vendredi 29 avril 2016

Liberté d'association, vraiment?

Résultats de recherche d'images pour « poing »Je me suis mis de la musique dans les oreilles pour m'accompagner dans ma promenade du matin. On pourrait sans doute me trouver ringard d'écouter Pete Seeger, un vieux de la vieille, pionnier de la chanson folk et militante. À vrai dire, je m'en moque.

On doit à Peter Seeger quelques airs célèbres, dont If I Had a Hammer, Turn, Turn. Turn et Where Have All the Flowers Gone. On l'a menacé de prison quelques fois pour son engagement social. Bref, c'est tout un bonhomme. Un fouteur de troubles pour ceux qui voudraient que les gens en bas de l'échelle sociale acceptent leur sort sans rechigner. Et il n'est pas nécessaire de rappeler qu'en bas de cette échelle se trouve l'écrasante majorité de la population mondiale.

En l'écoutant chanter des tounes syndicalistes comme Which Side Are You On ou bien Solidarity Forever  j'ai fini par me sentir moi-même investi d'une rage propre à ma caste de parias et de laissés-pour-compte.

Cela m'a rappelé que les travailleurs ont non seulement le droit mais aussi le devoir de se regrouper.

On voudrait en haut lieu que les travailleurs ne chialent jamais, qu'ils obéissent servilement, que les retraites soient repoussées à soixante-dix ans, que le salaire minimum soit fixé à cinquante sous de l'heure, que les enfants travaillent dès le berceau... Vous ne me croyez pas? C'est mal connaître la nature inhumaine et immorale du capitalisme. Les droits des travailleurs ont été arraché de force aux capitalistes. Rien n'est venu par bonté de coeur. Il a fallu descendre dans la rue et menacer de tout faire sauter pour que les capitalistes plient. Autrement, les enfants crèveraient encore dans les mines. Et on aurait la semaine de quatre-vingts heures avec seulement le dimanche pour aller à la messe afin d'apprendre à fermer sa gueule.

Les capitalistes, au contraire des travailleurs, ont le droit de se regrouper.

Ils peuvent se fréquenter dans des chambres de commerce, des associations de banquiers, des coalitions d'assistés sociaux corporatifs qui mettent leur argent à l'abri dans des paradis fiscaux.

Évidemment, cette morale de patrons laisse aussi entendre que les syndicats ne devraient pas exister.

Les patrons ne devraient jamais avoir à s'expliquer devant des associations d'esclaves, de prolétaires et de locataires qui, bien sûr, devraient seulement avoir le droit de leur licher le cul.

Notre constitution  reconnaît un tant soit peu la liberté d'association. Pourtant, essayez de faire rentrer un syndicat sur un lieu de travail. Vous verrez que cette liberté d'association est très mince et difficile à obtenir.

Ça se passe la plupart du temps dans la clandestinité. 

Quelques travailleurs non-syndiqués se réunissent secrètement pour discuter de l'idée de former une association. Ils craignent bien sûr de perdre leur emploi et doivent s'assurer qu'une majorité d'employés signent une carte de membre du syndicat sans rater leur coup. 

Généralement, cela se concrétise en une soirée. Une équipe de courageux travailleurs aspirant à la liberté obtiennent la liste de tous les employés avec toutes leurs adresses et se présentent chez chacun d'entre eux pour les inciter à devenir membre du nouveau syndicat. Si tout se passe bien, le lendemain un nouveau syndicat sera formé. Si cela se passe mal, comme ça arrive souvent, les employés qui auront osé défier le patron seront victimes de harcèlement et d'intimidation. On trouvera une raison pour les congédier. On leur fera regretter d'avoir voulu s'associer.

De quelle liberté d'association parle-t-on, dites-moi?

Pourquoi des employés doivent-ils agir clandestinement pour faire rentrer un syndicat sur un lieu de travail?

J'ai mes réponses, évidemment.

C'est en grande partie à cause de l'injustice sociale qui entraîne inévitablement une lutte des classes.

Comme le disait si bien Michel Chartrand, on n'a pas besoin d'avoir lu Karl Marx pour comprendre qu'on se fait fourrer.



jeudi 28 avril 2016

Le Grand Esprit Imaginaire

L'eau connaît plusieurs états. Elle peut être à l'état solide, liquide ou gazeuse. Dans tous les cas, l'eau demeure de l'eau.

Bon nombre de croyants et même d'incroyants se positionnent comme si l'eau ne connaissait qu'un seul état. Pour les croyants, elle est gazeuse. Pour les incroyants, elle est solide. Pour les plus sages, elle est tous les états à la fois.

Porter un jugement définitif sur l'eau est tout aussi peu philosophique que de camper sur ses positions par rapport à la signification du monde. Je ne dis pas que tout s'équivaut. Je dis seulement que le monde, tout comme l'eau, connaît plusieurs états, voire plusieurs dimensions. 

L'eau offre au moins trois réponses à la question de savoir ce qu'elle est. On pourrait même en rajouter quelques-unes. 

Lorsque l'on parle de Dieu, c'est-à-dire de l'infini, je ne réussis pas à comprendre comment on en arrive à en avoir qu'une seule. D'autant plus que l'hypothèse de Dieu ne se vérifie pas. Et qu'il est même possible d'envisager que ce soit une question bien plus qu'une réponse.

Je ne suis pas athée puisque je refuse cette réponse définitive à une question qui, pour moi, demeure ouverte. Par contre, je suis du côté des athées lorsqu'ils tournent les dogmes au ridicule.

Je ne cherche pas Dieu. Je cherche, point à la ligne.

***

-Qu'est-ce que la vérité? demande le procurateur romain Ponce Pilate à l'homme accusé de sédition qui chancelle devant lui.

L'homme en question, si tant est que cette histoire soit vraiment arrivée, ne répond rien.

Que pouvait-il répondre à la sagesse d'un Romain qui a appris à douter de tout et à voir le monde comme les écuries d'Augias?

Rien.

Des années passèrent, et on a fini par nous laisser croire que le christianisme était porteur de modernité.

Et moi, naïf comme je suis, je continue de me sentir plus près du procurateur romain que je ne le suis du crucifié.

Non pas parce que j'admire le pouvoir. Ce n'est pas le cas. Je suis même plutôt séditieux.

Par contre, je sais que les évangiles ne seraient rien sans les Romains.

Ce sont eux qui confèrent au christianisme ce zeste de sagesse.

Les Romains qui toléraient tous les cultes et toutes les religions. Les Romains que les chrétiens ont vainement tenté de faire passer pour des bourreaux qui les jetaient tous aux lions. Ce qui ne colle pas du tout avec les faits historiques. Les Romains étaient tolérants. Et si nos sociétés font preuve de tolérance, c'est par ce retour aux sources de cette civilisation, aussi funeste puisse-t-elle sembler par moments.

Les grands esprits de la Renaissance et du Siècle des Lumières ne s'y sont pas trompés. Le meilleur remède contre l'obscurantisme chrétien était encore de revisiter Rome, son art et ses idées.

Le christianisme n'a pas inventé le pardon, le partage et l'humanité. C'était présent chez tous les peuples et c'est encore le cas de nos jours. Le christianisme n'est pas l'unique dépositaire des valeurs dites universelles. Et il n'est nullement le garant de l'humanisme, comme c'est le cas de toutes les autres religions ou doctrines politiques.

***

Les Grecs, puis les Romains, ont tenté d'expliquer le monde sans avoir recours à des explications non-vérifiables. Leurs dieux avaient tous les défauts des hommes et les hommes pouvaient même se pardonner de ne pas croire en ces incapables.

Les Vikings n'avaient pas de clergé et croyaient même qu'un jour Odin mourra.

Les aborigènes de l'Île de la Tortue finissaient parfois par appeler le Grand Esprit l'Être imaginaire. Ils n'avaient pas cette foi fanatique que leur prêtent parfois les gourous du Nouvel-Âge. Ils vivaient, respiraient et mouraient sans faire d'éclats. Ils acceptaient les explications venues d'ailleurs. Ils philosophaient même avec les curés qui souhaitaient les convertir pour extirper d'eux leurs questions démoniaques.

Il m'arrive de penser que le paganisme produisait des hommes qui voyaient l'eau sous trois états, solide, liquide et gazeux. Cela produisait des hommes moins unidimensionnels, moins pétris de fanatisme et de volonté d'asservir les esprits.

Les religions abrahamiques me semblent à plusieurs égards une perversion de l'esprit en rupture radicale avec la philosophie.

Elles ont établi des dogmes à proprement parler totalitaires. Qu'est-ce que le fascisme et le communisme, sinon la perpétuation de réflexes chrétiens sous un autre nom? Hitler, Lénine et Staline n'ont jamais caché leur admiration devant l'ordre jésuite et le centralisme catholique.

Les religions abrahamiques ont produit des dogmes dont il faut encore nous délivrer afin de poursuivre notre quête de sens et, pourquoi pas, notre quête du Grand Esprit Imaginaire.

Les religions, tout comme les doctrines politiques totalitaires, sont pour moi d'authentiques éteignoirs spirituels.

mercredi 27 avril 2016

Zone protégée du bruit

La pollution sonore n'est pas encore prise au sérieux. Dans cent ans, si le monde existe encore, on décrira notre époque comme une source constante de souffrance pour les gens qui recherchaient la tranquillité.

