jeudi 30 septembre 2010

Bien plus chouette que Facebook

Hahaha! Riez tant que vous voudrez, mais Giacomo Fini s'était inscrit sur Facebook avec l'idée bien arrêtée de changer la face du monde. Fini était un italien d'origine montréalaise qui devait avoir autour de trente piges et qui ne se rasait plus tout à fait les cheveux pour profiter du bonheur de les sentir pousser. Sous son cuir capillaire, traité une fois par semaine au shampoing Head and Shoulder pour enrayer les pellicules, Fini pensait à toutes sortes de trucs qui -et c'est bien ça le pire!- n'avaient rien à voir avec le marivaudage.

Giacomo Fini ne s'était pas inscrit sur Facebook pour y présenter sa binette ou bien sa bite, ce qu'il aurait très bien pu faire comme n'importe quel autre utilisateur. Non, Fini préférait vivre sa vie dans le concret, là où sa bite et binette comptaient le plus.

Pourtant, il lui était venu en tête que tout se passait sur Facebook de nos jours et qu'il fallait nécessairement passer par là pour dire aux gens, par exemple, d'arrêter de balancer des produits toxiques dans le fleuve. Et ce n'était, hélas, que la pointe de l'iceberg. Puisque les causes ne manquent pas, l'homme étant si nul.

Ce qui fait que bientôt Fini passa toutes ses journées sur Facebook à mettre en lien des tas de trucs sensés remettre le monde à l'endroit. Et il y en avait! Oh qu'il y en avait des interliens et autres youtuberies militantes. Un vrai déluge.

Évidemment, tout le monde pouvait devenir l'ami de Giacomo Fini puisque ses causes étaient si nobles. Et de un, deux, trois, dix, mille amis... Oua! Succès instantané. En deux jours et demi d'utilisation de Facebook, Fini s'était trouvé des amis dans les quatre chiffres. Et cela ne faisait que commencer. Il apprenait vite le petit tabarnouche. (Il était petit, le gus.)

Donc, voilà que Fini se croit à la tête d'une armée de supermilitants qui veulent changer la face du monde. Et il exulte, comme s'il allait gagner le combat contre l'ogre capitaliste et tous ses avatars.

Il est vrai qu'il connut illico des tas de camarades, dont certains d'une très grande valeur intellectuelle. Évidemment, ils pensaient comme lui.

Cependant, il ne suffit que d'un grain de poussière pour enrayer une machine.

Et la machine de Fini s'enraya. C'est-à-dire son ordinateur personnel, une vieille tour de trois ou quatre ans avec un ventilateur qui faisait un bruit terrible même quand il était bien nettoyé. Kaputt l'ordi. Plus de son et plus de lumière. Plus de Facebook. Plus de YouTube. Plus de Google.

Juste la réalité concrète. Avec du monde qui respire. Et du monde qui ne respire plus.

Ses drames intérieurs dégonflèrent et son rire lui revint.

Ce n'est pas qu'il reniait ses saintes et nobles causes. Giacomo Fini était un homme de passions qui n'allait pas si facilement les abandonner.

Mais il réalisa que Facebook c'était aussi du pipi, caca, poil, kikou, lol et vous obtenez trente points pour un jeu stupide ou bien un quizz poche.

Le monde y raconte leur vie comme s'ils détaillaient le brun de leurs sous-vêtements. Et le pire c'est que ça se croit intéressant alors que c'est si plat, si pathétique, si ennuyant.

Franchement, Giaccomo Fini était bien content que sa tour ait sauté. Il se sentait moins échec et mat. C'était comme s'il retrouvait ses yeux et rhabitait ses gosses.

Le vent d'automne était frais.

Le bleu du ciel se détachait au-dessus d'un tapis de feuilles jaunes et orangées.

Les oies volaient vers le sud en formation véïforme.

Oua. C'était chouette l'automne.

Bien plus chouette que Facebook et toute cette hostie d'marde.

mardi 28 septembre 2010

Simplement du monde

Trois-Rivières, le 28 septembre 2010

Communiqué de presse
Pour diffusion immédiate

SIMPLEMENT DU MONDE
Exposition de l'artiste-peintre Gaétan Bouchard au Terrasse Café Bistro

L'artiste-peintre Gaétan Bouchard présente son exposition «Simplement du monde» du 28 septembre au 28 octobre 2010. L'exposition aura lieu au Terrasse Café Bistro, situé au 547 de la rue Bonaventure à Trois-Rivières.

Les toiles retenues pour l'exposition présentent essentiellement des foules de bonne humeur. De la plage à la tempête de neige, d'une nuit à l'expo au combat de lutte, l'artiste présente une vision caricaturale du monde où la joie de vivre se manifeste en couleurs vives et en formes rondes.

Les tableaux de Gaétan foisonnent de personnages inspirés du monde et du quotidien de Trois-Rivières.

L'artiste de 42 ans est natif de Trois-Rivières.

-30-

Source:
Gaétan Bouchard
Courriel: bouchard.gaetan@gmail.com

lundi 27 septembre 2010

Un feu de patates frites

Pourquoi la boîte à souvenirs peut soudainement s'activer pour un événement anodin qui s'est produit il y a vingt ou trente ans? Peut-être parce que l'événement n'était pas anodin. C'est l'explication qui me suffit ce matin. Je n'irai pas plus loin dans l'introspection et les grandes questions qui n'en finissent jamais d'en voir naître encore d'autres.

Tenez, je pense depuis hier à la scène d'un incendie que j'ai vu dans le quartier de mon enfance, du temps où j'étais plutôt adolescent.

Un bloc à trois étages est en train de flamber, comme d'habitude. C'est un soir d'été. C'est sur la rue Laviolette, à Trois-Rivières, dans le faubourg à m'lasse. Ça sent la boucane et des tas de curieux sont venus nuire au travail des pompiers.

Une indicible tristesse s'empare de moi en pensant à ce qu'il adviendra de ces pauvres gens jetés à la rue. Évidemment, j'ai des yeux et je regarde les flammes jaillir de l'édifice et tout ce qui se passe autour.

Pendant que les pompiers sont à l'ouvrage, mon regard tombe sur des bizarroïdes qui s'achètent des frites à la rôtisserie, située juste en face du bloc en feu. Ils les dégustent dehors tout en contemplant le spectacle. Et de plus en plus de curieux, alléchés par l'odeur de la friture, font la file à la rôtisserie pour se prendre eux aussi un sac de frites. Finalement, ils sont une trentaine à bouffer des frites pendant que le bloc à trois étages est en train d'y passer tout entier.

Pourquoi ce souvenir est-il revenu dans ma tête hier, hein?

Parce que ce n'était pas anodin... Je vous jure, je ne trouve aucune autre réponse.

vendredi 24 septembre 2010

Est-ce que Jésus riait?

J'ai presque tout lu Fedor Dostoïevski sous l'impulsion de feu Alexis Klimov, qui fût mon professeur de philosophie, mon directeur de thèse de maîtrise inachevée et mon ami à bien y songer. Avec tout le vin que j'ai bu sur son bras lors des rencontres du Cercle de philosophie, je crois bien qu'il savait transformer la sécheresse d'esprit en vin. Parce que la philosophie à l'UQTR, c'était somme toute rasant.

Ce n'était pas en vain que l'on buvait les paroles de Monsieur Klimov. C'était un vrai érudit et poète avec ça. Sa philosophie devait beaucoup aux arts et aux lettres, peut-être plus qu'à la philosophie elle-même, souvent froide, sinon fallacieuse, surtout quand elle se donne des airs de science. Alors là, c'est à en vomir. Ce qui fait que j'ai presque tout lu Dostoïevski.

Dostoïevski ou Tolstoï, voire tous les grands auteurs russes, c'est toujours une ballade au pays des grandes questions existentielles.

On plonge évidemment dans une atmosphère un peu mystique.

Et on se demande pourquoi tous ces grands auteurs classiques russes dépensaient tout leur argent au casino.

