dimanche 31 janvier 2010

À propos de Black Widow

Elle est souvent là, au coin de la rue. Les gens du quartier en ont plein le cul qu'elle soit là, justement. Elle fait la gaffe. C'est une pute.

Ses clients l'appellent Black Widow. On ne lui connaît pas d'autre nom. Peut-être Germaine Mélançon mais ça reste à confirmer.

Ça dépend des goûts mais Black Widow, franchement, elle n'est pas très jolie. Elle doit claquer dans les cinquante ans et elle fissure de partout. Elle a les jambes arquées comme celles d'un cow-boy. Et elle parle toute seule. Toute saoule. Elle raconte sa vie aux bancs de neige. Elle tarabuste les automobilistes pour tout ou rien. Et elle marche souvent au beau milieu de la rue, se foutant des klaxons, des flics, des déneigeuses.

Black Widow trouve ses clients sans efforts avec son déguisement de pute, sorte de pantalon leggings démodés des années '80 assorti de breloques achetées à vil prix dans quelque marché aux puces. De plus, c'est écrit dans sa face que c'est une pute. Elle s'outre-maquille, Black Widow, et ne se lave pas souvent. Ce qui fait qu'elle parfume sa sueur rance d'un-peu-beaucoup de vanille lavendée qui soulève le coeur et provoque le rot.

On s'étonne toujours de penser qu'il y en a qui trouvent le désir d'asperger Black Widow. Mais la nature humaine étant ce qu'elle est, il se trouve toujours quelqu'hostie de cochon pour se payer une pute de catégorie C. Ses prix sont imbattables. Black Widow te ferait une pipe pour un paquet de cigarettes. Ça se sait. Et tous les hosties de cochons qui font des tours de machine dans le secteur sont là pour voir si Black Widow est libre pour cinq minutes.

-Pute! Pute! font-ils avec leurs klaxons pour faire signe à Black Widow.

Et Black Widow, eh bien elle embarque avec eux et elle les pompe comme elle a appris à le faire. Et elle parle toute seule pendant l'acte. Elle raconte que le prix du pétrole est en hausse ou bien que son chien Bimbo est mort.

Ça prend des hosties de cochons, sérieusement, pour se taper une handicapée mentale.

Heureusement que Black Widow trouve une forme de sagesse dans l'exploitation sexuelle qui est son lot de pute.

-Moé, ça m'paye ma bière pis mes cigarettes... Ah! j'pourrais pas vivre sans ma p'tite bière pis mes cigarettes! I' faut ben y avouère que'ques plaisirs dans 'a vie Jéritol! Moé, d'vider des vieux secs, j'fais ça tak tak tak en trois quatre coups d'poignets. J'sais rien faire d'autre... J'ai essayé d'travailler mais j'rentrais toujours en r'tard... Ouais... Ha! Ha! Dehors partout! I' m'ont crissé dehors partout! Ha! Ha! Pis encore dehors tout l'temps! Aujourd'hui comme hier! Frette ou pas! Ha! Ha! Ah! ma gang d'hostie d'autos plein d'gaz de calice! Pol-lu-tion! Kof! Kof! Mon chien Bimbo est mort gang de mongols!

Black Widow zigzaguait au beau milieu de la rue en livrant son soliloque de la pauvresse auprès des automobilistes qui la contournaient, habitués qu'ils étaient de la croiser, cette satanée Black Widow.

Quelqu'écrivain minable qui passait par là l'a enregistrée sur son Sensa et a tout retranscrit sur son maudit blogue à marde.

Je l'ai lu hier mais je ne trouve plus le lien.

Anyway. On s'en calice. N'est-ce pas?

samedi 30 janvier 2010

Mise à jour du dictionnaire des Saints

Les Saints c'est comme pour n'importe quoi. C'est toujours en mouvement. On croit les avoir tous énumérés et voilà qu'apparaît un mémo de tel ou tel pape, égaré par un greffier qui abusait un peu trop du vin de messe, et toute la nomenclature des Saints vient s'enricher de quelques nouveaux exemples d'amour divin et de chrétienté.

Prenez note, chers lecteurs, que ces Saints ont été ajoutés dans la présente édition de notre fameux Dictionnaire des Saints, notre huitième édition et certainement pas notre dernière.


Pour le bénéfice des abonnés de notre service de presse, nous nous empressons de partager avec vous deux nouvelles biographies, de quoi vous tiendre en haleine jusqu'à ce que vous vous empariez d'une frénésie incontrôlable, l'envie d'obtenir votre propre exemplaire du Dictionnaire des Saints, publié sur papier velin aux Éditions de la Trinité, en la paroisse de Saint-Sicroche-des-Éboulements du diocèse de Wawamakwa, dans le sous-sol du bedeau de la paroisse et patron de l'imprimerie clandestine du coin.


Ernest Gamache
Surnommé Ti-Gars Gamache à St-Sicroche-des-Éboulements
Déneigeur l'hiver et homme à tout faire l'été
Grand lecteur d'hagiographies devant Dieu

***


Extrait du Dictionnaire des Saints (Éditions de la Trinité, St-Sicroche-des-Éboulements, 2010)




St-Sicroche, martyr, mort en 782. Fête le 12 janvier. De noblesse bretonne, Sicroche était parti un beau matin évangéliser la tribu des Vauriens, une tribu d'à peine cent trois têtes, sans feu ni lieu, nomades errant du Pacifique à l'Atlantique en se nourrissant dans les ordures, aux abords des villes et des villages. Il voulut les convertir tous et les supplia d'entendre l'appel de l'amour divin. On le retrouva un beau matin poignardé cent fois, gisant parmi les détritus du dépotoir de Svörg, un petit village perdu dans quelque fjord lointain de la Scandinavie.



St-Tabarnak, fondateur de la communauté des soupirants pour le salut de l'âme des dépressifs, mort en 1967. Fête le 4 juillet. Tabarnak est un moine franciscain défroqué qui a fondé la communauté des soupirants pour le salut de l'âme des dépressifs. C'était en 1962, à Sept-Îles, à côté de la buanderie Mado. Les trente-deux membres de cette commune hippie se levaient tous les matins vers cinq heures pour soupirer, et soupirer encore, umffff, comme ça, toute la sainte journée, en faisant semblant qu'ils étaient dépressifs tout en riant dans leur coeur. Tabarnak est mort pendant l'Expo '67, à Montréal, en traversant la rue. Happé par une voiture au coin des rues Papineau et Sherbrooke. C'était un 4 juillet. Le pape Honoré-de-vous-connaître, pape qui n'a régné que pendant trois heures, sans que personne ne le sache, l'a sanctifié avant que son coeur ne claque à l'idée d'être le successeur de St-Pierre, lui le p'tit gars de Mascouche, Cardinal du Grand Nord québécois.



Ste-Bénite, martyre, morte en 153. Fête le 13 septembre. Bénite a été prise par erreur lors d'un rafle contre des chrétiens. Païenne reconnue, les autorités ne voulurent rien entendre de leur erreur pour la libérer. Elle serait jetée aux lions comme les autres chrétiens. Dans sa cellule, elle rencontra Lupus, l'évêque de Marseilles qui se trouvait là par hasard pour être jeté aux lions après avoir subi mille et un supplices, dont un écartèlement. Lupus la convertit au christianisme et la baptisa. Comme ses membres étaient en charpie, c'est Bénite qui se fit elle-même des signes de croix sur le front avec de l'eau bénite. C'est donc en tant que chrétienne que Bénite monta dans l'arène pour se faire dévorer. Pendant que les lions mangeaient ses entrailles, elle aurait demandé à Dieu de pardonner tout un chacun pour leurs fautes. Puis elle serait morte, comme de raison, au bout de son sang.



Ste-Bine, mère de famille, morte en 1889. Fête le 3 mai. Bine est né pendant la Commune de 1848, sur une barricade à Paris. Elle a ensuite grandi à Ste-Mortadelle, un village de Normandie où il n'y a rien à faire le lundi soir. Elle a eu vingt-huit enfants et elle a toujours torché son mari, un ivrogne notoire qui faisait maison nette quand il revenait de ses beuveries. Même après avoir subi tortures et vexations, humiliations constantes et viols répétés, Bine joua bien son rôle de bonne épouse chrétienne. Elle pria toute sa vie pour que son mari adopte une meilleure conduite. Elle creva l'oeil perforé par un pic à glace. Son mari était un salaud.




Le Dictionnaire des Saints
Disponible bientôt en librairie

Préparé par Ernest Gamache
Alias Ti-Gars Gamache












Les Éditions de la Trinité
St-Sicroche-des-Éboulements (Québec), G1Q 1Q9

Nous n'avons pas de téléphone, la ligne ne se rend pas.


Mais nous avons un courriel, notre ami Butch:

gryzzlyadam@hotmail.com

jeudi 28 janvier 2010

Origène Malenfant

Origène Malenfant était un homme plutôt sobre qui vivait dans le fin fond d'un bois, près d'un lac, au nord de St-Sicroche-des-Éboulements. C'était un petit bonhomme avec des nerfs d'acier, une barbe hirsute et des yeux bleus.

Il était tout fin seul dans une vieille cabane de plywood assez bien isolée et recouverte de papier brique pour mieux résister aux intempéries. Il l'avait construite de ses propres mains.

Personne ne venait voir Origène parce qu'à peu près personne ne savait qu'il habitait là. D'ailleurs, on ne pouvait s'y rendre qu'en bateau, l'été, ou en motoneige l'hiver. Et puis Origène était sans famille, sans amis. Comme il n'était membre d'aucune secte personne ne venait lui dire comment vivre. Donc, il entendait tous les bruits de la forêt quand tout un chacun n'y entendait que le silence.

Origène n'avait pas d'électricité ni de télévision ni de radio ni d'ordinateur.

Il se chauffait au bois et s'éclairait à l'huile.

Il mangeait du poisson, de l'orignal, du castor et même du rat musqué.

