J'ai le privilège de travailler et de vivre auprès de gens qui proviennent de tous les horizons. Cela me permet de nourrir ma curiosité insatiable. Et aussi de découvrir d'autres manières de vivre. Sinon d'autres manières de voir les choses. On n'apprend rien en ne sachant rien d'autrui. Et on ne lui apprend rien en le privant de tout ce qu'il est.
Fatima est Malienne. C'est un esprit solide, une âme stoïque au coeur généreux. Elle est dans le domaine médical, bien à sa place, surmontant toutes les épreuves, toutes les vexations, toutes les discriminations avec ce regard aussi fier que souverain. Ce même regard indicible que je perçois chez la majorité de mes frères et soeurs des Premières Nations. Quelque chose qui veut dire «paix intérieure» pour laquelle je ne trouve pas de mots assez forts en français.
Quoi qu'il en soit, je me souviens d'une discussion avec Fatima à propos du racisme. Elle me racontait quelques anecdotes ça et là où elle s'en sortait toujours plus forte. Bien des racistes sont devenus moins racistes à son contact. Elle se faisait aimer naturellement de tout le monde, malgré toutes les barrières, tous les préjugés, tout ce que vous voulez. Elle ne se laissait pas impressionner. Vraiment, Fatima les avait tous et toutes par son flegme, sa présence, et je dirais même sa spiritualité authentique. Elle a plus fait contre le racisme, par le simple fait d'être là, debout, que tout ce que je ne pourrai jamais faire.
-Je pensais que nous les Africains vivions le summum du racisme ici, me racontait Fatima. C'était avant que je ne sois témoin du racisme envers les Autochtones... En classe, on me parlait, même si j'étais une Africaine... Il y avait une fille autochtone dans ma classe et tout le monde l'ignorait. C'est comme si elle était invisible... Je trouvais ça tellement étrange... Et je voyais ça partout, cette mise à l'écart des Autochtones... Puis les préjugés... J'allais la voir et lui parlais. Nous sommes même devenues amies... Nous allions prendre des cafés ensemble. Et elle m'a appris des mots... Je ne me souviens plus très bien... Kwé pour bonjour je crois... Tout ce que j'entendais à propos des Autochtones, chez les filles de ma classe me hérissait... Elles les appelaient les «kawiches» et colportaient toutes sortes d'âneries sur elles... Je leur disais que c'était non seulement pas vrai mais particulièrement méchant... Je n'en revenais pas! Voyons les filles vous valez mieux que ça!
-Ça ne m'étonne pas... Nous sommes sur leur territoire et nous ne savons rien ni de la langue ni de la culture des Autochtones. C'est comme si leur présence nous rappelait quelque chose de honteux que nous souhaitons cacher...
-Oui. Elle s'appelait Uapikun, qui veut dire fleur qu'elle m'a dit...
-Elle était de quelle communauté?
-Je sais pas... C'était au Lac St-Jean... J'ai vécu quatre ans au Lac St-Jean...
-Ok...
Je ne me souviens plus du reste de notre conversation. Il devait y avoir beaucoup d'humour. Fatima avait le don de tout revirer en blagues. Et ce n'était jamais déplacé. Des blagues qui révèlent l'humain sans fards et sans malice.
Cette conversation a eu lieu il y a de cela deux ou trois ans. Elle me revient souvent en mémoire. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être parce que Fatima, une Africaine de confession musulmane, avait le don de faire voir et ressentir le racisme, sinon le détestable ostracisme que subissent encore les membres des Premières Nations.
Le «peuple invisible», comme dans le film éponyme de Richard Desjardins.
Un peuple spolié, dépouillé de tout, et éloigné de leurs terres. Un peuple qui reprend aujourd'hui sa place et défile calmement, stoïquement, dans nos villes à décoloniser.
Cela prenait une Africaine pour le comprendre mieux que bien des gens de la place...
Cela prend toujours un autre pour comprendre ce que l'on fait subir aux autres.
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