On finit par croire que le Québec est sur la voie de produire de la grande littérature, au rythme où se multiplient les siphonneuses à cash du jeu d'État.

Sûr qu'il sortira des Dostoïevski et des Tolstoï de ces jeux de roulettes et autres niaiseries qui finissent par hypnotiser son homme au point de parfois lui faire porter une couche.

Une couche d'adulte, pour y faire pipi-caca plutôt que de risquer de perdre son combat final avec la machine à sous. Je vous jure que je n'invente rien: l'être humain peut vraiment se transformer volontairement en loque et accuser les autres de s'être lui-même détruit.

Vous vous demandez sans doute pourquoi j'ai choisi pour titre «Est-ce que Jésus riait?» pour ce billet ridicule. Et vous ne vous y trompez pas. Je vais en venir au fait. Vous le savez bien. Mais il faut parfois de ces caresses mentales pour bien présenter une idée toute simple.

Je poursuis.

Je n'ai pas tout retenu et tout annoté des grands auteurs russes. C'est que j'ai fait le ménage.

J'avais cette manie de me faire des tas de petites fiches remplies de belles citations quand j'étais jeune. Il a bien fallu que je m'en libère un jour en jetant tout ça par la fenêtre pour tout simplement aller baiser à plein régime, histoire de vivre un peu.

Les livres, ça enivre, mais pas tant que ça. Je parle pour moi, évidemment. Et je lis encore des tas de livres, parce que c'est devenu une manie avec laquelle ma vie concrète s'accommode.

La chair n'est pas si triste et, non, je n'ai pas lu tous les livres... Les amateurs de lieux communs auront compris que je paraphrasais Mallarmé, histoire de me délier les doigts en adoptant une pose toute didactique.

-Au fait! hurlez-vous.

J'y viens.

«Est-ce que Jésus riait?» C'est une question de Dostoïevski. Je ne suis pas foutu de vous dire d'où elle est tirée puisque j'ai jeté toutes mes notes. Était-ce dans Les frères Karamazov ou bien dans Crime et chatiment? Je ne le sais plus.

Mais je sais que cette question tourmentait Dostoïevski. Comme elle tourmente toute la littéraire chrétienne et post-chrétienne, même au Nouveau-Monde.

Est-ce que le Bien peut rire?

Regardez Batman, est-ce qu'il sourit?

Et le Joker? Et le Diable? Et Bouddha? Toujours souriant et bedonnant, Bouddha... Hum...

On peut transposer ça dans le domaine de la politique, où le Bien se propose trop souvent de ne pas sourire.

Combien de militants qui sont incapables de s'accrocher un sourire dans la face... Et ça veut notre bien, nos biens, quoi?

Ce qui me laisse songeur puisque je ris tout le temps. Et que je ne veux rien ou presque. Juste la calice de paix.

Je suis un hostie d'idéaliste qui n'a pas envie de se prendre au sérieux.

Je suis un Sauvage.

Que Jésus riait ou non, je vais rire. Je ne jouerai pas au casino.

Je vais encore lire Tolstoï et Dostoïevski, juste pour le fun.

Ça vous étonne?

C'est que vous ne me connaissez pas.

Bon, eh bien je m'en retourne me connaître moi-même.

À plus.

jeudi 23 septembre 2010

Un texte flushé

Ce matin, j'ai failli publier un texte bourré d'allusions philosophiques et de références littéraires.

J'étais rendu au huitième paragraphe. J'avais presque mille mots. J'y parlais de l'art pour l'art, du rôle des intellectuels et de toutes ces balivernes. Je citais Tolstoï et Dostoïevski, Hugo et Zola, Bouddha et Deganawidah...

Puis je me suis relu. Et je me suis dis en moi-même que j'allais nulle part avec ces billevesées.

J'ai donc mis mon texte en surluminescence puis l'ai effacé d'un clic.

La prochaine fois, je me contenterai de vous raconter des anecdotes décousues qui peuvent parfois donner l'impression que j'ai de l'oeil et de l'écoute en tant que littérateur.

mercredi 22 septembre 2010

Bob est tombé sur une mine d'or

Robert, alias Bob, était l'homme le plus heureux du monde ce matin.

J'ai déjà parlé de cet homme dont la profession, pas tout à fait reconnue, consiste à ramasser des canettes et des bouteilles vides.

Il ne m'a pas parlé de contenants vides, ce matin, mais d'une découverte comme il en arrive parfois dans son métier.

-Imagine-toé don' Guétan que j'ai trouvé une bague, une chaîne et un collier en or de plusieurs carats. Mon coeur se débattait. C'était le jour de la fête de mon frère, qui est mort v'là deux ans. Y'avait cinquante ans... Pis là j'faisais ma run habituelle, à gauche pis à droète, pis v'là que j'tombe là-dessus... C'était dans le stationnement d'la pharmacie, proche d'la bande de trottoir. Moé, j'capote su' l'coup, ben sûr... Y'était six ou sept heures du matin... De l'or tabarnak! J'ai attendu l'ouverture du pawnshop comme de raison... Pis sais-tu comment ça m'a donné?

-J'sais pas, lui répondis-je.

-Neuf cent piastres! C'était d'l'or qui v'nait pas d'icitte qu'i' disait au pawnshop... I' m'a dit que c'était d'l'or européen... ou j'sais pas trop... Neuf cent piastres! Ça d'vait valoir dans les trois milles piastres facile pour qu'i' m'donne neuf cents d'une shot... J'ai tout d'suite accepté, moé qu'i' avait pas une calice de cenne!!! Laisse-moé t'dire que j'ai passé une très belle journée en pensant à mon frère qui est mort...

-C'est parce que tu mènes une bonne vie Bob que l'ciel te fait des cadeaux, ajouté-je.

-Ouin, en plein ça! Mon frère m'a vu d'en haut pis i' m'a crissé d'l'or su' mon chemin! Tabarnak que j'étais content! Sauf qu'i' m'en reste plus... J'ai toutte dépensé... Pis c'que j'ai pas dépensé je l'ai prêté à deux, trois d'mes chums cassés ben raides pour qu'i' s'achètent d'la bière pis des cigarettes...

Je l'ai laissé à sa run. Il avait spotté une caisse de bière vide près de la clôture de l'usine Kruger. Bob ne pouvait pas laisser passer sa chance plus longtemps. Il y a tellement de ramasseux d'bouteilles et d'canettes de nos jours qu'il ne faut pas attendre un seul instant quand on voit un tel trésor.

Eh misère!

mardi 21 septembre 2010

C'est l'automne

Eh oui. C'est l'automne.

Les feuilles ont jauni  beaucoup plus tôt cette année.

L'an passé, j'ai l'impression qu'il fallut attendre la mi-octobre.

Comme quoi les saisons passent et je retiens tout - ou presque.

Cependant je ne serais pas foutu de vous parler de l'automne 1975. J'avais sept ans. C'est pourtant un chiffre chanceux. Mais faut croire que ce n'est pas assez pour en parler.

Que s'est-il passé à l'automne 1975, hein?

