulée de ces tristes événements, le monde entier s'est mis à parler du Québec et de sa corruption.

Il s'est passé quelque chose d'étrange dans le monde municipal après ce Printemps Érable. Les maires de plusieurs municipalités du Québec ont fait l'objet d'enquêtes policières pour fraude et corruption. Celui de Laval a été reconnu coupable récemment et loge maintenant en prison. Aussi stupide que cela puisse sembler, des Lavallois prétendent encore que tout allait bien du temps du maire Vaillancourt. Il n'y avait pas de chicane. Ces pauvres gens ne s'inquiètent donc pas que l'argent de nos taxes et nos impôts ait été jeté dans les toilettes du condo de la cousine du maire pendant que les policiers de l'escouade Marteau cognaient à la porte pour effectuer une perquisition...

La dictature coûte cher. Je dirais même qu'elle coûte beaucoup plus cher que la démocratie. Peu de gens s'intéressent à la philosophie. Surtout à la philosophie politique. Pourtant, je ne peux m'empêcher de citer Thomas Hobbes: "Le pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu corrompt absolument." Je crains ces politiciens qui réclament plus de pouvoir et moins de devoirs envers leurs concitoyens.

L'Union des municipalités du Québec (UMQ), pour faire suite aux propos des maires Labeaume et Coderre, prône l'élimination des référendums municipaux. Le visionnaire Yves Lévesque n'a jamais eu besoin de le demander. Il n'a eu qu'à faire ce qu'il fallait pour fouler aux pieds ces principes qui lui semblaient inutiles. Beaucoup voteraient encore pour lui, même s'il nous coûte cher. On ne peut pas en vouloir aux ignorants, ni aux gens avides de faire preuve d'avidité. Qui suis-je pour juger de la valeur des gens qui n'en ont pas?

Peut-être qu'il faut songer à se protéger d'eux par des mécanismes démocratiques, dont des référendums et des consultations populaires. Je le pense humblement et m'en excuse d'avance de l'avoir dit.

La démocratie ressemble parfois à un radeau où tout le monde rame dans toutes les directions, tandis que la dictature peut passer pour une belle galère où tout un chacun rame en cadence. La dictature a du rythme et de l'énergie. Elle est pro-active. Le grand timonier n'a qu'à donner la destination et malheur à ceux qui veulent se mutiner.

Je crains que l'abolition des référendums municipaux ne suscitent pas tant de vagues. Peu de gens se déplacent pour voter. Peu de gens s'indigneront de perdre leurs droits et leurs libertés, sinon trois pelés et un tondu comme moi.

Malheureusement, ce sont de pauvres fous, étudiants, militants ou candidats à la sédition qui se feront tabasser dans la rue un jour ou l'autre pour dénoncer la fraude et la corruption.

Il ne restera que la rue, voyez-vous, pour se chicaner contre la dictature.

Le prix à payer sera bien plus lourd qu'on ne le croie pour toutes ces raisons.

Comme dirait un certain John F. Kennedy, ceux qui rendent les réformes impossibles rendent les révolutions inévitables.

Je crois qu'il serait malsain pour notre communauté d'abandonner les référendums municipaux pour favoriser deux ou trois roitelets qui réclament un chèque en blanc pour tous leurs projets.

Évidemment, ce n'est que mon opinion. Je suis bien trop chialeur et coûte beaucoup trop cher pour qu'on me prenne au sérieux. Je ne suis pas un visionnaire, moi. Je ne suis qu'un con...tribuable (sic!).

mercredi 22 février 2017

Pour en finir avec les pro-actifs

Ceux qui veulent le pouvoir ne le méritent pas. Cette idée est sans doute vieille comme le monde mais Platon l'attribuait à Socrate.

On n'aura même pas à méditer longtemps cette formule. On n'a qu'à regarder autour de soi pour se convaincre qu'une très majorité de gens qui exercent le pouvoir n'en sont pas dignes. Ils n'agissent pas dans l'intérêt de la communauté mais se servent de la communauté pour mousser leurs intérêts personnels. Ils distribuent ensuite des faveurs aux plus larbins pour se conférer l'illusion de leur magnanimité. Ils s'étonnent bien sûr de la jalousie des gens qui n'aiment pas les politiciens et les personnes en situation d'autorité. Comme si nous vivions dans une tribu où toutes les décisions étaient collégiales...

Évidemment, ce sont les pro-actifs qui détermineront les qualités dont leurs successeurs devront faire preuve. Parmi celles-ci on trouvera bien sûr la duplicité, le sens de l'intrigue, le mensonge, le manque d'humilité, la vantardise et le narcissisme, tout ça enrobé dans un emballage "pro-actif". Il ne suffit que de se gonfler le torse et de hurler comme un gorille pour prétendre au titre d'être humain alpha. Alpha mon oeil! On n'a presque toujours affaire qu'à des médiocres qui dissimulent leur désarroi sous les apparats et les oripeaux de la fonction qu'ils occupent.

On ne s'embarrasse pas de la signification des mots lorsqu'on est au pouvoir. On leur donne la définition qui convient le mieux à perpétuer la mainmise sur le pouvoir. Être actif ne suffisait pas pour vouloir dire de quelqu'un qu'il est dynamique. Il manquait de pouvoir occulte au lexique des magiciens d'Oz qui nous gouvernent. Ils sont donc devenus pro-actifs, des vrais leaders, des champions de la performance qui fonce droit dans un mur.

Être pro-actif, c'est donné l'impression de bouger tout en étant le dernier des idiots. On donnera raison à l'abruti exerçant le pouvoir parce qu'il bouge, agite ses bras, sacre et tempête pour un rien lorsqu'une crise se présente. On lui donnera un verre de lait et deux biscuits pour qu'il se calme les nerfs. On fera semblant de ne pas ressentir son anxiété, ses clignements de yeux et tous ces signes extérieurs qui témoignent du dérangement de son esprit. Il bouge donc il a raison. Il agit tout croche et tout de travers, au grand dam de ceux qui passent derrière pour essuyer ses dégâts, précieux subalternes qu'il méprise et maîtrise par la farce de l'habitude. C'est donc un chef. On les a tous connus ainsi. Pourquoi en irait-il autrement?