Il allait une fois par mois en ville pour aller chercher son chèque de pension de vieillesse au bureau de poste de St-Sicroche. Ensuite, il passait au Marché Gervais & Fils pour ramener les produits de base: farine, riz, pâtes alimentaires, sucre, lait en poudre, savon, dentifrice, etc.

Il rembarquait dans son bateau ou bien enfourchait son skidoo pour revenir dans sa hutte de plywood.

De retour au foyer, il reprenait ses activités: chasse, pêche, trappe, cueillette de fruits, noix et légumes sauvages, etc.

On disait qu'il était un Sauvage et, franchement, c'en était un.

Un vrai de vrai. Qui avait assez fréquenté les humains dans son jeune temps pour pouvoir se passer d'eux pour ce qui lui restait à vivre.

Origène avait travaillé pendant cinquante ans au même restaurant, le Resto Chez Ti-Père, à St-Sicroche. Cinquante ans de loyaux services à titre d'homme à tout faire. À sa retraite, il s'était définitivement retiré dans le fin fond des bois. Et il se lavait tous les jours, même s'il vivait seul.

Quand il mourra, il n'y aura que moi pour écrire son épitaphe.

Ouais.

mercredi 27 janvier 2010

Les deux pieds sur la glace, au beau milieu du Lac St-Pierre

Le Lac St-Pierre, dimanche dernier.

Le soleil nimbe de jaune vif la brume qui s'élève cinq kilomètres plus loin. La voie maritime s'évapore sur le fleuve Magtogoek. Tout est gelé autour, de Baie-Jolie à Berthierville, de Sorel à Nicolet. L'étendue bleue et blanche, calme et glacée. Presque la sensation du désert.

Nous marchons sur une fine couche de neige parsemée de mottes de glace ça et là. L'autre rive n'est qu'une mince ligne de bleu marin. À tracer sans trop appuyer sur le pinceau. Légèrement, comme si l'on transcendait sa main.

Nous sommes vingt-sept sur la glace et c'est comme si nous étions seuls. On ne voit la face de personne. Trop d'espace nous sépare les uns des autres: un vieux avec son chien, des types qui qui se font tirer par de grands cerfs-volants aux motifs colorés, un gus qui s'envole avec un cerf-volant électrique tout aussi bigarré.

Le gus porte un petit moteur électrique et une hélice dans son dos. Il actionne le moteur et voilà qu'il s'envole. Nous le saluons de la main. Il nous salue aussi. On ne sait pas qui c'est. C'est tout naturel que de saluer un type qui s'envole sur ce genre d'appareil.

Même le bruit de ses hélices est bientôt absorbé par les étendues glacées du Lac St-Pierre. On goûte au silence, à cinq kilomètres de la rive, les deux pieds sur la glace, au beau milieu du lac. Un moment magique. De la félicité pure.

Il fait moins trois Celsius. C'est une des plus journées du mois de janvier de ma vie. Rien que du fun toute la fin de semaine. Du fun en plein-air. De la glissade sur tripes à la station de ski de Notre-Dame-du-Mont-Carmel, le Lac St-Pierre, puis une plongée en arrière-pays, St-Élie-de-Caxton, St-Mathieu-du-Parc, nos belles petites montagnes aux abords du Parc National de la Mauricie.

Il fait beau et chaud. La nature semble vierge. Les humains la délaissent pour aller remplir les centres d'achats.

C'est plein dans les centres commerciaux.

Et c'est le désert à moins de dix kilomètres aux alentours, facilement accessible en autobus ou à pieds pour les plus pauvres. De la beauté pure qui ne coûte rien et qui n'intéresse qu'une poignée de fous, dont moi, ma blonde et les vingt-cinq autres qui marchaient sur le Lac St-Pierre ce jour-là.

vendredi 22 janvier 2010

Fuck you FKF!

FKF est un gosse de riche. Marxiste-léniniste dans sa jeunesse, pour irriter son père multimillionnaire, il a couru les manifs et autres mardis gras. À quarante ans, à la mort de son papa, l'empire est tombé entre ses mains.

La première chose qu'il a réalisé, en devenant très très riche, c'est qu'il devrait manger seulement des légumes pour vivre plus longtemps.

Ensuite, c'est clair qu'il passait trop de temps à gérer les relations de travail à cause des syndicats qui l'empêchaient de réussir comme Alho Boubou, cet entrepreneur mauritanien qui possède deux cents esclaves et treize femmes.

-On ne peut pas être compétitif avec les syndicats!

FKF le disait maintenant sur toutes les tribunes et, le plus drôle, c'est que toutes les tribunes lui appartenaient puisque son père avait fait fortune dans les média.

FKF, en arrivant au pouvoir, provoqua plus de cent lock-outs.

Il devint de plus en plus bourgeois et nationaliste. Le sort de son pays lui devint plus important que le sort des pauvres et des travailleurs. La fierté du Québec passait avant tout. Et ce n'est pas les syndicats ou bien les braillards qui venaient lui quêter du fric qui allaient venir nuire à la bonne marche des affaires en ce pays.

Pour ces derniers, il avait conclu qu'il valait mieux leur vendre du rêve, dont des émissions de télé médiocres qui jouaient avec les beaux sentiments seulement pour mieux flatter le Veau d'Or.

De fait, le Veau d'Or était toute une émission... Des tas de nuls s'y rendaient dans l'espérance d'y faire du foin. On choississait les candidats essentiellement selon cette volonté ferme de prodiguer aux téléspectateurs un excellent freak show avec des tas de contenants à ouvrir où se trouvaient des tas de billets verts ou bien un retentissant «vous avez perdu!».

Franchement, avec le Veau d'Or, c'est clair qu'on n'avait plus besoin des syndicats.

-Re-fu-sé! Re-fu-sé! hoquetaient les débiles légers pour que les participants se risquent à ouvrir un autre contenant.

Et le Grand Trésorier du Veau d'Or, FKF lui-même, toujours caché dans l'ombre, répondait au téléphone pour faire une nouvelle offre aux partipants. Encore plus d'argent s'ils se risquaient à ouvrir tel ou tel contenant, une enveloppe ou bien un oeuf en or, tiens.

Quant à moi, je me disais que son Veau d'Or, il pouvait bien se le crisser dans l'cul.

Nous n'avons qu'une vie à vivre et rien ne justifie qu'il faille la vivre en esclave.

Pas d'esclavage pour le pays ou pour les bourgeois.

Fuck you FKF!

jeudi 21 janvier 2010

Crétins de psys-à-deux-cennes

Le pauvre petit revient de Haïti et il a vu la terre trembler.

Il y a eu des blessés et des morts.

On l'a ramené ici et toute une pléthore de pauvres cons se sont mis à parler de thérapie et de psychologie à deux cennes pour le soigner.

Ce qu'il a vécu est triste mais il est en vie. La vie, c'est réjouissant quand on a vu la mort de très près. Ce jeune sinistré, depuis la semaine dernière, en sait bien plus long sur la vie que tous ces mécaniciens de l'âme qui veulent poser leurs sales formulaires dans sa tête. Épargnons-lui ce mauvais sort s'il-vous-plaît...

Voilà que les psys-à-deux-cennes se jetteront dessus comme des vautours et déjà cela me donne envie de vomir sur ma société riche, une société malade dans la tête et pas trop solide sur ses jambes si vous voulez mon avis.

Pendant ce temps, des milliers d'enfants et d'adultes crèvent de faim et de soif à Port-au-Prince et aux alentours. Ils ne verront jamais de psy-à-deux-cennes et se porteront mieux s'ils trouvent de quoi à boire, manger et survivre. L'estime de soi et les psys-à-deux-cennes, c'est pour les pays riches. Pour les pays plus que pauvres, il faut juste du riz, du pain, de l'eau...

Les sociétés riches sont indignes. Les mollassons hypersensibles et gluants, les dépendants affectifs et les malades mentaux qui s'ignorent ont la cote.

Que ferait-on sans cette psychologie à deux cennes qui nous réconforte devant le malheur, la merde et la mort?

On deviendrait des hommes et des femmes, tout simplement.

Assez forts pour se relever dans le malheur.

Assez forts pour l'entraide, la vraie, qui se jauge avec l'effort physique et pas seulement avec des discours creux.

La foi n'est rien sans la charité et l'intelligence sans le don de soi, c'est juste du calice de braillage de tarlais sale. De la bouette mentale pour des fuckés d'la calotte qui se pensent pour de grands esprits parce qu'ils ont lu le manuel de Kid Kodak, un épais qui ne sait même pas attacher ses souliers et trouve réponse à tout.

Le pauvre petit sinistré de retour dans notre belle société riche se fera fouiller le cerveau par les psys-à-deux-cennes. On lui paiera une sortie à Disneyland.

Les enfants demeurés là-bas, dans la zone du séisme, devront tout simplement digérer ce qu'ils ont vu, relever leurs manches et travailler jusqu'à bout de souffle. Ils deviendront grands et forts, avec un peu de chance. Et peut-être qu'ils ne passeront pas tout leur temps à pleurnicher en pensant au passé.

mercredi 20 janvier 2010

AOÛT 1977: CHEZ-NOUS, VOLEUR, COUPER MAIN!

Herménégilde Dupont n'était pas un gars achalé. Ce solide gaillard, retraité de la Céhayepi *, n'avait pratiquement pas de terrain derrière comme devant chez-lui. En fait, il n'y avait pas un arbre dans le quartier, hormis celui de ses voisins immédiats, les Gonthier, qui avaient planté un lilas sur le pied carré de terrain vague qui leur tenait lieu de jardin.

Dupont avait décidé d'y planter des tomates, des piments, de la salade, des haricots et des radis, comme du temps où il vivait à la campagne sur la rive Sud, à St-Rémi-de-Tingwick. C'était dans les années '30. Ce qui ne rajeunissait pas Dupont. Et d'ailleurs, c'était le temps qu'il songe à s'acheter un nouveau dentier. Celui qu'il portait était pas mal ébréché.