La prière a été abolie à l'Hôtel de Ville de Trois-Rivières

Les séances dites «ordinaires» du Conseil de ville de Trois-Rivières sont pour le moins soporifiques.
   Je le savais déjà et c'est avec beaucoup d'appréhension que je m'y suis rendu hier afin de voir comment on se fait entuber à Trois-Rivières par du menu fretin.
   Je suis arrivé à 18h45. Les portes étaient ouvertes. Je me suis pris un ordre du jour que j'ai lu avec désintérêt, comme tout le monde. Puis j'ai sorti mon calepin et mes stylos. J'ai gribouillé tout plein de croquis qui pourraient me servir le jour où nous serons mille dans la rue à demander plus de démocratie et moins de p'tites vites. Les saisons sont tellement changeantes de nos jours que tout peut arriver, n'est-ce pas...
   La salle s'est rapidement remplie de citoyens et citoyennes majoritairement retraités. Nos aînés ont du temps à consacrer à la démocratie, contrairement à nous, les plus jeunes, qui devons passer du temps à payer pour les caprices des politiciens. Je les en félicite et, d'ailleurs, je me sentais vieillir hier et je m'imaginais à soixante-quinze ans en train de me pogner encore avec le futur maire de Trois-Rivières. Un vrai cauchemar...
   À 19h30, c'est l'ouverture de l'assemblée. Le maire arrive en trombe, à 19h30 pile, et il asseoit son cul sur son siège pour tout de suite nous dire que le spectacle peut commencer. Il fixe tout le temps ses feuilles et ses souliers et il m'est difficile de le caricaturer autrement que penché sur ses notes. Peut-être qu'il dessine dans les marges de l'ordre du jour. Je sais pas trop.
   Cela semble avoir échappé à tous les journalistes offciels. Depuis le temps qu'on en parlait... Eh bien la prière a été abolie à l'Hôtel de Ville, comme le souhaitait Mme Louise Hubert qui a porté une plainte en ce sens à la Commission des droits de la personne et qui s'est fait tordre le bras par une vieille peau en pleine assemblée publique pour avoir réclamée la dissociation de l'Église et de l'État. Elle a gagné son point, Mme Hubert, et personne à ma connaissance ne l'a souligné dans les médias. Personne. La prière est disparue comme un pet, en laissant à peine une légère odeur d'encens cheap acheté à vil dans quelque bazar que l'on trouve partout sur le territoire trifluvien. La magie s'est envolée...
   Au lieu de la prière, le greffier a lu son ordre de jour, adopté à la vitesse grand v par le pseudo-maire qui n'a pas encore été destitué.
   -Quelqu'un demande le vote? Adopté! répétait inlassablement le maire.
   Et il a scandé ça pendant presque quarante points pour que la messe soit le plus courte possible. Maintenant que la prière a été supprimée, on ne va pas se gêner pour raccourcir les oraisons et les cantiques.
   Tout le monde bayait aux corneilles, même les conseillers qui appuient le maire, dont l'ineffable Guy Daigle, un ancien du PQ qui a troqué la social-démocratie pour la "cratie" tout court. Le pouvoir, ça change souvent son homme pour le pire: c'est comme dans le film Lord of the Rings avec le foutu anneau, le «prrrré-cieux». Ça les rend un peu lascifs, le pouvoir.
   Les journalistes s'emmerdaient ferme. Ça se voyait dans leur manière de regarder leur montre et de fixer le plafond. Sauf que je m'emmerdais beaucoup plus qu'eux puisque je n'étais pas payé pour être là. Même que ça m'a fait sortir de l'argent de mes poches: une bouteille d'eau, un calepin, deux crayons noirs.
   Je suis moi aussi tombé dans un état de rêverie en contemplant cette sculpture dans la salle d'audience que j'attribue à Stellio Solé, à moins que je ne sois complètement hors-champ, comme la sculpture d'ailleurs, qui est cachée derrière une colonne de béton, dans le fin fond de la salle, près de l'endroit où je siégeais sur mon séant.
   Puis le greffier est tombé sur un point qui n'était pas écrit dans l'ordre du jour qu'on nous a remis, le seul qui m'intéressait. Il s'agissait de mettre sur pied une commission d'enquête sur les fêtes du 375e anniversaire de Trois-Rivières, fêtes qui ont été marquées par des «apparences de conflits d'intérêts» pour reprendre une formule un peu chicken de journaliste qui ne risque rien.
   Évidemment, l'opposition a voté pour. Les autres ont voté contre, comme on s'y attendait.
   Puis j'ai crissé mon camp avec mon calepin et mes croquis. J'en avais assez vu. Même si j'ai manqué la période de questions du public, le seul moment fort de ce type d'assemblée. Je n'étais pas là pour parler, mais pour faire des petits dessins en me demandant ce que je foutais là.
   Dès que je suis sorti de la salle, j'ai ressenti un grand soulagement. C'était comme si je devenais plus sensible aux couleurs et au temps frais de l'automne.
   J'ai souri en longeant la bibliothèque Gatien-Lapointe. Puis j'ai descendu sur la rue des Forges, le coeur léger, l'âme vide.
   J'ai ouvert mon cellulaire rendu dans la cour de la pharmacie Jean-Coutu, sur le boulevard Royal, puis j'ai appelé ma blonde.
   -Bé, j'su's dans 'a cour du Jean-Coutu. J'm'en viens. C'était plate en tabarnak!
   Même si le show était plate, the show must goes on.
   Je vais lire aujourd'hui le compte-rendu de nos journalistes locaux, pour voir s'ils ont bien dormi eux aussi.
   Sûr qu'ils n'auront pas ces libertés de ton que je prends. Ce dont je les plains. Ils n'ont même pas le droit de s'amuser. Ils sont payés pour bayer aux pigeons, d'une assemblée à l'autre, les pauvres...
   Bref, le vrai pouvoir est dans la rue.

lundi 20 septembre 2010

Trois-Rivières

Trois-Rivières est l'une des plus belle villes du Québec quand on fait abstraction de la politique et de l'odeur nauséabonde qui provient de l'industrie papetière à l'agonie. Deux usines qui survivent dans une ville qui se vanta longtemps d'être la capitale internationale des pâtes et papiers.

De nos jours, la ville s'est donnée d'autres épithètes toutes aussi drôles. D'abord, elle s'est méritée à plusieurs reprises le titre de capitale du chômage et de la pauvreté au Canada. Quelques visionnaires préférèrent la nommer la capitale internationale de la poésie. Et d'autres capitales de ceci ou cela.

Quand on a été une capitale internationale au moins une fois dans la vie d'une ville, eh bien tout le monde doit se guérir d'accès de mégalomanie niaiseuse et dévorante. Rien de pire qu'un has-been me direz-vous et vous aurez raison de me l'avoir dit.

Il y a quelques millénaires, Trois-Rivières était sous l'eau provenant de la fonte des glaciers. Puis l'eau s'est graduellement retirée, charroyant du sable de plage de la rivière Tapiskwan Sipi * (anciennement la rivière St-Maurice) jusqu'au fleuve Magtogoek** (anciennement le fleuve St-Laurent).

Plusieurs nations et tribus aborigènes habitèrent les lieux depuis 8000 ans, dont des Français.

On a systématiquement rayé toute trace de présence autochtone dans l'ancien village de Métabéroutin, ce lieu qui nommait et la rivière et les plages de sable dont il ne reste plus grand chose de nos jours, sinon à l'Île St-Quentin et à Pointe-du-Lac.

Que sont devenues ces plages que les aborigènes contemplaient sous des forêts de pins frais, hum?

Trois-Rivières doit son nom à Jacques Cartier qui est venu planter sa putain de croix sur l'île de mes ancêtres peaux-rouges qui s'y baignaient bien tranquilles à cette époque, en une ère de paix et de commerce relativement stable entre les Iroquois, les Hurons, les Algonquins, les Attikameks, les Innus, les Cris, les pêcheurs basques et autres Islandais de passage.

Trois-Rivières a toujours été une sortie d'autoroute, d'aujourd'hui à hier, du temps des pointes de flèches. Tout le monde finissait par se ramasser là pour y vendre ses quossins, du tabac, des fourrures, whatever.

Cartier arriva dans le coin avec ses gros sabots français, planta sa croix catholique à l'embouchure de la rivière Tapiskwan Sipi, là où elle se divise en bancs de sables, dans un delta qui fût jadis paradisiaque et dont on entrevoit parfois toute la beauté en se fermant les yeux et en se bouchant le nez un moment.

Là où l'Indien voyait un lieu de commerce et de festivités interminables, Cartier voyait trois rivières, des esclaves, de l'or, de la soie et des épices. Il était ici pour faire du cash sous prétexte de christianiser les Sauvages. Ils sont toujours comme ça les crosseurs. L'épée plutôt que la croix: c'est ça les arguments tranchants de la sainte doctrine. Anyway, revenons à nos trois rivières.