Le pro-actif vous coupera la parole en toutes circonstances. Si vous dites que la France est en Europe, il tiendra mordicus à son idée qu'elle est au Sud du Japon quoi que vous fassiez. Et n'allez surtout pas lui demander où est le Japon, ce serait de l'insubordination... Il est le chef et il sait tout même s'il ne connaît rien à rien. De plus, il est hypersensible. Quand on dit qu'il a tort il pourrait étrangler pour prouver le contraire. Évidemment, il ne s'excuse jamais d'avoir eu tort. Il ne doit rien aux vaincus. Il se contentera de dire qu'il a toujours eu raison et obligera son contradicteur à prendre son trou.

Le pro-actif ne s'embarrasse jamais de menus détails. S'il vous dit de peinturer avec un marteau, il s'attend à ce que vous peinturiez avec un marteau sans rechigner. Autrement, vous lui feriez beaucoup de peine et il deviendrait tout aussi bête que méchant. Un pro-actif, voyez-vous, ça n'aime pas se faire contredire et ça s'inventerait même des majorités silencieuses pour vous faire taire. 

Le pro-actif est seul mais il prétend que tout le monde l'aime et lui lance des fleurs parce que dans son monde c'est lui qui distribue les rôles et les scénarios. Si tu ne fais pas partie de sa pièce, tu n'es rien.

Le pro-actif a le sens des vraies affaires, même si ses mains tremblent quand il parle, même s'il cligne des yeux quand il ment, même si la France n'est pas au Sud du Japon...

Évidemment, le pro-actif ne vous écoute jamais. Il fait semblant de vous prêter attention en hochant la tête. Mais qu'on ne s'y trompe pas: il pianote sur le bord de la table pour vous couper la parole aussitôt que possible et vous montrer comment l'on devient pro-actif.

Le pro-actif sait tout sans jamais rien apprendre. Il sort des idées de sa petite tête comme on sortirait une crotte de lapin d'un chapeau. Il est le maître et le pouvoir c'est d'avoir toujours raison.

Les intellectuels lui semblent ridicules: des gens qui lui parlent de la France et du Japon...

Les gens calmes et posés ne peuvent être que des perdants.

Il n'en a que pour ceux qui, comme lui, clignent des yeux en disant n'importe quoi n'importe comment.

Le pro-actif sait s'entourer de promoteurs véreux, de politiciens corrompus et de fourbes de tous horizons.

Le pro-actif sait que tout s'achète: les diplômes, les honneurs, les journalistes, les juges, le sexe et les fonctions politiques.

Dans son monde de chiffres tout se résume à combien. Jamais à comment et encore moins à pourquoi.

Ce n'est pas parce que personne ne lui réplique que cela signifie que tout un chacun l'approuve.

Les gens qui ne sont pas pro-actifs éprouvent malheureusement de la pitié envers les imbéciles.

Ils regardent le pro-actif se cogner contre tous les murs avec un mélange de mépris et de compassion.

Ils se disent que ce n'est pas ça le bonheur et que la vie vaut mieux que ça.

Ils pensent, peut-être à tort, que l'époque finira par rouler pour eux.

Comme si nous vivions dans une anomalie de l'histoire qui ne saurait durer. Le monde est fou, bien sûr, mais la folie atteindra sa limite. Le pro-actif se pendra avec sa propre corde. Tous ses mensonges s'écrouleront avec fracas. Ce n'est qu'une question de temps.

Pour le moment, nous vivons dans un monde où l'on traite les sages de fous et où l'on honore ceux qui n'ont ni honneur ni humilité.

On ne veut rien savoir du type qui prendrait trois mois à analyser la structure d'un pont avant que de le bâtir pour être certain qu'il ne s'effondrera jamais.

On préfère le pro-actif, l'esprit carré qui dépose un rectangle de béton sur deux carrés de terre glaise, au mépris de la sagesse des Anciens. Celui qui se tirera d'embarras en inventant n'importe quoi lorsque son pont s'écroulera parce qu'il est tout simplement stupide et incompétent. Celui qui générera de nouveaux contrats tout aussi mal effectués parce que la France, voyez-vous, est bel et bien au Sud du Japon...

Et pourtant! Que d'énergies perdues pour laisser libre-cours aux folies et manigances de ces soi-disant pro-actifs qui font de la projection sur les sages qu'ils traitent à tort de pelleteurs de boucane!

Ce sont eux, les pro-actifs, qui sont à côté de leurs pompes.

Ce sont eux, les pro-actifs, qui font les choses tout croche et tout de travers.

Ce sont eux qui ont le pouvoir...

Aussi ne faut-il pas s'étonner d'en payer le prix tous autant que nous sommes.

Jusqu'à ce que tout s'effondre.

mardi 21 février 2017

Je suis un artiste de la naïveté

"J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs."
Arthur Rimbaud, Alchimie du Verbe

***

L'art a toujours été de tout temps mon refuge. J'y trouve une paix intérieure indicible. C'est mon lieu de prière. C'est ma chapelle mystique sans dieux et sans réponses toutes faites. C'est ma voie spirituelle par excellence. C'est ma source perpétuelle de rédemption.

Il manque toujours quelque chose aux débats auxquels il m'arrive de participer à contrecoeur. Il manque de rêves. Tous les mots que l'on peut se balancer par la tête ne vaudront jamais une touche de vert sur une toile, une note de musique, voire un poème. Ils me sembleront toujours aussi vains que vides. Des jeux pour perroquets savants qui se déchirent à interpréter le monde plutôt que de le savourer et en ressentir toute la grandeur.

L'histoire? Très peu pour moi. J'ai lu en profondeur tout plein d'ouvrages sur l'Antiquité, le Moyen-Âge, la Renaissance, la Révolution française et tout le reste. J'ai surtout retenu que les hommes étaient profondément stupides à toutes les époques. Seuls les gens dont on n'aura jamais rapporté l'histoire valaient le coup. Plus quelques artistes ici et là qui créaient de la beauté tandis que les autres s'étranglaient comme des cons.