À notre époque, le silence semble provoquer bien plus d'anxiété que le bruit pour la plupart de mes congénères.

Je ne suis pas plus fin qu'un autre. Mais j'ai l'oreille fine et ressens un énorme besoin de paix intérieure qui trop souvent est affectée par le tintamarre assourdissant des humains.

Ce qui me pousse à fuir le cadre urbain aussi souvent que possible sans que je ne sois assuré pour autant d'être délivré du bruit. Il nous poursuit partout, jusqu'au creux des forêts...

***

Moi et ma blonde sommes allés sur la passerelle du Parc écologique de l'Anse-du-Port à Nicolet. C'était dimanche, il y a deux semaines. Il faisait beau et chaud. Un temps idéal pour contempler la faune du Lac Saint-Pierre.

Il y avait pas mal de monde ce dimanche-là mais, dans l'ensemble, les gens étaient calmes et profitaient pleinement du panorama qui s'offrait à eux.

On trouve tout au bout de cette passerelle une tour d'observation. Nous y sommes montés, bien entendu, pour humer l'air du fleuve tout en prenant un bain de soleil.

C'était magique. Jusqu'à ce qu'une bande de ploucs vienne briser le charme.

-Heille! Une chance que j'su's pas montée a'ec une bouteille de bière parce que si qué'qu'un la r'cevait su' 'a tête en bas d'icitte ça l'enverrait à 'pital! Arf! Arf! nous fit savoir une grosse dame mal élevée accompagnée par ses filles, son chien renifleur et un ahuri qui avait l'honneur d'être son gendre.

Le gendre, un gars dans la vingtaine qui portait sa calotte de baseball à l'envers, jurait comme un charretier en racontant des anecdotes salaces à propos de l'érection du chien renifleur et des moeurs de sa blonde. Toute cette bande de niais riait, hurlait et gesticulait tant et si bien qu'ils faisaient fuir tout un chacun. Nous ne sommes pas partis pour une raison qui m'échappe. Peut-être pour résister. Pour leur offrir l'image de notre silence héroïque et de notre sérénité bafouée.

Au bout d'un temps, le rustre à la calotte inversée finit par émettre un commentaire presque de mise.

-C'est beau en hostie icitte, hein?

Il tint même un silence de deux secondes. Puis il se remit à hurler avec le reste de la bande. Ils partirent aussi vite qu'ils étaient venus afin de ne pas se trouver submergés par la beauté et la quiétude des lieux.

Tous ceux qui avaient eu le courage de demeurer là émirent un soupir de soulagement.

Nous étions enfin délivrés de ces hurluberlus.

Nous retrouvions enfin la sainte paix.

***

Le printemps ne fait pas que chanter les petits oiseaux. D'ailleurs, on peine à entendre leurs chants l'après-midi dans le secteur où j'habite. Le centre-ville de Trois-Rivières est toujours très animé. C'est le coin idéal pour rincer le moteur de son véhicule tout en faisant quarante fois le tour du même quadrilatère afin de prouver aux autres que l'on existe.

Je croyais naïvement qu'il y avait des lois limitant l'émission de décibels produits par les tuyaux d'échappement. Je pensais même que les véhicules étaient tous dotés de ce que l'on appelle des silencieux... Il semble que non.

Des motocyclistes croient sans doute que ça amuse tout le monde que d'entendre vrombir un moteur au-delà de ce qui est tolérable pour la santé auditive. Aussi s'en donnent-ils à coeur joie pour provoquer du stress inutile ainsi que des acouphènes chez les piétons et les résidents du secteur qui n'en demandaient pas tant.

***

Comme je ne suis pas plus fin qu'un autre, il faut prendre mon propos à la légère.

Il est possible que les gens aient besoin de bruit.

Il est envisageable que je fasse partie d'une minorité inadaptée aux joies du bruit.

J'aimerais bien que les municipalités créent des zones protégées du bruit pour nous y permettre d'écouter le chant des oiseaux, le frémissement de l'eau, le sifflement de la brise.

Cependant, je crains de ne pas pouvoir réunir plus de cent signatures pour cette idée.

La normalité, c'est le bruit. Le standard, c'est le stress. La norme, c'est gueuler pour ne pas s'entendre penser.

Au fond, je devrais comprendre que des gens comme moi sont tout simplement de trop.






mardi 26 avril 2016

Le point de vue de Sirius


« Nous avons plus de matière qu’il ne nous en faut, dit-il, pour faire beaucoup de mal, si le mal vient de la matière ; et trop d’esprit, si le mal vient de l’esprit. Savez-vous bien, par exemple, qu’à l’heure que je vous parle, il y a cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux, qui tuent cent mille autres animaux couverts d’un turban, ou qui sont massacrés par eux, et que, presque par toute la terre, c’est ainsi qu’on en use de temps immémorial ? »
Voltaire. Micromégas, Chapitre VII


Voir le monde du point de vue de Sirius.

Cette expression a été consacrée par Voltaire dans Micromégas, un conte philosophique qui met en scène un habitant du monde de l'étoile de Sirius. Cet extraterrestre géant visite la Terre en compagnie d'un nain philosophe habitant de Saturne.

Micromégas s'étonne que de petites créatures pas plus grosses que des atomes puissent réfléchir presque convenablement. Ces atomes, ce sont les hommes. Et encore ne rencontre-t-il que la crème de la crème, les amoureux de la sagesse, lesquels lui rappellent assez vite que la Terre est peuplée d'imbéciles qui s'entre-tuent pour un oui ou un non.

Le point de vue de Sirius, on l'aura compris, n'est pas que celui de Micromégas. C'est surtout celui de Voltaire. C'est celui d'un philosophe qui contemple son monde avec un mélange d'ironie et de scepticisme.

Je reviens souvent à Voltaire et aux écrivains qui lui étaient contemporains. Ce n'est pas pour rien que le Siècle des Lumières a été celui du triomphe de la langue française. Notre langue n'aura jamais été aussi belle, aussi précise et aussi brillante qu'à cette époque. Elle s'est dégradée au XIXe siècle. Tant et si bien qu'il n'est plus resté que de vains exercices lexicaux confinant le français au rang du métalangage.

Tout est lumineux chez Voltaire qui adopte le point de vue de Sirius en toutes choses. C'est ce qui le rend si nécessaire pour l'éducation de l'esprit. On pourra bien sûr lui reprocher quelques conneries ici et là. On pourra trouver une phrase dans les pages qu'il aura écrites pour trouver matière à le pendre. Il ne manquera jamais d'insectes pour le faire. Et ce ne sera pas moi qui le ferai.

Mais là n'est pas mon propos.

Si je vous parle du point de vue de Sirius une fois de plus, c'est bien pour donner du corps aux intuitions qui me sont venues à l'esprit alors que je savourais mon café en me demandant ce que j'allais écrire.

Cela ne m'arrive pas à tous les jours d'y penser. La plupart du temps, pour dire vrai, je l'oublie.

Cependant, à regarder le monde du point de vue de Sirius je réalise que la Terre tourne autour du soleil à une vitesse d'à peu près 107 000 kilomètres à l'heure, ce qui dépasse d'à peu près 86 fois la vitesse du son. Quant au Soleil, il tourne autour du trou noir au centre de la Voie Lactée à une vitesse de 965 000 kilomètres à l'heure. La Voie Lactée elle-même tourne autour de la galaxie d'Andromède à une vitesse de 1 800 000 km/hre. "Au-delà, vous pouvez abandonner votre sens commun : ce ne sont plus des distances et des vitesses qu’il faut prendre en considération, mais la dilatation de l’espace lui-même." (Source: B.T. Science et vie 21/05/2014)

Nous allons plus vite que la lumière sans même nous en rendre compte.

Nous voyons qu'il n'y a pas de vent dans les feuilles ce matin et nous croyons, à tort, que tout est au repos.

Pourtant, nous atteignons des vitesses phénoménales qui dépassent l'entendement humain en plus de me donner le vertige.

Et puis nous nous inventons des guerres que l'on pourrait croire épiques alors qu'elles ne sont même pas un battement de cils aux yeux du cosmos.



lundi 25 avril 2016

La fierté d'être un artiste

Les artistes se donnent parfois des airs qui ne peuvent paraître que ridicules pour le profane.

D'abord, il n'est pas normal de s'affirmer en tant qu'artiste, poète ou écrivain.

Tout le monde est poète, chanteur ou barbouilleur "à ses heures".

Pour paraphraser Léon Bloy, suis-je donc un artiste aux heures des autres?

La question est bonne et ne mérite pas de réponse. Les questions ouvertes seront toujours plus pénétrantes que les mauvaises réponses. Je me plais à penser cela afin de bien m'en tirer, vous le savez bien...

Peut-être que je me crois artiste à toute heure du jour ou de la nuit. Ce serait une forme de narcissisme dans lequel je me prélasserais comme si je n'étais pas "tout le monde".

Quoi qu'il en soit, c'est déplaisant d'avoir affaire à un "artiste".

Quelle arrogance de se définir ainsi alors qu'il y a tant de maisons à construire, tant de vies à nourrir, tant de morts à enterrer!

-Tu n'es pas plus artiste que ma purée de patates! Regarde comme je sculpte de belles montagnes avec mes patates!!! Tu n'es qu'un paresseux! Qu'un parasite qui vit au crochet de la société!