Donc, c'était l'été de 1977. Le Parti Québécois était au pouvoir et la plupart s'en calissait dans le quartier. C'est bien beau vendre du rêve mais le peuple ne rêve pas quand il a faim. Il compte chaque sou. Et il n'a pas ces appétits des beaux parleurs qui souhaitent devenir calife à la place des calices.

Mais laissons-là ces politicailleries et retournons au potager de Dupont, le retraité de la Céhayepi, cinq pieds quatre pouces, toujours rasé de près, cheveux clairsemés sur le front, teints en noir et ramenés par derrière avec du Brylcreem.

D'abord, le potager était situé au beau milieu de la rue P'tite-Pologne, près de la Wabasso. Sur la rue, on le sait déjà, il n'y avait que le potager et le lilas des Gonthier pour rappeler qu'il y avait de la végétation dans le coin. On aurait dit des boîtes en papier briques entassés sur un terrain de stationnement avec derrière un terrain vague pour ramasser les vidanges. Même que derrière c'était plus beau que devant, plus naturel.

Un potager dans le quartier, c'était du nouveau. Et les voleurs en profitèrent, évidemment. Ou bien le voleur. On a jamais su c'était qui et combien ils étaient. Les hosties de crottés ont volé les piments de Dupont et quelques tomates par une nuit chaude du mois d'août. Dupont était dehors, ce matin-là, avec sa bière, les gaguettes en l'air parce qu'il était en beau tabarnak.

-Tabarnak d'hostie d'voleur de calice! Que j'te me le pogne c't'hostie d'chien pis j'm'en va's i' faire vouère des étouèles moé calibouère!

Gonthier opina du bonnet. Il n'avait pas de bière dans les mains puisqu'il ne buvait pas. Il mesurait cinq pieds dix pouces et demi. Pesait deux cent cinquante-deux livres. Il n'utilisait pas de Brylcreem mais peignait ses cheveux comme Dupont les peignait et plein d'autres les peignaient encore ainsi dans le quartier hormis les filles, les drogués et les hippies. Gonthier travaillait pour la ville. Il chauffait des autobus. Et il n'avait pas d'auto. Il n'avait pas besoin de ça, un char. C'était une deuxième famille, un char, et sa famille était constituée de huit garçons qui mangeaient comme des ogres.

-Ouin, dit Gonthier. Voler des retraités d'la Céhayepi dans un quartier pauvre, faut-i' qu'i' souèyent des hosties d'pleins d'marde, hein?

Sur ces dires, voilà qu'arriva monsieur Phêt. C'était un Cambodgien dans les soixante-dix ans qui venait d'arriver au Québec avec sa famille, des réfugiés qui avaient fui Helter Skelter alias Pol Pot ainsi que son armée de cannibales, les Khmers rouges.

Monsieur Phêt mesurait cinq pieds quatre pouces, comme Dupont, et il ressemblait vaguement au Dalaï Lama avec plus de cheveux. Pour ce vieux Cambodgien, rien n'était plus beau que le potager de Dupont et il prenait un plaisir fou à discuter avec Dupont de trucs agricoles. Monsieur Phêt avait grandi à la campagne, comme Dupont, avant que de devenir architecte à Phnonm Penh. Comme il portait des lunettes, il avait dû s'enfuir puisque tous ceux qui portaient des lunettes étaient systématiquement conduits vers l'extermination par le travail forcé.

-Chez-nous... Voleur... Couper une main! déclare-t-il à Dupont, en furie lui aussi de savoir qu'on avait pillé son potager.

-Tabarnouche! de s'étonner Dupont.

-Voler deux fois? Couper deux mains! poursuivit monsieur Phêt.

-Ah ben j'ai mon voyage! de renchérir Dupont.

-Voler quatre fois? Plus capable de manger. Plus capable de marcher, rajouta monsieur Phêt.

-Ben icitte, de poursuivre Gonthier, on lui fera faire des travaux communautaires pis on va signer qu'il les a finis avant qu'il les ait finis... Hein Dupont? Ha! Ha!

-Y'avait juste à m'en d'mander. Un piment? Une tomate? Tiens mon ami, sers-toé! J'y en aurais donnés tabarnak! de conclure Dupont en prenant une autre gorgée de bière.

-Chez-nous, voleur, couper main! répéta monsieur Phêt.

_________________

*Céhayepi = CIP-Canadian International Pulp and Paper Company)

mardi 19 janvier 2010

Star Wars, franchement, c'était un chef d'oeuvre


Le Cinéma de Paris présentait Star Wars ce samedi-là. Wow! Quel film! Des rayons laser et du son dans l'espace à n'en plus finir.

Comme s'il pouvait y avoir du son dans l'espace! Zacharie alias Zac n'avait que douze ans mais il avait déjà du jugement et remportait chaque année un livre parce qu'il était le jeune qui empruntait le plus de livres à la bibliothèque municipale. Ça vous en bouche un coin, hein?

Zac tomba sur le marquis de Sade aussitôt qu'il eût le droit d'emprunter du côté de la section des adultes. C'était le mois dernier. Il en était à Nietzsche, Marx et Darwin. Cependant, Zac y allait aussi avec méthode. Ainsi, il avait lu tous les Astérix ainsi que toutes les monographies en français résumant l'univers des sciences de l'année 1977 en descendant.

Zac ne voulait pas tout se farcir avant que d'avoir compris un tant soit peu la lexicocraphie de chaque domaine d'activité humaine. Ce qui fait que, oui, il savait déjà qu'il n'y avait pas de son dans l'espace, ni de musique, ni de Star Wars.

Il n'y avait que la réalité brute, comment s'en sortir face aux Dath Vader qui encerclaient le royaume de son enfance.

D'où l'épée de lumière. Zip-heu-zip-heu-zoup. Le bâton de lumière tranchant. Qui vous découpe en rondelles. En autant que vous soyez du côté lumineux de la Force, et non de son côté obscur. La justice, quoi. Tout ça dans l'épée de lumière. Zip-heu-zip-heu-zoup. «Faisons semblant de tripper ça même si c'est un peu enfantin», se disait Zac en lui-même, tout en appréciant à sa juste mesure les effets spéciaux.

-Il y a du génie dans cette oeuvre cinématographique, déclara Zac à la sortie du cinéma de Paris. Il n'est pas inconcevable de classer Star Wars au rang des chefs d'oeuvre du cinéma. En effet.

-Qu'est-cé tu dis? lui disaient ses amis, Zef le ref et Zouf le roux.

-Star Wars c'est du fake tabarnak! leur traduisait-il.

La bande se surnommait les trois Z et ils se prenaient pour les Zorros du quartier. Ils étaient tous les trois très grands et très gros puisqu'ils travaillaient tous les trois à la rôtisserie du quartier. Ils mangeaient essentiellement du poulet bourré d'hormones de croissance et d'antibiotiques, du fromage en grains et des patates.

Les tois Z venaient de voir Star Wars, l'épée de lumière, le côté lumineux de la force, lorsqu'au détour d'un ruelle, ils tombèrent sur des tubes fluorescents. Des bâtons de lumière. C'était derrière la pharmacie du quartier. Évidemment, les tubes étaient brûlés. Mais ils ressemblaient à s'y méprendre à des épées de lumière.

Chacun prit son épée de lumière et ça se mit à feindre des mouvements et des attaques, tout le long du chemin, d'une ruelle à l'autre, qui les ramènerait au fin fond de leur faubourg à la mélasse, à l'ombre de la shop.

Zef le ref en faisait toujours plus que les autres.

-M'en va's casser mon épée chez 'es Garamond! Vous êtes pas game!

Zac et Zouf le roux n'était pas de la partie. Pas question qu'ils embarquent là-dedans, le côté sombre de la farce.

Zef le ref prit leurs épées et les balança sur la voiture des Garamond. Trois tubes fluorescents sur une voiture ça magane la peinture... Les Garamond étaient en beau tabarnak.

Les trois Z partirent à courir, évidemment. Et la police finit par mettre la main au collet de Zef le ref qui paya pour tout le monde, une fois de plus. On l'envoya au pavillon de la jeunesse. Ce qui veut dire prison.

C'est pas pour excuser le geste de Zef le ref mais Zac m'a rappelé que les Garamond étaient des tabarnaks eux autres aussi. Une famille d'accueil pour le cash. Ils gardaient six enfants et les six passaient tout leur temps dehors pour pas déranger les Garamond. Ils sortaient à huit heures le matin et devaient rentrer seulement à quatre heures et demi. L'hiver, c'est frette en hostie. Les p'tits des Garamond traînassaient sur les patinoires ou bien volaient des trucs dans les centres d'achats pour se nourrir.

Zef le ref n'était pas particulièrement sensible à ça.

Ou peut-être si.

Faudrait lui demander.

Quant à Star Wars, franchement, c'était un chef d'oeuvre.

lundi 18 janvier 2010

La beauté de Trois-Rivières

Un type a écrit récemment une lettre dans mon quotidien régional, Le Nouvelliste, où il laissait entendre que le développement de Trois-Rivières passait par le béton .

Le Nouvelliste a publié ma réplique dans l’édition d’aujourd’hui. La voici.


***

LA BEAUTÉ DE TROIS-RIVIÈRES

En réponse à l'opinion de François Pellerin «Mettons Trois-Rivières sur la carte»

Trois-Rivières n'est pas Montréal, heureusement, et je souhaite que ma ville natale demeure une ville faite pour les humains. Je ne vois pas le progrès dans le fait de se doter d'infrastructures pharaonesques que nous ne serons pas capables de nous payer et qui seront de plus d'une laideur architecturale consommée. Nous ne sommes pas trois millions d'habitants à Trois-Rivières. Il n'y a que 135 000 humains ici, avec des poumons, des coeurs, des visages, des jambes et des mains.

