mardi 30 septembre 2008

LA CRISE ÉCONOMIQUE EXPLIQUÉE PAR BILL L'INDIEN

Bill s'est tapé au moins douze crises économiques par année au cours des vingt dernières années.

Il a toujours été cassé. Et il a l'air cassé, fourbu, mais solide. Son visage est ravagé par le temps, mais ses yeux sont demeurés jeunes. Il a encore toutes ses dents, Bill, et ses pommettes d'Indien ne cessent pas de grossir. Il gagne en sagesse à défaut de bien gagner sa vie.

Le cycle travail, chômage, aide sociale, il connaît ça, Bill. Et ce n'est parce qu'il est paresseux. Quoi qu'en pensent les abrutis repus et les spécialistes des HEC.

Ils aiment ça, les couards, tirer sur les blessés à la guerre. Ils n'auront jamais les couilles de tirer sur leurs généraux. Bref, ils n'aiment pas l'idée qu'un type comme Bill ne soit pas l'esclave soumis par excellence, celui qui dit toujours oui, oui, monsieur, oui, oui, madame, je suis à votre service, s'il-vous-plaît, pensez que j'ai une famille à nourrir, je vais laver le bol de toilettes avec ma langue si vous voulez, merci, merci.

Bill, voyez-vous, n'est pas tout à fait con. Il s'est rendu compte assez vite que même les plus obséquieux pouvaient aussi connaître le cycle travail, chômage, aide sociale. Et ils n'en étaient pas plus honorables ou bien honorés pour autant.

Si ça se trouve, Bill avait toujours eu raison de demeurer stoïque, de ne pas ramper aux pieds des patrons et de regarder tout ça comme une farce pas toujours drôle, un monde gouverné par le cash, un monde d'apparats et d'apparences, de bijoux clinquants et d'argent inventé à partir de rien. Pour un autochtone, chaque individu est roi. Qu'il soit déchû ou non, un roi reste un roi.

L'économie roule sur quelques mensonges de courtiers bien peignés, propres, qui plongent des continents entiers dans le marasme économique pour enrichir les riches et appauvrir les pauvres, comme ça s'est toujours fait depuis que le monde est immonde.

Et Bill, dans tout ça, il est comme l'Indien dans Lucky Luke, les bras croisés à tirer une poffe. La civilisation se construit autour de lui, avec le cheval de fer, le télégraphe et la barbarie qui vient avec, et l'Indien ne dit rien, ne fait rien. Il tire une poffe.

Ses yeux sont mi-clos comme ceux d'un moine bouddhiste, un Indien de l'Inde celui-là.

Bill atteint un état de quiétude dans la sensation que tout ça n'est qu'une lamentable farce. Glouskap va revenir, qu'il se dit Bill, en se rappelant une vieille légende de sa grand-mère qui s'est fait foutre dans les orphelinats de Duplessis, idole des adéquistes et conservateurs, pour désapprendre l'algonquin et apprendre que les Sauvages étaient possédés du démon. Glouskap va revenir, non seulement dans le programme de l'enseignement moral, à l'école, mais aussi en chair et en os, un géant qui viendra rétablir l'harmonie entre les hommes et la vie. On reviendra au Grand cercle de la vie sur l'Île de la Tortue, se dit Bill en lui-même, pour survivre à ses récessions incessantes.

Bien sûr, ce n'est qu'une légende.

Une vraie récession s'en vient, peut-être une crise économique pour ne pas employer d'euphémisme. Des milliers de milliards de dollars partent en fumée, en ce moment même.

En vérité je vous le dis, Bill voit ça venir de loin, la crise. Ce n'est pas le sort des banquiers ruinés qui l'inquiète. C'est le sort de ses proches. Savent-ils chasser, pêcher, vivre sans eau courante ni électricité? Pourront-ils vivre sans voiture ni ligne Internet? Pourront-ils regarder les oiseaux du ciel et se convaincre que le Grand Manitou les nourrit?

Rien n'est éternel. On ne sait jamais comment ça pourrait se passer.

Bill est devant la SAQ, sur la rue des Forges à Twois-Wivièwes. Bill s'est déguisé en Indien, et pour le moment il vend un journal de rue ou des cigares.

Il voit le monde comme on ne le voit pas.

Et il tire sa poffe, sans mot dire, avec une infinie tendresse pour tous ces pauvres bougres autour de lui qui le croient pauvre comme Job.

-Si tout' pète, qu'il se dit en lui-même, des gars comme moé, qu'i' ont toujours su s'tirer du pétrin dans des situations où i's avaient p'us rien, ben, i' vont être ben moins malheureux qu'eux autres qui ont tout'... pis qu'i' savent pas encore qu'i' pourraient tout perdre. Maudit qu'i' font pitié...

-Monsieur, c'est combien pour le journal? que lui demande une gentille dame avec un col de fourrure et des bijoux pesants.

-Pour vous c'est gratuit madame... répond Bill en se tirant de son demi-sommeil. Les temps vont devenir dur pour tout l'monde. Faut s'entraider!

lundi 29 septembre 2008

LES NUAGES... LES MERVEILLEUX NUAGES!

Les nuages… les merveilleux nuages!

Ce n’est pas que j’aie attrapé le spleen et qu’il me prenne l’envie de singer Baudelaire. Mais regardez-moi ça ce matin, dans le ciel, et venez me dire que nous ne vivons pas sous de beaux cieux, ici, dans la vallée du fleuve Magtogoek, ce « chemin qui marche » comme l’appelaient les aborigènes. Nos cieux sont exceptionnels. Je vous en passe un papier. Et il est là sous vos yeux, ce papier, même virtuel, pour sauver un ou deux arbres.

Je me suis levé à cinq heures ce matin pour pouvoir les contempler, ces nuages et ces arbres, sous tous les éclairages.

D’abord avec l’éclairage de nuit. Quand je suis sorti de ma tanière, à six heures pile, la nuit n’était pas encore terminée. Les rues étaient désertes et les nuages flottaient au-dessus du port de Trois-Rivières, de gros nuages cotonneux, bleus ou mauves, des couleurs bigarrées qui se bagarraient dans mes yeux de daltonien. Comme si j’avais rendez-vous avec l’infini, vibrant de ces sensations qui se rapprochent d’un état de grâce.

Les étoiles et la lune renvoyaient un peu de leur lumière entre les nuages tandis que le soleil, dans les coulisses, s’apprêtait à reprendre sa course dans le ciel.

Et maintenant, voici l’éclairage de jour. Je distingue des roses et des pourpres dans les nuages. Il y a même du jaune. Mais peut-on faire confiance à un daltonien chronique? Même s’il prétend peindre? Même s’il lit des biographies de Gauguin, un autre daltonien plus ou moins sauvage?

Je ne saurais quoi vous dire avec l’alchimie des couleurs. Mais elle s’opère dans le ciel, l’alchimie. Et jusque dans le feuillage qui prend la couleur de la pierre philosophale.
Mes yeux voient ça. Ils ne me trahissent pas toujours.

Ils voient tout, mes yeux, différemment, mais sans oublier aucun contour, surtout quand je porte mes lunettes… J’oubliais de dire que je suis myope. Pas comme une taupe, mais suffisamment pour rater mon coup à tout coup si j’allais à la chasse aux canards sans mes lunettes.

Bien sûr, je n’irai pas à la chasse aux canards. Je vais les laisser pulluler comme jamais, ces canards à col vert qui, cette année, s’en prennent à nos canards indigènes pour occuper tout l’espace. Le canard noir est presque disparu. Génocide entre canards? Je vais en parler à un biologiste ou bien à un chasseur. Et je vous reviendrai là-dessus, avec une recette de bines au canard.

Bientôt, on verra de longues filées d’outardes dans le ciel. Les canards vont probablement les suivre. Et ils nous laisseront nous enfoncer lentement mais sûrement dans l’hiver, ma saison préférée, parce qu’elle efface toutes les couleurs et nous laisse un décor qui se prend comme une page blanche, une promesse d’écrire n’importe quoi, une page vierge pour y faire gicler les couleurs de notre choix.

***

En complément de programme, L’Étranger de Charles Baudelaire. C’est tiré du recueil Le spleen de Paris. Et, oui, c’est un classique.

L'Étranger

- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.
- Tes amis?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté?- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle?
- L'or?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!

Charles Baudelaire, Le spleen de Paris

dimanche 28 septembre 2008

SANS CONNAISSANCE


Je suis tombé sans connaissance après avoir lu le roman éponyme de Éric McComber.

D'abord, je suis un gars qui aime sacrer. J'aime sacrer parce que c'est vulgaire. Et j'aime passer pour quelqu'un de vulgaire dans un monde où les gens qui se croient convenables sont parfois de puantes ordures. Le parfum, ça ne cache pas toujours l'odeur de merde. La cravate, ça ne fait pas plus raffiné et plus sincère pour autant. Bref, il y a chez les bums et les gens qui sacrent une certaine franchise qui n'est pas nécessairement un refus de penser ou de réfléchir, mais bien plus un refus de se soumettre, un devoir de résistance envers tous les conquistadores du passé, du présent, voire du futur.

Je partage avec McComber une particularité génétique. Nous sommes tous les deux d'ascendance autochtone, lui mohawk et moi algonquin, deux nations ennemies par le passé, qui ont fini par faire la paix et vivre ensemble. Et ça jouait sévère chez nos ancêtres. Nous portons encore dans nos gênes des actes de cannibalisme, du ragoût de Robe Noire, des danses du soleil qui te brûlent les lèvres jusqu'au petit matin, parce que c'est quelque chose de danser avec un tison dans la gueule, toute la nuit... Remarquez que je ne l'ai encore jamais faite, la danse du soleil. Du moins, pas à ma connaissance.

McComber, dans son roman Sans connaissance qu'il a publié à Paris, l'an passé, aux éditions Autrement, vient de prouver que l'on peut écrire ses danses du soleil en joual et publier à Paris, tabarnak, et juste pour ça, ben ce roman est devenu incontournable.
Si vous ne le lisez pas, c'est que vous vous en torchez, de la littérature au Québec, et que vous préférez le confort oh combien sédatif d'une lecture divisée en chapitres réguliers, avec une intrigue régulière et un albinos qui veut tirer sur tout ce qui bouge autour de lui.

Éric McComber est un sacreux. Son roman, écrit en joual, arrive à point nommé en France, dans la foulée du film Les Chtis, où les Français s'intéressent subitement à d'autres sonorités françaises, dont celles d'Amérique. McComber écrit comme un américain qui aurait été mieux que bien traduit. Il arrive en France sans complexe, yes sir tabarnak, et il raconte ses histoires, en français vernaculaire, dans une langue aussi vivante que celle de Rabelais, Sade, Marcel Aymé, Louis-Ferdinand Céline ou Marcel Pagnol. McComber nous représente bien parce qu'il est libre comme l'air.

Cette langue française, qui pourrait être maniérée, a profité d'une lecture assidue des pères fondateurs de la littérature introspective passionnante: Henry Miller, John Fante et Charles Bukowski. Cela donne en bout de ligne Sans connaissance, une oeuvre brute, trajectoire d'un nouveau Bandini, Émile Duncan, qui raconte sa vie sans enflures, n'hésitant pas au passage de s'égratigner, de se présenter sous son plus mauvais jour. C'est beau. C'est laid. Ça cogne.

Les années d'apprentissage de cet Émile Duncan sont admirablement servies par la plume incisive de McComber qui la trempe visiblement dans son propre sang.

Car ça saigne dans Sans connaissance, ça saigne pour vrai. Ce ne sont pas des accroires. Ce n'est pas de la littérature de mauviettes. C'est décapant comme l'acide à dégraisser les plaques de cuisson, au resto. C'est effervescent comme le tabarnak.

Christian Mistral m'a fait découvrir McComber et depuis, vous savez quoi? Je ne m'en passerais pas. Je veux lire toutes ses oeuvres. Je passe mon temps à lire ses messages sur son blogue, pour voir s'il va me sortir une histoire de bar ou bien un récit de voyage à me fendre la gueule en sang. Et c'est pareil pour Mistral. Pourquoi ne les ai-je pas connus avant, hein?
Je déteste le ouèbe pour ça. On se rend compte, bientôt, qu'il y a du talent en surnombre. Et cela fait réduire ses rancoeurs, ses rancunes, ses déceptions envers les arts et les lettres. J'ai appris à connaître et apprécier deux écrivains majeurs québécois en moins d'un mois. Ce n'est pas de la tarte. Comment l'année va-t-elle se finir? N'était-ce qu'un coup de chance? Je le crois. De telles qualités, ça ne s'attrape pas comme un virus. Ça prend une longue période d'incubation. L'expérience, le vécu et la maîtrise de la syntaxe, ça ne s'achète pas.

