mercredi 12 mai 2021

Mon chemin de l'intégration...

Trois-Rivières est une ville de langue française à 95%. Il s'y trouvait peu d'étrangers jusque vers les années '80 où l'on favorisa l'intégration des immigrants dans les régions du Québec.

Le premier «étranger» que j'aie connu était Cambodgien. Le deuxième était Vietnamien. Les deux étaient arrivés en même temps. Le Cambodgien était de notre âge, environ treize ans. Le Vietnamien n'avait pas encore quatre ans mais il était tout de même notre voisin. Il y avait bien sûr leurs familles mais nous ne vivions pas vraiment dans le monde des adultes. 

Monsieur Pépin, vétéran de la Seconde guerre mondiale, fût sans doute le premier de la rue à leur parler dans un mélange de français, d'anglais et de trucs qu'il avait dû apprendre pour communiquer avec toutes sortes d'humains au cours de ses aventures périlleuses. Il nous faisait toutes sortes de numéros comme souffler dans son pouce tandis que ses biceps ondulaient comme des vagues. On essayait de le faire ensuite et on n'y arrivait jamais. Encore aujourd'hui je me demande comment il faisait ça...

Tout étranger devenait tout de suite l'ami de Monsieur Pépin et comme il était le meilleur et seul ami de mon père, on finissait nous aussi par nous ranger sur la sagesse et la généreuse hospitalité d'Irenée Pépin.

C'était lui, le guerrier, l'homme qui en avait vu de toutes les douleurs, avec qui tout étranger pouvait trouver illico le chemin de l'intégration. Tu ne pouvais pas ne pas devenir l'ami de Monsieur Pépin. C'était tout bonnement impossible. 

Ce qui fait que je suis allé à la bonne école. Je me rends bien compte aujourd'hui que de tous les gens qu'il y avait sur la rue Cloutier dans ce temps-là, Monsieur Pépin était celui pour qui la peur de l'autre n'existait pas.

Mes parents avaient certaines réserves, certaines peurs. Ils arrivèrent à les surmonter plus souvent qu'autrement. Mais l'étranger, l'Autochtone, celui qui ne faisait pas comme tout le monde, je crois bien que ça les rendait parfois anxieux. Ils n'avaient pas connu d'étrangers. 

Néanmoins, mon père et ma mère ne laissèrent pas cette part d'ombre les terrasser. Ils suivirent timidement le chemin ouvert par le soldat Pépin. 

À l'école, je fus de plus en plus en contact avec des étrangers. Mais c'est à l'université que vraiment je pus connaître des personnes provenant de tous les horizons. Et m'en faire des camarades que je fréquente encore dans la vraie vie. Le travail en Colombie-Britannique, au Yukon puis au Labrador élargirent mes horizons. C'était désormais moi l'étranger avec mon anglais très primaire qui s'améliora avec le temps.

Je fus l'étranger, comme Monsieur Pépin. Au retour chez-moi, je me suis juré que je vivrais dans un monde où plus personne ne se sentirait étranger.

J'ai adopté la fameuse technique de Monsieur Pépin. Tout étranger porte une histoire que je veux connaître. Je salue, parle, trouve des points de discussion, questionne, m'étonne, m'émeus. 

Mes petites misères ne sont pas grand chose quand j'écoute les récits d'horreur des uns et des autres, de la Bosnie jusqu'à l'Amérique latine, en passant par la corne de l'Afrique. Je m'en voudrais de ne m'en tenir qu'à l'horreur, mais elle était souvent là pour les inciter à trouver refuge ici parmi d'autres humains qui ne sont pas en guerre et vivent relativement en paix. 

Au fond, il n'y a pas d'étrangers pour moi.

Nous sommes tous et toutes frères et soeurs et mieux encore: Terriens.

Nous n'avons pas décidé des frontières et des administrations.

Mais nous pourrions décider de vivre mieux ensemble malgré les frontières et les administrations.

J'ai l'espoir de vivre dans un monde où l'on partage autant les repas que les connaissances.

Je ne trouve aucun plaisir et aucune utilité dans l'humiliation des gens qui nous entourent. 

On fait tous partie du même État, de la même ville, du même quartier, du même bout de ruelle.

S'il arrive quelque chose à mon voisin, quel qu'il soit, je me porterai naturellement à son secours. 

Je ne laisserai pas personne se sentir exclus de la fête sous prétexte que sa tête ne revient pas à tel ou tel peureux qui ne sait pas que c'est lui le méchant du party. Même lui nous pourrons le ramener. Parce qu'inclure tout le monde ça ne laisse pas pour autant les niaiseux de côté. 

Arrête de faire le con. Arrête d'avoir peur. Et fêtons ensemble.


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