La beauté de Trois-Rivières est plus que jamais menacée par une poignée de promoteurs improvisés qui l'enfouiraient sous des kilotonnes de béton et de stucco, comme si c'était la capitale d'une quelconque république de bananes.
J'aimerais mieux y voir des pins et des érables que d'assister à la croisière s'amuse en version cheap pour les pollueurs professionnels et autres petits esprits qui vivent encore au XIXe siècle en terme de développement humain.
Ma vision est probablement partagée par une bonne partie des résidents du secteur qui n'ont pas ce génie des chiffres, ces obsessions de grandeur et ces tics de mégalomanes qui croient que le développement ne passe que par les entrepreneurs, les enveloppes brunes et les chèques en blanc.

L'eau de la rivière est plus propre qu'avant. Des tas d'oiseaux sont revenus habiter l'île Saint-Quentin. On peut même se baigner dans le fleuve l'été. Ça, pour moi, c'est du développement durable. C'est du concret. C'est de la beauté pure, qui vaut mille fois ce que Jos Blo peut construire avec ses chèques et ses petits camions Tonka.

Et parlant de déficit, il y en a un autre qu'il ne faut pas oublier. Il s'agit du déficit démocratique. Ceux qui se prennent pour Napoléon Bonaparte vont tous finir par connaître leur Waterloo. Ici comme ailleurs. Leur temps achève, fort heureusement. Si la tendance se maintient, ça va changer drastiquement à l'hôtel de ville de Trois-Rivières.

Trois-Rivières-sur-Saint-Laurent? Je n'en ai rien à cirer. Ma ville n'est pas le jouet des mégalomanes qui voudraient devenir Dieu, Jean Drapeau ou Niazov-le-grand. C'est mon milieu de vie. Mon habitat. Là où je respire mon oxygène. Je suis fier d'être Trifluvien à cause de la rivière, du fleuve, des espaces verts. Je ne trouve aucun motif de fierté dans le béton.

Par ailleurs, je crois que la population devrait se réapproprier ce lieu en se foutant royalement des délires de nos petits potentats urbains qui carburent au monoxyde de carbone. Laissons les énergies fossiles et le passé aux dinosaures. Ayons enfin une vraie vision d'avenir: plus d'espaces verts, moins de pollueurs et moins de béton! On est en 2010, pas en 1950. Papa a raison, c'est out. Ça fait non seulement ringard, mais épais dans le plus mince.

Le développement économique viendra si nous faisons de Trois-Rivières une ville qui ne fera plus fuir les médecins et autres esprits délicats qui ne veulent pas vivre comme des brutes. Nos meilleurs atouts sont notre eau propre, notre bibliothèque et notre université.

Tout ce qu'il faut pour développer une économie du savoir et attirer des gens brillants dans notre région. Tout ce qu'il faut pour freiner l'exode des cerveaux de notre belle région dévastée par une poignée de promoteurs sans scrupules.

La beauté de Trois-Rivières est cachée sous le béton. Sous le béton, il y a la plage. Une plage qui s'étendait du pont Duplessis jusqu'au pont Laviolette il n'y a pas si longtemps. La plage de mes ancêtres algonquins.

dimanche 17 janvier 2010

RAMACHTAPOUET LE CHTAMAFARBOÉ

Ramachtapouet le Chtamafarboé vivait dans une hutte aux confins de l'univers connu. Son monde n'existait plus depuis des milliards d'années mais avec le procédé Lemieux il était maintenant possible de lire dans le passé du cosmos comme dans un livre ouvert.

Igor Lemieux, ingénieur quantique à la retraite, âgé de cinq cent soixante-huit ans, avait découvert ce procédé et maintenant tous les archéologues amateurs de l'univers connu s'en donnaient à coeur joie pour tracer un portrait de tout ce qui n'était que supposé jusque là.

Le procédé Lemieux est complexe mais en même temps fort simple. Il consiste en une légère modification de l'oscilloscope biologique à captations extra-sensorielles, une invention devenue aussi banale que le détecteur à variation du champ ionien que tous les adolescents s'achètent avec leurs micropoints chez les détaillants Kosmos For All, sur la huitième planète bleue de la constellation des grimauds noirs, une sorte de gingembre au goût de vanille.

Grâce au procédé Lemieux, voilà qu'on lit dans le passé comme dans du beurre de synthèse au chlapoutis de Kaskas, la planète géante de la bouche des trois soleils.

On a qu'à cibler l'endroit de l'univers qui nous intéresse, régler la portée de captation, et voilà que les temps anciens nous parlent. On voit tout ce qui s'est passé. On peut même obtenir des condensés instantanés pour des visites plus rapides qui correspondent au ryhtme effréné de nos vies de maîtres de l'univers.

Ramachtapouet le Chtamaforboé, près de sa hutte, ne savait sans doute pas que des tas d'ados le regardaient vivre, loin là-bas, dans l'avenir. Il était le spotlight du jour, Ramchtapouet. Tout le monde se partageait les images de ce gars qui vivait auprès de sa hutte aux confins de l'univers connu, il y a de celà des milliards d'années.

Ramachtapouet se sentait observé. Avec le procédé Lemieux, tout le monde se sentait maintenant observé, même les gus qui vivaient dans le passé, dans cette lumière qui nous était transmise aussi nettement que si ça s'était passé il y a deux heures. Avec des tas d'options: condensés, angles économiques, culturels, biologiques, agriculture, guerres, cataclysmes, statistiques, best of, au hasard, etc.

Vraiment une chouette invention, le procédé Lemieux.

Je ne serais pas surpris qu'Igor Lemieux reçoit le prix interstellaire de l'année pour son invention qui nous amuse tous un peu. Et qui nous permet de partager des tas de dossiers archéologiques à contenus exhaustifs, dont Ramachtapouet, un gars qui aurait eu son importance dans ce monde-là.

C'était une sorte de messie qui disait aux autres mêlez-vous de vos oignons et tout ira bien, ne mangez pas avant que de bien vous être lavés les mains, soyez aimables et gentils et la vie vous sourira. On le voit en choississant l'option fastforward sur l'appareil produit par KFA.

Ramachtapouet donna naissance au ramachtapouétisme, une religion intolérante qui faisait couper la tête de tout le monde sous n'importe quel prétexte. Un problème d'interprétation des textes fondateurs du ramachtapouétisme, textes d'autant plus inégaux et fabulateurs que Ramachtapouet n'a pas écrit une seule ligne de son vivant. Comme il y avait un trou noir dans le coin, eh bien tout a été aspiré autour. Pfuit! fini le ramachtapouétisme et tout le reste.

Les ramachtapouetteries ne sont que des commentaires de dernière main, bourrés de miracles et de fautes de grammaire. Pourtant, derrière tout ce galimatias on trouve quelques belles pensées qui vous permettent de bien commencer la journée avant que d'aller butiner d'une étoile à l'autre comme tout le monde. Je vous les recommande. Two thumbs up!

samedi 16 janvier 2010

Je ne souffre pas, eux souffrent

Il y a des jours comme ça où la littérature me semble vaine. Le tremblement de terre en Haïti m'a affecté, moi qui vis bien au chaud dans mon foyer avec mes victuailles. D'abord, je ne veux pas avoir l'air du crétin dans Les frères Karamazov. Du poète sur le bord de la plage qui assiste à un naufrage et qui dit ne regardez pas les naufragés mais moi qui souffre de les voir se noyer. Un trait dominant de notre civilisation. Qui fait de Dostoïevski un magnifique sondeur de l'âme humaine.

Je ne me sens pas la force d'écrire là-dessus. Je donne mon obole, comme tout le monde, et je souhaite que la vie reprenne son cours presque normal au plus vite.

En passant, j'ai lu récemment le poème que Voltaire a écrit suite au tremblement de terre de Lisbonne et, quoique j'aime lire Voltaire, je n'ai pas trouvé dans cette oeuvre toute l'ampleur de son génie. Au contraire, j'avais l'impression que Voltaire était un peu comme le poète qui voit le naufrage au loin dans Les frères Karamazov, les pieds bien au sec dans ses pantoufles chaudes, avec des tas de livres et de friandises devant lui.

Je ne commettrai donc pas cette erreur.

Je n'ai rien à dire ou à redire sur le tremblement de terre survenu récemment en Haïti. Rien sinon qu'il faut soutenir l'envoi de l'aide humanitaire. That's it. Et ne pas trop en rajouter. Ça finit par devenir pervers.

Maintenant que c'est dit, je reviens à mes contes, paraboles et fabliaux.

vendredi 15 janvier 2010

Stef et Redje rencontrent Timmy Big Boy


Stef et Redje marchaient sur la rue avec leur air déguingandé de grands dadais vaguement anthropomorphes. Les pantalons à la hauteur des genoux, la calotte à l'envers, ils s'amusaient de tout et de rien.

-Check la grosse crisse de l'aut' côté d'la rue! disait Stef, par exemple, en faisant signe à son camarade.

-Hostie qu'est grosse... Malade! répondait Redje. Pis toé, Stef, check moé don' c'te mongol d'l'autre bord d'la rue avec ses grosses hosties d'bottes de skidoo, ha! ha!

-Ha! Ha! riait Stef.

Vint à passer un vieux monsieur sur son vélo, en plein hiver, sur la chaussée enneigée et glacée. Il porte une casquette de capitaine et arbore un impressionnant collier de poils blancs autour du visage. On le croirait sorti tout droit d'un roman russe de la fin du XIXe siècle.

-Wa-ha-ha! lui y'a l'air encore plus zouf, hein Stef? s'exclama Redje.

-Wa-ha-ha hostie qu'i' a l'air épais! Wa! poursuivit Stef.

Le monsieur en question avait quatre-vingt-deux ans. Il avait subi quatre pontages. Et il se promenait encore à vélo pour aller faire sa tournée des vieux, comme il disait. Il se promenait d'un vieux à l'autre pour voir si tout allait bien, s'il était vivant, mort ou blessé, sait-on jamais puisqu'il visitait essentiellement les vieux qui n'avaient jamais de visite. Les vieux sans famille. Les vieux décalicés du coin.

-Wa-ha-ha! check-z'y la calotte! Wa!!! rigolèrent les deux crétins.