McComber s'acharne, avec éloquence, à transcrire fiablement ce que l'on entend à l'oreille, quand on se parle entre nous, Québécois de souche, sauvages ou d'adoption.

McComber réussit mieux que plusieurs, à mon avis, à créer de ces sonorités qui viennent enrichir le génie de la langue française. Notre joual est à l'honneur et notre poulain, McComber, nous représente bien et nous fait honneur, en France. En France, chez Autrement, peut-être parce que nos éditeurs sont frileux ici. «S'il fallait que les gens se mettent à aimer ça, tous ces tabarnaks, estis ou whatever. Les gens parlent-ils vraiment ainsi?» Hee... Oui!

Je vous cite un passage. Rien qu'un. Si vous en voulez plus, achetez Sans connaissance. Vous ne le regretterez pas et vous n'allez pas le lâcher, même si ça vous choque, juste parce que c'est vrai. C'est si rare de tenir quelque chose de vrai entre ses mains qu'on en a oublié le goût.

Mangez de la vraie viande, du steak haché pour voir, de la vie, pas quelque chose d'enrobé dans du plastique. Et vous m'en donnerez des nouvelles.

Le steak haché de supermarché ne goûte rien. Celui qui est fait avec passion, plaisir et nécessité vitale, par le boucher ou l'écrivain, eh bien il goûte bon.

On en mangerait cru si l'on ne freakait pas tant sur les microbes. Mes ancêtres algonquins et les ancêtres mohawks en kilt de McComber n'en faisaient pas plus de cas. La vie, hostie, ça se mange cru.
Et c'est cru, le roman Sans connaissance, oyoyoye que c'est cru. C'est pas de la piquette. C'est un christ de bon cru. Raw power, que je vous dis, pour reprendre le titre d'une toune de Iggy Pop.

Je ne veux pas passer pour un goujat, mais c'est aujourd'hui la fête de McComber et il me semble nécessaire de terminer sur un passage de Sans connaissance qui, sans vous vendre le punch, vous donnera tout de même une juste idée quant au ton qu'il emploie dans son roman, un ton libre, enjoué, sans pour autant négliger la profondeur du propos, le contenu étant tout aussi saisissant que son emballage.

Émile Duncan a mangé une raclée. Il est à l’hôpital et, tout à coup, il reconnaît Laurie, une anglophone. C’est le jour de son anniversaire et il croit qu’elle s’est déguisée en infirmière pour lui souhaiter bonne fête. Pas du tout. Elle travaille à l’hôpital...

«-Émile, I like you man… You’re funny. Mey, je pas venoue ici pour niaisey. Je travaille ici, Émile. Joyeux anniversaire, Émile, mey mon job ce matin, c’est de te faire oune lavement.
-Un lavement?
-Pour les examens, plous tard aujourd’hui. Faut que je te mette oune tuyau dans le rectum et je pompe de l’eau pour nettoyer ton intestin, Émile. Tou as plein du sang dans ton intestin. Si tou préférey, je peux demander à oune autre nurse de faire.
-Bah… Baaah.
Au point où j’en suis.
Je me tourne sur le côté. Elle met des gants, badigeonne, m’ordonne de prendre une bonne respiration. Ca y est. Joyeux anniversaireuuh!»

Éric McComber, Sans connaissance, Éditions Autrement, Paris, 2007, pp. 279-280

Hostie que c'est bon ce roman-là!

Hostie que c'est vrai!
Joyeux anniversaireuuh McComber!


PS: Allez écouter la toune Déraciné sur ce lien. Éric McComber est aussi auteur-compositeur-interprète. Pis c'est bon ce qu'il fait. Sur Déraciné, il chante et joue de la slide guitar.

LÉON, COCO ET MULLIGAN


J'ai lu tout d'une traite Léon, Coco et Mulligan, le dernier roman de Christian Mistral publié aux éditions Boréal en 2007.

Encore une fois, ce gus a réussi à m'éblouir. D'abord, ce n'est pas un roman à l'eau de rose, oh que non, mais du solide, cela prouve que Mistral n'est pas qu'une comète qui a publié Vamp jadis, mais un puissant feu d'artifices qui pète de tous bords tous côtés.

Et croyez-moi, c'est pété en hostie ce qu'il écrit, Christian Mistral.

C'est comme si le Dostoïevksi qui a écrit Le Joueur serait aussi le même qui a écrit Cannery Row ou Mice and Men - ben oui, John Steinbeck. Et vous savez quoi? C'est plus que ça encore. Ce n'est pas vraiment un dédoublement de personnalité. C'est d'une personnalité unique dans notre environnement littéraire. C'est du Mistral. C'est sa plume. Sa trace. Et on peut en être fier, croyez-moi.

Avec Léon, Coco et Mulligan, on plonge dans les années '80, dans le secteur du carré St-Louis à Montréal. Un flashback réussi. J'y étais à la même époque. Et je m'en rappelle, tiens. Le décor est bien planté, la galerie de personnages est plus que réaliste, avec un brin de transcendance, ce qui prouve que Mistral n'est pas qu'un scribe -mais qu'il est aussi un artiste.

Léon et Coco sont des vagabonds en leur genre qui se promènent d'une ville à l'autre et qui s'arrêtent là, au milieu d'une faune grotesque mais émouvante. C'est grouillant de créatures de cirque sur la rue Prince-Arthur: musiciens de rue fuckés, poqués de la vie, misérables ivres morts, putains, maquereaux, voire cancrelats.

L'écriture de Mistral pour ce roman est d'une facture plus classique, ce qui témoigne d'une certaine maturité, mais aussi d'un choix judicieux, histoire de varier les couleurs de sa palette, de montrer qu'il est capable de nous surprendre, d'un livre à l'autre, sans tomber dans la facilité.

Et pourtant, c'est facile à lire, même si l'étude des âmes est si compliquée que peu d'écrivains ne la maîtrisent vraiment. Mistral, par un don qui doit s'appeler le travail sans compter les heures, a réussi à faire un grand livre de ce petit livre de 144 pages. Il est vraiment le king du Plateau et de ses environs, que voulez-vous que je vous dise.

Je ne vous vendrai pas le punch, mais j'ai trouvé que le climat qui se dégageait du roman me rappelait Des souris et des hommes: Léon, un écrivain raté, qui traîne avec lui Coco, un schizo qui passe son temps à réciter des vers du célèbre poète Mulligan. Léon qui détruit tout ce qu'il écrit. Et Coco qui perd la boule. Et toute une galerie de personnages qui finissent tous par vous attendrir, même les plus rats, juste parce que l'on sait que la vie peut être chienne et qu'il faut avoir du chien et du mordant pour mieux la décrire.

Deux citations, qui m'ont frappé comme un coup de masse en plein front:

«-C'que tu comprends pas, c'est que le vrai monde, ça lit pas. Pourquoi, joualvert, que t'écris des livres si y a pas de vrai monde pour les lire?»

p. 125


Ouche. Ça fait mal, une phrase comme ça.


Puis, parlant de Léon, l'écrivain raté qui brûle tout ce qu'il écrit:


«(...) il consacrait rarement deux heures consécutives à son ouvrage. Le silence lui était intolérable, l'irritait de la même irritation que celle qu'il ressentait à la vue de sa propre image dans un miroir. Sa plume courait sur le papier, tantôt furieuse, tantôt hésitante, suicidaire souvent, rayant deux lignes pour un mot ajouté. Il bleuissait rame après rame, chacune le convainquant davantage de sa propre médiocrité, d'écrivain, d'homme. Il n'osait plus croire en son étoile.

Sans discipline, il n'arriverait nulle part, et il n'acquerrait plus de discipline à son âge.»


(pp.108-109)

Lisez-moi ça à voix haute, pour voir, et venez me dire que Mistral ne sait pas où placer ses points et ses virgules! C'est un écrivain de talent, de génie même, et je le dis sans rire, du fond du coeur.

Je ne vous dirai pas comment se termine Léon, Coco et Mulligan. Ce roman n'est pas seulement punché, mais il punche d'aplomb à la fin, signe que cela pourrait terminer à l'écran, ce roman. L'intensité dramatique est soutenue et mesurée avec talent.

Courez chez votre libraire.

Demandez à Boréal de faire rouler les presses rotatives.

Faites des manifs pour réclamer votre exemplaire de Léon, Coco et Mulligan.
Sinon, demandez l'anti-roman Papier-mâché, Carton-pâte, chez VLB, publié en 1995. Je suis tombé là-dessus par hasard, hier, et je n'en revenais pas de ne pas avoir lu ça quand s'est sorti!
C'est vrai que je me promenais pas mal d'un océan à l'autre dans ce temps-là... Comme Léon, Coco et Mulligan.
J'ai donc le droit d'accorder mon sceau personnel d'authenticité à ce roman: littérature vraie, les amis. C'est pas du toc. Et c'est écrit avec les tripes. Ça paraît.

DEUX ÉCRIVAINS MÉDIOCRES

Je ne suis pas un critique littéraire. Comme je ne suis pas un joueur de basketball.

Je n'ai rien contre le basket, bien que ma culture de ce sport se limite aux Harlem Globetrotters.

Bon sang que j'aurais aimé pouvoir faire tourner le ballon de basket sur mon doigt comme il le faisait, le grand bonhomme aux cheveux frisés. Chaque fois que j'ai tenté le coup, je me suis lamentablement ridiculisé.

Vais-je me ridiculiser à jouer au critique littéraire? Peut-être. Ma culture de ce sport se limite à Pierre Assouline, un républicain des livres. Un membre des Harlem Globetrotters à sa manière, qui fait danser les livres sur son doigt en épluchant les pages à la vitesse de l'éclair.

Je m'en voudrais aussi de ne pas mentionner Phil, un blogueur qui fait du boulot honnête et qui mériterait une page ou deux, sur papier velin, un de ces quatre.

Bon, moi je ne suis que moi. Je vais donc vous parler de deux écrivains médiocres: Christian Mistral et Éric McComber.

Je dis médiocres parce que je commence à les connaître un peu et il me prend de ces fantaisies de les taquiner un peu. Si je vous dis d'emblée qu'ils sont excellents, ils vont s'enfler la tête et vous, vous allez dire que c'est arrangé avec le gars des vues, ma fameuse critique littéraire.

Bon, comme plusieurs ne liront pas plus loin, je m'excuse d'avoir écrit cela. Je sais que cette phrase, tirée de son contexte, pourrait nuire à la réputation d'écrivains que j'admire. Et que je respecte en tant que correspondants. Ils ne sont jamais avares de leur temps pour me torcher de la littérature à gros volume, sans sourciller.

Ça prouve que ce sont des vrais. Des auteurs à la hauteur. La passion et le plaisir des lettres, ça ne s'invente pas. Ça se sent. L'intérêt y est souvent pour quelque chose. Je veux dire qu'on ne se sent pas enveloppé par l'ennui quand on les lit l'un et l'autre, Mistal et McComber, même que je les ai lus en même temps, ben tiens.

J'ai lu Léon, Coco et Mulligan de Christian Mistral et Sans connaissance de Éric McComber. Deux romans solides. Qui prouvent que la littérature québécoise n'est plus plate comme avant.

Savez-vous ce qu'il y a dans ces deux romans? De la vie. Ça bouge. Ça mange. Ça frémit. Ça baise. Ça meurt.

Ce n'est pas englué dans l'application pratique de théories littéraires.

Ça ne se limite pas à une dégringolade de mots et de descriptions soporifiques.

C'est sportif.

C'est viril.

Comme du Henry Miller, du John Steinbeck ou du Charles Bukowski. Bref, c'est américain dans ce que l'Amérique a de meilleur, dans tous les sens du terme. Américain avec de la valeur ajoutée, je dirais même. C'est en français, une langue qui devra bien se parler de la Terre de feu à l'Alaska, juste parce que l'on voudra lire Mistral et McComber dans le texte, tiens.

Mes critiques suivront cet envoi.

Cette mise au point m'était nécessaire.

samedi 27 septembre 2008

NE PERDEZ PAS VOTRE TEMPS À DAWSON CREEK

AVANT-PROPOS

Je suis revenu de Whitehorse sur le pouce en 1993.