Jacques Cartier la nomma rivière de Fouez, cette rivière trinitaire, une rivière de la Foi dans son langage un peu rustre du temps de Rabelais. Et il enleva quelques Indiens ça et là pour les montrer à son roi comme s'il s'agissait de bêtes savantes. Et si ce n'eût été des Indiens qui sauvèrent Cartier du scorbut en lui faisant boire du jus d'écorce plein de vitamine C, Trois-Rivières s'appellerait encore Métabéroutin.

En résumé, Trois-Rivières est une belle ville et ça n'a rien à voir avec Yves Lévesque, son maire qui menace de démissionner depuis que l'on demande sa destitution. C'est vrai qu'il se comporte en dictateur d'opérette et que ça finit par susciter des réactions saines de démocrates qui n'y comprennent rien.

Une assemblée publique aura lieu ce soir à l'Hôtel de Ville de Trois-Rivières. L'assemblée débute à 19h30. Les portes seront ouvertes à 18h30, à moins d'opérations occultes.

J'y serai parce que la démocratie ce n'est pas un chèque en blanc pour quatre ans.

Parce que je veux que l'on préserve une certaine zone de confort et de beauté à Trois-Rivières.

Parce que je crois en un autre Trois-Rivières, une re-naissance du village de Métabéroutin, une re-conquête aborigène des lieux, une re-connaissance, whatever, j'ai le droit de délirer sacrament. Le droit de rêver hostie!

Kwey tout le monde et migwetch pour votre attention. Je parle trop. Je sais. Hugh.


*Rivière de l'enfilée d'aiguille dans la langue des Attikameks.
**Fleuve aux grandes eaux dans la langue des Anishnabés.

dimanche 19 septembre 2010

Plus un homme vieillit, plus il devient sensible...

Je ne crois pas être hypersensible. D'abord, je ne pleure presque jamais. Pas parce que je suis un dur à cuire, mais parce que j'ai trop lu de philosophes pour prendre la vie au sérieux. Parce que je fais partie de la génération T-Fal, la génération X, celle qui n'adhère à rien. Parce que blablabla.

On dit que vieillir c'est revenir en enfance. Je ne saurais nommer cet «on» qui se permet de dire tout et n'importe quoi. Mais je ne le trouve pas toujours bête et m'offre le droit de le citer à tout propos.

Parfois, «on» vise juste.

L'autre jour, j'ai saisi la conversation d'un groupe de dames, par pur «auditisme», le pendant du voyeurisme pour les oreilles, à moins qu'il n'existe un autre mot pour cela.

-Moé, disait l'une d'entre elles, j'ai l'impression que les hommes deviennent plus sensibles en vieillissant... L'autre fois, mon chum pleurait après avoir vu un film... Jamais y'aurait osé pleurer quand y'avait vingt ans pis à c't'heure où y'a soixante ans, i' braille pour rien des fois. Quand c'est pas après un film, c'est dehors dans 'a cour, quand i' r'garde un arbre ou un oiseau... Y'est en train de devenir un maudit braillard! Ha! Ha!

Ça m'a sonné un peu. Je ne sais pas trop pourquoi. Je ne suis pas hypersensible. Je ne pleure presque jamais. Peut-être aussi parce que nous étions quatre garçons dans ma famille et qu'entre gars pleurer ça passait pas mal de travers: c'était la honte absolue, pleurer. Presqu'un tabou.

On se soignait l'envie de pleurer en se ridiculisant ou bien en s'humiliant les uns les autres. C'était comme ça dans tout le quartier Notre-Dame-des-Sept-Allégresses et même au-delà, dans la Petite Pologne et dans Ste-Cécile, tous trois quartiers du «faubour à m'lasse»* trifluvien.

«Ne pas rire, ne pas pleurer, mais comprendre» écrivait le philosophe Baruch Spinoza. Ouais. Et j'en ai longtemps fait ma maxime, jusqu'à tout récemment.

Je vieillis moi aussi.

Et souvent, je savoure avec une mélancolie toute jubilatoire le fait de n'y rien comprendre. Et je ris. Et parfois même je pleure. Oh! pas beaucoup. À peine une larmette. Une humidité des yeux que je ravale comme une grippe que l'on n'oserait pas évacuer du nez en public. «Ahemrphe!» que ça fait, cette forme d'impectoration. L'impectoration étant l'exact contraire de l'expectoration, à moins que je ne doive vraiment consulter un dictionnaire ou bien un spécialiste de la santé mentale.

Donc, il m'arrive de pleurer et, oui, je vieillis.

La dernière fois, cela remonte à deux mois.

J'ai touché un arbre et mes yeux sont devenus humides. Bouhouhou snif-snif.

Deux secondes plus tard, j'avais les yeux secs comme je les ai toujours eus.

C'était la deuxième fois que je pleurais cette année. La première c'était en tranchant des oignons.

Franchement, ces conversations de bonnes femmes m'en apprennent plus que je ne le croyais sur moi-même.

Plus un homme vieillit, plus il devient sensible.

Je suis parti pour brailler de plus en plus souvent, sacrament.

Ça doit être pour ça que je m'émeus pour un rien: un arbre, un air de violon, n'importe quoi.



*Faubourg à m'lasse: faubourg à la mélasse, sucre que l'on trouvait en abondance chez les pauvres à une certaine époque. Pepsi et Coke ont remplacé la mélasse de nos jours.

samedi 18 septembre 2010

Le mariage du «frère à Kof»

Kof était disc-jockey au bar La Détente, une place où il se faisait pas mal de poudre et où l'on trafiquait les chiffres ayant trait au volume des ventes.

Kof n'était pas très grand mais il était bâti solide. Il avait le physique idéal du déménageur: petit et trapu. Mais il préférait gagner sa vie en mettant des disques de Frank Zappa au bar La Détente, même si les clients détestaient ça. Lui et le patron aimaient ça, Frank Zappa, et ils se disaient que les autres épaves du bar pouvaient bien manger de la marde. C'était une manière comme une autre d'imposer ses choix musicaux.

Kof était dans la quarantaine. Célibataire, il était plutôt porté sur la boisson et les autres drogues. Son frère, Jean-Frédéric, était beaucoup plus tranquille. Il travaillait dans le domaine de l'électronique. Il portait de grosses lunettes épaisses. Et il ne buvait pratiquement pas, sinon des boissons gazéifiées. Surtout du Coke diète.

Jean-Frédéric était aussi dans sa quarantaine, mais un an plus jeune que son frère Kof. Il allait bientôt se marier avec Mélinda Fréchette, une fille qu'il avait rencontrée dans une réunion des AA (alcooliques anonymes). C'était il y a deux ans, alors qu'il raccompagnait son frère Kof qui venait de perdre son permis de conduire. Conduite en état d'ébriété: l'ordinaire de Kof…

Il s'appelait Kof, d'ailleurs, parce qu'il faisait «kof! kof!» quand il toussait. Son vrai nom c'était Marcellin Laverdure. Mais personne ne l'appelait Marcellin. Pas même son frère qui allait se marier. Tout le monde l'appelait Kof. Kof lui-même s'appelait Kof. Et il portait un tee-shirt avec son surnom imprimé dessus: KOF. On ne pouvait pas se tromper.

Voici que le frère de Kof allait se marier avec Mélinda Fréchette.

Le hic, puisqu'il y a parfois un hic chez les AA, c'est que le dernier amoureux en lice de Mélinda était un fieffé coquin qui faisait de la moto et fendait des crânes à coups de bâtons de baseball. On le surnommait Rocky, parce qu’il aimait bien qu’on le surnomme ainsi.

C’était un petit homme nerveux et barbu qui craignait toujours d’être ridiculisé, compte tenu de son complexe d’infériorité. Rocky et ses amis travaillaient tous pour le shylock du patelin, un gros gras qui prêtait 400$ pour se faire remettre 500$ le premier, jour où ses débiteurs infortunés recevaient leur chèque d’aide sociale.