J'entends souvent cette voix résonner en moi, même si personne n'ose me le dire Je ne vis pourtant pas au crochet de la société et ne demande aucune subvention.

***

J'ai constaté avec un mélange de joie et d'amertume que les enfants étaient souvent plus expressifs que les adultes devant mes tableaux. Les parents ont peur que ça leur coûte quelque chose. Ils tirent leurs enfants par le bras pour les éloigner de mon art qu'ils considèrent comme un piège.

-Regarde poupa! Le monsieur dessine une belle rivière avec un beau soleil!

-Viens-t'en que j'te dis... On n'a pas l'temps!

-Oui mais j'veux voir ça!

-Dérange pas l'monsieur... Il est en train de peindre...

Eh oui! J'étais en train de peindre. Et cela m'a tout de même fait chaud au coeur de susciter cette réaction.

J'imagine la suite de la conversation:

-J'aimerais ça moi aussi peindre comme le monsieur!

-Les artistes ça tire le diable par la queue... Tu serais mieux de te concentrer sur tes devoirs. Veux-tu crever de faim plus tard quand tu seras grand?

-Oui mais le monsieur y'a pas l'air maigre, maigre...

***

Les artistes se donnent des airs ridicules.

C'est vrai pour moi. Et sans doute pour les autres.

Au lieu de regarder des photos, je contemple la nature en tentant de fixer dans ma tête une certaine image mentale qui me servira dans l'exécution de mes prochains tableaux.

J'observe les formes chaotiques des arbres. J'analyse les vagues sur l'eau. Je scrute des mouvements, des expressions faciales.

En fait, le résultat a plus à voir avec ces études qu'avec la peinture en elle-même.

Je sais que je vais encore passer pour un rêveur.

Et franchement, je m'en fous.

***

Hier, j'étais pleinement artiste.

J'ai peint un petit peu.

J'ai gratté mes guitares un brin.

J'ai écrit deux ou trois paragraphes.

J'ai joué trois ou quatre airs d'harmonica.

Puis j'ai contemplé, beaucoup.

D'aucuns diraient que je n'ai rien foutu.

Ils se trompent.

Je vous jure que je travaille fort même lorsque je semble ne rien faire.

Rêver, dans une société objectivée comme la nôtre, relève d'un défi permanent lancé à la face du monde.

Je suis fier, en quelque sorte, d'être toujours aussi jeune d'esprit.

Je suis fier d'être un artiste.



dimanche 24 avril 2016

L'école où l'on s'ennuie

D'aussi loin que je me souvienne je n'ai jamais aimé l'école. J'y réussissais bien pour obtenir le privilège de lire ou bien de dessiner dans les marges de mes cahiers pendant les cours.

Un jour, ma professeure de mathématiques, une religieuse déconnectée de son époque, me désigna comme étant un rieur et un élément perturbateur lors d'une visite du directeur.

-Puis-je voir ses notes? lui dit le directeur.

La religieuse lui tendit ce qu'il demandait.

-C'est le premier de la classe...

-Oui, mais il est tout le temps en train de rire!

-Les autres feraient mieux de rire pour réussir aussi bien... lui dit-il sur un ton désagréable.

Puis il s'en alla en remuant ses clés, sans se soucier plus de mon existence.

J'entrepris illico de caricaturer ma prof sous son plus mauvais jour. Je la fis grosse, laide et probablement avec des matières brunes sur la tête parce que j'étais vraiment malcommode. Ma caricature circula parmi les élèves du groupe puis ils se mirent à rire, évidemment.

La prof posa une question difficile à laquelle j'ai répondu pour faire mon fin finaud. Je démêla des x et des y tandis que la prof me dévisageait avec ce regard hargneux qu'elle avait pour tout un chacun.

Puis mon stratagème se répéta en chimie, en physique, en histoire, en géographie.

Plus tard, à l'université, j'aurais cru que cette manie prendrait fin. Mais non! J'ai continué de caricaturer mes profs et de lire des romans pendant les cours magistraux qui m'emmerdaient ferme.

Comme de raison, j'étais encore parmi les premiers du groupe. Pas parce que j'étais le meilleur. Tout simplement parce que j'aimais lire et écrire plus que de participer à des cours ennuyants. La fréquentation assidue des livres m'avait donné les outils pour réussir les deux doigts dans le nez. J'avais compris que les profs ne faisaient que nous livrer des résumés de lecture et qu'il était bien plus agréable de lire ou de dessiner quand ils tentaient de m'endormir avec leur matière ronflante que j'avais assimilée en deux ou trois séances de bibliothèque.

À mon époque, il n'y avait pas encore l'Internet.

Si j'étudiais de nos jours, je passerais mes journées avec mon Iphone à apprendre cent fois plus vite que le prof pourrait parler. Je ferais des petites vidéos que je diffuserais sur YouTube. Je profiterais des cours magistraux pour googler à propos de tout et n'importe quoi, la physique quantique, Marcel Proust ou l'origine des espèces. Je serais encore plus rebelle que je ne l'étais.

Aussi, je n'envie pas les étudiants d'aujourd'hui qui doivent faire face à des méthodes d'enseignement qui étaient déjà dépassées dans mon temps.

Les meilleurs professeurs que j'ai eus dans ma vie m'ont fait faire du canot-camping, du ski de fond dans la réserve faunique ou bien des découvertes à la bibliothèque.  Les autres tuaient le temps et tentaient aussi de tuer l'intelligence qui ne peut pas s'accommoder d'inutiles répétitions sur des points de détail sans importance.

On tient à nous faire accroire que l'on n'est rien sans diplôme. C'est  vrai. Le diplôme confirme que vous êtes capable de vous tenir tranquille sur une chaise pendant des années sans désobéir. Il ne prouve en rien que vous êtes intelligent. À moins que l'on ne confonde l'obéissance avec l'intelligence. Les deux vont rarement ensemble.

J'aime croire que l'intelligence est impossible sans désobéir.

Surtout dans un monde comme le nôtre.

Si l'on ne se fiait qu'aux doctes ignorants, l'aviation n'aurait jamais été inventée.

Il fallut de simples réparateurs de vélos pour entrer dans une nouvelle ère de l'histoire humaine.

Et il en va de même de tout le reste.

Évidemment, je ne conseillerai à personne de suivre ce mauvais exemple.

Si vous souhaitez réussir à titre de pion, enlevez-vous ça de la tête!

La société a besoin de bras et si peu de génie.

Elle a besoin de surveillants.

Elle a besoin de geôliers et si peu d'hommes libres.




samedi 23 avril 2016

Le cafafouinisme

Vous ne connaissez sans doute pas encore le cafafouinisme mais cela ne devrait pas tarder. Tout ce qui est con dans ce monde finit toujours par être largement connu. À vrai dire, trop d'humains préfèrent les mauvaises réponses aux bonnes questions. Ils veulent du concret, fusse-t-il tout croche et tout de travers. D'où l'intérêt que suscite déjà le cafafouinisme chez tous les crétins.

Le cafafouinisme est une entreprise de simplification parmi tant d'autres qui n'en demeure pas moins extrêmement complexe. Il s'écrit tellement de choses sur le cafafouinisme qu'on finit par ne jamais en faire le tour. Ce qui permet à cette nouvelle idéologie de faire ses ravages parmi ces hordes d'humains souhaitant se délivrer de leurs angoisses.

Le cafafouinisme trouve réponse à tout. Que vous ayez la grippe, la pauvreté ou la solitude, le cafafouinisme ne vous abandonne jamais. Il vous permet d'acquérir des forces et autres super-pouvoirs qui vous font regarder le monde d'un tout autre oeil.

-Avant d'être cafafouiniste, déclare Untel, j'étais grippé, pauvre et toujours seul. Grâce au cafafouinisme, je me suis refait une santé, une vie sociale et un réseau d'amis cafafouinistes qui m'ont aidé à redevenir quelqu'un... J'étais aveugle et maintenant, je vois!!!

Untel n'a jamais été un type vraiment sûr de lui. Grâce au cafafouinisme, il est devenu confiant, pour ne pas dire furieusement fanatique. Il étranglerait presque celui qui se moque du cafafouinisme s'il ne se trouvait pas des cafafouinistes pour le faire à sa place.

-Voyons! lui disent parfois les ignorants, cela ne se peut pas que le cafafouinisme ait réponse à tout! D'autant plus qu'il y a des cafafouinistes qui étranglent ceux qui ne pensent pas comme eux! Juste la semaine passée, les cafafouinistes ont tué cent personnes dans un attentat au Liechteinstein!

-Qu'est-ce que vous en savez? leur répond Untel. Avez-vous seulement lu Le manifeste du cafafouinisme écrit par Cafafouin 1er lui-même? Comment pouvez-vous comprendre quelque chose de ce que vous n'avez jamais lu! Vous vous faites une idée seulement sur les critiques que vous entendez... Qui vous dit que ce n'est pas un complot l'attentat du Liechteinstein?

-Il a tout de même 95 678 pages ton manifeste... C'est bourré de références à l'Ancienne Égypte et au continent Mu. Ça dit que Dieu s'appelle maintenant Cafafouin 1er... C'est pas évident...

-Parce que vous croyez que la vérité est évidente et ne demande aucun effort? Vous ne pouvez pas critiquer le cafafouinisme sans avoir lu son manifeste, mais aussi les compte-rendus de ses actes et congrès spirituels. Que savez-vous de la priorisation, hein?