J'avais le mal du pays. J'avais aussi mal à la mâchoire de parler tout le temps en anglais. Je voyageais seul, anonymement, comme Forrest Gump, avec quelques livres de plus, en tête, et autour des os.

Je voyageais avec peu de choses, bien sûr. J'avais appris que l'on gagne à voyager léger sur le pouce: un sac à dos pouvant contenir un gros sac de noix et fruits mélangés, un carnet d'esquisses et des crayons, un sac de couchage, un peu de linge de rechange, un kit de toilette, le Livre d'or de la poésie française, les récits sur le Klondike de Jack London, un baladeur avec quelques cassettes: CCR, The Doors, Bob Dylan, Bob Marley, Lee Scratch Perry, U2, The Clash, Johnny Hooker and Canned Heat, Robert Johnson, Bessie Smith, Léo Ferré, Georges Brassens, Jacques Brel, Plume Latraverse et Stephen Faulkner. C'était mon kit de survie.

Ma tactique pour faire du pouce était fort simple. D'abord une pancarte avec le sigle des Canadiens de Montréal. Je n'avais qu'à sourire un peu, ce qui me vient tout naturellement sans efforts, et je n'attendais jamais plus d'une heure.

CHAPITRE UN: JUSQU'À DAWSON CREEK AVEC UN TCHÈQUE

Le premier jour de ma randonnée, un Tchèque m'embarque dans sa van. Il fait la livraison entre Whitehorse et Grande Prairie. Il ne parle pas très bien anglais, puisqu'il vient tout juste d'arriver au pays. Nous communiquons moitié par gestes, moitié par comptines d'enfant: yes, no, all right, beautiful trees, nice landscape, women in Dawson Creek are nice, Milan Kundera and Vaclav Havel, yes, yes, number one, etc.

Il a une tête de Tchèque. Même si je n'ai jamais rencontré de Tchèque auparavant. Je me dis que ça doit être ça un Tchèque, concentré sur sa route, sympathique, pas une face de boeuf de l'Ouest en train de chiquer ses factures. Même qu'il ressemble un peu à Bob Denver, celui qui faisait Gilligan dans Les joyeux naufragés. Qui pourrait détester Bob Denver? Je vous le demande.

Donc, le Tchèque me mène jusqu'à Dawson Creek, sur la frontière entre la Colombie-Britannique et l'Alberta. J'y passe deux jours, le temps de visiter un peu le Mile Zero de l'Alaska Highway.


CHAPITRE DEUX: UNE SOIRÉE AU BAR DU WINDSOR HOTEL À DAWSON CREEK

Je loue une chambre dans un hôtel dont le nom m'échappe, le Windsor Hotel probablement, puisque tous les hôtels cheap s'appellent Windsor au Canada.

C'est un hôtel tout ce qu'il y a de plus banal. Et, dans cet hôtel, comme par hasard, il y a le bar où se tiennent les jeunes de 20 à 30 ans.

Je jure un peu dans le décor avec mes cheveux longs, ma barbe et mon collier faits de griffes d'ours. Je suis peut-être dans un bar de rednecks, sait-on jamais.

Je commande une bière en tentant d'amenuiser l'effet of my strong quebecer accent.

-Ail! que je dis à la serveuse. Guimi he molsonne quenédienne, hé, plize.

-What? qu'elle me répond, sans rire, avec un air de boeuf. Arf! Est même pas belle! que je me dis. Et je lui répète:

-A Molson Canadian, eh!

Des blonds aux yeux bleus avec la nuque rasée se tournent vers moi. Ils ont détecté mon accent. Ils s'inquiètent. Le plus beef de la bande, qui pourrait passer pour le frère jumeau de Johnny Rougeau, me regarde en pleine face et me lance tout d'une traite:

-Hey! Are you French? Franzèze thou parler? Ha! Ha! Calizzzz! Tabeurrenak!

-C'est ça, c'est ça, calice, tabarnak...

-What did you say?

-Nice to meet you.

-Me too, I'm John.

-I'm Gaétan.

-Ga... wpfwtr.... what?

Je lui explique mon nom et là le type se fout de ma gueule avec sa bande de morons. Il me parle à toute vitesse et profite du fait que je ne comprends pas son charabia de moron local tout du coup.

-Ar' ya' a fuckin' jerk, ya, huh?

-No... No... que je réponds. Thank you very much. Croyant qu'il me demande si je préfère la Molson ou la Moose Head.

Ils rient de plus en plus forts.

-Thank you very much! He said thank ya very much! Ha! Ha! Ha! He's really a' jerk, eh, guys?

-Yes... que je réponds, ne comprenant pas tout de suite ce qu'ils baragouinent, ma traduction simultanée biologique étant plutôt affectée ce soir-là.

Ils se foutent de ma gueule totalement, ces maudits Vikings.

Le double anglo de Johnny Rougeau me dit que c'est sûr que je vais partir tout seul à la fermeture du bar, que pas une chick ne va s'intéresser à moi, moi le jerk, l'idiot qui ne comprend rien, qui dit merci beaucoup quand on le traite comme une merde. Je me cale deux ou trois onces de fort, puis, mon anglais s'améliore de plus en plus.

-Ok, guys, que je leur dis, par bravade et aussi parce que je suis un peu réchauffé. I'm gonna make love with two girls tonight because I've got latin blood! Let me tell ya something my friends, women know that French is the language of love!

-Oooh! me réponds Johnny Redneck. Did you hear that? It sounds like Pépé the pew! From Bugs Bunny, y'know? Ha! Ha! Ha! Geez... Two girls for this big boy!

L'hostie de redneck me compare à la mouffette dans Bugs Bunny... La mouffette qui parle avec un accent français, dans la version anglaise originale.

Y'a une toune de Red Hot Chili Pepper qui se met à jouer. Ma toune, tiens. Ce sera la mienne ce soir-là: Give It Away.

Give it away, give it away, give it away, now!
I can't tell if I'm a kingpin or a pauper!

On ne danse pas seul sur une piste de danse, dans le Grand Nord canadien. Tu passes pour un homo. Or, je ne m'en rappelle plus. Je danse seul comme si j'étais dans un bar sur le Plateau Mont-Royal. Et le monde me regarde de travers.

C'est encore le grand square dance à Dawson Creek, en 1993. Tu dois aller chercher une demoiselle par la main pour danser sur Red Hot Chili Pepper ou Nirvana. Et, en plus, tu n'es pas sensé slamer à Dawson Creek, ni de giguer comme Morrison sur la piste de danse, comme un maudit gars de couleur qui a le diable au corps, la crinière au vent. Mademoiselle, pardon, voulez-vous danser sur cette admirable toune de Nirvana? Ça ne colle pas!

Les doormen viennent me voir pour me dire de me calmer. Je dis ok, sans plus. Et deux filles s'approchent de moi pour danser. Une belle blonde et une belle brune. Les deux plus belles du bar, sérieusement, même si je ne suis pas assez moche pour que cela soit étonnant.

Elles se présentent. Et quand elles m'entendent leur répondre avec mon accent français, je vois leurs yeux revirer trois fois dans leurs orbites.

-Aoh! You're French! French is the language of love! I know a bit of French, me répond la brune. F'oulez-f'ous coutcher avec moâ cé souar?

-Yes! que je réponds, pas fou. Et je remercie tout de suite intérieurement Nanette Workman pour cette leçon de français aux anglaises...

La brune me trouve drôle. La blonde aussi. Puis les deux m'invitent à aller prendre un café quelque part, tout de suite. On ne s'entend pas parler et elles ont envie de m'entendre parler, en ce samedi soir monotone, parmi des mecs qui restent entre mecs à rire et boire un coup sans se soucier des femmes, sinon pour en parler sans jamais rien risquer.

La brune et la blonde m'accrochent par le bras. Ça ne fait pas trois danses que j'exécute que je sors du bar comme une rockstar. Évidemment, je ne résiste pas à l'envie de saluer Johnny Redneck avant que de m'en aller, juste pour le gosser un peu et imposer un juste respect des Québécois et autres Canadiens français.

-I've told ya that I'll be with two girls tonite and I was right. Have a good nite, guys!

-You're just a fucking prick, man! A fucking prick! que me répond Johnny Redneck, avec une pointe certaine de jalousie et un zeste d'admiration.

-Latin blood, buddy, nothing else than latin blood... French is the language of love!

On se serre quand même la main. Je ne suis pas rancunier.

Puis les deux filles me reprennent les bras et nous sortons, tous trois ensemble, de ce lieu de perdition et d'alcool frelaté.

CHAPITRE TROIS: LE SEXE APRÈS LE MARIAGE À DAWSON CREEK

Bon, là, vous vous demandez si j'ai fait un cunnilingus avec ces filles, hein? Je vais vous décevoir: non.

La blonde est partie prétextant un mal de tête. La brune me voulait pour elle seule et la blonde s'était éclipsée.

Elle avait un nom de type russe, genre Budinski, la brune. Elle était infirmière en chef à l'hôpital. Plutôt bien proportionnée, pas maigre, avec un peu de poigne et un visage d'ange pour faire travailler l'imagination.

Nous sommes d'abord allés prendre un café dans un resto vingt-quatre heures.

Je lui ai raconté mes aventures. Elle m'a raconté sa vie.

Puis la Budinski m'a fait monter à bord de sa voiture pour me ramener à l'hôtel. Et là, parle parle, jase jase. J'ai peine à interpréter les signes de consentement mais je me risque, une main sur la cuisse, puis sur les hanches, les seins, plutôt volumineux. Elle se laisse faire et bientôt participe. On fait du necking devant le bar des rednecks. Puis tout s'arrête subitement, au moment où la vapeur me sort par les oreilles et que je mouille mes boxers.

-Stop... Gitan! Stop!

-What's happening?

-Stop... Would you like to have children? What d'ya think about the marriage?

Les enfants? Le mariage?

Elle m'explique qu'elle sent qu'elle tombe en amour avec moi et qu'elle ne voudrait pas tout gâcher. Nous pourrions avoir des enfants ensemble, nous marier, et tout gâcher ça pour une stupide partie de jambes en l'air...

Et là, elle me parle d'un Algérien trop entreprenant qui l'avait presque violée... et qui parlait avec un accent français lui aussi. Et là, moi, mes mains, eh bien je ne sais plus où les mettre!

-I really love ya Gitan...

Ça me trouble un peu. Je suis quand même perdu au milieu de nulle part, à Dawson Creek, et je me sens seul depuis quelques jours, c'est certain. Seul au monde. Sans but précis. Et là, il y a cette belle brune aux yeux doux qui prétend m'aimer alors qu'elle ne me connaît même pas. Elle me parle d'enfants, de mariage et d'un Algérien trop entreprenant... Et moi, je réprime ma bandaison, comme si j'étais coupable de je ne sais trop quoi. Je dégonfle mentalement mon pneu. Puis je lui dis tout bonnement:

-I've got to go...

Elle me retient par la main, comme dans les films.

-You look like Gérard Depardieu, qu'elle me dit. I really like to know you better Gitan... But it takes time, y'know? It takes time for that... D'ya understand?

Je ne comprends rien. Je referme la portière de sa voiture et je monte à ma chambre pour me coucher.

Je ne dors pas. Je pense à elle. Elle que je ne connais pas encore et que je connaîtrai sans doute un jour. Elle, hostie, une vraie femme quoi. En chair et en os.

ÉPILOGUE

Le lendemain matin, je remets mes clés à la réception de l'hôtel.

Et je quitte à jamais Dawson Creek, cette ville de rednecks et d'agace-pissettes...

Je respire du bon air frais sur la Yellowhead Highway 16. Yellowhead à cause des fleurs de moutardier qui pousse tout le long de la route. Je sais maintenant d'où nous vient la moutarde...

Follow the yellow bricks road!
Follow the yellow bricks road!

Que je me chante, une toune du Wizard of Oz, en riant de bon coeur, le pouce tendu.

Un cow-boy m'embarque, six pieds sept, trois cents livres, le cure-dent au bord des lèvres.

Gordon Lightfoot chante Early Morning Rain dans son vieux camion Ford tout bosselé.

Et en avant pour de nouvelles aventures!

Monte le volume, cow-boy!

-I like Gordon Lightfoot! que je lui dis.