Stef et Redje croisèrent une vieille madame sur le trottoir. Elle marchait avec une canne en tremblotant. Ils ne lui cédèrent pas un pouce. Elle marcha dans la rue. Et faillit tomber.

-Y'as-tu vu 'a face? Vieille ratatinée... Ouache!

-Wa-ha-ha!

Le vieux sur son vélo s'arrêta devant eux, le visage empourpré. Il avait tout entendu.

-Vous pourriez pas être polis? qu'il leur dit du tac au tac. Cette madame-là vous a rien faitte!déclama le vieux barbu.

-Heille on t'a tu sonné vieux christ? rétorqua Stef.

-Ouin. Dégage vieille cochonnerie! Wa-ha-ha! ajouta Redje.

Alors le vieux fit repartir son vélo, stoïquement, à grands coups de genoux dépourvus de collagène.

-Vous paierez un jour pour ça vous deux! qu'il leur dit tout en reprenant son chemin.

-C'est ça vieux christ! Dégage! entonnèrent en choeur nos deux scélérats.

Et c'est là que Timmy Big Boy intervint. C'était un ami du vieux pour une raison qui m'échappe. Timmy était réputé pour être impulsif. Et la vieille au visage ratatiné, eh bien c'était aussi sa mère.

-Qu'est-cé qu'vous disiez là mes hosties d'trèf'les? qu'il leur demanda poliment.

Stef et Redje n'avaient visiblement pas prévu ce scénario et bafouillaient dans leur esprit face à l'apparition de ce mastodonte qu'était Timmy Big Boy.

Évidemment, Timmy leur piqua le front avec son gros index de débardeur, comme s'il leur rentrait de la philosophie et du bon goût dans la cervelle.

-Mes hosties d'trèfles! M'en va's vous régler ça tépeur! M'en va's vous apprendre à vivre mes hosties d'mongols de tabarnak!

Et Timmy Big Boy leur crissait et leur recrissait des coups d'index dans le front, à ces deux hosties d'chiens et ça faisait du bien à tout le monde de voir ça dans le quartier.

-Tiens, les deux calices de maillets aux culottes à moitié des g'noux se font r'mettre à leu' place, déclara la vieille ratatinée.

-I' reçoivent la leçon qu'i' méritent! ajouta le vieux.

-Vous allez vous excuser mes crisses de caves! hurlait Timmy Big Boy en martelant leur front à coups d'index. Ce qui donnait la migraine à nos deux cloches qui ne tintaient pas fort.

-Excuse man! On voulait pas qu'ça soye de même! finit par dire Stef qui avait mal au crâne.

-Moi 'ssi j'm'axcuse! cria Redje après avoir reçu l'index dans le coin de l'oeil, par mégarde.

-Ok crissez vot' camp pis que j'vous r'voye p'us dans mon secteur mes hosties d'pastilles d'urinoir! conclut Timmy Big Boy en les pointant avec son index.

-Ok man! Ok!

Et ils disparurent pour toujours, nul ne pouvant dire à ce jour où ces racailles avaient bien pu se ramasser. Peut-être au Cap-de-la-Madeleine. Ou bien à Toronto. Wherever.

mercredi 13 janvier 2010

ARRÊTE DE SHAKER CALICE TU VAS M'MANQUER! (MICHEL CHARTRAND)


Chartrand et Simone est le titre d'une télésérie qui relate la vie d'un couple célèbre pour leur engagement envers les droits des personnes. L'un était syndicaliste à l'os et l'autre, animatrice de radio et féministe.

Une des scènes marquantes de la télésérie nous présente Chartrand parmi ses camarades, sur un piquet de grève, on s'en doute bien. Un flic est devant lui et pointe nervseusement son arme vers son front.

-Arrête de shaker calice tu vas m'manquer! lui répond Chartrand.
Chartrand regarde le policier droit dans les yeux et l'autre se retire, la queue entre les jambes, devant des centaines de gens qui se tiennent debout.
Et les gens qui se sont tenus debout obtiennent le respect et le partagent même avec ceux qui se sont tenus à genoux. La liberté acquise par les uns est accessible aux autres.

Si tout un chacun de nous s'entraînait à developper ce sens précis de la répartie, cet idéalisme stoïque dans l'action, eh bien les despotes n'en mèneraient pas large.

mardi 12 janvier 2010

MARCHER SOUS LE BLIZZARD EN SE CROYANT L'ÉGAL DE KITCHÉ MANITOU

Rien de mieux que de marcher sous le blizzard quand tout vous le déconseille. Affronter les éléments dans leurs moments les plus dévastateurs est une manière pour la créature de s'enorgueillir devant l'Incréé.

-Je suis l'égal de Dieu! criait Gaston Belhumeur en se serrant les dents. Je ne crains ni la neige ni le froid, ni le vent ni les déneigeuses, ni les automobiles ni les camions, ni le maire ni le pape, ni le Diable ni Dieu!

Et Gaston Belhumeur avançait païennement sous la tempête, comme un Sauvage.

Gaston, un intellectuel compulsif dans la trentaine, prenait conscience de sa grandeur par temps difficile.

Quand tout un chacun se plaignait du mauvais temps autour de lui, Gaston souriait béatement, avec l'assurance d'un Sitting Bull. Ses bottes de skidoo magiques l'entraînaient vers la sauvagerie tant souhaitée, où les chevaux de fer et les négriers modernes n'avaient plus place. Le blizzard était une victoire de Kitché Manitou sur les hommes et Gaston Belhumeur, eh bien il se croyait de même nature quand il marchait par mauvais temps. Il devenait l'égal de Kitché Manitou.

On le disait un peu sorcier, Gaston. Ce n'est pas pour rien. Qui parle de Kitché Manitou sous la tempête, hein, hormis les fous ou les sorciers?

Sorcier, c'est moins pire que fou. Quoique les deux titres lui vont bien. Surtout quand le vent arrache les arbres, déchire les toits. Ou bien quand il neige à ensevelir toute trace de vie.

Gaston se sentait bien dans ce qui n'était que pur chaos pour les autres. Il y trouvait au contraire une incroyable paix, une force douce et apaisante malgré les conséquences des éléments en furie. C'était comme si le monde se regénérait. Tabula rasa. On recommençait à zéro. Nothingness. La vacuité parfaite, absolue. Kitché Manitou.

Gaston écoutait Kashtin dans son iPod tout en méditant là-dessus. Il neigeait comme jamais il n'avait vu neiger. Tout était arrêté dans la ville, ce qui n'arrive qu'une fois aux quinze ans. Tout sauf le dépanneur du coin, oasis de chaleur, ultime récompense du pélerin d'absolu qui marche sous le blizzard.

Gaston s'acheta un chips au ketchup Pringles, un Coke diète et une palette de chocolat Kit Kat. Toute quête aboutissait toujours à une fin.

-Migwetch Kitché Manitou! pensa Gaston Belhumeur en constatant qu'il y avait encore de l'argent sur sa carte de débit. Migwetch!

lundi 11 janvier 2010

Il faisait un froid de phoque ce matin-là

Il faisait un froid de loup ce matin-là. Et même que les loups trouvaient ça trop froid. Un froid de phoque, tiens. Il faisait un froid de phoque ce matin-là.

Quand il fait froid, dans le rang du Pays-Brûlé, à Saint-Célestin, on dit qu'il fait frette. Frette, c'est encore plus froid que froid.

Donc, fuck qu'i' f'sait un frette de phoque c'matin-là... On gelait raide comme des barres. On crachait au vent et la glaire éclatait dans un craquement de glace instantanée. C'était un frette du tabarnak. Un frette à faire casser les clous. Un frette qui vous prenait au nez et descendait jusque dans les organes génitaux. Un frette du Diable. Un frette d'Enfer. Calice qu'i' faisait frette ce matin-là!!!

Le petit Jonathan demeure dans le rang du Pays-Brûlé. C'est un jeune garçon d'à peu près quatre ans. Il est grand pour son âge et son visage est recouvert de taches de rousseur. Il a les cheveux roux comme de la paille. Et il est, comme on dit par chez-nous, un p'tit tannant. Il court partout, comme tous les enfants en santé, et il lui arrive de risquer la mort trois cents fois par jour en sautant en bas du toit de la grange ou bien en foutant le feu dedans. Il faut le surveiller aux cinq minutes sans quoi tout risque d'y passer.

Ce matin-là, où il faisait un froid de canard qui s'est trompé de chemin, Jonathan crut bon de licher le cadenas de la shed. Il y avait un glaçon sur le cadenas de la shed, c'était trop tentant. Alors Jonathan apposa sa langue sur le cadenas, par moins quarante-trois degrés Celsius, et imaginez le reste...

La langue resta collée sur le cadenas, bien entendu.

Et Jonathan hurla comme jamais il n'avait hurlé auparavant.

-Aemphe! criait-il. Aemphe!

Ça voulait dire «je suis dans de beaux draps» ou quelque chose de semblable.

La mère de Jonathan, Gabrielle, une caissière au Super Calice, accourut tout de suite pour se rendre compte que son fils était encore en danger.

-Qu'est-ce que t'as faitte là pour l'amour du bon Dieu?!? La langue collée su' l'cadenas! Sacrament!!!

-Aemphe! répondit Jonathan. Aemphe!

Elle courut dans la maison et rapporta une bouilloire.

Les yeux de Jonathan s'aggrandirent à l'idée que sa mère allait lui répandre de l'eau bouillante sur la langue. Et pas seulement ses yeux, mais sa bouche aussi, malgré sa fâcheuse position.

-AEMPHE!!! AEMPHE!!!

Ce qui fit accourir le père, Louis alias Ti-Oui, ramoneur de métier.

-Qu'est-cé qu'tu fais là bebé? questionna Ti-Oui.

-J'm'en va's varser de l'eau bouillante su' l'cadenas pis sa langue va s'dépogner! s'expliqua Gabrielle.

