mercredi 26 mai 2021

Monsieur Ixe, chambre 234-B de la Résidence des Pimbinas

Monsieur Ixe habitait depuis peu à la Résidence des Pimbinas. 

Il avait été retrouvé au sol, à demi paralysé, dans son logement devenu plutôt insalubre avec le temps. Il y habitait seul avec une caisse de bière.

Sa voisine avait alerté les policiers, puis les ambulanciers étaient venus ramasser Monsieur Ixe.

Monsieur Ixe devait avoir dans les 80 ans. Alcoolique et anxieux de nature, il avait comme qui dirait pris sa dernière cuite. Et depuis son retour à la vie institutionnalisée, il pestait comme mille diables après tout un chacun et n'importe quoi.

Il était petit et chauve. Ça venait avec une panoplie de soins à n'en plus finir compte tenu de l'extrême dégradation de sa peau, de son corps, de ses yeux, alouette... Il était plogué de partout. Et rien n'était jamais à son goût. Surtout avec les femmes. Et les personnes de teint et d'accent étrangers.

-Hostie d'tabarnak c'est pas mangeable icitte calice!

C'était d'autant plus ironique que Monsieur Ixe s'était nourri très mal au cours des dernières années de sa vie. On ne peut pas dire que du ragoût de boulettes en conserve ce soit de la haute gastronomie. Pourtant, Monsieur Ixe n'était pas sans laisser son avis sur la cuisine de la résidence qui était somme toute potable et mangeable.

Monsieur Ixe pouvait sonner 36 fois d'affilée pour ceci ou cela. C'était souvent pour livrer un char de problèmes au personnel-soignant.

-J'veux pas être lavé par des Noirs! J'veux du monde normal! Sacrament! Hostie! Tabarnak!

Évidemment, on ne pouvait pas toujours l'accommoder. Ni protéger le personnel de la malveillance de Monsieur Ixe. Mais bon, Mustapha et Fatima étaient capables d'en prendre. Ils ne s'en laissaient pas imposer. Ils étaient l'avenir et lui le passé...

-Si je suis offusqué par quelqu'un qui a une maladie mentale, je dois me questionner sur ma propre santé mentale, répliquait tout bonnement Fatima. Mustapha acquiesçait. 

Ils demeuraient stoïques et impassibles devant Monsieur Ixe qui continuait son sale manège.

Monsieur Ixe faisait dans sa culotte. Il ne sentait plus ses sphincters et était désormais incapable de se nettoyer lui-même. 

D'autres que lui se seraient sentis une petite gêne. Pas lui. 

-Viens m'torcher tabarnak! J'encore la couche pleine hostie! 

-J'arrive Monsieur Ixe j'arrive...

-Ça fait une demie heure que j'attends tabarnak! Grouille-toé l'cul ciboire! Dans ton pays i' dorment-tu au gaz toute la journée ciboire?

-56 secondes monsieur. C'est chronométré sur mon bidule...

-T'as menti! Pis christ ej' chie-là tu voés bin tabarnak???

La merde lui coulait le long de ses jambes. Fatima l'essuyait. Mustapha nettoyait le plancher.

Monsieur Ixe, enfoncé sur la chaise d'aisance, se releva péniblement et fit caca sur le siège ainsi que sur le plancher. Fatima et Mustapha nettoyèrent à nouveau. Ils l'installèrent au lit et il fit encore dans sa culotte. Ils le changèrent. Il réclama de retourner sur la chaise d'aisance. Il se vida encore. Tartina le siège et le plancher... Le staff était à bout mais flegmatique, stoïque, positif malgré tout.

La famille de Monsieur Ixe s'en mêla. 

-Comment ça s'fait que vous prenez tant d'temps à v'nir quand mon père a l'envie d'aller aux toilettes?  Pourquoi c'est pas bon la nourriture? En tout cas on n'est pas bin bin contents d'vos soins! Ça fait dur!

-Si vous croyez qu'il n'est pas bien ici, il vous est possible de lui trouver une place ailleurs ou bien de l'emmener vivre avec vous, lui répondit sagement Muriel, la coordonnatrice.

Ils ne trouvèrent rien à redire...

Ils ne venaient jamais le voir. Ils n'avaient pas le temps. Mais ils en trouvaient pour menacer le personnel soignant. Ceux et celles qui lui achetaient des vêtements à la friperie parce que personne ne s'occupait de lui trouver de vêtements ou d'accessoires. 

-Au moins il aura d'quoi à s'mettre sur le dos, se disait Fatima. C'est un pauvre homme... Un cas de grande misère sociale...

Vraiment, ce n'est pas de la tarte travailler dans ce milieu.

Il faut faire face à des sommets d'ingratitude.

Et se donner du coeur à l'ouvrage pour recommencer le lendemain à soigner même ceux qui ne soignent pas leur langage et vous méprisent.

Par contre, c'est un privilège que de travailler avec des personnes qui ont le coeur à la bonne place. Cela permet d'oublier certains irritants que la pauvreté, la maladie et la misère rendent inévitables en certaines circonstances exténuantes...



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