-La priorisation?

-Oui! La priorisation sub-atomique de préférence quantique!

-C'est du charabia votre cafafouinisme!!! Du métalangage!!! De la merde!!!

-Que nenni! C'est la Vérité avec un grand V!

-Vous êtes cinglé monsieur Untel!

-Non, vous êtes tous ignorants! Vous êtes aliénés par vos conceptions du monde surannées! Vous n'avez rien compris aux prolégomènes de la sapience objectivante!

-Aux quoi???

-Laissez! Je n'ai pas de temps à perdre à vous expliquer tout ce que vous ne voulez pas comprendre par pure paresse d'esprit!

Évidemment, vous aurez compris que le cafafouinisme, comme c'est le cas de toutes les doctrines religieuses ou politiques, c'est de la crotte.

C'est bon pour ceux qui n'en peuvent plus de vivre sans réponses avec des questions qui n'en finissent jamais.

C'est une manière radicale et définitive de vous délivrer de ce qu'un certain dictateur appelait "le fardeau de la liberté".

Avec le cafafouinisme, on peut enfin trouver un sens à la vie, même si ça ne tient pas debout.

Le cafafouinisme fait du bien à Untel, c'est évident. C'est con le cafafouinisme, mais regardez Untel comme il rit, comme il est toujours bien entouré, comme il s'est remis à faire de l'argent et à engraisser! Et vous voudriez qu'il quitte cette secte pour revenir à l'épave bourrée de questions sans réponses qu'il était auparavant? Vous souhaiteriez qu'il soit plus intelligent, plus libre et en même temps plus malheureux?

Untel a pris la bonne décision.

Si tout le monde adoptait le cafafouinisme, je vous le dis, ce serait la paix sur la Terre...

Mon nouveau billet publié dans le Hufftington Post

Le billet paru sur mon blogue lundi dernier est publié dans le Hufftington Post. Je vais y collaborer sur une base hebdomadaire.

vendredi 22 avril 2016

L'existence fantomatique de Johnny Boisclair

Johnny Boisclair a été un trou du cul toute sa vie. Malpropre, malodorant et mal emmanché, Johnny Boisclair n'avait rien fait de notable de toute sa vie. Il était né sale. Il avait vécu salement. Et était mort après s'être étouffé avec une pizza double fromage ingurgitée après la fermeture de la Taverne Le p'tit tonneau qu'il fréquentait assidûment. 

Il aura toujours vécu sur la même rue. La rue Saint-Pierre, une petite rue dans un quartier dit défavorisé. Il est né au 553 puis est mort au 555. Il n'aura déménagé qu'une seule fois dans sa vie. C'était en 1955. Il avait quitté le foyer familial parce que ses parents étaient morts d'alcoolisme. Puis il avait emménagé au 555 pour se donner l'illusion de vivre une grande aventure.

Sa grande aventure dura plus de soixante ans puisqu'il mourut en 2015.

La plupart des gens le détestaient. Et Johnny Boisclair ne faisait rien pour aider sa cause. Comme ses parents, il buvait du matin au soir, puis du soir au matin. Il se nourrissait mal, évidemment. Et, comme de raison, il chiait du sang depuis des années.

Il n'avait jamais travaillé, Johnny. Il n'avait même pas eu la chance d'essayer. Tout le monde détournait le regard en le voyant. Les autres se contentaient de se boucher le nez. Bref, il n'avait vraiment rien pour lui.

Il faut dire aussi qu'il était laid. S'il avait été riche, on aurait peut-être fini par trouver quelque chose de mignon dans ses verrues, son visage vérolé et ses cheveux gras raréfiés. Mais pauvre comme il l'était, avec ses espadrilles trouées et ses exhalaisons de cretons, cela ne pouvait que l'isoler du monde.

Johnny ne s'en plaignait pas. Il avait la dive bouteille pour se consoler.

À la taverne qu'il fréquentait, toujours la même, il se tenait toujours seul dans son coin à parler avec quelque ami imaginaire. On ne faisait pas attention à lui. On le tolérait parce qu'il payait et ne restait jamais très longtemps. Il faut dire qu'il n'y avait que des épaves dans cette taverne. Des épaves qui n'étaient ni bavardes ni regardantes. La plupart chiait du sang. Les autres mouraient de temps à autres.

Johnny Boisclair est mort sans laisser de testament.

Ça tombe bien puisqu'il n'avait rien.

Son corps a été remis aux autorités qui allèrent l'ensevelir dans une fosse commune j'imagine.

Personne n'a vraiment constaté sa disparition, hormis les voisins du 553 et du 557 de la rue Saint-Pierre. Et encore n'en ont-ils pas fait tout un plat.

-I' s'saoulait tellement... Fallait bien s'y attendre...

Georges Marcel, le voisin du 557 prétend tout de même l'avoir vu deux mois après sa mort. Mais il ne sait pas si c'est parce qu'il rêvait ou parce qu'il avait trop bu.

-El' bonhomme Boisclair marchait dans 'a rue avec une pointe de pizza pis, pouf! y'a disparu subitement... Ça devait être son esprit... Ou bien j'avais trop bu... J'sais pas... C'est dur à dire...

C'était bien lui pourtant. Son corps spirituel ne savait pas qu'il est mort. Aussi son fantôme se promène encore du 555 de la rue Saint-Pierre jusqu'à la taverne où il est toujours assis à la même place en attendant Dieu sait quoi.

Évidemment, personne ne sait qu'il est là et Johnny ne s'en rend pas vraiment compte puisqu'il aura lui-même vécu toute sa vraie vie comme un fantôme.

Il n'y a pas de morale à cette histoire, comme d'habitude.

Il n'y a qu'un grand vide.

Et je me permets de croire que c'est mieux que rien.

jeudi 21 avril 2016

Auprès de mon frêne

Cela fait des années que je l'observe grandir sans rien dire à son sujet. Je devrais peut-être continuer de me taire mais ce serait mal me connaître. Je suis un Trifluvien, un citoyen d'une petite ville portuaire de la vallée du grand fleuve Magtogoek (anciennement Saint-Laurent). Et comme tout Magtogoekien, je suis de ces gens de paroles chanté par Gilles Vigneault. 

Je ne dirais pas que je suis un moulin à paroles, mais je ne suis certainement pas muet ou taciturne. Tout devient pour moi une occasion de raconter. Tant et si bien que j'ai été contraint d'ouvrir mon blogue il y a neuf ans afin de déverser ce trop-plein d'impressions et d'expressions continues. Si je ne l'avais pas fait, je me serais certainement noyé avec mes propres paroles. Ou bien je serais devenu ce que je ne suis pas. Ouvrir cette parenthèse, quoi qu'il en soit, est dès lors une mauvaise idée...

Oui, je l'avoue, je souffre de la manie de raconter tout ce que je vois. Un peu moins de ce que je ressens. Mes émotions sont mon jardin secret. Il m'en faut bien un pour me reposer de moi-même.

Où en étais-je? Ah oui! Je devais vous parler d'un arbre.

Et pas de n'importe quel arbre, non. Il s'agit d'un arbre qui croît tout fin seul au beau milieu d'un stationnement parsemé de quelques touffes de pissenlits et de mauvaises herbes. Tout le reste de l'espace est consacré à l'asphalte, au gravier et aux voitures.

L'arbre en question est probablement un frêne qui doit avoir plus d'une cinquantaine d'années. C'est l'arbre qui apparaît ici, en exergue de ce billet.

Personne ne l'a planté là. C'est un lointain descendant des frênes du Parc Pie-XII situé à quelques centaines de mètres du stationnement. Un jour une semence fût emportée par le vent et elle vint atterrir là, au beau milieu du stationnement d'une ancienne usine de fabrication d'appareils ménagers.

Au début, ce n'était qu'un petit fouet à deux ou trois feuilles. Puis le petit fouet a continué à croître comme si de rien n'était. Il est devenu un arbrisseau. Ensuite un petit arbre. Les années passèrent et des employés installèrent une table de pique-nique près de son tronc pour profiter un tant soit peu de l'ombre de son feuillage. 

On aurait pu l'arracher, le couper, s'en débarrasser pour faire un stationnement de plus.

Mais non. Les humains, si stupides par moments, n'ont rien fait. Et le petit frêne est devenu ce grand frêne qui trône tout seul au milieu de cet affreux stationnement.

Cela fait deux ans que je me dis qu'un jour j'allais le photographier pour vous raconter son histoire, que j'imagine bien plus que je ne la connais vraiment. 

Ce moment est arrivé hier.

J'ai immortalisé ce frêne, symbole de résistance dans un secteur où l'on a coupé des milliers d'arbres l'an passé. Tout ça pour que Trois-Rivières soit encore moins verte, avec plus d'espaces de stationnement et plus de commerces. Toutes ces coupes sauvages pour vendre toutes sortes de trucs dont on n'a pas besoin qui finiront sans doute au dépotoir comme tous les invendus du capitalisme anarchique.

Cet arbre-là, chers lecteurs et lectrices, j'aime penser qu'on se comprend lui et moi.

On ne se parle pas vraiment, mais il semble m'en dire bien plus long que le stationnement, les voitures et les taches d'essence.