-Tu vas l'ébouillanter bebé! Oublie ça! Check-moé ben aller...

Ti-Oui plaça ses mitaines contre sa bouche et souffla son haleine chauffée au gros gin sur la langue bleutée de son fiston.

La langue décolla. Trente-sept virgule sept degrés Celsius de chaleur et c'était suffisant.

-Marci P'pa! Aemphe! Marci! se réjouit aussitôt le petit tannant de Jonathan.

-De rien mon gars... Calice-toé p'us la langue su' 'es cadenas par 'xemple!

-Oki P'pa... Oki...

Une demie heure plus tard Jonathan rentrait à la maison avec un clou rouillé dans le front. Comment c'était arrivé? Nul ne pouvait le dire... Mais personne ne s'étonnait que cela arrive, des choses de même, dans le fin fond du rang du Pays-Brûlé, à Saint-Célestin, là où il peut faire frette en hostie certains matins.

dimanche 10 janvier 2010

L'histoire d'un gus qui se pétait des bouteilles sur la tête

On le surnommait Kojak. Il s'était fait raser le crâne lors d'un séjour de trois mois à la prison d'Orsainville. La boule à zéro, Kojak ou le mont chauve, ce n'était que du gros bon sens de le surnommer ainsi. C'est cette image qu'il nous présentait et Kojak, franchement, ça lui allait comme un casque de bain, quoique le Kojak de la télésérie combattait le crime au lieu d'en commettre.

Kojak était unique en son genre. Polytoxicomane au dernier degré, il savait redoubler d'astuces pour obtenir de quoi lui faire oublier quelques instants qu'il était le dernier des abrutis. C'était un grand dadais déguingandé qui parlait mal, sacrait beaucoup et postillonnait souvent. Culture générale? Zéro. Intérêt dans la vie? Planer.

Ses crimes étaient tous des crimes de crétin: des vols de bouteilles de shampoing, des faux et usage de faux, des entrées par effraction, du recel, de la vente de poudre à rats qu'il faisait passer pour des stupéfiants, etc.

Cela faisait deux jours que Kojak venait de sortir d'Orsainville. Il hésitait de s'en remettre à ses petites combines habituelles compte tenu qu'il était en liberté provisoire. Ce qui fait qu'il s'en était créée une, pas trop offensante pour l'appareil judiciaire, qui consistait à se péter des bouteilles sur la tête dans les bars pour qu'on lui paie de quoi se saouler jusqu'à plus soif.

-Vingt piastres su' 'a table que j'me pète une bouteille su' 'a tête sans m'faire mal! disait-il d'entrée de jeu et, il faut bien le dire, sans un sou vaillant dans ses poches.

-Ok, répondait quelqu'ivrogne. Pète-toé-la su' 'a tête, ma bouteille, pis j'te donne vingt piastres.

Tout le monde s'écartait. Sauf la barmaid qui voulait en finir au plus vite avec le balai et le porte-poussière, même si Kojak lui promettait cinq piastres de pourboire sur sa cagnotte.

Kojak prenait la bouteille et l'analysait sous tous ses côtés. Un gus qui se pétait des bouteilles sur la tête en prison lui avait enseigné qu'il y a toujours un côté plus mince sur ces bouteilles de fabrication syndicale. C'est ce côté-là qui devait servir à se fracasser le crâne pour que la bouteille revole en mille éclats sans se faire bobo.

Paf! Kojak péta sa première bouteille sur sa tête. Il encaissa le vingt dollars et commanda quatre onces de whiskey avec une bière. Il n'y avait aucune égratignure sur son front. Tout le monde était stupéfait.

-Vingt piastres que j'm'en pète une autre su' 'a tête sans m'faire mal! reprit Kojak.

Ok. Gino allongea un brun sur la table et Kojak refit le même manège. Repaf. Quatre onces de whiskey, une bière, cinq piastres de pourboire pour la barmaid.

Quatre autres contributeurs allongèrent des bruns sur la table. Kojak calait l'alcool à vive allure de sorte que six bouteilles fracassées sur sa tête plus tard, soit dix-sept minutes, il commençait déjà à se sentir vaciller. Son jugement s'altéra. Et son analyse du côté faible des bouteilles fit défaut.

Kojak souleva sa septième bouteille et, au lieu de se la péter sur la tête du côté où la paroi était la plus mince, eh bien il se frappa le caillou avec l'extrémité la plus opaque du contenant.

Toc! La bouteille ne péta pas cette fois-là. Et Kojak était stupidement étendu au sol, les quatre fers en l'air, le sang qui pissait de son front d'idiot.

On le retrouva dans une ruelle, à quatre heures du matin, nu comme un ver. On lui avait piqué ses vêtements, ses bottes, son portefeuille et ses clés. Le sang s'était coagulé sur son front. On était en juin mais il faisait quand même froid. Ce qui fait que Kojak grelotta jusqu'au matin, la pauvre petite bête...

samedi 9 janvier 2010

1000 billets plus tard


Je publie ici mon 1000e billet depuis le lancement de ce blogue. C'était le 9 avril 2007. Nous sommes aujourd'hui le 9 janvier 2009 et j'approche de ma troisième année de publication presque quotidienne.

Quelques constats? Je joue de moins en moins au gérant d'estrade et passe de plus en plus mes messages inconsciemment, c'est-à-dire simplement.

Au lieu de m'en prendre à tel ou tel congrès de crétins de tel ou tel parti, je préfère raconter la vie misérable d'un gus qui se pète des bouteilles sur la tête.

Chacun son truc.

Le mien, de plus en plus, c'est d'écrire ce que j'aurais envie de lire. Bref, de me rapprocher des modèles que j'admire, autant que faire se peut.

Je trouve des réponses à des questions que je ne me posais même pas quand j'écris.

Je me découvre en racontant une histoire. C'est comme si elle vivait en moi, par-delà toute forme de rationalité. Ces histoires sont souvent le reflet de mon âme, avec toute la gangue qui peut entourer un diamant brut.

Diamant brut? Forte estime de toi-même, hum?

Faites-moi pas chier avec l'estime de soi et autres expressions tirées de la psychologie à cinq cennes de nos universités bourrées d'illettrés dysfonctionnels et autres incultes surdiplômés...

C'est juste une figure de style, quoi. La gangue qui entoure le diamant brut... Mon millième message posté pour vous et pour la multitude en rémission de mes péchés.

vendredi 8 janvier 2010

Le Bellevue Hotel était un bordel

Le Bellevue Hotel était un bordel. Tout le monde savait ça. Surtout le monde qui se tenait au bar du Bellevue Hotel, au rez-de-chaussée. Michel Lamarre, lui, ne le savait pas encore.

Pour le bar du Bellevue Hotel, eh bien c'était tout ce qu'il y avait de plus traditionnel, avec une touche de Far-West puisqu'il avait poussé sur la rive droite du fleuve Fraser, en Colombie-Britannique. Il y avait des portes battantes, comme dans les saloons et autres tripots remplis de couards et de putois.

La clientèle était essentiellement composée de travailleurs à petits salaires et d'assistés sociaux. On pouvait s'y faire pomper le noeud pour un paquet de cigarettes ou la moitié d'une bouteille de bière.

Évidemment, les filles qui se trouvaient là n'étaient pas toutes des putes. Il y avait aussi des filles à peu près ordinaires qui travaillaient à petit salaire ou recevaient des chèques de l'État. C'était le seul bar du village. Ce qui fait qu'on se mariait et se fréquentait encore à l'église.

Les putes, quant à elles, louaient des chambres à l'étage, en haut du bar. Hormis quelques voyageurs de passage, dont Michel Lamarre, le Bellevue Hotel n'hébergeait que des putes.

Michel Lamarre était arrivé dans le patelin par hasard pour se trouver du travail. C'était un géant de six pieds quatre pouces avec des orteils repliés. Comme il portait des bottes la plupart du temps, pour s'acclimater à l'automne, l'hiver et le printemps, on ne les voyait pas souvent ses orteils repliés. Même qu'il ne servirait à rien d'en dire plus à ce sujet. C'était des orteils repliés normaux.

Lamarre avait le visage ovale et il était du genre beau bonhomme qui s'ignore. Les femmes du patelin n'allaient pas l'ignorer longtemps alors qu'il arrivait là comme tout ce qu'il y avait de plus exotique dans ce trou pourri: un Frenchy. C'était comme si Lamarre provenait d'Afrique.

Frenchy, c'était exotique en s'il-vous-plaît pour tout ce beau monde qui savait à peine lire ou écrire.

On ne peut pas dire que l'on trouvait des tas de gens farcis de diplômes dans ce coin-là. On arrêtait d'aller à l'école à quinze ans pour commencer à travailler ou bien à boire. Et on finissait au Bellevue Hotel, le soir, pour oublier la vie de merde que l'on menait, comme partout ailleurs, d'un fucking océan à l'autre.

Lamarre avait vu l'enseigne du Bellevue Hotel et avait conclu qu'il pourrait y dormir. Et il n'avait pas dormi la première nuit, un peu plus la nuit suivante après qu'il se soit acheté des boules quiès. Le vacarme du bar grondait sous les hurlements des clients qui se faisaient vider les gosses dans les chambres attenantes. C'était insupportable. Mais Lamarre dut se résigner. En couchant chez des femmes ordinaires, comme partout ailleurs, d'un fucking océan à l'autre. Des femmes qui l'aimaient bien, ce Frenchy with latin blood.

Lamarre s'était trouvé du boulot le lendemain de son arrivée. Il avait marché trois cents pas, était rentré dans un atelier de fabrication de caissons de bois, puis on l'avait tout de suite embauché, sans lui demander de cévé ou bien l'âge de ses parents. Le boss, Jack, un gars du Kentucky, l'avait payé tout de suite à la fin de la journée. Cent cinquante piastres. Wow! Ils étaient des gentlemen dans l'coin... C'est pas au Québec que Lamarre aurait reçu du cash à la fin de la journée... Plutôt crever de faim pendant deux semaines avant que de voir un sou noir de son employeur...