Rocky était jaloux comme dix de voir sa belle Mélinda lui glisser d’entre les mains. De sorte qu'il menaçait de foutre une râclée au frère de Kof lors de son mariage. Rocky était encore amoureux de Mélinda et ne savait plus comment lui témoigner son amour. Rocky passait son complexe de petit pénis sur son ex, une vraie pute selon lui, qui n'était pas très reconnaissante pour toute cette poudre qu'il lui avait fait renifler gratuitement.

Kof décida donc de payer de la protection à son frère Jean-Frédéric en guise de cadeau de noces.

Il offrit cent dollars au gros Abdullah Bellemare, un colosse de six pieds deux pouces trois cent vingt livres, afin qu'il soit portier lors du mariage de son frère.

Sylvain Bellemare, alias Abdullah, n'était pas un vrai bagarreur mais il représentait une certaine force de dissuasion. Il ressemblait vaguement à Monsieur Net avec son crâne chauve. On ne lui connaissait pas d'ennemis. Il passait le plus clair de son temps à lire des romans russes, accoudé au comptoir du bar La Détente.

- Abdullah veux-tu t'faire cent piastres? lui demanda Kof.

-Qu'est-cé qu'i' faudrait que j'fasse? lui répondit Abdoulah en quittant son Pouchkine publié dans La Pléiade.

-Faut qu'tu soies doorman au mariage de mon frère... Sa future épouse sortait avec un gars d'bécik pis il lui a dit qu'i' calicerait une volée à mon frère le jour de leur mariage... Ça fait que j'te donnerais cent piastres pour être doorman... C’est pour protéger la vie d’mon frère… Tu comprends Abdullah?

-Ok, acquiesça Abdullah sans trop réfléchir. Si jamais ton gars s'pointe j'vais appeler la police!

-As-tu un coat d'habit, une cravate, de quoi ben paraître?

-Pas de trouble... J'vais être chic and swell.

***

Le jour du mariage du frère à Kof arriva.

Cétait un samedi. Kof, au volant de sa vieille Buick, alla chercher Abdullah. Il était accompagné de Ti-Zen, alias le pharmacologue. Ti-Zen était un petit bonhomme pince sans rire qui ressemblait vaguement à Robert de Niro s’il eût été malingre et pauvre.

Évidemment, Ti-Zen ne s'appelait pas le « pharmacologue » pour rien. Il y avait de tout sur lui pour passer de belles noces : herbe, résine, « mush », poudre, buvard. Il était du genre à mélanger tout ça dans un grand verre avec une bière et un whiskey.

Ils firent tous les trois la tournée des clubs de danseuses de la région pour se mettre dans l’esprit des noces. Ti-Zen distribuait des drogues autour de lui comme s’il s’agissait de confettis. Les mariages avaient l’heur de l’émouvoir. Kof et Abdullah commençaient à délirer.

Ils manquèrent la cérémonie de mariage au Palais de Justice. Ils se sont donc rabattus vers la salle de réception du club de golf Migwetch, un endroit un peu rustique mais tout à fait charmant pour les mariages, les baptêmes et les funérailles. C’est là qu’avaient lieu les noces du frère à Kof qui ne s’indigna pas outre mesure de l’absence de son frère à la cérémonie de mariage. Il savait comment il était, Kof.

La mariée avait l’air d’une oie que l’on aurait habillée et maquillée pour la tourner au ridicule. On sentait qu’une bonne paire de jeans lui conviendrait mieux. De plus, elle sacrait comme un charretier.

-Qu’i’ vienne Rocky e’l’tabarnak ! gueulait-elle. M’en va’s l’ouvrir avec un couteau à patates du gorgoton jusqu’à ‘a poche e’l’ciboire de sale !

Quant au marié, le frère de Kof, eh bien on n’aurait jamais cru que c’était le plus grand jour de sa vie, même s’il le criait sur tous les toits depuis une semaine. Il semblait anxieux. La présence d’Abdullah le rassurait un tant soit peu mais lui rappelait surtout qu’on n’assurerait plus sa protection les jours suivants.

-C’est un hostie d’fou Rocky ! confia le frère de Kof au débonnaire Abdullah. Il a dit à Gina, la meilleure amie de Mélinda, qu’il allait me dévisser la tête pis me chier dans l’corps !

-Fais-toé z’en pas e’l’nouveau marié, répliqua Ti-Zen, les yeux légèrement cross-side, tenant en ses mains une de ces cigarettes qu’il roulait lui-même dans du papier Zigzag.

-Pourquoi tu fumes des cigarettes dans d’l’hostie d’papier Zigzag ? lui demanda Kof. C’est pas fumable calice ! Même pour les joints ! Ça s’éteint tout l’temps… Moé j’opte pour le papier à rouler Export A !

Ayant dit cela Kof fit signe au gros Abdullah. Il cligna de l’œil en pointant l’une des poches de son froc de jeans.

-Qu’est-cé ? lui demanda Abdullah.

-Fouille dans ma poche Abdou pis roule-nous un joint !

-Ça fait aussi partie de tes tâches Abdou… Faut qu’tu roules les joints, ajouta Ti-Zen…

-Ok d’abord mais vous allez le regretter parce que j’roule tout croche, conclut Abdullah en s’emparant du sac d’herbes et du papier à rouler Export A que le magnanime Kof cachait dans son froc.

Abdullah roula le joint et le trio s’en alla le fumer loin des regards indiscrets, juste derrière le conteneur à déchets.

Kof et Ti-Zen zigzaguaient déjà. Abdullah, droit comme une barre de fer, tenait son poste à l’entrée de la salle de réception, les jambes arquées, les bras croisés, prêt à toute éventualité, dont celle d’avaler des mouches.

Tandis qu’Abdullah était bouche bée devant l’entrée, Ti-Zen s’acharnait à diffuser sa légende. Ti-Zen inventait toutes sortes d’anecdotes sur Abdullah pour impressionner les noceurs ainsi que le personnel de la salle de réception du club de golf Migwetch.

-Abdullah est ceinture noire quinzième dan en cogne-fou ! I’ peut fendre quinze briques d’épaisseur d’un coup de poing… I’ touche au plafond avec ses pieds quand ses jeans n’sont pas trop serrées…

Toute la soirée fût particulièrement arrosée. Depuis les noces de Cana, on a rien trouvé de mieux que l’ivrognerie pour les mariages. Et on n’allait pas être en reste pour le mariage du frère à Kof.

On y consomma, entre autres, beaucoup de poudre. Surtout dans les toilettes. Ce qui finit par attirer l’attention du personnel de la salle de réception, plutôt porté sur le respect des lois. Le pire d’entre tous était Tommy Quèqueux, un avorton qui jouait aux gros bras avec sa petite tête. C’était la copie conforme de l’inspecteur Javert, un obsédé qui méprisait tous les drogués, voleurs et autres Jean Valjean.

Comme il se rendait aux toilettes pour sa pisse régulière, Tommy Quèqueux tomba sur Kof et Ti-Zen. Les deux étaient comme larrons en foire et ils reniflaient de la poudre sur le comptoir de la salle de bain à l’aide d’un vieux billet de vingt dollars roulé de manière à former une paille.

Tommy Quèqueux n’osa même pas pisser. Il retint son pipi et fonça sur Abdullah pour lui révéler tout ce qu’il savait à propos du crime qui était en train de se commettre dans les toilettes du Migwetch.

-M’sieur ! M’sieur ! glapit Tommy Quèqueux. C’est vous l’doorman pour la soirée, hein ?

-En effet, répondit laconiquement Abdullah, l’esprit un peu confus par tout ce qu’on venait de lui faire absorber pour tenir le coup.

-C’est parce que je viens de voir deux gars en train de sniffer dans les toilettes… I’ sniffent de la drogue !!!

-De la drogue ? questionna Abdullah.

-Oui ! De la drogue ! renchérit Tommy Quèqueux.

Abdullah crut bon d’aller faire un tour dans les toilettes pour sécuriser les lieux. Il y trouva nos deux compères, Kof et Ti-Zen, encore appliqués à renifler de la cocaïne.

-Aaaaaaaaaaah ! Si c’est pas notre meilleur ami Abdou ! hurla Kof en lui tendant le billet de vingt dollars roulé en forme de paille.