J'ai malheureusement été contaminé par la culture et les hautes études. Mon art ne sera jamais aussi naïf que je voudrais le faire croire. À l'instar de Picasso, auquel il serait présomptueux de me comparer, j'ai la technique pour représenter fidèlement la réalité mais ce n'est pas ce que je trouve à force de ne plus chercher. Si je voulais tant représenter fidèlement la réalité, je ferais mieux de m'adonner à la photographie. Picasso avait compris qu'il ne devait pas concurrencer la photographie, mais puiser en lui-même cette force qui habite les peintres naïfs du monde. Cela dit, il devait lui-même se sentir petit devant l'art brut d'un enfant ou bien celui d'un sorcier d'une quelconque tribu de Madagascar. Il en savait trop sur l'art pour facilement désapprendre.

Je me sens parfois tout petit devant les peintres naïfs autodidactes, analphabètes et incultes. Comme si j'avais perdu quelque chose en chemin. Je m'adonne à cette forme d'art avec autant d'entrain que de dévotion. Mais quelque chose cloche. Je ne crois pas faire semblant mais j'ai trop d'éléments de comparaison dans ma mémoire pour peindre simplement et sans complexes.

Néanmoins, mon idéal artistique est plus près de l'artisan de la Gaspésie qui réalise des sculptures de vieux qui fument la pipe avec du bois mort échoué sur la plage. Il s'éloigne toujours plus de ceux que René Daumal appelait les "fabricateurs de discours inutiles" dans son roman intitulé La Grande Beuverie. S'il faut un discours pour justifier une oeuvre et son créateur, je préfère oublier cette oeuvre et ce créateur. Je tiens à ce que mon âme demeure propre...

Je réécoutais hier un documentaire de l'Office National du Film à propos de feu Arthur Villeneuve, le peintre-barbier de Chicoutimi. Ses propos m'ont ému plus que tout. J'avais comme une poussière dans l'oeil...

Ce brave homme avait compris qu'il devait peindre ce qu'il ressentait. Et ce que Arthur Villeneuve ressentait, c'était de peindre sa maison en entier, l'intérieur comme l'extérieur. Une démarche folle qui lui prit sept années. Villeneuve commença par peindre un petit bateau à vapeur dans son sous-sol. Sept ans plus tard, sa maison était devenue aussi impressionnante que les fresques des aborigènes australiens qui communiquaient avec leurs dieux.

Arthur Villeneuve disait dans ce documentaire qu'il ne voulait pas peindre à partir de photographies comme tant d'artistes dits professionnels le font. Il voulait représenter ce qu'il ressentait. Si la personne est belle et qu'il ressent cette beauté il la fera belle. Si elle laide, elle sera laide. Et ainsi de suite sans aucune prétention. Sa maison, qui avait exigé tant de sacrifices, était aussi le château qu'il offrait à sa femme qui, au tout début, doutait un tant soit peu de ce qui se passait dans la tête de son mari. Était-il devenu fou? Mais non! Arthur Villeneuve était devenu plus grand que nature. Tandis que d'aucuns ricanaient de sa folie, Villeneuve se frayait un chemin dans le monde des plus grands artistes-peintres naïfs de tous les temps.

-C'que les autres disent, ça me rentre par une oreille pis ça m'sort par l'autre, qu'il racontait dans le documentaire de l'ONF.

Je ne peins pratiquement jamais à partir de photos, hormis pour des contrats lorsqu'on me demande de représenter tel ou tel truc. Je vous avouerai que ce n'est pas ce que je préfère. Cela manque d'imagination...

J'aime peindre directement sur mes toiles, sans idées préconçues, sans scénarios, à la va comme je te pousse. Je commence à barbouiller une toile avec mes doigts, avec une éponge ou bien avec mon front si cela se pouvait. Puis j'extirpe quelque chose de ce chaos originel. Tout s'organise autour d'une tache jusqu'à la faire disparaître.

En voyant Villeneuve peindre, j'ai réalisé que nous avions pratiquement la même technique: un dessin noir, des couleurs puis on refait les lignes. J'emprunte aussi à Gauguin une certaine technique dite du cloisonnement. Puis j'utilise mes pigments les plus vifs, ceux que je voie le mieux, sans me soucier outre-mesure de la réalité.

Ma récompense, au bout de tout ça, c'est le sourire d'un enfant lorsqu'il voit l'une de mes oeuvres.

-Wow! Avez-vous vu c'qu'i' fait l'monsieur? Cool!

Pour moi, ça vaut de l'or. Évidemment, ses parents ne sont pas toujours aussi enthousiastes. Ils craignent à tort que de s'approcher leur coûtera quelque chose, comme si je mendiais pour vivre.

Je ne fais pourtant aucune vente sous pression.

Je me soucie peu des affaires.

Ma business, la seule qui soit, c'est de créer et de m'émerveiller.

Je préfère Monet à monnaie.

Cela me semble pourtant clair comme de l'eau de roche.

Parfois, cela me fait un peu déprimer.

Je pense aux Russes, ces Russes que l'on qualifie de barbares. Les Russes qui remplissent des stades de 100 000 personnes pour assister à des récitals de poésie...

Je pense à ce Bosniaque qui m'a dit un jour que je serais considéré comme un Dieu en Bosnie avec mon art naïf.

Je ne m'en fais pas outre mesure.

Je sais que les Québécois ne savent pas communiquer leurs émotions.

Je sais qu'ils sont profondément malheureux, aigris et parfois même envieux des rêves d'autrui.

J'ai ma récompense. Ils ont leur fardeau.

Ma vie est belle.

Je ne suis pas riche, peu s'en faut, mais ma maison est devenue mon château.

Et au milieu de ce château, il y a ma princesse, celle qui me pousse à ne jamais battre retraite devant les ennemis de ce rêve qui m'habite depuis toujours.

Elle est ma première source d'inspiration en quelque sorte.

Elle est ma muse.

Je suis donc un privilégié.

Je suis habité par des états de grâce en permanence.

Je suis un artiste de la naïveté.

lundi 20 février 2017

Comment avait-il pu détester la vie?

Le temps était gris. La neige était sale.

Son humeur était mauvaise. Son travail était sans intérêt. Ses espoirs étaient vains. Ses amours étaient mortes.

Bref, sa vie était triste à mourir.