Anyway, le soir même, tout le monde le connaissait au bar. Michel Lamarre était devenu le Frenchy. Tout le monde lui offrait à boire et riait d'entendre son accent. On lui saprait de grandes claques dans le dos et les femmes roucoulaient.

-I like Frenchmen... disait l'une d'entre elles. I like Frenchmen because they eat.

Michel Lamarre était heureux de l'apprendre. Et cela fit sa fortune, en quelque sorte. Puisqu'elles se passèrent toutes le mot.

Au bout d'un mois, épuisé par le travail de jour comme de nuit, Lamarre finit par aller traîner ses pénates ailleurs, on ne sait trop où. Certains disent qu'il était retourné au Québec. D'autres prétendent qu'il vit à Vancouver.

Les femmes comme les hommes parlent encore de lui avec une certaine tendresse, comme quoi les Frenchmen ne sont pas tous des fucking crybabies.

Quand on lui demandait «Da ya think Quebec would separate from Canada?» Frenchy leur répondait tous «I'm not an ant in an ant-hill. I'm free. Keep on rockin' in a free world tabarnak!» Et les autres riaient en répétant «ta-beur-nak!» C'était drôle de dire «ta-beur-nak!» avec Michel Lamarre the Frenchman. Très drôle. Oh yeah!

jeudi 7 janvier 2010

Bientôt disponible chez tous les bons disquaires



En fin de semaine, j'ai pratiqué cette chanson avec Rob Bob. Nous l'avons enregistrée et un démo sera disponible sous peu. C'est un hommage à Ernie Moses, un trappeur iyéyou (cri) de Chisasibi. Le bonhomme parcourt la toundra en raquettes tout fin seul. Il a quatre-vingt-deux ans. Il connaît sa trapline (lot de trappe) comme le fond de ses mocassins. Une force de la nature exceptionnelle.

Wachiya Ernie Moses! Salut m'sieur Moses!

ERNIE MOSES
Chanson folk de Makwa Grizzli alias Gaétan Bouchard (voix, guitare)
accompagné de Rob Bob alias Rob Bob (percussions, cris du huard et de l'oie sauvage)

Envoi:
Wachiya!

This is the true story of my buddy
Ernie Moses
Ernis Moses is a Cree
A Native from Chisasibi

Y'a parcouru sur ses raquettes
La distance d'la terre à la lune
Y'a affronté tous les grands frettes
Parce qu'l'hiver faisait sa fortune

I' mangeait d'la truite, du doré
De l'orignal du p'tit gibier
De l'oie sauvage pis des bleuets
Avant qu'on inonde ses chalets

Refrain
Ernie Moses (bis)
C'est un chasseur
C'est un trappeur
C'est un Cri
Un Cri de Chisasibi

Wachiya Ernie Moses ! Wachiya!

Pour produire d'l'électricité
Y'a fallu l'priver d'son métier
Quand les p'tits Blancs se sont pointés
Tous ses castors se sont noyés

L'Indien encor' s'est faitte tasser
«Ôte-toé d'là mon Géronimo!
Y'a tous ces fils qu'il faut passer
On s'fout bien de tes animaux... Génonimo!»

Ernie Moses (bis)
He's a trapper
He's a hunter
He's a Cree
A Cree from Chisasibi

C'est qui ça Robert Bourassa
Ernie Moses le connaît pas
Pourtant c'est l'nom qui donne à «ça»
Le barrage Robert-Bourassa...

Ce barrage qui est sur sa terre
Ne porte pas le nom de ses pairs
Ce barrage qui retient les eaux
Renie les Cris, efface leurs mots...

Ernie Moses (bis)
C'est un chasseur
C'est un trappeur
C'est un Cri
Un Cri de Chisasibi

Wachiya Ernie Moses!
Wachiya!
Iyéyou!
Wachiya!
Migwetch!
Ikedek!

CONTINUEZ DE SUIVRE CE BLOGUE ET VOUS OBTIENDREZ UNE COPIE GRATISSE DE CET ENREGISTREMENT! ÇA VOUS COÛTERA PAS UNE CALICE DE CENNE NOIRE! TOUT LE MONDE SAIT QUE LES ARTISTES ÇA NE SAIT PAS COMPTER...

mercredi 6 janvier 2010

Pourquoi les intellectuels lisent tout en chiant


-Pourquoi les intellectuels lisent tout en chiant? demanda Maude à René, son conjoint, qui était justement un intellectuel.

-À quoi ça sert de passer une demie heure dans une vapeur de marde? Est-ce que la marde inspire les intellectuels? poursuivit-elle.

René laissa tomber son livre sur ses genoux. C'était Les aventures de l'incroyable Hulk, de Stan Lee. Il se torcha, tira la chaîne puis se lava les mains.

-Quand je lis, mon odorat ne fonctionne plus, répondit-il.

-Mon cul toé! rétorqua Maude.

-Hum... Y'est beau ton cul, ajouta René.

-Qu'est-ce que tu vas écrire ce matin?

-Ben... C'est à propos des chats. Un scénario pour un court-métrage de science-fiction...

-Des chats?

-Oui des chats. Il y a plein de chats qui crèvent de faim depuis qu'ils ont mis des bacs roulants pour la cueillette des ordures. Les chats n'ont plus aussi facilement accès à la matière première de leur alimentation, les déchets en l'occurrence. Alors un jour les chats se réunissent. Et en voilà qui disent qu'ils devraient mettre leurs efforts en commun au lieu de crever de faim chacun de leur côté. Selon ces chats, c'est à cause des humains si tout va mal pour eux. Du coup, les chats s'en prennent aux humains. Ils les attendent au détour des ruelles et rrrrarrrr! Ils se jettent sur les humains pour en faire de la bouillie pour les chats. Rrrrarrrr! Et là, les humains réagissent en envoyant des tas de fous enragés pour exterminer tous les chats. Takatakata! Tak! Tak! Boum! Ils les tuent au lance-flamme, à la mitrailleuse, au taser gun, au rayon laser, au ce que vous voulez bien imaginer. Et les chats se réunissent à nouveau, certains demandant une attitude plus conciliante envers les humains. Ils rappellent aux autres chats que les humains leur distribuaient un peu d'aide alimentaire avant qu'ils ne s'en prennent à eux, une boîte de thon par ci par là, un peu de lait dans une soucoupe, des restants de poulet. Les chats se sont rassasiés un temps, dans leur appétit des humains, mais tout de suite les humains ont répliqué. Ce qui fit mourir des tas de chats et de chatons par la suite. Cela ne pouvait plus continuer ainsi. Il fallait ravoir les oreilles basses et les yeux doux devant les humains, se laisser caresser par leurs sales pattes, courir après la petite baballe de laine, bref se rendre et revenir à leur ancien statut de chat qui s'accommode de la présence des humains. Même si l'instauration des bacs roulants a contribué à leur famine et...

-Hostie! J'comprends rien à ton affaire! Christ que tu vis dans ta tête René! répondit Maude.

-Voilà pourquoi les intellectuels lisent assis sur le trône pendant qu'ils chient... conclut René, un peu piqué dans son orgueil d'écrivain.

mardi 5 janvier 2010

Zeb'i = mon pénis en maghrébin


-Jamais au grand jamais que j'travaillerais dans un restaurant ou ben don' une rôtisserie à m'faire suer toute la journée comme un hostie d'maillet! Oh que non!

Cet aphorisme avait été éjecté de la bouche de Stéphane Nolet-Bastarache, alias La Crevette, avec force et véhémence. Cela voulait aussi dire qu'il ne travaillait pas et ne voulait pas travailler.

-Si quelqu'un me d'mandait d'travailler, j'pense que j'l'égorgerais!

La Crevette avait dit ça d'un coup sec. Il était appuyé au comptoir de Atlas Pizza. Il attendait sa commande, une grosse poutine extra-fromage sauce brune. La Crevette venait de recevoir son chèque. C'était le temps de se gâter. Comme à tous les premiers du mois.

Mohamed, le gus qui préparait la poutine derrière le comptoir, le regardait d'un air incrédule. Jamais ses amis n'allaient croire ce qu'il venait d'entendre, ça c'est sûr! Ce qui fait qu'ils allaient aussi le voir puisque Mohamed avait utilisé son cellulaire pour filmer un petit vidéo à l'insu de La Crevette. Il avait envoyé les images un peu partout au Maroc avec ce commentaire en arabe: zeb'i. Zeb'i qui veut à peu près dire tabarnak, ou putain, voire mon pénis dans une traduction plus littérale.

-Zeb'i! Ce gros tas est là qui commande sa portion de gras pour ne rien faire, payée par mes taxes et mes impôts, et il se plaint qu'il ne ferait jamais mon boulot! Et moi je sue pour qu'il se bouche les veines et les artères avec cette cochonnerie qui ne vaut pas un citron mariné! Zeb'i! Zeb'i! Zeb'i!
Et c'est vrai qu'il avait l'air con, La Crevette. Il ne fallait pas s'attendre à ce qu'il sorte quelque chose de brillant de ce pauvre type, sous-diplômé, pas vaillant pour cinq cents, qui se faisait enlever la job dont il ne voulait pas par des immigrés...
-Cou' don' alle arrive-ti ma poutine tabarnak? demanda gentiment La Crevette à Mohamed.
-Un instant, monsieur... Soyez poli s'il-vous-plaît... Je vous en prie mon ami... rétorqua Mohamed.
-J'su's poli hostie. Ça fa' une demie heure qu'j'attends ma calice de poutine man!
-De la politesse monsieur. S'il-vous-plaît... Zeb'i...

lundi 4 janvier 2010

La fournaise à l'huile


Jacques détestait la fournaise à l'huile de tout ce que lui permettait son coeur d'enfant.

La fournaise à l'huile lui faisait peur. Les nuits d'hiver, quand tout le monde ronflait et que dehors il faisait tempête, Jacques peinait à s'endormir. Le vent rentrait par le trou de la cheminée et venait lécher les flammes, pour les faire grossir, au point où toute la carcasse de la fournaise était chauffée à blanc. On y aurait déposé un steak qu'il aurait instantanément rôti des deux côtés.