-Sniffe un coup mon homme ! C’est parce que t’es mon meilleur ami ! répliqua Ti-Zen.

Évidemment, bonne pâte comme il était, Abdullah ne voulut pas refuser ce présent, même si ce n’était pas dans ses habitudes de consommation. La blanche, ça le faisait gerber. D’abord pour le prix. Et pour le buzz, qui ne lui disait rien du tout. Pour lui, la poudre c'était avant tout un trip de niaiseux.

Néanmoins, il est toujours poli d’accepter ce que l’on nous donne.

Et Abdullah n’allait pas trahir cette règle de savoir-vivre.

Il sniffa un bon coup, puis encore une fois, jusqu’à ce que ses yeux roulent dans leurs orbites.

-Oua ! Hostie ! Ça t’débouche un nez ça ! Urmphe ! Snirf! Wo minute ! déclara-t-il.

Puis Abdullah sortit illico des toilettes. Tommy Quèqueux l’attendait de l’autre côté.

-Et puis ? lui demanda Tommy, avec son air anxieux d’ange exterminateur.

-Hum… lui confia Abdullah. Ils m’ont dit qu’ils ne recommenceraient plus !!!

L’affaire était réglée. Il ne lui restait plus qu’à retourner à son poste pour attendre Rocky et sa bande de motards.

Ils ne vinrent jamais, évidemment.

Les noces se déroulèrent presque sans anicroche. Deux gars se donnèrent des claques sur la gueule pour une raison plus ou moins claire. Abdullah ne s’en mêla même pas. L’ivresse eut raison des deux bagarreurs. Ils s’endormirent tous les deux près de la bâtisse, saouls morts.

Vers une heure du matin, Kof offrit un lift à Abdullah.

-C’est fini mon homme. I’ sont tous partis… Une p’tite bière au centre-ville ?

Pourquoi pas… Abdullah et Kof reprirent la route. Kof était saoul, ne portait pas de ceinture de sécurité et sniffait sa poudre sur un vieux catalogue de Canadian Tire tout en conduisant.

Il n’y eut pas d’accident.

Ni d’incident.

Ni de bagarre.

Ni rien.

Ils continuèrent de se saouler dans quelque bar miteux. Puis le reste, franchement, ça n’intéresserait personne.

C’était somme toute un mariage bien ordinaire.

Ce n’était que le mariage du frère à Kof.

vendredi 17 septembre 2010

À propos de la tombe de Tolstoï

Je suis en train de lire une biographie de Tolstoï rédigée par Henri Troyat.

Comme c'est toujours le cas, une lecture nous mène à une autre lecture, puis c'est encore une autre, jusqu'à ce que j'en aie marre de ce sujet.

J'approfondis Tolstoï parce que, d'emblée, même ses défauts me semblent sympathiques.

Je découvre un tout autre Tolstoï. C'était bien plus qu'un romancier. C'était aussi un pédagogue hors pair et, malgré tout, un homme juste à une époque toute tissée de contradictions.

Il a favorisé l'éducation du peuple en appliquant des méthodes qui me rappellent vivement celles de mon professeur de philosophie, Alexis Klimov. Tolstoï appliquait la liberté. Et favorisait même la révolte. N'importe quoi pourvu que cela ne soit pas de la tiédeur.

Tolstoï devint aussi un ardent défenseur des droits de la personne. Et les tolstoïens, tel Vladimir Korolenko, résistèrent longtemps à la dictature sous Lénine, Trotsky et Staline. Ils freinèrent l'exécution d'untel ou de telautre, sans ciller des yeux devant les despotes sanguinaires, réclamant la mansuétude du pouvoir au nom d'un humanisme qui réussissait à faire plier les genoux de Saturne, histoire qu'il cesse un moment de dévorer ses propres enfants.

Donc, c'était un grand Tom ce Tolstoï.

Un grand Tom qui s'est fait enterrer en toute simplicité. Pas de croix. Pas de pierre tombale. Rien.

Au hasard de mes pérégrinations sur le ouèbe, je suis tombé sur ce petit texte de Stefan Zweig, le roi des biographes toutes catégories confondues.

 Zweig a visité la tombe de Tolstoï, à Iasnaïa Poliana, cette légendaire «clairière lumineuse» où vivait Tolstoï.

Il raconte avoir été ému par cette tombe sans inscription:

«(...) cette tombe est la plus impressionnante du monde par son émouvante simplicité, Un petit monticule quadrangulaire au milieu de la forêt, dominé par de grands arbres - nulla crux, nulla corona! pas de croix, pas de pierre tombale, pas d'inscription, Le grand homme est enterré anonymement, lui qui a souffert comme aucun autre de son nom et de sa gloire, tout comme un vagabond qu'on aurait trouvé, par hasard, comme un soldat inconnu. On n'empêche personne de s'approcher de sa dernière demeure, La légère palissade qui l'entoure n'est pas fermée. Rien d'autre que la vénération des hommes ne protège le dernier repos de celui qui n'a jamais trouvé le repos dans sa vie. Tandis qu'ailleurs la curiosité se presse autour du faste d'un tombeau, la simplicité décourage ici toute badauderie. Le vent murmure comme la parole de Dieu par-dessus la tombe de l'anonyme. Il n'y a point d'autre voix, on pourrait passer là et se dire seulement que quelqu'un y est enterré, un Russe quelconque dans la terre russe. Ni la crypte de Napoléon sous la coupole de marbre des Invalides, ni le cercueil de Goethe dans le caveau des princes, ni les monuments de l'abbaye de Westminster n'impressionnent autant que cette tombe merveilleusement silencieuse, à l'anonymat touchant, quelque part dans la forêt, environnée par le murmure du vent, et qui ne livre par elle-même nul message, ne profère nulle parole.» (Stefan Zweig *)

J'ai encore plein de trucs à apprendre de ce grand Tom.

Il va m'occuper l'esprit encore longtemps, Léon Tosltoï. D'autant plus qu'il a écrit des briques. Guerre et Paix, Anna Karénine, Les Cosaques, Jeunesse, Enfance, Adolescence: ça ne se lit pas en deux temps trois mouvements.

Bon. Assez écrit. Musique.

__________
Note:
*Vous pouvez lire l'extrait complet sur le site de L'Agora, une encyclopédie québécoise.

jeudi 16 septembre 2010

Pas besoin d'un amphithéâtre: le cirque est en ville!

Des obligations diverses m'ont forcé à laisser de côté mon blogue au cours des derniers jours. Cependant, je vais vous revenir en force. Je rédige en ce moment une petite nouvelle intitulée «Le mariage du frère à Kof». Elle paraîtra probablement d'ici demain.

Par ailleurs, je prépare une exposition de mes tableaux. Le vernissage aura lieu prochainement dans un bar-restaurant connu du centre-ville de Trois-Rivières. Quelques détails à régler et je vous reviens là-dessus.

Enfin, il n'est pas nécessaire de bâtir un amphithéâtre à Trois-Rivières puisque le cirque est en ville...

Bonne journée. Ne me délaissez pas, fidèles lecteurs et lectrices. J'ai encore plein de trucs dans ma boîte de Pandore.

lundi 13 septembre 2010

Non au rodéo ! (suite de la controverse...)

Il y a eu plusieurs échos à ma lettre Non au rodéo! qui a été publiée dans Le Nouvelliste jeudi dernier.

Vendredi, les organisateurs du Festival m'ont répondu dans Le Nouvelliste. Et dans l'édition de samedi, il y a un éditorial et le rodéo est sur la sellette dans la rubrique Opinions du Nouvelliste.