Tout lui pesait sur l'âme. Et il avait le vague sentiment que rien n'allait s'améliorer.

Plutôt que de s'enfoncer dans toujours plus de désespoir, il s'était résolu à lâcher prise et à partir au loin.

Il avait tout quitté et était parti tout fin seul avec son sac à dos.

Son pèlerinage se fit sans prières et toujours plus à l'Ouest.

Il traversa des tempêtes, des blizzards et j'en passe.

Puis il constata un beau matin qu'il s'était rendu là où les lilas étaient en fleurs.

Le vent du large provenait de l'Océan Pacifique.

Il avait l'étrange sensation d'être enfin en paix avec lui-même.

Il travaillait pour un piètre salaire au gré de ses errances et avait pour amis tous les promeneurs solitaires du monde.

La vie lui semblait dorénavant une aventure digne d'être vécue.

Il avait franchi la porte de sa prison sans savoir que la porte avait toujours été ouverte. Il s'était frappé la tête contre les barreaux d'une cellule qu'il s'était bâti lui-même.

Le soleil le nimbait de poésie autant que de courage.

Il n'avait plus peur d'avoir peur.

Il ne craignait plus le lendemain.

Tout était redevenu lumière.

-Hey Frenchie, what are you thinking about, huh?

-Nothing man... Eveything's fine... I just go with the flow...

-Ok then... But don't forget to let me smoking too... Jizz! You've got the joint in your hand for about five minutes dude... 

-Sorry... Take it man...

-Cool man... Fuck man I'm flying out... don't you?

-Me too... Wow...

Une musique jouait en sourdine. Quelque chose comme if you're going to San Francisco be sure to wear some flowers in your hair...

Il avait atteint son illumination.

Rimbaud pouvait aller se rhabiller.

Le soleil brillait sur l'Océan Pacifique.

Des hippies courraient nus sur la plage avec des couronnes de fleurs dans les cheveux.

Comment avait-il pu détester la vie?



Trois photos

Une oeuvre en chantier...





















Une murale plus vraie que nature dans mon sous-sol.
Il arrive que l'eau ruisselle le long du mur au printemps...






















Un mur de ma galerie d'art.

dimanche 19 février 2017

Le vrai Ti-Cul Boulamite

Il y a des Ti-Cul Boulamite pour désigner des tas de jeunes morveux. Mais pour nous, il n'y en a toujours existé qu'un seul.

Il ne s'appelait pas vraiment Ti-Cul Boulamite, vous vous en doutez bien, mais le chemin n'était pas long pour faire de Antoine Boulay-Lamy le plus authentique des Ti-Cul Boulamite.

D'abord, il était petit, malcommode et offensant. Cependant, il perdait toutes ses batailles. On lui reconnaissait néanmoins une forme de résilience. Il revenait vous achaler à peine trois heures après avoir reçu une volée de claques sur la gueule. En fait il était aussi difficile de se débarrasser de lui que d'une mouche dans un restaurant malpropre.

Ti-Cul Boulamite était petit, bien entendu. Il occupait toujours le premier rang à l'école, tant en classe qu'à la fin des récréations, quand on rentrait comme un bataillon vaincu et soumis, tous en ligne du plus petit au plus grand, comme des moutons.

En classe, il était une vraie calamité pour ses professeurs. Il était souvent gardé en retenue après les classes ou bien en punition dans le corridor à méditer sur ses dernières niaiseries.

Elles n'étaient jamais très subtiles. Il aimait se moquer des jambes poilues de la professeure de musique, par exemple, qui les mettait plutôt en évidence sous ses bas de nylon de couleur chair.

-Madame, vous êtes-vous peigner les jambes à matin? disait Ti-Cul Boulamite dans l'espoir de faire rire toute la classe. Êtes-vous parente avec un gorille?

Il nous faisait rire, c'est certain, mais nous étions tous en retenue après la classe à cause de ses facéties. Ce qui nous donnait plutôt l'envie de lui river le nez.

-On payera pas pour tes niaiseries Ti-Cul Boulamite!

-Allez chier! qu'il nous répondait fièrement. J'vous encule toutte la gang!

Évidemment, il se faisait violemment bousculer. Et le lendemain, il recommençait le même manège en se foutant de tout et non seulement de ses professeurs. Personne n'arrivait à l'achever.

Puis nous fîmes notre entrée à la polyvalente, une grosse bâtisse rectangulaire dépourvue de fenêtres où l'on devait nous enseigner à ne pas devenir chômeurs ou assistés sociaux comme la majorité des gens originaires de notre quartier. Ça jouait dur à la poly. On avait tellement peur de la fréquenter, avec toutes les rumeurs que nous avions entendues, que nous nous étions tous acheter des couteaux de chasse et des machettes au surplus d'armée. Nous ne voulions pas être sacrifiés par les plus grands. Nous nous promettions de les ouvrir de bas en haut s'ils s'en prenaient à nous.

Ti-Cul Boulamite n'était pas en reste. Il avait plutôt opté pour des nunchakus qu'il s'était confectionnés lui-même avec deux bouts de manche à balai peinturés en noir reliés par une chaînette.

Ti-Cul n'eut pas à attendre longtemps pour s'essayer au Cogne-Fou. Baveux et teigneux comme il l'était, il envoya chier Dany Février, un gars qui avait redoublé quatre fois et qui faisait de la boxe pour faire oublier qu'il était un idiot.

-Toé j'attends à trois heures et quart, lui avait-il dit en lui foutant un coup de doigt dans le front.

Évidemment, nous ne voulions pas manquer ça.

-J'va's l'achever avec mes nunchakus... Il créra pas ça el' tabarnak! J'ai vu tous 'es films de Bruce Lee pis j'connais même le coup d'la mort! I' va pleurer de r'voir sa mère!

Dany Février l'attendait comme convenu en haut de l'escalier du deuxième coteau. Il était avec trois de ses camarades et ne pouvait pas se permettre de perdre la face pour un minable Ti-Cul Boulamite.

Ti-Cul Boulamite fut prompt. Il sortit ses nunchakus lorsqu'il fut à moins de trente pieds de Dany Février.