Le cow-boy ne dit rien, monte le volume et s'allume un joint qu'il me tend, par pure gentillesse.

-I really...poof! poof!... I... poof! poof! really like Gordon Lighfoot! Pooof! Poof! Ouf! que j'ajoute.

-All righty then! poof! poof! qu'il réplique. Way to go Frenchy! poof! poof! Waaaa! Geez...

Je me sens bien, libre et heureux, malgré tout.

Grande-Prairie, de l'autre côté de la frontière, en Alberta, sera mon prochain arrêt.

Grande-Praire, here I come.

***

In the early morning rain
With a dollar in my hand...

vendredi 26 septembre 2008

CE BLOGUE N'EST PAS SENSÉ COMPORTER DE LA PUBLICITÉ... JE GAGNE MA VIE HONORABLEMENT!

Une maudite fenêtre publicitaire apparaît quand j'ouvre mon site et ça me met en beau tabarnak parce que je ne recevrai pas un christ de sou noir pour ces nuits sexy et autres messages de merde.

J'ai enlevé mes images, croyant que ça viendrait de là, comme si quelqu'un se stationnait sur mon site, prêt à envoyer sa merde commerciale dont je me torche tout à fait.

Puis j'ai pensé à mon fameux questionnaire Marcel Proust que je suis allé piquer quelque part sur le ouèbe, pour éviter de le taper au clavier, quoi. Je me croyais rusé...

Enfin, j'ai scrappé ce fameux questionnaire, mes réponses et les commentaires de mes hôtes, croyant que c'était Marcel Proust le coupable de ces folles nuits sexy et autres massages virtuels pour pas cher. Aux grands maux les grands remèdes!

Je n'ai pas fini mes investigations et mes coupures. Une fenêtre pop-up apparaît encore à chaque fois que j'ouvre mon site... Que puis-je faire? Est-ce Blogger qui me fait ça? Je ne sais plus trop... J'suis fourré moé-là...

Et si c'était mes liens Internet, les tounes sur You Tube, n'importe quoi, hein?

Je ne vais quand même pas supprimer tous mes messages...

N'empêche que de supprimer le questionnaire Marcel Proust, ça ne me faisait pas vraiment un poil sur la poche.

C'est Mistral qui ne sera pas content, lui qui l'aime tant, ce questionnaire...

LE 14 OCTOBRE JE VOTERAI POUR LE MAINTIEN DE L'ORDRE ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - JE VOTERAI CONTRE HARPER ET BUSH!

Les types qui réclament la non-intervention de l'État me font penser à ces types qui pensaient pareil en 1788, en France, et qui finirent par voir le monde du haut d'une pîque, la tête séparée du tronc.

Leur logique implacable a été plaquée par des pauvres qui firent preuve d'une logique tout aussi odieuse. Les aristos furent pendus à la lanterne et bientôt ça se mit à chanter La Carmagnole et Ça Ira dans toutes les rues de Paris.

Tout le monde en souffrit, les riches comme les pauvres.

Les aristos envoyaient en prison pour vingt-cinq ans celui qui volait un oeuf. Un jour, les voleurs d'oeufs firent tomber La Bastille. Le jour même, les aristos ordonnèrent à l'armée de foncer dans le tas. Or, je ne sais pas pourquoi, l'armée même changea de camp. Les soldats, ça n'a pas fait de hautes études, ça ne comprend rien aux lois de l'économie.

Les soldats prirent le parti des émeutiers contre les aristos qui voulaient se servir d'eux, comme d'habitude, pour écraser la canaille et la racaille.

-Est-ce une émeute? demanda Louis Capet, alors que le peuple défonçait les grilles de son palais.

-Non sire, lui répondit son domestique, c'est la révolution...

Quelques jours après, Louis Capet devait porter un bonnet phrygien. Et quelques années plus tard, il était rapetissé d'une tête, lui aussi.

***


J'en veux aux conservateurs de m'obliger à porter le bonnet phrygien et de voter pour le Bloc.


Ça gueule en bas, les mecs. Vous z'avez pas remarqué? Vous pensez que ces bonhommes et ces bonnes femmes ne sont pas assez nombreux ni même assez crinqués pour être tentés de répéter 1789, 1793 ou 1917 avec ceux qui leur disent, littéralement, de manger d'la marde?

Couper les pauvres, c'est la meilleure manière de monter une armée rouge, brune ou bleue. Il n'y a pas d'autres trucs. C'est vraiment le truc le plus efficace. Évidemment, on n'apprend pas ça aux Hautes études commerciales (HEC) ni à la Bourse.

Pourquoi préserver l'ordre social si l'économie ne suit pas les préceptes ô combien rationnels et scientifiques des ingénieurs de l'Argent et autres adorateurs du Veau d'Or?

-Vous ne connaissez rien à l'argent! hurlent les libertariens et les conservateurs.

-Vous ne connaissez rien de la nature humaine... et rien à l'argent! répondent les sceptiques.

Watch out. Ça va être laid.

***

Voter pour les conservateurs, aux élections fédérales du 14 octobre prochain, c'est un peu comme voter pour la non-intervention de l'État dans les maux de ventre du peuple.

On voit ce que ça donne, la non-intervention de l'État... 700 putains de milliards de dollars versés aux banques, aux États-Unis, sous la recommandation de types qui se prétendaient non-interventionnistes, George W. Bush et ses bigots de républicains. On n'a même pas idée combien de pains ça représente, 700 milliards de dollars. 700 milliards de pains, mettons? Fiou! Ça donne soif...

Et les conservateurs, avec certains adéquistes stupides du coin, croient bien sûr qu'il faudrait faire payer les pauvres, les ramener dans le droit chemin, la tête basse, dociles comme des moutons blancs prêts à se faire tondre sans rechigner. Tout ça parce que tel ou tel crétin des HEC a lu des mots croisés et des diagrammes? Sérieusement?

Les diagrammes ne comptent plus quand les moutons sont noirs. Vous pensez vraiment, chers aristos qui s'ignorent, que les moutons noirs vont se laisser tondre facilement? Vous allez vous faire mordre, les boys, je vous le garantis. Et mordre fort. Vos voteurs silencieux ne pourront rien contre des voteurs tonitruants et dynamiques, prêts à monter au front.

Et tout le monde va payer, je le répète, pour vous en être pris au si fragile ciment social pour prouver le diable sait quoi, pour donner raison à tel zouf doctrinaire ou tel mauvais pasteur de mes deux.

Le couvercle sur la marmite, gang d'innocents, vous êtes en train de le faire sauter.

Baissez le feu, hostie.

Retirez-vous de la campagne. Déchirez vos cartes de membres du Parti conservateur du Canada ou de l'ADQ. Réfugiez-vous en Alberta, cachés dans les sables bitumineux. Le peuple que vous ne voyez pas, du haut de vos tours d'ivoire, n'aura pas à vous saucer dans le goudron avant que de vous coller des plumes et de vous expédier dans l'océan Arctique pour voir s'il faut respecter l'accord de Kyoto et les autres traités internationaux contre la torture des prisonniers.

***

Votons pour n'importe qui sauf Harper, s'il-vous-plaît. Je veux passer une belle année devant mon ordi à me décrotter le nez tranquillos. Je n'ai pas envie de me battre ni de passer mon temps à tenter de sauver la peau des conservateurs ou des adéquistes qui se feront pourchasser dans la rue par des gens qui pourraient avoir faim ou être en beau calice de tabarnak.

Humain comme je suis, je vais me sentir obligé de les défendre, les sacrement. Je vais plaider pour le maintien d'un certain libéralisme social. Je vais vanter le progrès, les Lumières et cette charte des droits de la personne qui semblent dégoûter les conservateurs et ceux des adéquistes qui les appuient stupidement.

Le 14 octobre prochain, je voterai pour l'ordre et la sécurité sociale.

Le 14 octobre prochain, je voterai contre les conservateurs!

jeudi 25 septembre 2008

UN DE MES BOGUES DE L'AN DEUX MIL

Cette histoire-là, franchement, je ne sais pas par où la commencer. Il y a toujours un commencement, n'est-ce pas, et on peut remonter loin d'aplomb, jusqu'au Big Bang si l'on a le souci du détail. Comme je suis plutôt insouciant, téméraire et jemenfoutiste à temps partiel, je ne perdrai pas trop de temps à vous planter le décor et les personnages.

Le décor? Une rue pauvre dans un quartier pauvre. Un bloc pauvre rempli de pauvres. Et parmi les personnages, il y a moi. Eh! qui vouliez-vous que ce soit? Je suis le meilleur à ma façon pour jouer mon rôle.

J'ai quitté Quebec City pour aboutir ici, à Twois-Wivièwes, dans un modeste studio avec bain, toilette, laveuse et sécheuse. Tout le confort de la vie moderne en plus petit. Je suis revenu dans ma ville natale pour mettre au monde un journal de rue. Le Vagabond que ça s'appelle.

Après avoir participé à la mise au monde de la radio communautaire CFOU, à Twois-Wivièwes, je me sens heureux de me remettre aux communications de masse. Ça va chauffer que je me dis. On va libérer la parole, encore une fois. Je vous tends la plume, le clavier, le micro: dites ce que vous voulez, on va revirer la ville à l'envers! Le king est en ville. Rock and roll's still alive! Enfin, c'était mon état d'esprit, celui d'un cave qui voudrait arrêter des chars d'assaut sur la place Tien An Men s'il le pouvait. Ou celui qui déboulonnerait la statue de Lénine, voire celle de Duplessis, sur un coup de tête. Bref, je suis ce que je suis. Révolté. Mais rieur. Je ris de bon coeur, tout le temps. Je vous assure que je ne suis pas méchant.

Bref, c'est l'an deux mil et je demeure dans un logement minable, dans le quartier Ste-Cécile, un quartier aux rues sans fin, où s'entassent des tas de gens qui veulent s'arracher la tête, aux côtés de familles pauvres et de pauvres types comme moi qui voudraient juste qu'on leur crisse la paix.

À cette époque, je travaille matin et soir, sans compter mes heures, à mettre sur pied ce foutu journal de rue. Je participe aussi aux rénovations du local de la rue St-Georges. Nous avons de grosses affiches dans les fenêtres où l'on peut lire «L'opinion d'la rue» avec un chien qui porte une casquette de punk genre squeegee. Ça fesse. On a hâte que ça sorte, notre numéro un qui comporte une entrevue exclusive avec Michel Chartrand ainsi qu'un supplément BD, une première à Trois-Rivières, avec Les z'aventures de Ti-Jean, le livreur de lait. Roberto prépare sa pièce de théâtre punk, Le Merdier, et ça aussi ça va fesser.

Le plus christ dans cette histoire, c'est que je vis un peu la même situation que celle des punks. Je n'ai pas de maison ni de télé. Je traîne ma poche de linge d'une ville à l'autre, d'un océan à l'autre. Et je vis dans Ste-Cécile. Dans un logement de cul.

D'abord, j'avais loué au demi sous-sol. Il y avait eu un dégât d'eau. La chiotte s'était brisée à l'étage supérieur et, un matin, je m'étais réveillé dans un lit imbibé de Dieu sait quoi. J'étais, bien sûr, en beau tabarnak. J'avais donc appelé Théo pour me plaindre.

Théo, en passant, c'est tout un personnage. Il est tout petit et il a une jambe plus petite que l'autre. Il représente des tas de proprio dans le ghetto. C'est en quatre-vingt-dix-sept que je l'ai rencontré pour la première fois. Par hasard. Il m'avait fait louer quelque chose sur la rue Ste-Angèle. Puis, en l'an deux mil, voilà que je le croise au coin d'une rue, par hasard encore une fois, et qu'il me fait louer ce demi sous-sol minable où je baigne dans les eaux usées!

-J'ai une belle place pour toé Guétan! Viens voir ça! Rendez-vous à quinze heures! Oui! Tu l'regretteras pas! Un bon logement toé chose! que m'avait dit Théo, le sacrement.

***

-Bonjour m'sieur Théo... C'est Gaétan. Y'a un dégât d'eau. Pis j'baigne dans marde!

Théo avait arrangé ça, comme de raison, en m'expédiant à l'étage supérieur. Il avait fait expulser le gus que je n'avais jamais rencontré par ailleurs. Il se gelait et il laissait l'eau couler, le gus, quelque truc du genre. Il aurait même crissé le feu, ailleurs, avant. Trois mois sans payer, partout. Même au-dessus de mon demi sous-sol vaseux.