Ma lettre:
http://www.cyberpresse.ca/le-nouvelliste/opinions/201009/09/01-4313912-non-au-rodeo.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B2_opinions_465_section_POS3

La lettre des organisateurs du Festival western de St-Tite:
http://www.cyberpresse.ca/le-nouvelliste/opinions/201009/10/01-4314276-oui-aux-rodeos.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B2_opinions_465_section_POS2

Ma réplique:

Je me suis trompé pour St-Tite. On n'attache pas les couilles des chevaux pour ce rodéo. On leur met une sangle prêt des parties génitales et on serre très fort. Le but est que les animaux en ressentent un inconfort certain. Il n'échappe à personne qu'il s'y exerce une cruauté inutile envers les animaux. À moins que les 20 000 associations de défense des droits des animaux dans le monde soient totalement dans le champ, à voir du mal là où il n'y a que du plaisir...

jeudi 9 septembre 2010

Non au rodéo! - ma lettre est publiée dans Le Nouvelliste ce matin

Ma lettre ouverte aux organisateurs du Festival Western de St-Tite a été publiée aujourd'hui en page 10 de l'édition papier du quotidien Le Nouvelliste ainsi qu'en version numérique.

Elle s'intitule "Non au rodéo!" et j'y propose de cesser de faire souffrir inutilement les chevaux et les taureaux en leur serrant les testicules ou bien en leur administrant des chocs électriques.

Ma lettre est disponible ici en version numérique.

mercredi 8 septembre 2010

Black-out de la rentrée scolaire 1990

Il n'y avait pas de bizutage à la faculté de philosophie de l'université où j'allais. Nous méprisions ce type d'humiliation consentie. Tout comme nous méprisions l'ensemble des comportements des petits-bourgeois qui nous entouraient.

Nous nous logions à peu près tous dans la frange la plus incandescente de la révolution sociale, de tendance dadaïste, nihiliste ou jemenfoutiste, sinon carrément artiste. Aussi, l'accueil des nouveaux consistait tout bonnement en un souper bien arrosé, jusqu'à ce que les convives zigzaguent autant que faire se peut et se mettent à dormir n'importe où, au hasard d'une halte improvisée où il nous était loisible de délirer sur Lao Tseu, Nietzsche, Élisée Reclus et Diogène de Sinope.

La rentrée la plus spectaculaire fût sans contredit celle de Planète, un freak dans la quarantaine qui s'était fait couper son chèque d'assistance sociale suite à une fraude quelconque de sa part. Pour trouver de quoi survivre sans avoir à travailler, il avait trouvé le moyen de décrocher un chèque du programme de Prêts et bourses en effectuant un retour aux études à l'université.

Dès qu'il encaissa son chèque, le jour même de la rentrée, il entreprit de se saouler la gueule et de se droguer avec la passion qui lui était familière. À midi, il était fini. Il nous avait parlé un petit peu, en souhaitant vouloir devenir philosophe, comme il disait. Il trouvait ça cool la philosophie. L'amour de la sagesse. Et il s'enfilait un verre après l'autre, les yeux cross side.

On le perdit de vue jusqu'à dix-sept heures. J'étais en train de boire ma vingtième bière de la journée, sans doute, histoire de me détendre l'atmosphère. Planète était salement amoché. Il avait déboulé l'escalier qui menait au sous-sol, là où se trouvait incrusté le bar étudiant.

-Oyoyoye! dit-il en riant, le crâne ensanglanté et la peau couverte d'ecchymoses.

-Que s'est-il passé Planète? D'où reviens-tu? lui demandé-je.

-J'viens d'pardre mon char pis mon permis calice! répondit Planète. J'su's rentré dans l'poste de police su' 'a rue des Forges... Saoul raide hostie... J'ai faitte une manoeuvre pour éviter un flic qui sortait de son char pis j'su's rentré dans l'poste de police...

Pour une rentrée scolaire, j'ai beau fouiller dans ma mémoire, il me semble que c'en était toute une.

Et je ne vous raconte même pas la suite du récit. Parce qu'un black-out, ça ne se raconte pas.

lundi 6 septembre 2010

NON AU RODÉO!

Lettre aux organisateurs du Festival Western de St-Tite

Mesdames, messieurs,

J'aimerais vous sensibiliser au fait que nous avons des devoirs en tant qu'êtres humains. Nous sommes vous et moi des créatures vivantes. Nous faisons partie du Grand cercle de la vie. Tous nos actes envers la vie n'ont rien d'anodin.

Arracher les ailes des mouches par pur plaisir est sans doute l'oeuvre d'un enfant qui n'a pas encore reçu l'enseignement à l'effet de respecter la vie. Il est pardonnable et il ne suffit que de lui faire la leçon. Vous en conviendrez avec moi.

Ne pas faire souffrir les animaux inutilement est une sagesse universelle. Elle est propre à toutes les grandes traditions religieuses et même à l'humanisme athée.

Or, je tiens à vous signaler que les rodéos ne participent aucunement de cette sagesse. Je trouve pour le moins déplorable, par ailleurs, qu'une partie des taxes et des impôts que je paie serve à l'organisation de ces séances de torture lors de votre festival.

Vous savez sans doute que l'on attache les testicules des chevaux et des taureaux lors de ces rodéos pour les rendre hors d'eux-mêmes. On leur sert des décharges électriques dans les parties génitales et, hop! voilà un farouche cow-boy sur le dos de la pauvre bête devant des tas de gens qui s'amusent comme si l'on arrachait les ailes des mouches au milieu de la piste...

Vous ne trouvez pas que c'est inhumain, barbare et cruel?

J'apprécierais une réponse de votre part à ce sujet. J'aime la musique western, écoute Johnny Cash régulièrement et en joue même sur ma guitare. Je vous encourage à poursuivre ce beau festival, cet hommage à la musique que j'aime.

Néanmoins je déplore que l'argent de mes taxes et mes impôts servent à faire souffrir inutilement les chevaux et les taureaux, voire les veaux ou les cochons. Cela m'agace que ce genre d'événement soit financé par l'État. Je me sentirais lâche de ne pas vous le dire alors que je sais d'avance que des tas d'animaux vont souffrir à St-Tite, du 10 au 19 septembre prochains.

Récemment, la Catalogne a mis fin aux corridas. Le gouvernement de la Catalogne a voté une loi qui me semble sage et humaine.

Le western peut se passer des rodéos aussi bien que moi, en tant que métis d'ascendance algonquine, je me passe volontiers des scalps.

Je suis loin d'être hypersensible. Je mange même de la viande. Mais la cruauté n'a aucune raison d'intervenir dans la vie, à partir du moment où nous savons qu'il est malsain d'arracher les ailes des mouches ou bien d'attacher les testicules des martyres du rodéo.

Vous seriez gentils de retirer le rodéo de la programmation de votre festival.

Recevez, Mesdames, Messieurs, mes salutations et remerciements pour l'intérêt que vous portez à ce que je crois être de l'humanité face à nos amies les bêtes.

Gaétan Bouchard

***

NON AU RODÉO!

Faites comme moi, si vous trouvez que c'est cruel. Envoyez une lettre aux organisateurs du Festival Western de St-Tite!

Leur courriel: info@festivalwestern.com

samedi 4 septembre 2010

Le royaume de Henri Ford

Il était une fois un royaume lointain où il y avait de rhum et du romarin.

Le roi du royaume s'appelait Flageolet. Henri Flageolet.

On le surnommait Henri Ford, alors qu'il aurait été préférable de le surnommer Henri IV, qui ne se prononce pas Henri Ive mais bel et bien Henri Quatre, pour ceux qui en perdent leur latin.

Donc, Henri Ford était le roi de ce royaume lointain où l'on produisait du rhum et du romarin.

Les habitants de ce pays s'appelaient les Romarinichels. Et ils avaient coutume de taper du pied tout en criant des mots ayant trait à la charcuterie.

L'eau était généralement potable.

Et ils ne se mariaient jamais mais avaient beaucoup d'enfants.

Il n'y avait pas d'armée, sinon un consulat de l'Armée du Salut.

Les pauvres avaient coutume d'y porter des casquettes de baseball.

Les riches se peignaient les cheveux avec du gras.

Henri Ford vendait son rhum et tout le monde était saoul.

-Babebibobu! qu'ils faisaient tous. Houba! Houba!

C'était le carnaval ou bien la fête des myrtilles, qu'est-ce qu'on s'en torche.