Ce frêne est l'unique représentant de la beauté sur plusieurs mètres carrés avec les pissenlits qui ne sont là que le temps d'une ou deux saisons.

Si quelqu'un ose le couper, je vous jure qu'il aura affaire à moi.

À moins que je ne me taise, comme je l'ai fait pour les milliers d'arbres qu'on a coupés récemment tout autour.


Mille arbres en moins: des tas d'oiseaux et de mammifères en déroute, déportés par le progrès, laissés pour morts un peu partout de chaque côté de cette rue Bellefeuille qui porte si mal son nom.

mercredi 20 avril 2016

Docteur Jivago et L'Oeuvre au noir

Je suis tombé hier sur une nouvelle qui faisait mention d'un attentat-suicide commis par les talibans en Afghanistan. 

Ce type de nouvelle a atteint un certain degré de banalité à laquelle je résiste en vous en parlant ici-même. 

Dire qu'il y a eu un attentat en Afghanistan cela revient quasiment à dire il pleut à Londres. Pourtant, il s'agit bien de nos frères et soeurs humains qui, là-bas, se sont faits amputer, éventrer ou défigurer. Ce sont des civils qui sont tombés, une fois de plus, une fois de trop.

L'humanité est désespérante vue sous cet angle mort... 

Paradoxalement, la grandeur de l'homme est manifeste au cours de cette guerre.

Elle est là même si nous nous refusons trop souvent de nous y attarder.

Elle s'exprime via les ambulanciers, les pompiers et tout le personnel médical.

Plutôt que de tuer, ces gens-là sauvent des vies, y compris celles des talibans si cela se trouve.

***

Le roman Docteur Jivago de Boris Pasternak se joue sur le même thème. Un médecin, atteint de poésie, soigne les uns et les autres au cours de la guerre civile succédant à la révolution russe. Plutôt que de tenir des propos guerriers, il utilise son bistouri et ses compresses pour sauver les vies de tout un chacun, quel que soit son camp. Évidemment, Jivago passe pour un naïf. Un vrai idiot. Un idiot utile pour soigner ses propres blessés. Un idiot de trop quand il veut aussi sauver la vie des ennemis...

Et c'est idoine pour L'Oeuvre au noir, un roman de Marguerite Yourcenar mettant en scène Zénon, un médecin qui fuit d'une ville à l'autre  pour échapper à l'Inquisition et qui sauve des vies au lieu de faire des sermons sur les vertus théologales. Zénon, tout comme le Docteur Jivago, n'est pas un homme de son temps. On le soupçonne d'être un peu trop curieux et d'avoir des moeurs dissolues. Tout le monde sait que la vertu est de servir la croix et l'épée... Or, Zénon est un libre-penseur à une époque qui n'autorise aucune liberté.

Dans l'un comme l'autre roman, il est question de la grandeur de l'homme tout fin seul parmi une bande d'imbéciles qui s'entre-tuent.

***

On a dit et on entend encore dire que les pacifistes sont des idiots utiles.

On a dit et on entend encore dire que les pacifistes sont aussi des idiots de trop.

On voudrait faire passer feu John Lennon pour un ignoble naïf et vanter le chef de guerre qui détruit tout un village sans sourciller puisqu'il faut découper en quartiers les ennemis, grands et petits, fussent-ils encore dans le ventre de leur mère. N'importe quoi sauf ces pouilleux de hippies qui vantent la paix, l'amour et l'entraide.

Peu de gens sur cette misérable planète comprennent que la grandeur de l'homme ne se mesure pas à ses grades, médailles et décorations. Elle se mesure à ses actes.

Docteur Jivago et L'Oeuvre au noir demeureront encore longtemps des romans-cultes pour quiconque préfère la vie à toute forme d'assassinat légal, religieux ou idéologique.

Ce sont encore, et pour longtemps, des thèmes d'actualité.

mardi 19 avril 2016

L'histoire en un clin d'oeil

Il y eut une époque où pratiquement personne ne savait lire et écrire.

Oh! Il y avait bien quelques fonctionnaires de Dieu pour enregistrer les noms de baptême et lire les textes sacrés dans une vieille langue qu'ils ne maîtrisaient d'ailleurs pas tout à fait. À cette époque, on avait déjà perdu son latin. Et le latin était devenu aussi obscur que cabalistique. Une langue pour formules magiques qui guérissait les malades ou bien enterrait les morts.

On lisait à voix haute dans les monastères, pour se donner l'illusion de comprendre quelque chose. Puis on parlait une langue mâtinée de n'importe quoi, une langue franque, une langue anglo-saxonne, une langue hispanique, une langue ibérique, une langue germanique, une langue italique. Tout ça au détriment du beau et noble latin tombé en désuétude depuis la chute de l'empire romain d'occident.

Il y avait bien de temps à autre des clercs qui finissaient par en savoir trop. Mal leur en prenait d'en parler aux autres. Ils devaient se retrancher dans la solitude sans espérer de communiquer leurs découvertes avec qui que ce soit.

Je vous le dis, c'était une sale époque. Une époque que les Angles et les Saxons ont appelé The Dark Ages, les Temps Sombres, c'est-à-dire le Moyen-Âge ou, à tout le moins, l'antiquité tardive.

Tout s'était effondré avec les invasions barbares. Les arts, les lettres, le théâtre, la peinture, la sculpture, la poésie, la médecine, l'astronomie, la philosophie: tout. Il n'était resté de Rome qu'un pape et beaucoup de discours vains sur le sexe des anges. Cette civilisation qui avait construit des égouts, des aqueducs, des ponts et des chaussées s'était faite remplacer par des forêts peuplées de loups et de brigands.

On aurait pu croire que la croix avait succédé à l'épée. Eh bien non! L'épée était tout autant brandie qu'auparavant et il ne manquait pas de têtes, de jambes et de bras coupés pour se le rappeler.

Le pouvoir ne reposait plus sur un ensemble de lois, de conventions et d'avocasseries. Il revenait au plus fort la poche.

Untel devenait roi. Son frère l'assassinait. Puis le beau-frère l'empoisonnait. La belle-mère poussait le beau-frère en bas de l'escalier. Un enfant montait sur le trône avec l'appui d'un régent qui bientôt noyait lui-même l'enfant pour devenir roi à son tour jusqu'à ce qu'un oncle le pourfende afin de porter lui aussi le sceptre et la couronne.

Tout se réglait à coups de hache et d'épée. Les curés s'arrangeaient pour bénir les haches et les épées. Et les années se succédaient dans toujours plus d'ignorance et de superstitions.

***

Puis il y eut une éclaircie. On inventa une machine à reproduire du savoir autant que de la niaiserie. Une machine qui s'appelait une presse à imprimer. Dix ans, cent ans passèrent. Et tout le beau monde se mit à apprendre à lire et à écrire par pur plaisir.

On imprima des Bibles, bien entendu, mais aussi des récits légendaires, des contes, des poèmes et même de la philosophie.

Bientôt, on n'eut plus besoin des fonctionnaires de Dieu pour assurer la transmission du savoir.

Des laïcs se mirent à disséquer des cadavres, à observer les étoiles et même à peindre.

D'autres entreprirent de monter des pièces de théâtre pour s'amuser tout aussi bien que pour faire passer de nouveaux messages afin de sortir des ténèbres.

L'épée et la hache poursuivirent leur carnage. Il s'ajouta même de nouveaux outils pour donner la mort. Pourtant, quelque chose avait profondément et durablement changé.

Tout le monde souhaitait avoir accès aux livres et même en écrire s'il le fallait.

Les fonctionnaires de Dieu réagirent mal à cette attaque contre leurs privilèges.

Ils tentèrent de monter des bûchers, de pendre ces fomenteurs de troubles et empêcheurs de prier.

Puis ils furent eux-mêmes ridiculisés et parfois même violemment défenestrés.

On imprima encore plus de livres.

On joua encore plus de pièces de théâtre.

Bref, plus rien n'arrêtait les Lumières.

***

Cinq cent ans sont passés depuis l'invention de l'imprimerie.

Nous en sommes maintenant à l'âge de la communication instantanée, à l'aube peut-être de la télépathie et des voyages interstellaires.

Il n'y a presque plus de fonctionnaires de Dieu. Seulement des fonctionnaires de l'État. Et quelques valets poussiéreux pour servir les monarques tout aussi anachroniques de notre temps.

Plus personne ne contrôle vraiment ce qui se dit ou se publie. Les journaux imprimés ferment l'un après l'autre. L'autoproduction gagne toujours plus de terrain dans tous les domaines. Les mensonges peinent à se mettre en valeur et côtoient trop facilement les vérités.

Les censeurs ne savent plus comment s'y prendre pour préserver les privilèges de la caste qui les emploie.

Et déjà, on anticipe la prochaine étape avec un mélange de crainte et d'espérance.

Nous vivons à une époque de transition.

Sera-t-elle heureuse ou malheureuse?

Je n'en sais rien.

Je ne suis pas devin.

Je ne suis qu'un plaisantin.

Un plaisantin qui sait lire, écrire et même observer les étoiles...



lundi 18 avril 2016

Moimoiement et gérants d'estrade

Il est tentant de poser en tant que moraliste de son époque. C'est une tentation à laquelle je résiste en affirmant ma faculté de me tromper et, il faut le dire aussi, de tromper autrui. Il serait trop facile de vous dire que j'ai toujours raison. Ce n'est pas le cas. Il m'est arrivé de faillir. Cela m'aura permis, à tout le moins, d'avoir de la pitié envers moi-même.