-Qu'est-cé qu'tu penses faire avec ça, hostie d'fausse couche? le nargua Février.

-Oua! Ya! Oooh! répondit Ti-Cul Boulamite en s'activant avec ses nunchakus.

Malheureusement, il s'assomma lui-même au cours d'une manoeuvre qu'il ne maîtrisait pas encore.

Il se donna un coup solide derrière la tête et tomba inconscient au sol.

Dany Février ne trouvèrent rien à rajouter et se contentèrent de se moquer de lui.

-On peut même pas l'fesser... I' s'tue lui-même l'hostie d'cave!

Lorsque Ti-Cul Boulamite reprit ses sens, il se promit d'asséner le coup de la mort à Dany Février la prochaine fois qu'il le croiserait.

Évidemment, il finit par manger plusieurs autres raclées. Le plus drôle c'est qu'il avait commencé à fumer et nous était revenu avec un oeil au beurre noir, un nez qui saignait et sa cigarette en bouche cassée en deux.

-J'en ai mangé une tabarnak, se contenta-t-il de dire.

Je ne sais pas ce qu'est devenu Ti-Cul Boulamite. On m'a dit qu'il était gardien de sécurité.

J'imagine qu'on doit plutôt l'appeler Antoine ou Ti-Toine ou Boulay-Lamy.

Quoi qu'il en soit, j'aurai connu le vrai Ti-Cul Boulamite et il ne saurait en exister un autre sans que ce ne soit de la fausse représentation.

samedi 18 février 2017

Trois nouvelles toiles...




Avant que les colombes ne partent en voyage...

Paul Nizan, dans Aden Arabie, débute son roman par quelque chose comme "J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme: l'amour, les idées, la perte de sa famille, l'entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde."  

Les jeunes gens dont je vais parler n'avaient pas encore vingt ans, mais c'était tout comme...

Ils avaient plutôt dix-huit ans. Ils étaient tout aussi Québécois que puceaux. Et ils vivaient à une époque triste à mourir.

Les années '80 n'auraient jamais dû exister pour un jeune Québécois. Elles ont tout de même eu lieu pour le plus grand malheur d'une bonne partie d'entre eux.

D'abord, ils eurent à digérer la défaite d'un référendum qui aurait pu faire du Québec un pays. Ils s'éveillèrent dans une province folklorique de Sa Majesté Elisabeth II, avec la sensation qu'il n'y avait pas de futur.

Reagan avait pris le pouvoir aux États-Unis. Le Canada emboîtait le pas. La religion et le conservatisme social revenaient en force avec tout ce que ça pouvait avoir de déprimant pour un jeune désabusé de tout. Céline Dion chantait Une Colombe pour le pape Jean-Paul II au Stade olympique de Montréal. On parlait du sida dans les médias comme si c'était une punition divine. On perdrait dorénavant sa virginité avec un condom, si tant est qu'on trouverait des partenaires sexuels qui ne craignaient pas la mort...

Il n'y avait plus de travail. On entra dans une période de récession économique. Une manière de dire qu'on n'offrirait plus que des jobs minables à cette génération qui faisait péniblement son entrée dans le monde.

Ces jeunes-là, ils étaient six, ne voulaient pas rater leur vie. Ils avaient même des idéaux qu'ils n'osaient pas trop formuler de crainte qu'ils ne se réalisent jamais. Ils préféraient boire en faisant semblant de rire de tout. Ils avaient l'air d'une belle bande de vieux jeunes un peu trop ringards et conformistes, même si l'époque s'y prêtait.

Ces trois gars, trois filles s'étaient donné un rendez-vous au Grossier, un bar de la ville fréquentée par la faune collégiale. Parmi les gars il y avait un gros, un grand svelte et un petit maigrichon. Quant aux filles, il y avait une grande maigre, une moyenne pulpeuse et une petite dodue. Avant cette rencontre qui devait mener à un dépucelage en règle, les gars s'étaient entendu sur une stratégie. Le gros prendrait la grande maigre. Le grand svelte irait avec la moyenne pulpeuse. Et le petit maigrichon se contenterait de la petite dodue. Les filles avaient sensiblement tenu la même conversation préalablement à cette rencontre. Sauf que la grande maigre craignait de se faire casser en deux par le gros. Ce qui fait que c'est la petite dodue qui se proposait pour le gros prétendant qu'elle n'aimait pas les petits hommes avec de petites épaules... La grande maigre irait avec le grand svelte et la moyenne dodue, pas regardante pour quatre sous, se contenterait du petit maigre, ne serait-ce que pour son humour tout relatif.

Or, il ne se passa rien.

Les jeunes hommes burent comme des trous pour gagner en assurance. Plus ils buvaient, plus ils tenaient des propos salaces comme j'ai envie d'péter...

Les jeunes filles commentèrent les gars qui passaient devant elles pour les rendre jaloux.

-Il est chou lui... Il ressemble au chanteur de Bon Jovi...

-Moé 'ssi j'le trouve choufleur... répliquait le grand svelte. J'devrais aller lui d'mander s'il veut échapper son savon dans la douche pis l'ramasser d'vant moé... Ha! Ha! Ha!

-Hostie qu't'es niaiseux! ajouta la grande maigre.

Finalement, tout se termina au restaurant L'Ananas après la fermeture du bar. Les six jeunes gens se commandèrent de la poutine. Ils firent semblant de rire d'être saouls. Puis les deux groupes partirent chacun de leur côté suivant la division des sexes: trois gars d'un bord et trois filles de l'autre.

Les filles étaient désabusés par ces garçons si peu entreprenants. Elles se disaient qu'elles préféraient les vieux mecs dans la quarantaine finalement. Ils étaient plus sérieux et on pouvait compter sur eux pour fonder un nid et y pondre ses oeufs. De plus, ils étaient romantiques et vous emmenaient au restaurant ou bien au théâtre. Ils avaient une voiture ainsi que leur propre appartement.

Les gars croyaient que les filles étaient des saintes-nitouches parce qu'ils ne savaient pas comment les approcher. Ils oubliaient qu'ils faisaient pitié à voir quand ils étaient saouls. Le gros était peigné comme un dessous de bras. Le grand svelte avait vomi trois fois devant elles. Le petit maigrichon n'arrêtait pas de leur parler d'Adolf Hitler...

