dimanche 24 août 2008

C'EST MISÉRABLE!


Cela faisait un bail que je n'avais pas mis les pieds au Cégep de Trois-Rivières. J'y suis allé récemment avec Massif, l'un des surnoms du fils de ma blonde, tout un colosse croyez-moi. Ce n'est pas pour rien que Massif était joueur de ligne offensive au football, puis passeur de ballon. Que de jeunes footballeurs j'ai vu détaler comme des lièvres, totalement apeurés, devant ce cher Massif qui courait après eux pour les terrasser brutalement d'un solide coup d'épaule. C'était le Super Bowl à chaque fois que nous allions le voir jouer en famille. «Let's go Massif!», que nous gueulions tous en choeur. Et maintenant, de voir Massif faire son entrée au Cégep, ça me fait un drôle d'effet. Comme si la roue de Cronos, alias Saturne, ça tournait trop vite... Je me fais vieux et Massif est devenu un homme.

Néanmoins, on aurait dit que rien ne change au Cégep. Les nouveaux étudiants, surtout les garçons, ont tous la mine renfrognée de l'adolescence, le vocabulaire restreint en présence d'inconnus, les boutons dans la face et tout le reste. Les filles semblent plus confiantes, la tête relevée, plus légèrement vêtues que les gars, cherchant à travers cette masse de jeunes hommes un regard auquel s'accrocher. C'est mon interprétation et elle ne vaut pas grand chose. Après tout, je n'ai pas étudié le sujet pendant des semaines. Rien de scientifique. Juste de l'émotion pure, parce que je suis un écrivain, pas une machine.

Moi et mon adorable Massif nous promenions à travers les corridors du Pavillon des Humanités du Cégep de Trois-Rivières en nous comptant toutes sortes de blagues pas rapport. Je ne vous raconterai pas tout. Vous n'y comprendriez rien. Il est des complicités dans le rire qui ne s'expliquent pas. Un clin d'oeil, une mimique, un geste - et c'est la rigolade pure et dure, intense moment métaphysique, satoris qui valent bien des leçons à mon sens.
Pour son cours de littérature, on lui propose une édition tronquée du plus célèbre roman de Victor Hugo. Massif va lire Les Misérables dans sa version Sélections du Reader's Digest, ni plus ni moins.

Évidemment, ça m'a fait sauter les plombs. Ce qui m'a permis d'enseigner un peu de sens critique à Massif, qui se demandait par ailleurs s'il y avait une machine à rootbeer au Cégep pour étancher sa soif.

Tout en cherchant une distributrice à eau gazeuse, je me suis lancé dans un de mes soliloques de vieux freak sur Les Misérables en version allégée, avec 60% moins de gras, passant de 879 pages à 182, ce qui est tout à fait misérable et parfaitement nul en termes d'éducation. Le professeur de littérature qui fait lire Les Misérables en version allégée ne sera jamais rien d'autre qu'un enseignant, un plouc qui communique juste ce qu'il faut de matière pour collecter son salaire.
-Massif! que j'ai dit à mon joueur de football préféré, ne sois pas étonné, dans tes études, qu'on vous prenne parfois pour des cons. Vous faire lire des extraits du roman Les Misérables plutôt que lire le roman en entier, je trouve que c'est manquer de respect envers votre intelligence. Comme si vous n'étiez pas assez brillants pour lire un roman de 800 pages, ne serait-ce qu'une seule tabarnak de fois dans votre vie!

-Ouin, c'est nul, j'avoue, opina Massif du bonnet. Au fait, 'est où la machine à liqueurs?

-Les Misérables, c'est un christ de bon roman, Massif. Ça raconte l'histoire d'un plein d'marde, d'un hostie de crosseur, d'un bandit, d'une charogne, d'un manipulateur, d'un menteur invétéré, bref d'un restant de prison qui devient juste et bon. Un homme, un jour, lui fait du bien alors qu'il aurait toutes les raisons de le faire crisser en prison. Il l'avait accueilli la veille, pour une nuit, et c't'hostie de plein d'marde, Ti-Jean Valjean, s'est enfui le lendemain avec tous les ustensiles qui brillent un peu pour les r'vendre au pawnshop. Valjean se fait pogner par les boeufs et il dit que c'est le type qui l'a hébergé, la veille, qui lui a donné ces chandeliers en or et cette belle coutellerie. Et...

-'Est où la machine à liqueurs? Y'a-tu d'la rootbeer que'que part?

-...et là, on le ramène menotté devant le gus qui l'a hébergé la veille. Les policiers lui racontent que Valjean prétend que les chandelliers et la coutellerie lui avaient été donnés. Le gus, l'évêque de Digne, un chrétien comme il ne s'en fait plus, couvre le mensonge de Valjean pour le sauver du bagne et des galères. Dans c'temps-là, tu volais un oeuf pis tu faisais vingt-cinq ans de travaux forcés...

-Vingt-cinq ans! Putain! ajoute Massif, par politesse.

-...et là, Valjean capote. Une fois que les boeufs l'aient relâché, n'ayant aucun motif de l'arrêter, Valjean demande à l'évêque pourquoi tout ce cirque. Il est vraiment un bandit, Valjean, et il pourrait même égorger l'évêque, drette là, sans sourciller, en partant avec tout son cash, en plus des chandelliers et de la coutellerie, parce que Valjean n'est qu'un hostie de crosseur. L'évêque de Digne reste digne. Et...

-Y'est plutôt dingue ton évêque, mettons...

-...et il lui accorde une seconde chance. Et tu sais quoi?

-Oui, j'ai vu le film. Il va travailler, puis devenir propriétaire d'un atelier, pis d'une usine. Il va devenir maire de la ville. Pis y'aura toujours un flic à face de rat à ses trousses, toute sa vie. Plus une petite fille qu'il ramasse chez des gens qui abusent d'elle...

-Ok Massif. On va arrêter là notre cours de littérature.

Comme il n'y avait pas de rootbeer au Cégep, nous sommes allés au dépanneur, au centre-ville, pour s'en acheter de la fraîche, de la vraie, bref de la rootbeer A&W.

Il faisait chaud. Elle coulait bien en calice.

-Tu sais quoi Massif?

-Burp! Quoi? me dit-il en rotant sa première gorgée.

-J'pense que t'es mieux d'apprendre le plus possible par toé-même. Si t'as envie de te claquer Les Misérables au complet, vas-y fort. T'es pas obligé de ne lire que la version pour les nuls. Fais-les chier d'aplomb Massif. Lis Les Misérables au complet...

-J'avoue qu'ça s'rait pas mal chien d'leur faire ça.

Nous avons poursuivi notre chemin jusqu'à la maison, en rigolant un bon coup, avec notre rootbeer noire qui absorbait tous les rayons du soleil tandis que nous bloquions tout le trottoir en marchant côte à côte. Massif lâcha quelques rots tonitruants pour m'impressionner.

Ces rots m'ont permis de comprendre que l'éducation est un ensemble de facteurs. Et qu'il vaut mieux roter comme un porc, même en public, que de faire lire Les Misérables en version Sélections du Reader's Digest, comme si l'on traitait les étudiants comme une bande d'abrutis.

2 commentaires:

  1. Frérot,

    Il y a plus d'amour du prochain dans ce dialogue sur les Misérables entre Massif et toi qu'il y en a dans tous les cours de didactique de la Belle province.

    L'aîné

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  2. Touchant!!! J'en apprends davantage sur toi ici, qu'en 16 ans dans la famille à titre de belle-soeur. J'apprécie grandement ;)

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