N'attendez surtout pas de moi des confessions à la Jean-Jacques Rousseau qui pouvait écrire qu'il avait toujours recherché le bien ou la vertu. D'ailleurs, je ne livrerai pas mes confessions. Ce que j'aurais à dire sur moi n'intéresserait que moi -ce qui ne m’intéresse pas pour dire vrai.

Assez de moimoiement! Allons au vif du sujet: le narcissisme outrancier des uns et des autres.

Ce thème est d'autant plus d'actualité que les médias sociaux ont tendance à mettre de l'avant ce moi que Pascal trouvait tant haïssable. Ce moi me semble tout aussi naturel qu'inintéressant. Naturel comme l'écrivain qui rédige sa première oeuvre, une oeuvre fortement autobiographique où il règle ses comptes avec ses petites crottes de nez. Rien d'étonnant à voir tous ces gens qui s'expriment pour la première fois de leur vie raconter la seule chose qui leur vienne à l'esprit: leur petit moi. Que voulez-vous qu'il raconte? Il faut bien commencer à quelque part, même si le développement ne vient jamais.

"L'homme est la mesure de toutes choses" disait le sophiste grec Protagoras, dont les propos ont été rapportés par Platon. Est-ce à dire qu'une chose devrait être la mesure de l'homme? Qu'un gérant d'estrade peut tout nous dire sur ce que nous sommes?

Ah! Vous me voyez venir. Je me suis avancé sournoisement vers le gérant d'estrade, le commentateur-type des forums et médias sociaux qui a toujours quelque chose à dire surtout quand il n'a rien à raconter.

Pour lui, tout passe par son petit moi.

Les Indiens se suicident sur les réserves? Il a sa réponse toute faite. Est-ce qu'il se suicide lui? Non. Est-ce qu'il vit sur une réserve? Non plus. Comment peut-on être Persan, Indien et suicidé, hein? Ce commentateur-type juge tout à la mesure de la chose qu'il est.

-Pourquoi les jeunes sont contre l'augmentation des frais de scolarité? Est-ce que je vais à l'école moi? Pourquoi les immigrés se plaignent-ils de racisme? Est-ce que je suis immigré moi? Pourquoi ceci ou cela? Est-ce que je suis ceci ou cela moi? Pas du tout! Tout ce que je ne suis pas ne mérite pas d'exister!!! Vous devriez avoir honte de ne pas être comme moi! Moi, moi et rien d'autre!

Vous pourriez croire que j'ironise. Ce n'est pas le cas. Je ne saurais être plus sérieux.

Et je n'ai même pas fini...

Il me reste à en rajouter une couche pour en finir avec les gérants d'estrade et les égoïstes.

Pour ce faire, je vais avoir recours une fois de plus à Dostoïevski, ce fin psychologue.

Dostoïevski rapportait cette histoire dans son roman Les frères Karamazov.

Un poète est sur la plage et assiste à un naufrage qui survient au large.

Il ne peut rien faire pour sauver les naufragés. Cependant, il souffre.

Il souffre tellement qu'il finit par dire de ne pas regarder les naufragés, mais lui qui souffre de les voir se noyer.

Toute notre époque tient peut-être dans cette description d'un néo-Néron.

Que les naufragés se noient, que Rome flambe: peu importe! Tout se joue dans le coeur et l'esprit de celui qui s'exprime sur ce qu'il voit.

Bien que je sois critique envers ce mal que je vous décris, j'en suis peut-être un peu atteint.

Je résiste de mon mieux aux moeurs de mon temps.

Je m'efface autant que faire se peut.

Néanmoins, je signe mes textes.

Et les publie sous un format où l'on voit ma tronche...

Ce qui, somme toute, m'enlève toute forme de crédibilité.

Au moins, je le sais.

dimanche 17 avril 2016

Depuis que le monde est immonde

Les repus ont réponse à tout. Leur opulence est en soi une réponse.

Ceux qui ont faim et soif de justice n'ont que des questions sans réponses.

Des questions que les repus balaient du revers de la main.

Il fût un temps où les repus disposaient d'une canne à pommeau d'or pour frapper la canaille qui entravait leur passage.

Ils pouvaient frapper sur tous les mendiants, métèques et sans-culottes qui osaient leur faire de l'ombre,

Quelques révolutions plus tard, les repus durent abandonner leur canne à pommeau d'or.

Cependant, rien ne changea vraiment dans leur tête.

Ils s'adaptèrent à une sale époque qui ne leur permettait plus, en théorie, d'avoir toutes les réponses.

Ignominie suprême, on permit même à la canaille d'émettre des questions, d'élire des représentants et de voter des lois.

Évidemment, les repus magouillèrent autant que faire se peut pour les priver de réponses et de représentants dignes de ce nom.

La seule réponse qui soit, pour eux et pour toujours, c'est d'atteindre le statut de repus. Un statut qu'ils accordèrent rapidement aux représentants en recherche de réponses.

Les repus se prêtent de mauvais coeur aux nouvelles règles.

Ils ne distribuent plus de coups de canne à pommeau d'or autour d'eux.

Ils préfèrent utiliser d'autres subterfuges,

Ils préfèrent usurper la démocratie et fouler du pied toutes les questions.

Ils préfèrent les matraques, les charges de la cavalerie légère et, si nécessaire, les bombes.

C'est comme ça depuis que le monde est immonde.


samedi 16 avril 2016

Première collaboration avec le Hufftington Post

Voici ma première collaboration avec la version québécoise du Hufftington Post.

Il s'agit d'une reprise de mon billet paru sur ce blogue jeudi dernier.

Il est probable que je collabore une fois par semaine avec le Hufftington Post pour sortir un tant soit peu de ma zone de confort et élargir mon lectorat.

vendredi 15 avril 2016

L'Histoire, la mémoire et la merde

La chanson de Léo Ferré intitulée La mémoire et la mer n'a probablement rien à voir avec ce que je vais vous dire et pourtant c'est elle qui me vient à l'esprit avant même que je n'aie couché les premiers mots de mon billet.

Pourquoi? Je ne le sais pas plus que vous... Mon ignorance, comme vous l'avez sans doute constaté si vous faites partie de mes lecteurs et lectrices assidus, n'a jamais été un frein rédactionnel. Voilà pourquoi vous trouverez autant de questions sans réponses que de réponses sans questions sur mon blogue. Je n'ai aucune autre prétention que celle de m'asseoir confortablement sur une chaise, devant cette machine, pour livrer ce qui me trotte dans la tête avec plus ou moins d'intérêt.

Alors que Léo Ferré a "la marée qui lui remonte dans le coeur comme un signe", ma marée à moi me monte à la tête comme un singe ou bien un gorille.

Et vous savez ce qu'elle me dit cette marée, ce matin?

Vous ne le sauriez jamais si je ne vous le disais pas, je sais bien.

Eh bien, la marée me dit que l'Histoire avec un grand H n'est pas mon histoire. En fait, je reprends une fois de plus une grande pensée du jazzman Sun Ra qui disait, avec plus de grâce que moi, quelque chose comme History is not my story, un jeu de mots franchement intraduisible que vous aurez certainement compris vous aussi en vous forçant un peu.

Du coq à l'âne, je passerai à Shakespeare, un plaisantin qui ne trouvait rien de mieux que de monter des pièces de théâtre au lieu de travailler comme tout le monde.

L'une de ces pièces, que tout un chacun connaît puisqu'on ne passe pas tout notre temps à travailler généralement, s'appelle Roméo et Juliette.

C'est l'histoire d'un couple d'amoureux qui tentent désespérément de s'aimer malgré la guerre qui sévit entre leurs deux familles, les Capulet et les Montaigu.

Les Capulet et les Montaigu ont toutes les raisons du monde pour les empêcher de s'aimer.

Nos tourtereaux ne devraient pas se fréquenter l'un l'autre mais se détester comme l'ordonne l'Histoire.

Évidemment, Roméo et Juliette se foutent éperdument de l'Histoire avec un grand H quand ils sont ensemble. Ils veulent s'aimer, se voir, s'entendre, se goûter.

Et finalement, comme l'Histoire avec un grand H aspire tout, nos amoureux meurent avant même que d'avoir vécu.

Tout ça pour donner raison à la vendetta menée entre leurs deux familles. Tout ça pour donner raison aux vieux cons.

Quel est le rapport avec La mémoire et la mer de Léo Ferré?

Aucun me direz-vous. Et vous aurez raison.

Je me demande pourquoi mes billets commencent et finissent souvent n'importe comment.

Cela doit être pour faire surgir de mon inconscient des vérités trop simples pour les énoncer simplement.

Pardonnez-les moi.

Musique...

jeudi 14 avril 2016

Les Autochtones et les crimes de l'extrême civilisation

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Jules Amédée Barbey d'Aurevilly
Les Diaboliques (La vengeance d'une femme)


La nation Attawapiskat est située sur les bords de la Baie James, au Nord de l'Ontario. Un peu plus de 1500 de ces  "Cris des marécages" vivent sur une petite réserve dans des conditions de vie indignes du deuxième plus grand pays du monde: le Canada.