-J'ai envie d'fourrer tabarnak! hurla le grand svelte tandis qu'ils traversaient le cimetière pour prendre un raccourci. J'pense que j'va's baiser ma bouteille de bière c'te nuitte! Ou bien un mort, tiens...

Et du coup, le grand svelte se mit à se faire aller sur une pierre tombale.

Ils avaient vingt ans. Ce n'était pas le plus bel âge de leur vie.

Et ils s'en allaient tous et toutes à pied parce qu'ils n'avaient pas d'autos.

Ils habitaient tous encore chez leurs parents où il n'y avait pas moyen d'emmener une fille.

Tout ça tournait dans la tête de ces trois idiots.

Heureusement que les années '80 allaient finir par passer.

Bientôt U2 prendrait le dessus sur Bon Jovi.

Bientôt ce serait fini les sorties de groupes et ils deviendraient tous farouchement libres et solitaires.

Bientôt ils ne seraient plus puceaux et feraient chavirer tous les coeurs.

Les colombes partiraient en voyage et se mettraient enfin à fourrer à plein cul.




vendredi 17 février 2017

Mon billet hebdomadaire pour le Hufftington Post Québec

C'est ici!

Spouki le chien barbette

Rose-Aimée aimait les animaux. Sa maison était une vraie ménagerie. Il fallait non seulement toujours regarder là où l'on mettait les pieds, mais aussi se protéger les yeux des perruches qui y volaient allègrement. Il y avait trois aquariums dans sa maison, dont un pour Ramsès le serpent. Il y avait aussi Gaspard le micro-cochon, Balthazar le chat gris et, bien sûr, Spouki le chien qui faisait figure de gardien de la ménagerie.

Spouki était à vrai dire ce que l'on appelle en bon québécois un chien barbette, pas un chien barbet non: un chien barbette. Si vous êtes du coin vous savez sans doute qu'un chien barbette est à coup sûr un chien bâtard, de ce genre de chien mâtiné de Shih tzu, de Yorkshire terrier et probablement de Bichon frisé. Il n'était pas particulièrement joli, Spouki, mais sa maîtresse le bichonnait comme s'il était son amant. Rien ne passait avant Spouki dans cette maison, et surtout pas son mari qui n'aimait pas particulièrement ce sac à puce qui jappait toujours après lui chaque fois qu'il osait caresser Rose-Aimée ou, pire encore, lui faire l'amour. Spouki était du genre jaloux et il ne manquait jamais de rappeler à l'époux de Rose-Aimée qu'il n'était rien en lui mordillant ses pantoufles ou bien ses talons.

-Que j'te voie jamais frapper Spouki! rappelait Rose-Aimée à chaque fois où son gros Georges perdait patience face à Spouki.

-Ton hostie d'Spouki! J'en ferais de la moulée pour les cochons!

-Parle pas comme ça de Spouki! Excuse-toi auprès de Spouki Georges!!! C'est pas parce que c'est un chien qu'il n'a pas de sentiments...

Et Georges s'excusait sinon Rose-Aimée faisait la grève de l'amour.

-J'm'excuse Spouki...

Et Spouki, pour bien faire sentir à Georges qu'il n'était qu'un minable, jappait de toutes ses forces en prenant son air le plus méchant.

-Woa! Woa! Woa! Woa!

Ses jappements sciaient les testicules du pauvre époux, évidemment, mais c'était le prix à payer pour bénéficier d'un peu de cet amour que Rose-Aimée dispensait à toutes ses bêtes, dont Georges qui était sans doute la moindre d'entre elles...

Or, Spouki avait atteint l'âge adulte et ne trouvait aucun plaisir à tenter de se reproduire avec Balthazar le chat qui le griffait chaque fois qu'il se branlait derrière lui. Quant à Gaspard, le micro-cochon, il se laissait faire sans rien dire mais ça lui semblait d'autant plus déprimant que l'odeur de son fion ne revenait pas du tout aux narines fines de Spouki.

Spouki sentait qu'il était différent de tous ses compagnons de ménagerie. Il saisissait que le monde était plus vaste que la maison de Rose-Aimée. Il entendait des jappements et des hurlements lointains, tous les jours, qui lui rappelaient que la liberté n'était pas un concept vide.

-Waou! Je suis le roi du monde! Waou! lui semblait-il entendre dans une langue canine qui lui était encore difficile à décrypter.

-Woa! Woa! leur répondait-il à son tour en collant son museau dans la fenêtre de ce qu'il percevait de plus en plus comme sa prison.

Spouki déprimait voyez-vous. Rose-Aimée l'avait d'ailleurs constaté et pensait lui faire rencontrer un psychologue canin que Georges payait en rechignant un peu mais pas trop pour ne pas générer une énième chicane entre lui et son épouse.

Spouki pouvait fixer le monde pendant des heures derrière les fenêtres. Japper après le facteur ne lui disait plus rien. Il ne faisait plus de cabrioles quand Rose-Aimée lui tendait des caramels mous. Spouki était triste de mener une telle vie de chien.

-Je mange autant que je veux avec ces singes... Mais ces singes ne sont pas comme moi... Ils ne jappent jamais et ne me reniflent jamais le cul... Ils sont bizarres... Ils se mettent des morceaux de tissus sur le corps comme si c'était toujours l'hiver... Ils font caca dans l'eau que je bois... Bien sûr elle me caresse, me gratte les puces et me donne des caramels... Mais bon... Il y a autre chose quoi... Et je n'en peux plus de zigner Gaspard le micro-cochon... Il me faut une vraie chienne!

Un jour où Georges rentrait les sacs d'épicerie de la semaine, Spouki en profita pour lui filer entre les jambes et s'enfuir au loin pour enfin connaître ce monde qui lui était inconnu.

-Spouki! Reviens Spouki! Reviens tout d'suite! SPOUKI! cria Georges.

Spouki n'avait jamais obéi à Georges et il n'allait pas commencer à le faire.

Spouki courut sur ses petites pattes pendant deux ou trois kilomètres, reniflant et pissant partout sur son passage pour marquer ses nouveaux territoires.