Bon. Je suis donc à l'étage supérieur. J'ai fait le ménage dans le logement. J'ai jeté les couteaux que le type utilisait pour fumer des garnottes. C'est pas trop pire.

Pendant quelques jours, je goûte à une paix relative. Je fais mes nuits quoi. Le logement du dessous est vide et les voisins qui m'entourent, que je n'ai jamais rencontrés non plus, semblent tranquilles.

Une nuit, vers les trois heures du matin, je suis réveillé par un vacarme d'enfer. Cela vient d'en bas, de mon ancien logement. De la musique de style hiphop. Dans le prélart, même si c'est un plancher en tuile commerciale.

Je cogne sur le plancher. Et je gueule.

-Heille! J'dors!!!

Ça continue. Je gueule plus fort. J'accroche une chaise et la plante dans le plancher de toutes mes forces, en beau tabarnak.

BANG! BANG! BANG!

-J'dors ciboire!!!

Le volume baisse. J'entends une voix crier.

-T'as cassé ma lampe au plafond hostie d'cave! Va chier tabarnak! FUCK YOOOOOOU!!!

Et là, le sale type met le volume encore plus fort.

Mon sang fait trois tours et je me transforme en incroyable Hulk.

Je mets mes bottes et mes jeans d'un seul geste et je m'en vais chez mon voisin pour régler son compte.

Je ne fais pas toctoc sur sa porte: je la défonce d'un coup de poing, de toutes mes forces. La porte fesse dans le mur et la poignée s'y incruste...

Il y a huit gars devant moi. Je m'en crisse. J'aimerais mieux mourir là que de me laisser faire chier par une gang de caves. Ouvrez-moé mes hosties. Tuez-moé s'il le faut. Mais vous ne l'aurez pas facile.

Ils restent gelés en me voyant et le sont peut-être déjà, gelés. Des yos dans la vingtaine. Je fonce vers le système de son et j'arrache la plogue.

-Écoutez-moé ben tabarnak, que je leur dis en me pétant des veines dans le front, moé j'ferai pas v'nir les flics, mais vous autres vous allez les faire v'nir en tabarnak pour m'faire sortir d'icitte!

-Ok man... Cool... On savait pas... Axcuse man! On va t'laisser tranquille! me dit l'un deux, le gars qui loue le logement probablement.

Je ne dis rien et remonte me coucher, l'adrénaline tellement élevée que je pourrais soulever un camion d'une main.

Je mets une chaise devant ma porte, au cas z'où, et me couche avec une patte de chaise près de mon lit, encore au cas z'où.

Finalement, je ne dors pas du tout. Trop stressé.

Le lendemain, je songe sérieusement à demander mon étoile d'assistant-shérif pour avoir rétabli l'ordre et la sécurité dans mon bloc. Personne ne me dira merci. Personne ne saura ce qu'il s'est passé cette nuit-là. Sinon vous, chers lecteurs.

Ça m'a fait du bien d'en parler... Hu! Hu! Hu!

mercredi 24 septembre 2008

MON ÉTÉ DES INDIENS EN MIL NEUF CENT QUATRE-VINGT-CINQ


C'est l'été des Indiens à ce qu'il paraît. C'est aussi le Ramadan, mais je ne voudrais pas vous raconter d'histoires à propos de musulmans de façade qui se cachaient de leurs coreligionnaires pour boire ou tirer un coup.

Revenons donc aux Indiens.

Pour ce faire, je me permettrai un petit flasback. Mil neuf cent quatre-vingt-cinq, justement, l'année où est sorti le film Back To The Future qui, depuis, passe tous les samedis ou presque à TVA. Comme s'ils avaient acheté tous les droits sur ce film ainsi que sur Le flic de Beverly Hills. Évidemment, je ne suis plus capable. Et, bien sûr, je n'écoute plus la télé - ou si peu que cela m'étonne de me prononcer là-dessus comme si j'y connaissais quelque chose.

Mil neuf cent quatre-vingt-cinq, donc, une année où j'ai dû prendre au moins huit pouces supplémentaires de tour de bras.

J'étais membre du club plein-air à la polyvalente. C'était l'automne et, bien sûr, l'été des Indiens. L'hiver précédent nous avions fait une expédition de trois jours en ski de randonnée du côté de la réserve faunique du St-Maurice. Skier avec une charge de cinquante livres dans le dos, dans des sentiers où il fallait ouvrir les pistes, ce n'était certes pas de tout repos. J'y avais survécu tant bien que mal, malgré les ampoules et l'irritation au niveau du scrotum.

Le défi qui m'attendait, cet automne-là, était de descendre la rivière Métabéroutin (anciennement St-Maurice) du Rapide-Blanc jusqu'aux Trois-Rivières. Nous avions quelques jours d'entrainement dans le corps pour supporter le coup, heureusement.

Il fallait pagayer du matin jusqu'au soir, sans arrêt, le canot chargé au maximum: bouffe, tente, trois passagers.

Nous avons passé notre première nuit dans le coin de la rivière Mattawin. Une nuit sans nuages et sans lune. Je me souviens d'une pisse dans la nuit où j'avais passé au moins une demie heure à contempler la Voie Lactée, quelque chose que je n'avais jamais vue en ville.

-Y'a don' ben des étoiles dans le Ciel! Hostie! C'est pas créyable! que je me disais, en me cassant le cou.

J'avais l'impression d'être un petit rien dans l'univers. Mon sang algonquin se sentait subitement en harmonie avec cet univers qu'on m'avait caché en ville. Il n'y avait plus aucun bruit d'automobiles, ni de saoulons qui gueulaient en pleine rue. Il n'y avait que de l'infini, partout.

Au matin, toujours sous le soleil de l'été des Indiens, nous avons déjeuné à toute vitesse, du bacon séché avec du gruau, puis les canots filèrent sur l'onde jusqu'à St-Roch-de-Mékinac.(Mékinac ou mikinak veut dire tortue dans la langue de mes ancêtres. D'où le Lac-à-la-Tortue, une autre municipalité du coin.)

Cette nuit-là, le mercure chuta sous la barre du point de congélation. Un gars de la bande, qui était dans les cadets de l'armée, avait failli mourir. Il avait couché dehors dans son sac de couchage et quelques voyous qui nous accompagnaient avaient cru bon d'arroser son sleeping bag, clandestinement, pour vérifier la résistance de l'apprenti-soldat. Nous avions retrouvé le pauvre type au matin en état d'hypothermie. L'eau s'était transformée en glace. Le pauvre type était bleu. Évidemment, nos professeurs étaient catastrophés et cherchèrent les coupables en vain. On mangea encore notre gruau avec notre bacon séché et puis nous reprîmes nos canots, après avoir décongelé lentement notre camarade infortuné.

Il faisait encore soleil, mais nous allions cette fois affronter la pire journée de l'expédition. Nous avons donc ramé, ramé et ramé encore, jusqu'à Grand-Mère. Il y avait de forts vents cette journée-là et cela faisait de la vague sur la rivière. Certains participants se mirent à pleurer de découragement. Pas moi. Je ramais et fermais ma gueule. J'étais trop content d'être au grand air plutôt qu'à l'école. Et, pour une fois, j'étais vraiment un Indien.

Quelques chasseurs tirèrent au-dessus de nos têtes à la hauteur de Grand-Mère, avant le rapide. Ils chassaient le canard. Évidemment, je les ai insultés. Ils ont eu la bonté de ne pas me descendre. Et nous continuâmes notre descente de la rivière.

Après le portage à Shawinigan et au barrage de La Gabelle, il ne nous restait plus qu'à franchir le rapide des Forges. Un rapide de catégorie intermédiaire qui n'est pas facile à prendre, croyez-moi. La panique commençait même à s'installer parmi les canotiers.

Et le drame survint. L'apprenti-soldat, celui qui avait fait de l'hypothermie le matin, avait foncé dans un tas de pitounes en plein milieu de la rivière, dans les eaux tumultueuses du rapide.

Nous les attendîmes crier à l'aide, lui et ses deux partenaires de canot. Une expédition de secours fût organisée par les professeurs les plus expérimentés dans ce genre de manoeuvre délicate. Ils les ont finalement sortis de leur fâcheuse position et, évidemment, tous les autres traitèrent l'apprenti-soldat de roi des cons, surtout ses partenaires de canot qui voulaient franchement lui arracher la tête pour ne pas avoir appris convenablement à diriger son canot, puisque c'est lui qui était derrière.

-T'aurais dû mourir congelé hostie de tarlais! lui disaient-ils.

Finalement, nous sommes arrivés à l'Île St-Quentin, sur la plage, mettant fin à notre descente de la rivière. Fourbus, mais heureux. Et puants.

Quand je suis arrivé chez-moi, ma mère n'a pas voulu me laisser entrer dans la maison tellement je sentais l'ours mort. Trois jours sans me laver et, je ne sais pas pourquoi, je me mets à puer. Surtout après avoir ramé, portagé et tout le reste.

-Tu vas te déshabiller sur la galerie Guétan! Pouah! Saute dans le bain t'u' suite!

-Ok... Ok...

Je me suis endormi dans le bain. Ma mère m'a réveillé. Puis je suis retourné dans mon lit où j'ai rêvé à la Voie Lactée, à l'été des Indiens, aux érables, aux sapins, aux brochets, aux Sauvages.

mardi 23 septembre 2008

EN PENSANT À DOCTEUR JIVAGO, AUX CONSERVATEURS ET À LA GUERRE CIVILE

Avez-vous vu Docteur Jivago, le chef d'oeuvre cinématographique de David Lean, tiré du chef d'oeuvre éponyme de l'écrivain et prix Nobel Boris Pasternak?

J'ai pensé toute la journée à une scène du film où l'on voit les soldats russes revenir du front, déçus, blasés, affamés. Le tsar et ses complices, plutôt conservateurs, veulent les renvoyer là d'où ils viennent, ces sales déserteurs. Cependant, ils sont si nombreux que les officiers ne peuvent plus rien faire. Ils perdent le contrôle. Les déserteurs leur crachent à la gueule. Puis, tout bonnement, ils finissent par passer les officiers au fusil et à l'arme blanche.

Ces soldats reviennent vers la ville pour faire la révolution.

La guerre a provoqué une crise économique en Russie. Le pain est devenu cher.

Bientôt, l'État s'écroulera d'un coup sec et ce sera la guerre civile.

Dans cette histoire, je m'identifiais facilement à Docteur Jivago, un médecin poète qui préfère sauver des vies plutôt que d'assassiner les gens.

Pourtant, la roue de Saturne tournait. Et Saturne, comme toujours, allait dévorer ses propres enfants: conservateurs, révolutionnaires, Blancs, Rouges, Noirs, tout le monde quoi.

Je ne sais pas pourquoi j'ai pensé à ça toute la journée...

Un éléphant sur mon balcon


J'ai encore moins de temps qu'hier pour ajouter du nouveau sur mon blogue. Je n'aurai même pas le temps de réfléchir, encore une fois, et je sens que je vais encore dire quelques conneries juste pour épater la galerie.

Je dis ça comme ça. On me répète depuis que je suis jeune, chez certains esprits propices au gros chagrin, que je ne fais ça que pour épater la galerie. Et c'est quoi, ça? Pas moyen de le savoir!

-Bouchard, hostie! Tu prends toujours toute la place! me disait parfois un type qui ne parlait jamais, muet comme une carpe, ennuyant comme un réfrigérateur qui ronronne.

-Va don' chier! que je lui répondais, évidemment. Si t'es pas capable de prendre ta place, ne va pas accuser les autres de prendre la leur.

On ne demande pas à un éléphant d'être un maringouin. Et pourtant, j'ai rencontré des tas de cons dans ma vie qui auraient voulu que je sois un maringouin. Et qui n'avaient même pas honte de me conseiller de le devenir, maringouin, quand je ne leur ai jamais demandé de devenir des éléphants, eux. Je suis un éléphant, sur mon balcon, et je n'emmerde personne, tout seul dans mon coin, comme je l'ai toujours fait depuis que j'ai mes belles dents d'ivoire.

Les conseils! Je ne les ai jamais pris facilement. Non pas par orgueil, je m'en rends bien compte aujourd'hui, mais juste parce que j'avais toujours l'impression qu'on voulait me transformer en maringouin, en larve ou en ver de terre. On voulait tuer l'éléphant en moi. Et on tirait dessus au bazooka, croyez-moi.

