samedi 10 avril 2010

LE CAS DE MONSIEUR K.

K., appelons-le ainsi, est un gars dans les trente-cinq ans qui marche de chez-lui au centre commercial, puis du centre commercial à la bibliothèque municipale. On ne lui connaît pas d'autre trajet, sinon celui qui le mène à la cathédrale pour l'office dominical.

On ne lui connaît pas d'amis ni d'amantes. K. est seul comme seul peut l'être un pauvre gars maladroit dans ses relations sociales.

Est-il laid? Pas nécessairement. K. pourrait animer une émission à la télévision, facialement parlant, si ce n'était de sa timidité par trop outrancière. Et il pourrait aussi jouer au basketball puisqu'il est très grand. Cependant, personne ne le voudrait dans son équipe puisqu'il est d'une lenteur déconcertante. C'est comme s'il marchait constamment sur des oeufs. Ou bien comme s'il marchait à pas de souris dans un dortoir rempli de prisonniers en manque de sexe qui le trouveraient facialement séduisant.

Chaque pas qu'il fait dans la vie semble s'accompagner d'excuses, vous voyez le genre?

Ce qui fait qu'il lui est impossible d'avoir des amis.

Juste serrer la main de quelqu'un le fait trembler comme une feuille.

K. sait à peine dire bonjour. En fait, il bafouille et tousse comme pour faire oublier qu'il vient de parler.

-Be-be-bi-bo...b'z'our...kof! kof!

K. est sorti de l'université en 1994 avec un baccalauréat en mathématiques.

Cette même année, il fit une demande d'aide sociale.

Il vit encore sur le piton, comme on dit, parce qu'il est pourri en entrevue. Il bafouille, tousse, tremble. Tout un chacun pense avoir affaire à un malade mental.

Après être revenu bredouille dix, cent et mille fois, K. a fini par se faire déclarer inapte au travail par une fonctionnaire compatissante qui voyait bien que c'était un miracle que ce type-là ne se soit pas encore pendu dans cette chambre étroite de L'Auberge du Bonheur qu'il loue 179$ par mois.

L'Auberge du Bonheur est par ailleurs un hostie de nique-à-feu qui a flambé trois ou quatre fois compte tenu du profil de ses locataires, ivrognes et fumeurs qui attendent soit la mort, soit leur chèque.

Chaque fois que Lucien Bonenfant vois K., il se sent cheap de ne pas lui tendre la main. De ne pas lui dire, tiens, viens mon gars on va faire la tournée des bars et se péter des bouteilles sur la tête. On va te trouver une p'tite mère qui va te vider les couilles. On va te trouver du boulot. Un logement potable. Une vie quoi.

Mais de quoi se mêle-t-il, hein?

Peut-être que K. n'a rien à foutre de sa compassion.

Ce qui fait que Lucien Bonenfant se contente de poinçonner les livres que K. emprunte à la bibliothèque. Des livres qui proviennent d'auteurs catholiques français: Bloy, Barrès, Péguy, Bernanos, Mauriac, etc.

Rien de très mathématique.

Il faut bien qu'il se détende un peu, non?

4 commentaires:

  1. Quel beau portrait. Il me semble reconnaître un abonné de la bibliothèque où j'ai déjà travaillé!

    J'aime particulièrement sa démarche "à pas de souris" dans le dangeruex dortoir.

    Caboche

    (P.-S.: Difficile d'envoyer un commentaire sans compte Blogger. Google ne me reconnaît pas toujours, Ciel!)

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  2. Difficile de consulter ton blogue qui ne veut pas ouvrir...

    Je me reprendrai plus tard.

    Chaque personnage contient cette fibre d'humanité qui le rend semblable à tous les autres.

    J'aurais dû faire jouer Les timides de Jacques Brel pour être encore plus dans le ton.

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  3. « La fibre d’humanité », c’est bien le fil conducteur de ces histoires.
    On sent dans les personnages que vous mettez en scène, l’amour et le respect des gens.

    Je connais bien le répertoire de Jacques Brel mais curieusement je ne connaissais pas cette chanson qui décrit très joliment le timide.

    Sentant quelques atomes crochus avec vos écrits, on devrait bien arriver à communiquer plus facilement un jour.

    Mon blog n’étant pas hébergé sur Blogger, ça me complique la vie, mais si peu.
    Voici mon adresse http://anarchronique.canalblog.com

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  4. Merci beaucoup.

    Excusez mon tutoiement dans le message précédent. Les bonnes manières se perdent chez-moi.

    Votre blogue fait maintenant partie de ma blogoliste.

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