-Je suis le roi du monde! Waou!

Puis il la vit, elle, une magnifique Pitbull dénommée Chloé. Ce n'était pas une chienne malcommode et elle se laissa renifler le derrière sans rien dire. Spouki était dans tous ses états. Il se sentait devenir un loup pour l'homme et un amant pour cette chienne. Malheureusement, Chloé était beaucoup trop grande pour qu'il puisse tirer son coup. Il se contenta donc de lui lécher les pattes puis le museau.

-J'peux rien faire pour toi ma belle... Tu es trop grande et trop grosse pour un petit chien comme moi... 

-Wouf! répondit-elle. T'es pas l'premier qui m'dit ça... Même si j'te trouve mignon... T'es beau à croquer... Je ne ferais qu'une bouchée de toi p'tit chien...

Évidemment, Spouki détala avant que de se faire croquer par Chloé qui lui montrait déjà ses crocs.

Entre temps, Rose-Aimée était dans tous ses états. Elle criait après Georges et faisait peser sur lui toute la responsabilité pour la fuite de Spouki.

-Tu vas dormir sur le sofa, Georges, je te le jure, si tu ne retrouves pas Spouki!

-Je vais le trouver mon amour... Oui, je vais retrouver notre petit Spouki que nous aimons tous... Tu sais qu'je l'aime moi aussi, Spouki? 

Georges mentait. Il détestait ce chien autant qu'il détestait dormir seul sur le sofa, loin de la peau douce de la gardienne de leur zoo conjugal.

Il partit donc à la recherche de Spouki.

Cela faisait maintenant six heures que Spouki s'était enfui et le pauvre animal avait faim. Il ne trouvait rien à manger. Seulement de la neige. Le monde lui semblait aussi vaste que froid. Les chiens et les chiennes ne vivaient donc pas comme il l'aurait cru, libre et tout le reste. Même Chloé avait un collier et une chaîne qui la rattachait à un poteau. C'était donc ça la condition canine. Il fallait sans doute s'y faire. Surtout quand venait le temps de manger.

Comme il pensait à tout ça, Spouki vit ce gros gorille de Georges s'approcher vers lui.

-Spouki! Viens Spouki!

Spouki regarda le gorille à contrecoeur, comme s'il voulait lui faire ressentir qu'il n'avait pas besoin de lui.

Puis il se résigna à le suivre sans même japper.

Georges le prit dans ses énormes bras et le ramena à la maison.

Rose-Aimée pleura à chaudes larmes de retrouver son petit Spouki.

-Georges! Ô Georges! Tu as retrouvé Spouki! Mon p'tit homme Spouki! Viens ici Spouki! Viens voir ta maman!

-Woa! jappa Spouki en sautant sur ses seins.

Rose-Aimée l'inonda de baisers et de caresses tandis que Georges resta planté là comme un con.

-Et moi? Tu ne m'embrasses pas? questionna Georges.

-Toi? Tu as failli perdre notre petit Spouki! Excuse-toi auprès de Spouki! Dis-lui que tu seras plus vigilant à l'avenir! Vilain Georges! Excuse-toi auprès de Spouki!

-Excuse-moi Spouki... Je serai plus vigilant à l'avenir... murmura Georges en ressentant en lui une curieuse envie de tuer.

-Très bien... Puisque tu t'excuses je te permets de donner un baiser à Spouki!

-Woa! jappa méchamment Spouki lorsqu'il vint pour l'embrasser. Woa! Woa!

-Tu vois? Spouki t'en veux encore... Il va falloir que tu dormes sur le sofa...

Et Georges dormit sur le sofa une fois de plus.

Tandis que Spouki dormait dans le lit conjugal, avec sa maîtresse, fort d'enfin savoir que c'était lui le vrai homme de la maison.

Spouki se leva même dans la nuit pour aller se zigner derrière Georges, afin de bien lui faire ressentir qui était le maître.

Georges n'osa rien dire.

Il se laissa faire, tout comme Gaspard le micro-cochon...

jeudi 16 février 2017

Bienvenue aux réfugiés...

Des tas d'immigrants entrent illégalement en territoire canadien depuis l'élection de Donald Trump. Et c'est au Québec qu'il rentre le plus d'immigrants illégaux en provenance des États-Unis.

Quand les Albertains ont coupé le chèque des assistés sociaux de moins de 30 ans dans les années 90, les malheureux ont dû fuir vers la Colombie-Britannique et la Saskatchewan pour survivre. 

Les citoyens de Colombie-Britannique et de Saskatchewan ont donc payé pour le manque d'humanité et de compassion des Albertains. 

Comme les Canadiens et les Québécois paieront pour le même manque d'humanité des Américains dupés par Trump... 

Cela dit, il faudrait se questionner sur la libre circulation des gens aux frontières qui exista de tout temps et prit fin seulement à l'époque de Napoléon.

Les êtres humains furent depuis considérés avec moins de commisération que les animaux qui franchissent illégalement la frontière tous les jours.

Toute notre barbarie est issue de la naissance du nationalisme au XVIIIe siècle et nous payons encore pour ces lubies déshumanisantes.

Moins de religion a bien meilleur goût

"La religion m'a fait trop de bien pour que j'en dise du mal et trop de mal pour que j'en dise du bien." C'est ce que répondait Michel Chartrand lorsqu'on le questionnait au sujet de la religion. Cette réponse aurait pu être celle de feu mon père, marguillier de la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Allégresses et bénévole pour la Société Saint-Vincent-de-Paul à Trois-Rivières.

Mon père avait une foi sincère qui se traduisait en actes de bienfaisance. Il n'était pas parfait. Il n'était donc pas un parfait imbécile. Rien ne lui puait plus au nez que ces chrétiens d'apparat qui méprisaient les pauvres. Ces gens-là, il avait coutume de les appeler des vieilles bottines de feutre ou, en d'autres termes, des suceux de balustres.

Mon père détestait plus que tout l'Union Nationale, Duplessis et le clergé catholique de son temps. Il avait cette formule, empruntée probablement à Arthur Buies, pour imager son discours: quand j'étais jeune, on apprenait l'histoire et le petit catéchisme pendant que les Anglais apprenaient à lire et à compter... Bref, mon père n'avait rien d'un fanatique ou d'un revanchard.