La communauté d'Attawapiskat fait l'actualité mondiale en ce moment pour une vague de suicides qui s'y est produite au cours des dernières semaines. Rien qu'au mois de mars 2016, on y a enregistré 28 tentatives de suicide.

Ça ne prendra pas une étude de plus pour comprendre que les membres de cette nation traverse une grave crise sociale et culturelle.

On les a parqués sur une réserve comme des animaux dans un zoo.

On les a dépouillés de tout, même de leur pays.

On a dit de leur culture qu'elle était démoniaque.

On a confié leurs enfants à des curés aux moeurs douteuses pour les blanchir littéralement à l'eau de javel.

Puis on s'est étonné que ces "sauvages" ne trouvent rien de mieux à faire que de renifler l'essence des motoneiges. De ces skidoos confiés aux conseils de bande par nos bons gouvernements au service des corporations assoiffées de nouveaux territoires à exploiter aussi bien qu'à détruire.

Souvent, il faut le dire, les conseils de bande des Premières Nations ne font pas mieux qu'imiter la gabegie de nos maires et de nos députés. Pendant que leurs commettants crèvent de faim, ils se promènent en jet et se poudrent le nez. On fait valser des millions au-dessus des têtes des pauvrichons d'Attawapiskat, Montréal ou Vancouver. Et les pauvrichons ne reçoivent que des miettes, vivent dans des logements sordides, sont sans travail, sans diplômes et sans espoir de mener une vie digne de ce nom, pure conséquence de cet argent qui ne ruisselle qu'entre les mains des mêmes petits potentats coloniaux.

Qu'on ne s'y trompe pas. Le sort des aborigènes est aussi partagé par les résidents des quartiers dits populaires dans les grandes villes d'Amérique. C'est le système lui-même qui est la cause de ces iniquités. La tragédie de la nation Attawapiskat est un miroir déformant qui reflète la faillite morale de notre civilisation.

***

Les Iks, survivre par la cruauté, Nord-Ouganda. C'est le titre d'une étude de l'anthropologue Colin Turnbull. J'ai lu ce livre il y a plus de vingt ans et ses conclusions n'ont jamais cessé de me revenir à la mémoire chaque fois que l'on faisait mention du sort réservé aux aborigènes où que l'on soit dans le monde.

Les Iks étaient un peuple de chasseurs semi-nomades qui ont été contraints de quitter leur territoire qui était devenu un parc national...

Ce peuple n'avait jamais vraiment été en contact avec notre civilisation avant qu'on ne les déporte et qu'on ne les oblige à mener une vie dite civilisée, c'est-à-dire la nôtre.

L'anthropologue Colin Turnbull constata les ravages commis par notre civilisation chez ces pauvres gens.

Les Iks vivaient en relative harmonie, entretenant des liens de solidarité et de partage entre tous les membres de la communauté. Ils sont devenus méfiants, mesquins et sauvages au contact de nos belles idées.

L'alcool, l'argent et tout le saint-frusquin de l'empire a transformé ce peuple en ce que nous sommes devenus: de vraies loques inhumaines et barbares.

Les vieillards se faisaient voler par leurs enfants. On les laissait crever tout seuls comme des chiens, contrairement aux moeurs passées des Iks.

Les Iks bâtissaient désormais leurs huttes à l'écart les unes des autres pour se protéger du vol.

Les problèmes sociaux, jadis inexistants, devinrent la norme.

En moins de vingt ans, les Iks finirent par nous ressembler tout à fait Ils furent parfaitement civilisés...

mercredi 13 avril 2016

Voir le monde par le petit bout de la lorgnette


Rien n'est plus pathétique que les personnes unidimensionnelles animées par des idées fixes hors desquelles elles ne sauraient s'aventurer.


Untel ramène tout aux fédéralistes. Tout est de la faute des "fédérastes", même la couleur de la maison de sa grand-mère.

L'autre, qui n'est pas mieux, voit les séparatistes même dans sa soupe pour mieux les détester. Que l'on parle de corruption ou d'injustice sociale, tout sera ramené à sa haine des péquistes.

Untel s'exprime sous un avatar qu'il décore d'un unifolié pour prouver son allégeance au Canada.

L'autre est fleurdelisé jusqu'à l'os avec un gros Oui pour marquer son appartenance.

L'un comme l'autre sont des poussières dans l'univers.

On voit aussi cette dichotomie chez les droitistes et les gauchistes militants. Le monde entier est vu par le petit bout de leur lorgnette.

Que l'on parle de peinture, de musique ou d'amour, ces pauvres fous ramèneront tout vers le seul sujet de conversation possible en ce monde: leur option politique...

Ça finit par devenir extrêmement déprimant et on finit par envier le premier fou qui court tout nu dans la rue en jouant de la flûte avec son cul. N'importe quoi sauf d'avoir à digérer de l'idéologie à tous crins pour désaxés.

J'ai bien sûr des idées politiques. Je crois bien être de gauche, un tantinet souverainiste, et surtout capable de remettre en question tous les dogmes reçus par ceux et celles qui pensent ou ne pensent pas comme moi.

Par contre, le monde ne se résume pas à la confédération canadienne, à l'indépendance du Québec, au socialisme ou bien au capitalisme.

L'univers est vaste, complexe et probablement plus fascinant que tous nos discours contingents sur l'art de déposer un bulletin de vote dans une urne.

Je ne renie pas l'importance de mener des combats politiques et suis probablement un peu plus engagé que la moyenne... Pourtant, je refuse de ne voir le monde que par le petit bout de la lorgnette. Je refuse de me cantonner dans une idée fixe. Je refuse de servir une cause au point d'oublier la vie, le plaisir, la musique, la peinture, le rire, les niaiseries, la contemplation et tout ce qui ne se jauge pas à l'aune d'une idéologie.

Par conséquent, je me tiens loin des toqués.

Et, à l'instar de l'étranger dont parle Baudelaire dans Le spleen de Paris, je suis là à regarder les nuages, les merveilleux nuages...


mardi 12 avril 2016

Un temps nouveau

"C'était le temps des fleurs
On ignorait la peur
Les lendemains avaient un goût de miel"
Mary Hopkin, Le temps des fleurs 
traduction de la chanson tzigane traditionnelle Дорогой длинною

Il viendra un temps où l'on aura tout dit.

Un temps où les paroles seront usées jusqu'à la corde.

Un temps où il ne sera plus nécessaire de rappeler aux gens que nous sommes gouvernés par des voleurs, des menteurs, des autocrates et des usurpateurs de la souveraineté populaire.

Un temps où les mathématiques du pouvoir se passeront d'explications et de commentaires.

Un temps qui se passera dans la rue.

lundi 11 avril 2016

Démolition


Je suis allé voir Démolition au Cinéma Le tapis rouge. Il s'agit du dernier film du cinéaste québécois Jean-Marc Vallée.


Je ne vous vendrai pas le punch, bien entendu. Mais je me permettrai de vous dire que c'est un bon film. L'histoire tourne autour d'un travailleur de la finance qui pète les plombs suite au décès prématuré de sa conjointe.

Plus il pète les plombs, plus il nous apparaît humain...

Peut-être que cela explique toute l'âme de notre époque face à la machine.

On voudrait que nous soyons propres, ordonnés, obéissants, épargnants, convenus et convenables.

Et pourtant, nous idolâtrons les rockers qui mettent le feu à leur guitare, défoncent leur ampli ou balancent le drum dans la foule. Nous tenons en haute estime la liberté, même si souvent elle n'est vécue que par procuration.

Dostoïevski, ce grand psychologue, disait que si nous vivions tous dans un palais de verre l'avenir de l'humanité dépendrait du voyou qui le ferait éclater en mille morceaux en y balançant un pavé.

Je partage cette sensibilité que les gens d'ordre et de bon sens ne sauraient comprendre.

N'oublions jamais ce souci du détail qu'avaient les nazis pour classifier chaque aspect de la vie en camp de concentration. Ce souci du détail facilita d'ailleurs le travail des avocats qui les inculpèrent de crimes contre l'humanité après la guerre.

***

Démolition, de Jean-Marc Vallée, opère dans les mêmes zones que celles abordées par le film Beauté américaine de Sam Mendes. Dans l'un comme l'autre film, la farce des bonnes habitudes a assez duré. Un énorme besoin de légèreté se fait sentir. Un besoin de casser la baraque. Un besoin d'atteindre le soleil quitte à se brûler les ailes. N'importe quoi pourvu que l'on ne soit pas happé par un quotidien prosaïque et profondément ennuyant.

***

Je suis nostalgique des années '60. J'aurais souhaité les vivre. Je suis malheureusement né en 1968 et j'aurai vécu mon adolescence dans les années '80, à l'époque du No Future, de la montée du conservatisme et autres idéologies de larbins. Je me sentais inconfortable avec mon temps aussi bien qu'avec ma génération. Plutôt que de cracher sur les baby-boomers, je me suis mis à les aimer et aussi à les idéaliser.

Il ne se sera rien fait de mieux que le mouvement hippy au vingtième siècle. Le Flower Power aura été une démarche hautement métaphysique, une authentique révolte contre la machine à laquelle ni les communistes, ni les anarchistes ne surent jamais vraiment désobéir. Le mythe du travailleur avait aussi besoin de voler en éclats pour être remplacé par celui du rêveur, aussi éthéré que cela puisse sembler.

