samedi 21 août 2021

Je m'abandonne à l' autobiographie

On ne sait jamais comment ça commence et comment ça finit lorsqu'on s'abandonne à l' autobiographie. Chaque mot dévoile une nouvelle vérité aussi bien qu'il dissimule un nouveau mensonge. Les confessions sont toujours plus ou moins organisées. C'est d'ailleurs un genre littéraire que je déteste. Moins de Jean-Jacques Rousseau et plus de Rabelais. Les ivrognes intelligents plutôt que les braillards tristes et sérieux qui servent d'inspiration à Robespierre.

Pourtant, tout me pousse à la confession pour une raison qui m'échappe. Peut-être me faut-il passer par ce que Rimbaud aurait appelé des «rinçures», des confessions sur mon petit moi, mon petit passé, mes petits étés ou bien je ne sais quoi.

Commençons par l'été... Puisque j'ai été. 

J'aimais l'école parce que mes étés finissaient par devenir longs et ennuyants. Je fuyais peu à peu tous les jeux avec mes amis, sinon tous mes amis étaient disparus. Je me retrouvais seul à errer dans Trois-Rivières. Il ne s'y passait jamais rien. C'était triste et monotone. Avec cette sempiternelle odeur d'excréments produite par les papetières qui montaient à mes narines devenues indifférentes. Notre logement devenait trop chaud et trop humide, tout comme l'hiver il était trop froid et trop humide. C'était un logement mal isolé situé dans un quartier ouvrier, un «faubourg à la mélasse» comme disait mon père. Ça hurlait le soir. Tout le temps. Tout le monde semblait se donner des claques sur la gueule autour de chez-moi.

La bibliothèque municipale était mon havre de paix. Avec la piscine publique du parc de l'exposition où j'allais faire des longueurs pendant deux ou trois heures, jusqu'à me faire des bras gros comme des jambons. Je partais aussi à vélo, seul, le plus loin que je pouvais. J'allais pêcher du brochet sur la rivière Saint-Maurice. Je cueillais des mûres en haut du pit de sable, près de la rivière Milette. Je me bourrais la face de bleuets récoltés sous les tours électriques du boulevard des Prairies, dans le coin de Sainte-Marthe-du-Cap. Et le soir je travaillais au dépanneur. J'étais commis et livreur. Toutes les livraisons se faisaient à pieds, pas de bicyclette. Je livrais surtout du vin et de la bière. Je me faisais des bras.

Le reste de mes temps libres était consacré aux livres. Je lisais tout ce qui me tombait sous la main. De la biographie de Paolo Noël jusqu'à Le charbon de l'encyclopédie Que sais-je?...

Pour les filles, je n'étais ni prêt ni pubère. Certains le sont à 12 ans. Moi je le fus à 17. De 12 ans à 17 ans j'aurai cru que j'étais un monstre. Je m'en voulus d'exister. J'étais totalement asexué. Je fuyais les groupes de crainte d'être démasqué comme étant impubère. J'étais seul, isolé, taciturne. J'étais en passe de devenir un genre d'ange exterminateur par cette difficulté à subir les pressions sociales qui venaient de toutes parts. Je ne croyais plus en Dieu et on me forçait à aller à l'église. Comment forcer quelqu'un à adorer quelque chose qu'il ne ressent pas? Honorer un Dieu qui me faisait traverser tant d'ennui et de misère?

Mes étés étaient tristes et monotones...

Puis, un été, c'est venu... Je ne dirai pas comment ni pourquoi. Un échauffement subit et incontrôlé pour des formes féminines qui me hantaient. Une brûlure au bout de mon sexe.  Quoi donc? C'est donc ça... J'étais libéré d'un grand poids. J'étais enfin pubère! Je croyais en Déesse!

Malheureusement, il me fallut encore quelques années de maturité pour me débarrasser de ma vieille pelure infantile. 

Mes étés se passèrent ensuite au IGA, en tant que commis. Puis au Centre hospitalier de l'Université Laval, où je devins préposé aux bénéficiaires pour payer mes études à la faculté de droit.

Dans mes temps libres, à défaut d'avoir une blonde, je devins un agitateur politique relié à toutes les luttes de l'extrême-gauche. Je devins officiellement camarade et membre sympathisant de la 4e Internationale. C'est dire comment je me cherchais. Et qui je cherchais pour transformer ce monde pourri. J'ai finalement dévié vers l'anarchisme. Puis j'ai quitté à jamais toute forme de collectif politique pour mieux devenir moi-même, abandonnant à jamais le sectarisme et autres instincts grégaires que je ne ressens pas.

Mes étés étaient encore tout aussi tordus et soporifiques. Je travaillais. J'étudiais en philosophie. J'étais seul. Je prenais des psychotropes.

Les psychotropes m'auront peut-être sauvé la vie. Ils me permirent de mettre fin à ma virginité à tout le moins et de connaître, enfin, quelque chose comme l'amour et la sexualité. Idées et émotions se chamboulèrent dans ma tête. Bientôt, je ne fus plus le même.

J'errais d'une peine d'amour à l'autre parce que j'étais en retard de dix ans dans ma sexualité. Je devais apprendre plus vite que je n'avais jamais appris. Et j'appris. En quittant le Québec. En devenant un pur étranger, sans passé, prêt à vivre l'audace du moment présent.

Je vécus le premier et plus bel été de ma vie à Whitehorse, au Yukon. Musique, amours, amitiés: tout y était. C'est là que le petit Gaétan est devenu Grizzly. Ma pensée s'est modifiée au contact des voyageurs et voyageuses d'un peu partout dans le monde. J'ai appris l'anglais et par le fait même j'ai élargi le domaine de mes connaissances. Je me suis mis à tout lire en anglais.

Beaucoup d'eau coula sous les ponts depuis.

Je ne sais même pas pourquoi je vous raconte ça.

C'est décousu et ça tient un brin sur rien.

J'essaie d'écrire sur mes étés soporifiques pour me rendre compte que c'est ma vie qui l'était en quelque sorte avant que je ne brise ma chrysalide, trop tard sans doute.

On peut bien accuser l'été de tout et de n'importe quoi puisque je viens moi-même de le faire...

Si ça ne vous dérange pas je vais arrêter mon texte ici.

C'est pas la finale du siècle. Mais c'est mieux que rien.

On ne sait jamais comment ça commence et comment ça finit lorsqu'on s'abandonne à l' autobiographie.



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