Aussi croyant qu'il pouvait l'être, il semblait que tous les héros de mon père fussent d'ailleurs des anticléricaux. Il y avait bien sûr Arthur Buies. Puis il y avait Télésphore Damien Bouchard, député libéral de Saint-Hyacinthe, défenseur du droit de vote des femmes et bête noire du clergé catholique de son temps.

Mon paternel s'accrochait pourtant à son Dieu ainsi qu'au Christ. Il nourrissait l'idée que personne ne sait vraiment ce qui vient après la mort puisque personne n'en est jamais revenu, hormis Jésus il y a déjà trop longtemps de cela...

Mon père aimait d'ailleurs me raconter la Bible à sa façon lorsque nous revenions de la messe et que nous nous installions devant le téléviseur pour écouter les étoiles de la lutte... Il tenait à nous faire comprendre que Samson, Moïse et Jésus étaient tout aussi combatifs, à leur façon, que le Géant Ferré, Mad Dog Vachon ou Addullah The Butcher. Le Jésus qu'il aimait, c'était celui qui chassait les marchands du Temple à coups de fouet. Celui qui disait qu'il est plus facile à un chameau d'entrer par le chas d'une aiguille qu'à un riche d'entrer au paradis. Celui qu'on crucifiait parce qu'il remettait en question l'autorité de son temps.

Je faisais partie d'une génération qui n'allait plus à l'église. Moi et mon jeune frère étions les seuls de nos amis à nous rendre à la messe chaque semaine. J'ai vite déçu le clergé qui fondait un tant soit peu d'espoir sur moi au titre de dernier des Catholiques. Je me suis rebellé contre la religion, toutes les religions, au grand dam de mon père qui me traita d'abord de mécréant.

-Même les Témoins de Jéhovah ont un Dieu, mécréant que tu es! qu'il me disait sur un ton qui aurait pu être sarcastique.

-M'en fous qu'ils aient un dieu ou trois dieux... J'crois pas à Dieu ni au Père Noël! que je lui disais pour m'assurer qu'on ne m'obligerait plus à aller à l'office dominical chaque semaine.

J'ai donc été anticlérical à un point que mon père n'avait sans doute pas vu venir.

J'imagine ma mère en train de lui dire qu'il m'avait mis ça dans la tête à force de toujours tout contester.

Il finit par conclure que j'étais révolutionnaire parce que j'étais né en 1968, pendant la grève de l'usine où il travaillait. Je pense même qu'il était fier de moi. Je remettais en cause la religion comme le dernier des mécréants, bien sûr, mais je ne gobais pas tout comme le dernier des idiots. Comme s'il comprenait en son for intérieur qu'on ne fonde rien de solide sur la peur.

Je fus athée un temps par esprit de révolte. Je devins cynique envers tout: la religion, la politique et même l'amour. Puis quelque chose comme la paix intérieure vint me toucher. Mon cynisme se permuta en humanisme. J'abandonnai mon anticléricalisme comme si ce combat était d'autant plus vain que toutes les églises fermaient les unes après les autres. Comment souffrir de quelque chose qui n'existe plus?

J'ai cru un temps que la religion disparaîtrait de l'espace public. Je le crois encore plus ou moins sans chercher à précipiter sa chute qui me semble inévitable. La spiritualité devrait, à mon avis, la remplacer.

Cela dit, je refuse de tourmenter les adeptes des religions établies avec mes doutes et mes certitudes. Je leur demande seulement de ne pas fourrer leur nez là où elles sont de trop. La religion, comme la politique, nuisent à la transmission du savoir à l'école. On ne peut abandonner des pans entiers du savoir sous prétexte de ne pas froisser une idéologie ou bien une croyance. La science est l'espace commun des hommes et des femmes libres de toutes contraintes. Elle n'explique pas tout, mais elle n'a pas non plus cette prétention de tout résoudre lorsqu'elle est sincère avec elle-même. Elle sait qu'elle est l'état actuel des connaissances reçues et qu'elle évoluera en fonction des nouveaux faits.

La religion, comme la politique, évoluent parfois, bien entendu. Sinon nous en serions encore en train de lapider les femmes adultères ou de pendre des imprimeurs...

Les athées politiques, il y en a, adoptent parfois des comportements idoines à ceux des fanatiques religieux. Ils ont trouvé la réponse à tout et vous la rentreraient dans la gorge s'ils le pouvaient. En fait, dès que le doute s'efface, le croyant tyrannise et maudit toute forme d'opposition. Il a trouvé la Vérité avec un grand V. Comment les menteurs peuvent-ils avoir l'outrecuidance de lui résister?

Les religions les moins dangereuses pour l'homme sont certainement celles qui laissent place au doute. Il en va de même pour les idéologies politiques. Tout ce qui est coulé dans le béton pour toujours et à jamais nuit à l'harmonie sociale et représente une menace pour la communauté humaine.

Saint-Just croyait que le bonheur était une idée nouvelle en Europe. Pour bien faire rentrer cette idée dans la tête des Français, il n'hésita pas à envoyer des milliers de gens à la guillotine. On finit par souhaiter un monde moins heureux où les gens vivraient plus longtemps avec leur tête sur leurs épaules...

Le doute n'est pas très rassembleur, évidemment. Pourtant, j'ai l'impression qu'il est le ciment de notre communauté. C'est ce doute qui maintient nos institutions en vie et protège un tant soit peu notre rationalité dans un monde où elle fait cruellement défaut.

La religion, tout comme l'athéisme, sont des réponses absolues à des questions insolubles qu'on ne sait même pas comment poser.

Heureux ceux qui n'ont pas cru parce qu'ils n'ont rien vu qui vaille la peine de s'entre-tuer.

Heureux les sains d'esprit, les justes et les modérés, religieux ou pas!

Ils n'iront peut-être pas au Royaume des Cieux.

Mais ils ne feront pas de cette terre un enfer.

Je ne sais pas ce qu'en penseraient Michel Chartrand, voire mon père.

Néanmoins, je me plais à croire qu'on aurait pu se comprendre à ce sujet.