On a même laissé entendre que j'étais fou. Ben oui... Le gars y'est fou, il veut devenir lui-même et il pense que Jésus, Dieu et le Père Noël c'est pareil. Il dessine tout le temps. Il écrit tout le temps. Il lit tout le temps. Il ne veut pas s'agenouiller devant le pape, le curé, le professeur, le député, l'écrivain, le poète, l'ingénieur. Il leur dit tous qu'ils chient à la même place que lui. Et quand on se met à les vanter, l'éléphant joue de la trompette et fais tomber les murs de Jéricho et le plâtre du Vatican.

Tous ceux qui m'ont conseillé de devenir une autre personne étaient généralement fous. Je veux dire névrosés et incapables de gérer leur ressentiment.

C'est triste à dire, mais c'est la vérité.

Qui serais-je d'autre que moi-même? Lui? Ou l'autre là-bas? Ben voyons!

Je suis moi-même. C'est à prendre ou à laisser. Je suis un éléphant sur mon balcon.

Vous ne m'aimez pas comme je suis? Poursuivez votre chemin. Je ne vous écoeure pas moi. Je ne vous dis pas de devenir comme moi. Je ne force personne à me lire, à m'écouter, à prendre mes conseils pour du cash. Z'êtes pas contents? C'est pas de mes oignons. Allez vous défouler sur votre oreiller. Branlez-vous dans les plumes. Imitez le cri du maringouin.

Évidemment, je suis en pleine forme ce matin.

J'écris cela sans hargne, avec le sourire aux lèvres, comme toujours.

Merci de m'avoir lu jusqu'au bout.

Je savais que je réussirais, une fois de plus, à épater la galerie...

lundi 22 septembre 2008

Une histoire de fif

Mon fameux questionnaire Marcel Proust a fait chier Mistral qui s'est mis à trouver ça fif, ce questionnaire du genre, juste pour me provoquer. Je ne lui en veux même pas. Il le dit lui-même qu'il est antipathique. À force de le répéter, ce calice-là devient sympathique. Y'est toujours en train de saluer son monde et il s'en veut parce qu'il dit aux autres, par exemple, que leur questionnaire fait fif. Ça ferait fif de lui en vouloir pour si peu.

Primo, je n'ai rien contre les fifs. Mistral aussi d'ailleurs. Mais il y a fif et fifure. Je m'expliquerai sur les fifs mais pas sur la fifure: ce serait trop long. Je connais des gays virils avec des voix de basse. On croirait presqu'ils aiment les chattes. Et non! Ce sont des têteux de quéquettes.

Je connais des hétéros avec des voix de fif. Et ça ne me dérange pas dans un cas comme dans l'autre. Je parle avec les fifs. J'ai même des amis fifs. Je sais bien que ça ne s'attrape pas.

Prenons Ti-Oui, une vraie voix de fif. Maniéré en plus, Ti-Oui, les poignets cassés, les cils qui roulent, son petit rire hoquetant de poule qui se fait faire un oeuf. Eh bien Ti-Oui est fif, s'assume comme fif, et si quelqu'un le traite de fif, bien honnêtement, il va me trouver sur son chemin. Et ça va chauffer. Ti-Oui a le droit d'être fif. Ti-Oui est mon ami. Mon ami fif.

Y'a quelques temps de cela, j'étais dans un bar en train de siroter une bière en compagnie de joueurs de billard qui n'étaient pas tous fifs.

Jerry aussi y était. Jerry, un gars de shop plutôt gay, mais pas du tout l'air fif, qui se trouvait là près de moi en compagnie d'un type fraîchement sorti de prison, un gros sale, l'air lard puant, qui voulait lui rentrer sa pine visqueuse dans le cul.

Je ne dis pas ça innocemment. Jerry était justement venu me voir pour me le dire, lui-même, et ce n'était pas gai ce qu'il racontait.

-Heille Guète... Le gros crisse de sale là-bas, i' vient d'me dire qu'i' m'rentr'rait sa queue dans l'cul l'tabarnak, avec ses chums de prison... Y'arrête pas de m'gosser depu's tantôt... Pourrais-tu lui dire qu'i' m'crisse la paix s'i'-vous-plaît? Toé t'es gros. I' va avoir peur.

***

Bon. Deux onces de Jack Daniel's aboutissent devant moi sur le comptoir. C'est de la part de Jerry, bien entendu. Je bois ça d'un trait et je vais voir le gros sale.

Évidemment, pas de salut, pas de excuse mais, ni de pardon monsieur mais je...

Juste de la force brute, pour ne pas avoir à l'employer.

Le gus ressemble vaguement au genre de grosse marde baveuse de la polyvalente qui a mal tournée.

Je fonce et m'arrête à deux pouces de sa face de cul.

-Écoute b'en, Jerry, c'est un de mes chums. Pis sais-tu quoi? I' veut qu'tu lui crisses la paix. Ça fa't que crisse-lui la paix, ok?

Le type ne dit rien. Il boit une gorgée de bière. Il teste l'élastique.

Je retourne m'asseoir entre mon ami Ti-Ben et une demoiselle encore inconnue.

Le gros sale marche lentement vers moi et s'adresse à la fille.

-Ça t'tenterait-tu qu'on t'la rentre dans l'cul moé pis ma gang de chums qui sortent de prison, hein ma belle p'tite salope?

Je tilte. J'accroche un banc d'une main et m'élance de toutes mes forces pour le snapper avec. Il esquive le coup, blêmit et s'enfuit à toutes jambes. Cinq à six personnes me retiennent pour m'empêcher d'aller lui fracasser le crâne. Le gros sale n'est plus dans le décor et le calme revient dans le bar. Le banc est une perte totale puisque je l'ai crissé au bout de mon bras, vers le gros sale. Et il s'est abîmé contre une colonne, près de la table de billard.

Des consommations s'empilent devant moi.

Je ne me suis même pas battu et je deviens le héros de la soirée. Tout le monde se met à rire et à boire. La fille me flatte les cheveux. Mes chums aussi - et ils ne sont pas fifs!

Et Jerry! Tout le monde câline le gros nounours qui a pété les plombs.

Bon sang que ça peut être payant, le théâtre...

Évidemment, une chance que je l'ai manqué parce que je vous écrirais de la prison. Je pense qu'il en serait mort, sérieux. Je fesse fort. Je ne connais pas ma force. Je pèse au-dessus de trois cents livres, six pieds deux pouces, 58 d'épaules... Je ne dis même pas ça pour me vanter. Qui s'en vanterait hostie? (Sinon moi!)

Comme quoi, le théâtre ça peut aussi vous crisser dans la marde.



PS: Je ne suis pas homophobe et Mistral tient à préciser qu'il ne l'est pas non plus. Que cela soit dit et répété sur tous les toits, dans toutes les chaumières et toutes les tours à bureaux de Monrial ou Twois-Wivièwes.

dimanche 21 septembre 2008

LE GÂTEAU AUX BLEUETS DE MA BLONDE




















Ce n'est pas pour vous faire chier, mais voici mon dessert pour ce soir.

Ma blonde, une cuisinière comme il s'en fait une par siècle, a préparé ce magnifique gâteau aux bleuets recouvert d'un filet de glaçage.

Je vais donc préparer mentalement mon estomac pour engloutir quelques portions, le temps d'oublier la maudite politique à marde.

Je me tape de la bonne bouffe depuis vendredi. Va falloir que je fasse de l'exercice toute la semaine, non pas pour maigrir, mais juste pour me maintenir dans ma taille d'ogre à l'appétit féroce.

MAUDITE POLITIQUE À MARDE!


Je déteste la politique viscéralement. Mais je m'en occupe de temps à autres, comme je sors les vidanges ou lave la vaisselle. J'accepte la politique dans ma vie, même si ça ne me procure pas de plaisir. Tout ça parce que mon père m'a toujours martelé qu'il fallait voter pour avoir le droit de chiâler contre les gouvernements.

Et croyez-moi, mon père a toujours chiâlé.

-Sûr que quand i' sont au pouvoir, c'est toujours au plus fort la poche, que disait Pa. I's d'viennent tous pourris un jour ou l'autre. Pis c'est pas à Cuba qu'tu tends la main dans la boîte à malle pour r'cevoir du BS!

Là-dessus, je suis comme lui, j'ai beau avoir le coeur à gauche que je ne suis plus capable de piffer ces petits gardes rouges qui veulent tout abolir, comme les conservateurs ou les adéquistes, à l'autre extrémité du spectre.

Encore qu'ils soient même un peu moins pires à droite que tous ces gogos qui pensent qu'à Cuba c'est la pura vida sous le joug du Coma Andante, le Coma ambulant comme l'appellent les membres du groupe punk-rock cubain Porno Para Ricardo.

Mon père m'enrageait quand je lui vantais la révolution cubaine. J'étais jeune et con, que voulez-vous.

-Hostie d'barbus sales du calice! me disait-il. Essayez de faire la grève à Cuba, i' vont vous crisser en d'dans pour cinquante ans, au pain sec pis à l'eau, les hosties d'pourris sales! C'est 'ien qu'des tabarnaks de pleins d'marde du calvaire! Allez-y à Cuba, allez-y faire des manifestations là-bas, avec des pancartes!

J'essayais de vendre à mon père la dernière édition de Lutte socialiste, où l'on me voyait en photo sur la couverture, avec une banderole où il était écrit «indépendance et socialisme». En bas de la photo, c'était écrit en langue marxienne que Cuba est une république des travailleurs qui a fait une dérive bureaucratique, un point de vue trotskiste, comme quoi la dictature sous Trotski aurait été bien meilleure.

Je revois cette photo aujourd'hui et je me dis que j'aurais mieux fait de baiser ce jour-là au lieu de perdre mon temps à scander des slogans. Évidemment, mon père l'a acheté, le journal, et il a fini ça en fou rire, comme d'habitude, pour que la politique ne me détruise pas trop.

-T'es mon Prolo... À c't heure, mon p'tit Gaé, j'va's t'appeler Prolo! Ha! Ha! Ha! Hein, mon Prolo?
Parlez pas des bourgeois à mon petit Prolo, i' mord! Ha! Ha! Ha!

Du coup, il acceptait que je me promène avec plein de faucilles, de marteaux et d'étoiles rouges sur mon manteau élimé d'apprenti-scribe.

***

Mon père commentait la politique sur les lignes ouvertes, à la radio, sur l'heure du midi. Je me souviens avec beaucoup d'émotion de ses séances de chiâlage à CHLN ou CJTR. J'étais sûr que j'allais rigoler un bon coup.

-Bon, le sujet du jour, auditeurs et auditrices, c'est la grève à l'aluminerie Reynold's, à Cap-de-la-Madeleine... Nous avons en ligne un auditeur de Trois-Rivières...

-Conrad Bouchard! J'm'appelle Conrad Bouchard pis j'reste au 865 Cloutier! Oui monsieur!

Pa se présentait toujours sans pseudonyme, une manie que j'ai héritée de lui. Et il donnait son adresse, au grand dam de ma pauvre mère effrayée par sa témérité et son insouciance. Juste parce qu'il n'était pas une couille molle qui n'a pas le courage de ses opinions.

-J'reste au 865 Cloutier, à Trois-Rivières!

Mon père pronconçait ses R. Il avait conservé un léger accent du Bas du Fleuve, où il avait grandi. Il n'a jamais dit Twois-Wivièwes, comme le font les natifs de la ville. Bref, il ne mâchait pas ses mots. Il les crachait.

-Les pleins d'marde d'la Reynold's qui rient d'voir des gars dans ' rue, avec des pancartes, à manger le mastic autour des f'nêtres juste parce que ça fait des mois que les tabarnaks veulent pas négocier... B'en moé j'comprends ça qu'i's s'fassent brasser par les grévistes! Pis, j'voudra's dire aussi qu'les hosties d'niaiseux d'la CSN d'vraient arrêter de soutenir le régime de Fidel Castro, gang de mongols!

Pa visait large, tout le temps. S'il tirait sur le boss, il tirait aussi sur ceux qui s'en prenaient au boss. C'était lui-seul contre le monde entier. J'ai hérité de ses traits intellectuels. Peut-être parce que j'en ai trop ri. Je me roulais par terre d'entendre mon père à la radio. Moi et mes frères disions à la blague que nous étions prêts à accueillir ceux qui voudraient venir lyncher mon père. Ma mère tremblait. Moi et mes frères nous amusions à faire semblant d'achever d'hypothétiques ennemis de mon père en faisant de larges mouvements avec des bâtons de baseball, des couteaux, des pelles. V'nez-y mes hosties!