L'huile sentait mauvais. Et la fournaise en redemandait, suçait l'huile pour faire grelotter de peur le pauvre petit Jacques, un garçon de sept ans à l'imagination trop fertile. La fournaise brûlait et brûlait encore, réminescence de l'enfer qui attendait tous les mauvais hommes.

Il y avait eu des tas de feux tout autour de chez Jacques. Quand ce n'était pas des feux de patates frites c'était des feux de fournaise à l'huile. C'est traître, l'huile. Et ça pue, même pour les frites.

Jacques et sa famille vivaient dans un vieux logement mal isolé, aux murs recouverts de moisissure que plusieurs couches de peinture et plusieurs rinçages à l'eau de javel n'arrivaient pas à tuer. La seule source de chaleur, bien sûr, c'était la fournaise à l'huile. Le chauffage électrique n'était pas encore à la mode dans les taudis de la P'tite Pologne. Il y avait bien sûr des chaufferettes électriques à prises directes, mais ça ne faisait qu'augmenter les risques d'incendie.

Une nuit de janvier très froide, le vent s'est engouffré dans la cheminée avce plus de vigueur qu'à l'habitude. Et le feu s'est mis à circuler dans les murs. Le proprio avait fait semblant de ramoner la cheminée. Du bon combustible pour les flammes qui montèrent dans la cheminée et se frayèrent un chemin dans le carton et le plâtre moisi. Finalement, elles s'emparèrent de l'immeuble au complet.

Cette nuit-là, Jacques n'avait pas eu peur pour rien. Ce n'était plus que de l'imaginaire. C'était un hostie de gros feu!

La fournaise hurlait d'un rire sardonique au milieu des flammes. Et Jacques hurlait aussi, de sorte que tous les ronfleurs eurent la vie sauve grâce à sa peur surnaturelle de la fournaise à l'huile.

L'immeuble était une perte totale. Jacques et toute sa famille fûrent hébergés chez la tante de sa maman, Raymonde, une infirmière qui possédait une maison qui ne chauffait qu'à l'électricité. C'était réconfortant le ronronnement des plinthes électriques. Surtout après cet incendie traumatisant.

-M'man, j'veux pas qu'on aille rester dans une place où'sse qu'i' a une fournaise à l'huile! fut tout ce que répéta Jacques pendant le mois où ils demeurèrent chez sa tante Raymonde.

Ils emménagèrent finalement dans un logement neuf. Une habitation à loyer modique. On venait tout juste de les construire à l'emplacement d'anciens taudis chauffés à l'huile qui avaient été des pertes totales, eux aussi. C'était propre. Moderne. Insonorisé. Et pas cher. Le gouvernement payait presque le loyer.

Jacques se croyait vivre dans un château. Il était passé d'un taudis au plancher de terre battue recouvert de palettes de bois et de bouts de prélarts à un HLM de béton armé, véritable bunker sans moisissure et sécuritaire. Il y avait une grande salle de bain. Et le salon était immense. Aucune fournaise à l'huile. Rien que des plinthes électriques. Youppi!

dimanche 3 janvier 2010

Quelque part en 3010

On détestait tous d'avoir à faire cette conférence télépathique. Il le fallait bien pour obtenir son diplôme. Josse-Lin, le professeur, était un sacré fouille-merde qui vous lessivait un cerveau en moins de deux. Il y voyait votre jardin secret et vous le renvoyait dans la face, à la conscience de tous, qui évitaient de rire pour ne pas avoir à subir la même médecine devant les camarades de classe.

On ne sait pas trop qui était ce sacré Josse-Lin. Sinon qu'il fallait se connecter à lui tous les lundis matins pour suivre le cours d'éthique appliquée. Il ne jasait pas beaucoup sur sa personne et jubilait qu'on le perçoive comme un simple esprit qui relevait vos fautes de pensée devant tout un chacun, dans le but de parfaire votre éducation morale, comme il disait. Mais quel qu'en soit le but, le moyen était toujours l'humiliation. Ce qui finit par me faire croire que les moyens ne justifient rien et se confondent au but poursuivi: l'humiliation, l'obéissance et toutes ces conneries.

J'avais souvent envie de lui botter le cul, à ce Josse-Lin, mais il n'y avait rien à faire. Il n'était pas là. Je n'avais que sa voix dans ma tête, sa voix triste de censeur qui vous triturait l'âme jusqu'à vous en sortiez tout épuisé, avec l'envie de ne plus développer tous ses sens, de ne plus être immortel tiens, et de ne plus voyager dans le temps et les espaces interstellaires. Juste l'envie d'être comme nos ancêtres les humains, à vivre comme des animaux, avec la force gravitationnelle qui vous masse les muscles des jambes et vous donne de la colonne vertébrale. Manger de la viande, tiens. Et jouer à ces jeux physiques comme le ping-pong et le bowling, où ils sublimaient leurs instincts guerriers et autodestructeurs.

Qu'étions-nous devenus? De purs esprits sous le joug de tous ces sales Josse-Lin de l'univers qui vous donnent des cours d'éthique appliquée pour vous vider de toute pensée originale, indépendante, souveraine quoi...

Que restait-il tout au bout? Le même gruau mental pour tout le monde!

Plus de jardin secret. Plus d'arrière-pensée. De purs esprits qui ne jouent ni au ping-pong ni au bowling, occupations frivoles compte tenu de nos engagements envers je ne sais quelle métaconscience enveloppée de je ne sais trop quel métalangage sirupeux.

Ce qui me porte à croire que, hormis la télépathie pour tous, le surhumain ne bat pas l'humain tout court, tel qu'il était, du temps où ils mélangeaient leurs excrétions pour procréer. Avant l'application de la loi sur les naissances utiles et rationnelles lors du 23e congrès du Parti Surhumaniste.

Puis, un beau jour, pendant un cours de Josse-Lin, je suis devenu quelqu'un d'autre. C'est-à-dire quelqu'un. J'avais trouvé le moyen de cacher des pensées, toujours un peu plus, et je le sentais s'énerver dans le ton de sa voix. Normal. J'étais le premier à pouvoir bloquer les intrusions mentales des télépédagogues.

-Que nous caches-tu, Jo-Bine, sifflait la voix de Josse-Lin, dis-nous ce que tu nous caches dans ta tête Jo-Bine? Je sais qu'il y a une barrière mentale dans ta tête... Je le sais... Montre-nous ton jardin secret, Jo-Bine. On ne doit rien se cacher entre nous...

Je ne lui répondais rien. Rien du tout. Et il s'énervait toujours plus, Josse-Lin, et mes camarades sentaient bien que quelque chose de tout à fait inattendu se passait.

J'étais devenu le premier surhumain à pouvoir dissimuler ses pensées même pour le plus aguerri des télépédagogues. Et ne me demandez pas comment ça s'est produit. Mais je peux vous dire comment faire, héhé!

-Dis-nous ce qu'il y a dans ta tête Jo-Bine! Nous t'en prions, au nom de ton honneur de surhumain! Dis-le nous Jo-Bine! qu'il criait dans ma tête Josse-Lin... Oh! Je l'entends encore ce sifflement lointain...

Non. Je ne dirais rien à Josse-Lin ni à qui que ce soit. Je tiendrais ces pensées secrètes, envers et contre tous. Grâce à mon truc. Un truc que j'ai fini par apprendre à quelques-uns de mes camarades. De sorte que nous formons maintenant une véritable bande de bâtards dans l'univers ultra-conformiste des télépédagogues et autres enculeurs de mouche du cosmos.

Avec le temps, j'ai même réussi à bloquer tout à fait la voix de Josse-Lin dans ma tête. Je peux choisir l'âme avec laquelle je souhaite communiquer par télépathie. Je leur ai tous montrer le truc pour qu'ils puissent se garder un jardin secret qui soit hors de portée des télépédagogues et autres censeurs qui surabondent dans l'univers en ces temps d'ignorance et de conformisme.

Moi et ma bande on se tape de petites balades sur des planètes bleues de temps à autres.

On s'est remis à l'anthropologie. Et on essaie de vivre comme les humains, quoi, en réduisant la télépathie, la téléportation et la télékynésie au strict minimum. On se fait des feus sur les plages. On nage tout nu. On boit des liqueurs barbares constituées de jus de racines fermentées. On mange des trucs visqueux qui vivent dans des coquillages. C'est barbare, oui, mais on aime ça.

C'est comme si le fait de vivre enfin dans son corps donnait du sens à la vie. Comme si le fait de risquer la mort, de perdre notre immortalité loin des grands centres de reconstitution biologique devrais-je dire, nous rendait plus surhumain, ouais, avec la conscience que tout ça pourrait s'arrêter un jour ou l'autre, comme ça, pfuit!

Nous sommes aujourd'hui le 3 janvier 3010. La terre est belle ce matin. Les humains sont beaucoup moins nombreux qu'il y a 1000 ans. Il en reste quelques milliers ça et là, protégés par l'Office de protection des animaux et des humains. Ils cultivent essentiellement des racines desquelles ils tirent une farine avec laquelle ils font des genres de biscuits. Ils produisent aussi une liqueur enivrante avec cette même racine. Puis c'est à peu près tout, sinon qu'ils croient que nous sommes des dieux, ignorants comme ils le sont, mais si affectueux aussi en même temps... Ouais, ils sont affectueux les humains.

Nous sommes sur l'Île des Kangourous qu'ils appelaient autrefois l'Australie. Il y a un beau feu sur la plage. On boit de la liqueur de racine. Et on contemple l'océan, le ciel et les nuages.

samedi 2 janvier 2010

Fermé jusqu'au 3 janvier 2010

Les activités reprendront le 3 janvier 2010 pour ceux et celles qui n'auraient pas encore compris.

Merci de lire mes niaiseries. Ça me détend.

GB