La révolte de 2012 renoua un tant soit peu avec le mouvement hippy. Dans le "fuck toutte" il y avait quelque chose d'animal et par conséquent de bien plus spirituel que toutes les données et statistiques des économistes désincarnés. Il y avait une volonté de décrocher la lune, d'atteindre les étoiles, d'avaler des trous noirs.

Il y avait surtout l'idée de démolir le système. Un système qui nous réduit tous plus ou moins à l'état d'objet, de chair à canon, de pions interchangeables.

Voilà pourquoi je m'accroche tant à la musique et à la contre-culture des années '60. Je n'ai rien trouvé de mieux depuis. Tout semble fade, suranné et décrépi quand on compare quoi que ce soit avec ces années-là.

Sans doute que j'idéalise un tant soit peu.

Et, honnêtement, je m'en contrefous.

N'importe quoi sauf la machine.

N'importe quoi sauf le conformisme rampant.

Quelque chose comme une fringale de "liberté libre" comme l'écrivait le voyou Rimbaud.


vendredi 8 avril 2016

Joseph Croisetière et le règne des ténèbres

Joseph Croisetière avait un coeur grand comme le monde. Cependant, tout le monde autour de lui n'avait généralement pas de coeur. Surtout en cette époque qui ne tournait manifestement pas pour lui.

Partout l'on encensait les crapules, les baveux de cour d'école, les lâches, les peureux et les malappris.

L'opinion générale de chacun était qu'il fallait faire son chemin tout seul parmi la foule, quitte à piétiner la foule pour se frayer un chemin.

Écraser un piéton, une vieille ou bien un handicapé n'arracherait pas une larme aux larbins de cette époque qui vivait pour des plaisirs superficiels.

-Moi j'vais dans l'Sud aussi souvent qu'possible parce que ça coûte pas cher pis qu'là-bas el' monde est tellement pauvre qu'i' t'licheraient la raie du cul pour cinq cennes! Arf! Arf! Arf!

C'était le genre de propos que tenaient les gens dans l'entourage de Joseph Croisetière.

Contrairement à tous ceux-là, Joseph croyait qu'il fallait témoigner de compassion envers les gens frappés par la misère, l'exil ou la maladie. Il donnait sa chemise à tout un chacun et n'avait même pas les moyens de le faire. Ce qui provoquait les sarcasmes de ceux qui ne donnent jamais rien.

-Quel crétin! Il ne sait pas économiser! C'est pas lui qui voyagerait dans l'Sud! Y'a même pas d'char! I' prend l'autobus! Arf! Arf! Arf! Quel fucking loser! Quel idiot du village! Quel abruti! C'est pas d'même qu'on fait la piastre! Christ de cave! Pis i' vient nous dire qu'i' vote pas libéral... Pff! Comme si son avis allait changer d'quoi! Faut-tu être assez à côté d'ses pompes?

Évidemment, Joseph Croisetière souffrait chaque jour un peu plus des ignominies de ses concitoyens. Il lui semblait qu'il y avait toujours plus d'indifférence à la misère d'autrui et, par conséquent, toujours plus d'iniquité.

Un jour qu'il revenait à pied de son emploi mal rémunéré, il reçut les crachats d'une bande de jeunes vauriens qui s'amusaient à souiller impunément les passants depuis la place qu'ils occupaient dans l'autobus municipal.

-Prends mon clam dans 'face mon hostie d'trou d'cul! hurla un jeune hooligan après lui avoir balancé son flegme en pleine figure.

Le lendemain, un automobiliste faillit l'envoyer au cimetière tandis que Joseph traversait pourtant sur sa lumière verte. Joseph fit une chute sur l'asphalte et se tordit une cheville. Plusieurs automobilistes passèrent près de l'écraser en lui intimant l'ordre de s'enlever de la rue.

-Tasse-toé d'là tabarnak de trou d'cul! Prends l'autobus sacrament! hurlaient les babouins. Va marcher su' 'a piste cyclable hostie d'béhesse!

En arrivant chez-lui, Joseph fut baptisé par le jet d'urine d'une bande de voisins qui pissaient eux aussi sur les passants tout en se droguant.

-Bois-z'en une tasse à ma santé hostie d'twit à lunettes!

-Il faut leur pardonner parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font... se dit en lui-même Joseph.

Il ouvrit la télé pour déprimer un peu plus à voir le visage de députés et de ministres hilares accusés de fraude, de corruption, de malversation, de collusion et de toutes les formes de crimes impunis. Ils étaient à l'image de tous les scélérats qui les portaient au pouvoir.

Puis Joseph perdit son emploi.

Il se ramassa à peu près tout nu dans la rue.

On lui balança toutes sortes d'insultes et de pots de chambre par la tête, encore une fois.

L'agent d'aide sociale, le propriétaire, les voisins, la famille: tout le monde le traita comme le dernier des vers de terre.

Les crapules devinrent encore plus crapuleuses.

Et les gentils furent encore plus méprisés.

-Je ne dois pas devenir comme eux pour autant, se disait Joseph à lui-même. Un jour ça va changer...

Le problème c'est que ça changeait uniquement pour empirer.

C'était une sale époque, voyez-vous.

C'était un sale pays.

C'était le règne des ténèbres.


jeudi 7 avril 2016

La compassion d'un plaisantin


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Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate
Traduction: Toi qui entres ici abandonne toute espérance.


Il n'est pas facile d'avoir de l'empathie. La plupart des gens vivent très bien sans en avoir. Ils se ferment aux malheurs de l'humanité de crainte que cela ne s'attrape comme une maladie honteuse.

-Dans la vie, il faut s'aider soi-même! Il faut faire son propre bonheur! Il faut ceci ou cela! prétendent les repus, les larbins et les écureuils craintifs.

La question n'est pas tant de savoir s'ils ont raison. En fait, la question c'est comment les faire taire. Ils sont tellement audibles et si prévisibles que l'on peut comprendre pourquoi la compassion est si précieuse. Elle est semblable à un parfum subtil qui nous permet d'oublier un moment les odeurs communes de putréfaction morale.

Qu'un seul sage se présente à l'humanité, qu'une seule personne se tienne debout devant des millions pour les rappeler à la bonté, et voilà qu'on oublie tous les zéros.

Évidemment, le sage va toujours seul. Dès qu'un groupe se forme, la sagesse s'enfuit. C'est le plus petit dénominateur commun qui l'emporte. Ce sont les plus bas instincts qui prennent le dessus: l'envie, l'avidité, la haine et j'en passe.

-Il va toujours y avoir des pauvres! Qu'est-cé qu'tu veux qu'on fasse, hein? Le plus fin c'est celui qui ne fait rien...

Rien. Ne faites surtout rien. Continuez de vous regarder le nombril.

On ne peut pas empêcher un coeur d'aimer. Ni un coeur d'être de pierre.

***

J'ai croisé un type extrêmement obèse cette semaine. Le malheureux s'appuyait contre une poubelle pour ne pas tomber. Il attendait son autobus. Il traînait huit gros sacs de papier-cul. Le papier-cul était en spécial et ça valait la peine d'en acheter.

J'ai pensé, mesquinement sans doute, que le gros aurait de quoi se torcher longtemps.

Puis je me suis rappelé qu'il avait eu une vie de merde.

Le gros a été élevé par une mère monoparentale alcoolique dans le tapis. Aussi bien dire qu'il s'est élevé tout seul. Il n'a pas appris à bien s'alimenter. C'était l'alcool pour sa mère. Pour lui, c'était la malbouffe. Dans les deux cas, c'était une histoire de dépendance. Et aussi une vie sans jamais trouver de vrais amis ni de travail. Une vie à être le dernier choisi au ballon-chasseur. Une vie à être ostracisé. Une vie de marde parfaitement bien représentée par les dix paquets de papier-cul qu'il venait de s'acheter pour économiser sur son torchage de fesses.

En plus de se torcher, le gros a une toute petite voix, un nez porcin et une calvitie prononcée. Il a aussi coutume de bloquer les ascenseurs. Tous les agents de sécurité de la ville le connaissent pour cette manie qu'il a de s'enfermer dans les ascenseurs et de les bloquer par les moyens qui s'offrent à lui.

Pourquoi fait-il ça? Je n'en sais rien.

Mais il le fait tout le temps et je ne serais pas surpris qu'il le fasse encore.

Je l'ai tout de même salué, ce pauvre gros, puisque je reconnais en lui une partie de moi qui n'aurait pas eu de chance dans la vie.

Cette image m'a trotté dans la tête jusqu'à ce que je vous la livre ici dans ce billet.

L'image d'un ogre qui s'achète du papier-cul, bloque des ascenseurs et mène une vie de marde.

L'image d'un gars que j'aurais pu être si je n'étais pas si beau et si brillant...

***

Je ne voudrais pas vous faire croire que j'écris ça pour me mettre à l'avant-scène. Je ne suis pas tout à fait à la hauteur de cette compassion que j'admire chez quelques-uns. Je ris de tout, même des choses sérieuses. Cela me disqualifie pour la sainteté.

Au fond, comme le disait si bien Émile Cioran lorsqu'il parlait de lui-même, je ne suis qu'un plaisantin.

Un plaisantin qui s'amuse parfois à jouer au moraliste tout en méprisant ce statut.

Je me demande même pourquoi vous me lisez...

Vous voyez bien qu'il n'y a rien à trouver ici.