Personne n'est jamais venu l'importuner, mon père, sinon des gens qui avaient faim. Pa s'occupait de distribuer les bons de nourriture pour la paroisse. Et il n'élevait jamais le ton avec les pauvres et les misérables. Il devenait plutôt l'homme le plus doux au monde. Les autres responsables de la charité bien ordonnée lui demandaient d'enquêter sur les quêteux, d'aller voir s'il y avait de la bière dans leur frigidaire, par exemple. Pa n'a jamais voulu. Il se souvenait d'avoir été pauvre, dix-huit enfants dans une cabane sans électricité et sans eau courante. Ce souvenir lui rendait toute idée d'enquête totalement intolérable.

-Qu'on leu' donne leur crisse de chèque! Au moins les enfants vont manger! I's peuvent pas s'acheter aut' chose que d'la bouffe st-chrême! Aller voir dans les frigidaires! Pour voir si j'va's faire ça! Encore des idées d'vieilles pantoufles du calice, de vieilles crisses de bottines de feutre du tabarnak! Suceux d'balustres! Grenouilles de bénitier! Pharisiens! Ça 'a jamais eu faim, christ!

***

Je déteste la politique. Mais je m'en occupe de temps en temps, comme pour les vidanges.

Hier, je discutais avec un de mes potes, un type de Winnipeg qui me permet d'avoir une vision plus large du climat politique canadien. Je lui ai expliqué que je voterais pour le Bloc québécois dans mon comté, même si j'ai passé les quinze dernières de ma vie à souhaiter que ça disparaisse de la carte, parce que le nationalisme m'horripile.

-You give 'em the kiss of death, buddy.

Ouais. Je leur donne le baiser de la mort. Au moment où le Bloc est sur le point de disparaître, je viens le soutenir, comme un vieil ennemi fraternel, juste pour sauver une certaine conception de la vie en société. Oui, je déteste à ce point les bigots.

-Les conservateurs sont trop idéologues! Ce ne sont plus les conservateurs dits progressistes de Clarke et Mulroney! C'est le Reform...

-Et le Bloc, hostie, viens pas m'dire qu'i's sont pas idéologues...

J'étais bouche bée.

-Hee... Oui. Mais je voterais pour n'importe qui, même pour Gonzo le chien, même pour Staline sans moustache, plutôt que de voter pour les conservateurs! Celui qui a le plus de chance de gagner contre les conservateurs se mérite mon vote... J'ai pas le choix! À Twois-Wivièwes, moé, j'vote pour le Bloc...

-Présent!... Comment tu peux avoir pour slogan électoral «Présent!»?

-Heille! Ris pas d'moé! C'est pas de gaieté de coeur que je vote pour le Bloc!

-Fuck! Yes... Y'a des comtés où la stratégie du Bloc ç'a toujours été de présenter pour candidat l'idiot du village...

Je n'ai pas jeté d'huile sur le feu. J'ai fait un sourire en coin.

-What a shitty world, huh? que j'ai dit à mon pote.

-You bet...

Tout ça à cause de l'hostie de nationalisme à marde.

Si le monde n'avait qu'à choisir entre la gauche et la droite, les conservateurs ne prendraient jamais le pouvoir. Mais non! Il faut aussi s'emmêler dans une chicane de drapeaux, comme toujours, histoire de laisser passer l'union de la droite pure et dure.

Je vais voter pour le Bloc dans mon comté, le 14 octobre prochain. J'ai hâte au 15 pour me vider le coeur, une fois pour toutes. Pour le moment, j'appuie le Bloc, quelle que soit sa stratégie, quel que soit son programme, son drapeau ou sa propagande.

J'appuie le Bloc parce que je n'ai pas le choix!!!

samedi 20 septembre 2008

ANALYSE SUBJECTIVE DE LA PUB TÉLÉ DES CONSERVATEURS

Avez-vous remarqué cette pub télé des conservateurs qui ne montrent que des Blancs tous plus blancs que neige? C'est à se demander à quoi ressemblera le pays s'ils obtiennent la majorité. Le Canada vivra-t-il un long quatre ans des Arpents Bruns ou des chemises bleues? Parce que dans l'autre pub des conservateurs, ils portent tous l'uniforme, la chemise bleue, z'avez pas remarqué?

Tout est dans le détail avec ces clones de l'inspecteur Javert, toujours prêts à lutter contre le crime et les criminels qui, curieusement, sont aussi leurs ennemis politiques: drogués, assistés sociaux, discriminés positivement, avorteuses, etc. Je suis même en train de penser que les conservateurs sont plus efficaces que les marxistes pour créer de nouvelles catégories d'ennemis du peuple. Ça promet en hostie!

Revenons à la pub sans politiciens, la pub conservatrice adressée au vrai monde, pas celle des politicards qui se font sécher les dents en arborant leur bel uniforme bleu auquel il ne manque que les rangées de médailles et la casquette de général d'opérette.

Dans la pub conservatrice destinée au vrai monde, on voit d'abord un fermier blanc, un type proche de la terre, dont son arrière-arrière-grand-père blanc mangeait sans doute du gros pain noir tandis que sa petite fille blanche s'en sort toujours en avortant - comme quoi le thème musical de la campagne électorale des conservateurs pourrait être la chanson Dégénération, du groupe Mes Aïeux. Je n'ai jamais aimée cette toune qui me rappelle vaguement Life is Life du groupe Opus. Ça ne vole pas haut, que voulez-vous, je sais lire.

Ensuite, focus sur une bague de mariage traditionnel blanc d'une bonne femme blanche du type qui a peur d'avoir peur. Très vendeur, ça aussi, auprès des grenouilles de bénitier qui détestent le monde moderne, la tolérance, le libéralisme et les mariages gays.

Puis des Blancs, en veux-tu en v'là, des cheveux blonds, des yeux bleus, des bébés roses, des petites princesses du pays de Heidi, et tout ce beau monde comme la plus belle famille du monde, unis, heureux, convaincus que les conservateurs vont leur apporter la solution à leur portefeuille.Très vendeur, ça aussi.

Enfin, très vendeur auprès des morons qui en ont plein le cul des homosexuels, des maudits étrangers voleurs de jobs, des maudites féministes qui prônent l'avortement, des assistés sociaux qui parasitent le système, des gens de couleur qui volent des dépanneurs, des sauvages qui bloquent les ponts, des syndiqués qui passent leur temps à revendiquer au lieu d'obéir, des incrédules qui ridiculisent les saintes doctrines, bref de tout ce qui ne porte pas le sceau de la famille conservatrice, une grande famille de Wisigoths qui souhaitent envoyer tous leurs ennemis au Walhalla, abolir le Sénat, fermer Radio-Canada, et faire marcher le monde au pas ou à coups de pieds dans le cul. Bref, des zozos qui veulent déclencher une guerre civile, juste pour le fun, juste pour voir si c'est possible de revenir en arrière un brin, de conserver de belles valeurs comme les punitions corporelles à l'école, l'enseignement obligatoire de la foutaise créationniste ou le matraquage des grévistes. Comme dans le bon vieux temps.

Plus t'es con, plus tu fais appel à la censure. Je ne dis pas ça à la lègère. Je l'ai constaté par moi-même. Ce n'est même pas subjectif. Dans toute société normalement constituée, les inquisiteurs sont toujours des imbéciles. Ils voient le monde à travers le petit bout de la lorgnette, toujours. Ça se trouve à droite comme à gauche, de ce type de merde, mais je vous avouerai que la droite, en ce moment, présente une belle cuvée d'idéologues qui ne sont ni pragmatiques ni sensés, juste de petits êtres mesquins qui souhaitent que tout le monde rampe, que tout le monde prenne son trou, surtout les travailleurs et les maudits BS à marde. Il faut que ça roule. Il faut qu'on soit productifs. Il faut qu'on ait le coeur à la mauvaise place et la tête bourrée de leur caca bouilli.

Les Américains sont en train de se débarrasser du bushisme. Ce serait con de s'embarrasser de ces sous-fifres de Bush qui nous placeraient tous en décalage face à des Américains qui souhaitent imiter les politiques traditionnellement progressistes du Canada...

Où sommes-nous rendus saint-chrême? Dans quelle crisse de marde sommes-nous tombés?

C'est beau le nationalisme...

Quel fiasco!

Et moi, le con, qui vote pour le Bloc québécois dans mon comté, juste parce que je n'ai pas le choix... Juste parce que j'aimerais encore mieux vivre dans un Québec indépendant un peu à gauche que de vivre dans un Canada gouverné par des militants d'extrême-droite déguisés en centristes-mon-cul.

Pour sauver une certaine idée du Canada, un pays juste et progressiste, je suis obligé de voter pour le Bloc... C'est absurde, je sais. Je pourrais ne pas voter aussi, mais ça ne me ressemble pas l'abstentionnisme. Même les abstentionnistes vont souffrir des politiques conservatrices et je me dis toujours que de deux maux, il faut choisir le moindre, à moins d'être parfaitement masochiste ou totalement lessivé mentalement, du genre à manger un coup de poêle de fonte dans le front sans réagir.

vendredi 19 septembre 2008

LE SLINKY, LE SLINKY...


-Salut man, j'ai une chronique à t'proposer... Ce serait comme si... hee... Comme si c'était des informations venues d'tous bords d'tous côtés... hein... un genre de faits divers tout' diversifié... a'ec des rebriques su' l'sport pis la politique pis les shows... ouin... J'appellerai ça La chronique fourre-tout, hein... mais pas dans l'sens de fourrer tout... Ha! Ha! Hee... Une chronique de mêli-mêlo mélangé a'ec toutes sortes d'affaires... Hein? Qu'est-cé qu't'en penses Guétan?

Ce que je pensais? Rien du tout. Je m'étais habitué à ce genre de propos. Tout le monde voulait tenir une chronique où ce serait possible de parler de n'importe quoi, n'importe comment et si possible n'importe quand. J'ai vécu souvent ce type de conversations, que ce soit dans le monde de la presse écrite ou de la radio, ça revenait toujours.

Évidemment, c'était toujours les personnes les plus désorganisées qui me proposaient des chroniques fourre-tout, faites de rien et de n'importe quoi. La plupart du temps, je me défilais. Ces gus n'avaient pas de textes, ni de démos, juste du blabla, du rêve, du j'pourrais p't'être faire ceci ou cela. Tout le contraire de ce que je suis: trop de textes, trop de démos, et fuck le blabla, le rêve, l'inspiration et la paresse. Faut que ça bouge. Faut que ça cogne. Virtuellement, à tout le moins.

Les personnes de type slinky me désolent. Je ne suis pas le docteur Mailloche. Ma patience a des limites. Quelqu'un me parle en cherchant ses mots et ses pensées, pour m'expliquer un hypothétique projet qui va partout et nulle part, et voilà que je m'enrage intérieurement. Au fait, saint-sacrement! Au fait!

Avec l'avènement des blogues et des sites de réseautage social, il fallait aussi s'attendre à la multiplication des propos vains et poisseux. Je parcours des blogues de temps à autres et, bon sang, j'ai la même impression que j'avais du temps où il y avait un gus pour me proposer une chronique «je ne sais rien mais je dirai tout». Je clique sur n'importe quoi, de temps à autres, et croyez-moi que le slinky est à la mode.

Prenons seulement ce blogueur qui, sans blagues, nous raconte ses points de vue.

Bonjour! Je suis un blogueur qui n'as pas peur de ses opignions et je m'appel Lapain Agile. Je vous racontes mes impraissions sur la politique, la vie, la cinéma et les automobile. Je pense que Harper va être élue et je votte ADQ. Mon chien a pisser sur la tondeuse hiyer. Je n'est jamais vu le film Florida mais certain m'on dis que le livre étais mailleur. Mon char pare pas à matin mais je le porteré au garage. Que pensai vous de Baraque Obama et John Mekaine? Sont-ils président des USA? Mon film préférée est le filme de Tom Cruise en avion mais je me souvient pas le titrent.

Évidemment, je ne vous dirai pas qui c'est, d'autant plus qu'il ne le dit pas lui-même et se cache derrière un pseudonyme. Un gars de centre-droit, courageux comme dix, Lapain Agile (sic!): c'est tout ce que l'on sait de lui.