Tout le monde fêtait, sauf ceux qui voulaient dormir parce qu'il fallait bien que certains travaillent pour payer tout ça.

Les moeurs sexuelles de ces gens étaient normales. Elles surpassaient tout ce qu'un singe peut faire avec son imagination quand ses hormones bouillonnent. À part de ça, ils se lavaient.

Politiquement parlant, rien à dire. La politique n'y existait plus.

Moralité: il n'y en a pas. Comme d'habitude.

vendredi 3 septembre 2010

Reynald ou la vie d'un ivrogne frosté ben raide

Reynald ne faisait pas cinq pieds trois pouces. Il faisait cinq pieds deux pouces.

Petit, les cheveux frisés noirs, il était surtout reconnu pour son indéniable talent d'ivrogne aux accents de polytoxicomane.

On lui devait des tas d'anecdotes savoureuses, comme quoi le buveur des uns devient le bonheur des gaufres - ou quelque truc du genre.

Chacune de ses brosses avaient été consignées dans les annales des traîneux de fond de taverne de toute la Mauricie, incluant la région dite des Bois-Francs.

C'était un bon ébéniste, plutôt énergique et travaillant les rares fois où il était sobre. Comme il se saoulait tout le temps il n'arrivait pas à conserver ses emplois. Il finissait toujours par se faire virer. On le retrouvait généralement à l'hôpital. Il chutait de ses paradis artificiels, comme le Diable. Et on aurait dit qu'il lui ressemblait un peu en pareille occasion. Il devenait fou raide sur la brosse. Les veines lui pétait dans le front. Il se croyait invincible. Néanmoins il ne dépassait jamais le stade de fucking loser.

Reynald défiait au combat tout un chacun et perdait chaque match. Il se faisait toujours crisser des volées. Ou bien la police le ramassait, avec toute la flopée de trous du culs qui vomissent sur les trottoirs aux petites heures du matin en déféquant sur les chars stationnés dans la rue.

Évidemment, tout le corps policier connaissait Reynald. Ils en étaient rendus à tu et à toi.

-Come on Reynald! R'saisis-toé calice! pouvait lui dire l'agent Untel.

Quant à Reynald, il les surnommait tous «hostie d'boeu(f)».

-Hostie d'beu d'calice! J'ai soif calvaire! J'veux boire du forrrt! hurlait Reynald en pareils cas.

On le foutait dans une cellule qui sentait la vieille moppe sale à l'eau de javel. Reynald dégueulait, comme d'habitude, et se faisait refoutre dans la rue quand il avait dessoûlé.

-Marci m'sieur l'agent... Excusez-moé pour hier... qu'il disait à toutes les fois qu'on le faisait sortir du poste de police, tout contrit.

Pour se resaisir, un jour ou deux, Reynald lisait la Bible. Il y trouvait toutes sortes de sagesses qu'il ne savait pas appliquer vraiment dans la vie réelle. Ce qui fait qu'il passait pour un con, saoul ou bien à jeun.

Et quand il était saoul, bien sûr, son charabia biblique venait rehausser son discours d'ivrogne d'un brin d'humanité.

-Le Christ a dit j'su's pas venu apporter la paix mais le glaive!!! qu'il avait hurlé, un soir, en crinquant sa  tronçonneuse au bar Le Trou.

RA-TA-TA-TA-TAW! Tout le monde avait reculé de vingt pieds. Hostie de fou à lier, oui. L'Évangile selon Saint-Mathieu en version hardcore.

Pour ce qui est de ses amours, elles étaient toutes aussi fuckées.

Reynald était tombé sur une tribu qui réflétait les pires aspects de sa personnalité. Il faisait partie d'un quatuor formé de trois dopés et une sorcière. Les trois niaiseux attendaient que la sorcière soit saoule pour qu'elle désigne son amant d'un soir. C'était généralement celui qui avait encore quelque argent pour payer la bière, la poudre ou whatever. Les deux autres s'éclipsaient. C'est-à-dire qu'ils déboulaient l'escalier et allaient vomir ailleurs.

La dernière fois que j'ai vu Reynald, il frappait chez ma voisine à grands coups de poings dans la porte donnant sur la ruelle.

-Donne-moé mon vingt piastres ma tabarnak! Tu m'doés vingt piastres ma tabarnak! qu'il gueulait.

Or, la tabarnak, ma voisine, c'était nulle autre que leur sorcière bien aimée. Elle portait un coat d'hiver au mois de juillet et avait les cheveux gras. Pour le reste, je vous épargne les détails. Mettons que les policiers la connaissaient aussi par son petit nom. Quant aux deux autres gorlos, j'y reviendrai un jour: l'un était barbu et l'autre plutôt grand avec un air d'idiot du village.

Évidemment, comme Reynald gueulait après cette pauvresse pour récupérer un quelconque vingt dollars, ça m'a fait un peu sortir de mes gonds.

-Vas-tu t'la farmer Reynald tabarnak! Wo menute! 'ttends peu! Calice d'hostie d'ciboire! que j'lui ai dit, sans trop faire d'efforts pour ma syntaxe.

-Ok capitaine! J'arrête capitaine! J'm'excuse capitaine! Bonne soirée capitaine! qu'il m'a dit en renonçant à son vingt piastres pour cette fois-là. Je peux être intimidant parfois...

J'oubliais de vous dire, par ailleurs, que la sorcière hurlait elle aussi de son côté:

-Décrisse mon sacrament! Calice ton camp! J'te doés pas vingt piastres, t'as menti mon hostie d'chien sale! etc.

Une fois Reynald parti, le calme revint dans le secteur.

Je n'entendis plus parler de Reynald avant un bon bout de temps, peut-être trois ou quatre ans, sinon par vagues échos: Reynald qui zigzaguait sur son vélo, Reynald qui est rentré dans un poteau, Reynald qui est tombé en bas du viaduc, Reynald qui ceci ou cela...

J'ai appris récemment que Reynald était décédé.

Il s'est fendu le crâne après sa traditionnelle brosse du premier du mois, le jour où il recevait son chèque d'aide sociale.

Il est rentré chez-lui et n'a pas soigné sa blessure. Il est mort d'une forme d'empoisonnement de sang, pendant son sommeil.

On l'a retrouvé dans son logement huit jours après sa mort. Une odeur épouvantable se dégageait de son cadavre. Ce qui fit dire à ses voisins qu'il était loin d'être mort en odeur de sainteté. Pour dire vrai, ça sentait pire que la marde.

Paix à ton âme, Reynald. Qu'on te bénisse un petit peu avant que de crisser tes cendres dans la fosse commune. Au cas z'où...

La sorcière et les deux gorlos sont encore en vie. Pas forts, mais pas morts. Ils se saoulent encore. Sauf que le barbu porte maintenant une couche et dort dans un genre de pavillon pour personnes en perte d'autonomie. Le grand tarlais a donc le champ libre pour vivre un amour tendre et doux avec sa belle ensorceleuse.

jeudi 2 septembre 2010

Apologie de l'ours polaire

Je dois tenir de l'ours polaire. Je supporte les froids extrêmes avec le sourire aux lèvres. Par contre, les canicules me font crever dans un coin en attendant qu'elles passent.

Je voudrais bien écrire une belle petite histoire, fouiller dans mes souvenirs, raccommoder des anecdotes ensemble et masquer les personnages réels de mes récits sous des ruses d'écrivain.

Pourtant, rien ne sort. Sinon la glaire de mon nez. Une petit grippe. Un rhume. Ou bien une allergie. Je ne sais pas trop.

J'en suis rendu à délirer à la première personne du singulier, juste pour vous dire combien bas je suis tombé.

C'est la canicule.

Je suis au point mort. Ne me prenez pas en pitié s'il-vous-plaît. Je vais vous envoyer chier. Je me connais.

Je dois tenir de l'ours polaire. Je suis un peu soupe au lait. Débonnaire quand il bouffe, nage et boit. Un vrai monstre quand il a faim, chaud ou soif.

That's it.