C'est fait à la hâte, à la va comme je te pousse, et ça ne va jamais bien loin. Ça dure deux ou trois mois puis le type finit par s'emporter.

J'en ai assé de ce blog parce que le monde veulent pas savoir la vériter.

J'écrits presques tout les jours et personne ne lis ça comme si la cultures voulait plus rien dirent. Ça fais que je me dit pourquoi? C'était mon dernier poste. Ceux et celle qui veule plus d'information m'envoit un couriels. Les gents ne sont pas vraies!

Évidemment, je ne suis pas tout à fait un sans coeur. Il y a toujours quelque chose de touchant quand quelqu'un fait ses adieux, surtout s'il n'a pas de talent.

La vie est chienne, Lapain Agile. Elle ne fait pas de cadeaux à personne. On ne patine pas sur la bottine quand on veut aspirer à un rôle de joueur de hockey professionnel, à moins d'être un puissant goon.

Idem pour la blogosphère. Il ne faut tout de même pas s'imaginer qu'on va tous se garrocher sur Gus qui ne sait pas ce qu'il dit ni ce qu'il fait. En plus, il ne sait pas écrire. Bref, il n'a rien pour lui dans le domaine de la transmission des idées par ce mode.
Il ferait mieux de s'exprimer par la danse, le hockey ou le slinky.

jeudi 18 septembre 2008

POÉSIE QUAND TU NOUS TIENS


Steve était un artiste accompli. Il en avait le look, un look savamment étudié, lunettes rondes de type existentialiste, foulard rouge écarlate, béret, tee-shirt de Che Guevara. C'était un vrai dur qui parlait avec une voix de castrat, en battant des paupières comme une petite biche.

Tout était dans l'attitude et, à force de prendre des cafés avec les copains, il lui était venu en tête qu'il pouvait lui aussi aspirer au métier de poète.

D'abord, Steve aimait l'image que lui rendait son miroir. Il en frémissait. Il savait qu'un bellâtre comme lui ne pouvait être destiné qu'à un grand destin. Il ressemblait à Barbie, c'est pas mêlant.

Il se rebaptisa Evets, soit Steve à l'envers, et il s'acheta une bouteille de vin, la cala d'un trait, et écrivit tous les poèmes de son recueil d'un seul coup, sans sourciller.

Ce fût la nuit la plus longue de sa vie et, quand il en reparle, il en pleure encore comme si le sort des cent milles morts de la bombe d'Hiroshima n'était rien comparé à ce qu'il avait pu souffrir cette nuit-là, à écrire toute la nuit, les crampes dans les doigts et tout le reste.

Evets était comme le poète dont parlait Dostoïevski, dans Les frères Karamazov. Un poète qui assiste à un naufrage, sur la rive, et qui dit «Ne regardez pas la souffrance de ceux qui se noient, mais celle que j'ai de les voir se noyer!»

Eh! Ils sont souvent comme ça les poètes, que voulez-vous que je vous dise, totalement à côté de leurs pompes, pédants et sans coeur. Comme Néron, tiens. À jouer de la lyre sur le balcon tandis que la ville est en flammes. «Souffrez de me voir souffrir!» Ben tiens...

Evets n'avait à son actif que cinq poèmes, les cinq poèmes de sa nuit d'enfer. Pourtant, ses cinq poèmes avaient été publiés aux éditions Syntagme, une boîte de gredins qui avaient leur entrée dans le corps professoral dans tous les sens du terme. Ils publiaient essentiellement ceux qui aimaient se faire gratter le bas du dos.

Chez Syntagme, on avait trouvé le truc pour écouler ces formulaires que l'on faisait passer pour de la poésie. On s'arrangeait pour mettre toutes leurs publications au programme des lectures obligatoires à l'école secondaire, au collège et à l'université. On envoyait ensuite le poète courir les Salons du Livre, librairies et bibliothèques pour répandre formulaires et listes d'épicerie à tous vents. Enfin, on regardait les actions montées, patiemment, en se grattant le bas du dos.

Les cinq poèmes de Evets avaient été réunis sous un titre poche: Poésie, quand tu nous tiens...

Un titre à vomir, preuve irréfutable que la poésie fuie ces artistes ratés et qu'elle se trouve là où elle doit toujours être, c'est-à-dire en marge.

Evets, lui, voulait seulement une plus grande marge de crédit. Et un poste de professeur, tiens. Et les voyages en Belgique, en France, à Cuba. Tout sauf suer derrière un comptoir à vendre des patates frites. D'abord, il était beau. Et, ensuite, il était un artiste. On lui devait tout. Et tout lui revint, même la médaille du Gouverneur général et le prix littéraire des Salons Funéraires O. Bellemare Inc.

Evets se rappelait toujours avec émotion ses récitals de poésie en Roumanie, sous Ceaucescu. «Les Roumains adorent la langue française!», disait-il en tirant friponnement la langue.

Ses courtisans l'applaudissaient comme des phoques. Ils étaient encore plus nuls que lui. Ils ramassaient les restes, comme des goélands. «Bravo Evets! Houlala! Belle répartie! On dirait du Jean-Frédéric De La Tour du Pin Rouge! Bravo!» Comme des phoques et des goélands, ouais.

Évidemment, on n'aurait pas pu concevoir de poèmes plus nuls que ceux de Steve. C'était vraiment d'la marde, comme on dit chez les gens pas trop éduqués, mais pas mauvais lecteurs pour autant. Même que j'avancerais que ces gens grossiers m'ont souvent démontrés plus de culture et d'intelligence que ces poètes comme Steve alias Evets qui, à part de toujours courir après l'inspiration, n'étaient somme toute que des langues brunes comme on en trouve dans tous les milieux, surtout la poésie.

J'ai sa plaquette devant moi. Je l'ai achetée à vil prix dans un bazar du livre et la conserve précieusement dans ma section des horreurs, avec toutes sortes de trucs vraiment nuls et pas drôles du tout, dont Les poètes acclameront le gardien de but! et le Manuel de la Ligue de tempérance. Voilà donc ce que l'on fait de nos arbres...

La couverture de Evets est nulle. Je l'ai reproduite ici, en haut, à gauche.

Il n'y a pas plus de trente-deux pages, moins quatre pour la couverture, moins quatre pour les renseignements techniques et le ISBN, moins quatre pour faire respirer les poèmes. Finalement, il n'y a presque rien dans Poésie quand tu nous tiens...

Vous voulez que je vous en lise un bout, hein?

Ok.

Allons-y pour Requiem d'un artiste, sûrement un morceau d'anthologie:

Je me mire et mire et mire encore
Je m'émeus, m'émeus et m'émeus tant et tant
Je ris, ris et ris
Je pleure

C'est tout. C'est pas plus long que ça. Et tout le monde en redemande lors des lectures entre amis. «Vas-y Evets! Récite nous ton Requiem d'un artiste

Steve ne monte jamais tout de suite au micro. Il aime se faire prier. Puis il finit toujours par le réciter, son poème nul. Évidemment, il faut qu'il bouge et beurre épais, Evets, pour donner vie à ce texte misérable.

Il gesticule comme un danseur extra-terrestre sur Je me mire, mire et mire encore. Il s'accroupit par terre et tombe en position foetale sur Je m'émeus, etc. Puis il se lève d'un coup, le grand garçon, en criant Je ris, ris et ris. Puis il feint de se pendre avec le fil du micro sur Je pleure.

On l'applaudit.

Evets, sensible comme il est, se met à pleurer comme une Madeleine en demandant à tout le monde s'il a été bon, s'il a bien fait ça, juste pour distinguer les bons des mauvais amis.

Il m'a demandé mon avis une fois. Il n'en a pas été trop offusqué, puisque je ne suis pas éditeur. Je ne suis pas vraiment un obstacle quoi.

-Comment tu trouves ça, Ga-é-tan, han?

-C'est un peu court Steve... Ça manque de substance...

-Tu trouves ça court? Mais c'est là, han, là qu'est la beauté!

-Hihan! que je lui ai répondu. Hihan!

-Pourquoi tu fais ça?

-J'imite un âne...

Rideaux.

mercredi 17 septembre 2008

Flashbacks


Drummondville. Mai 2001. Je suis au casse-croûte du terminus d’autobus et j’attends mon autobus en direction de Saint-Hyacinthe.


J’ai bu deux ou trois bières au bar juste en face du terminus et je viens terminer ça avec un café filtre.


Deux vieilles dames toutes courbaturées entrent en riant.


-Ah oui, ah oui, bonté divine! dit la plus courte des deux, quatre pieds trois pouces, soixante-trois livres, les cheveux bleus et le dentier claquetant.


-Ce’tain! répond sa comparse, quatre pieds huit pouces, deux cent livres, les cheveux clairsemés et pas de dentiers. H'ésus, Ma'ie, 'oseph, ajoute-t-elle. Ce’tain!


La serveuse du casse-croûte, une dame entre deux âges, ordinaire, ni grosse ni maigre ni vieille ni jeune, vient prendre leur commande.


-Bonjour mesdames, alors ça s’ra quoi pou’ aujou’d’hui?


-Bon-jour ma-da-me-he! Deux cafés pis deux tartes au coconut - comme d’habetude! répond la plus maigre des deux souriant à pleins dentiers.


-H'ont tellement bognes vous ta'tes au cacanotte répond sa comparse.


Deux tartes au cacanotte, comme d’habetude…


C’est niaiseux à dire, mais tout le charme de Drummondville réside là-dedans.


***


Mission City. Colombie-Britannique. Mai 1993. Je suis au McDo et je commande un déjeuner vite fait. Il pleut comme d’habitude. C’est la saison des salmonberries.


Un vieux monsieur entre dans le McDo. Il ressemble vaguement à Abraham Lincoln, mais ce Lincoln est loin d’être tiré à quatre épingles. Bien que ce soit difficile à croire, le bonhomme porte des combines à panneaux d’un blanc douteux. Et il marche avec des bottes noires en caoutchouc. Ça fesse dans le décor: Lincoln en bottes d'eau et en combines à panneaux...


-How’re you doin’, eh? demande-t-il à la jeune serveuse derrière le comptoir qui ne s’étonne pas outre mesure de son accoutrement.


-Pretty good… qu’elle répond à Lincoln. What d’you want John?


-Same as usual… A coffee with an apple turnover… ajoute le vieux en combines à panneaux.


Tout le monde trouve ça normal, sauf moi. Et j'en ai pourtant vu d'autres!


Je paie ma commande et monte à bord du Volkswagen Bus de Mark, mon ami.


-I just cannot believe my eyes it Mark… Tabarnak! que je baragouine.


-It’s just a beginning Butch… You’ve seen nothing yet…ajoute Mark.


Juste avant de monter, je croise le comédien Donald Sutherland dans le stationnement. Il vit dans les alentours de Mission City à ce que j’ai pu comprendre. Et il ne porte pas de combines à panneaux.


Same as usual...

Drummondville, Mission City: même combat!


***


Twois-Wivièwes. Mai 1978. Je suis au casse-croûte Le Grillon sur la rue Laviolette.

La serveuse, c’est ma tante, la sœur de mon père. Elle lui ressemble un peu, les yeux légèrement bridés, les pommettes saillantes : des airs d’Indien quoi.


Monsieur Peps’, un ami de mes parents, qui a lui aussi des airs d’Indien, nous a emmené moi et mon frère pour nous gâter un peu. Il a fait la Seconde guerre mondiale, monsieur Peps’ : le débarquement de Dieppe, la campagne d’Italie, la Grèce, puis le Jour J, la Libération, la Belgique, l’Allemagne… Et c’est le monsieur le moins raciste de toute la rue, parlant à tout le monde, noir, jaune, bleu. En français. En anglais. En allemand. En vietnamien.


-T’sais Guétan, qu’il me dit, c’tait pas d’leu’ faute, aux Allemands. Faut pas leu’ z’en vouloir. I’s étaient gouvernés par un fou, Adolf Hitler! Pis les Allemandes étaient belles à part ça... Hé! Hé! Hé!


Ma tante vient vers nous pour prendre notre commande.


-J’va’s prendr’ un verre de liqueur brune avec des patates rôties matante! que je dis dès qu’elle vient pour prendre ma commande.


-Comme d’habetude! que j’ajoute.


***

Je suis donc remonté aux origines de ma fascination pour la simplicité.


Tant de flashbacks, comme dans Citizen Kane.


Rosebud... Comme d'habetude!