Cela dit, il me semble que notre civilisation anxiogène et individualiste soit dans l'erreur lorsqu'elle se fonde essentiellement sur l'ego des forts en gueule narcissiques pour expliquer le monde.
Je m'inclus dans le nombre des gens qui peuvent avoir parfois tendance à tout ramener vers eux-mêmes. Je m'accuse par empathie envers le genre humain, pour me lancer la première pierre sans poser au moraliste d'occasion.
"Le Moi est haïssable", disait Pascal. Cela m'aura pris des années avant que de le comprendre. Tout passa longtemps par mon nombril avant que de transiter vers une autre dimension de l'expérience humaine.
J'étais bouffi d'orgueil dans ma jeunesse. J'imagine que c'est dans l'ordre naturel des choses que d'être jeune et idiot. Je pensais à tort que tout me réussirait. Rien ne viendrait entraver ma course vers le succès et la gloire. Je m'embarrassais peu des pleurnicheries. J'en voulais aux gens sans volonté, sans force, sans colonne vertébrale. J'étais fort. J'étais grand. J'étais intelligent. Comment pouvait-on se permettre d'être autrement que moi-même?
Puis je suis tombé de mon piédestal. J'étudiais à la faculté de droit de l'Université Laval et il devenait tous les jours de plus en plus clair que je n'avais plus les moyens de payer mes études. Je me suis cherché du travail. Je suis devenu préposé aux bénéficiaires au Centre hospitalier de l'Université Laval. Puis j'ai dû me résigner à abandonner mes études en droit. J'avais trop faim pour me nourrir d'articles de lois.
Mon ego s'est dégonflé au contact des malades. Le monstre d'orgueil que j'avais été jusqu'alors commença à flirter avec la compassion et l'humilité. J'étais encore loin d'être parfait. Et je le suis encore tout autant. Par contre, je n'ai plus jamais été le même après avoir servi des humains corps et âme.
L'autre événement qui a contribué à me métamorphoser fut de rencontrer ma blonde. Je n'avais pas d'enfants. Elle en avait. Je suis donc devenu beau-père et parent par procuration. Les parents ne peuvent pas tout ramener vers eux-mêmes. Ils doivent nécessairement faire taire la bête en eux-mêmes pour faire grandir leurs enfants dans l'amour et l'espérance d'une vie meilleure. Les préjugés tombent. La compréhension s'accentue. Le sacrifice prend une toute autre signification. À moins que d'être des parents stupides...
Tout cela m'amène à parler de ces esprits d'une pauvreté risible qui se croient investis de la Vérité avec un grand V parce qu'ils interprètent le monde en se regardant sécher le nombril.
J'ai l'impression qu'ils ont douze ans, même s'ils peuvent se targuer d'avoir réussi compte tenu de l'épaisseur de leur portefeuille et des postes prestigieux qui leur sont confiés.
On les trouve particulièrement parmi la caste des notables de notre société, parmi ceux et celles qui n'ont pas encore connu le Waterloo de leur égotisme.
Unetelle est députée ou animatrice de télé. Elle n'a pas besoin du féminisme parce qu'elle a réussi. Les femmes devraient suivre son exemple plutôt que de s'attarder aux ratées qui s'évertuent à réclamer des droits qu'elle considère illusoires et inutiles.
Untel est gay et animateur de radio hautement rémunéré. Il n'a pas besoin du lobby gay parce qu'il a réussi. Qu'on lui dise que le taux de suicide est plus élevé chez les gays, qu'ils sont encore victimes d'intimidation et de préjugés sociaux, il vous dira que ce n'est pas ce qu'il vit, lui. Tout lui réussit. Il est plein aux as. Pourquoi les gays ne mangent-ils pas de la brioche?
C'est ce que répondait Marie-Antoinette aux manifestants qui réclamaient du pain. "Ils n'ont pas de pain? Qu'ils mangent de la brioche!"
On le sait maintenant, les aristocrates ont toujours réponse à tout.
Être pauvre, vaincu ou opprimé, c'est avoir tous les torts pour soi.
Pourquoi faudrait-il des syndicats? Untel n'a pas besoin de syndicat dans sa vie. Il est pigiste dans un journal qui l'a embauché pendant la grève de ses journalistes. Il ne s'en porte que mieux en plus d'être mieux rémunéré que ces incapables qui passent leur temps à revendiquer. Les riches l'invitent à leur table et lui jettent des rogatons. Plus il s'en prend aux pauvres et autres ratés, plus son salaire augmente. Il sait maintenant comment réussir dans la vie. Il va fesser sur les faibles, sur les féministes et autres promoteurs des droits civiques.
Le monde court à sa perte? Il est menacé par des changements climatiques? Foutaises que tout cela! L'homme d'action saura s'acheter une île dans le Pacifique pour s'en faire un paradis pour les jours qui s'annoncent malheureux. Il économisera pour se bâtir une tour d'ivoire où il pourra philosopher loin du chaos social. Il sera épargné parce qu'il est rusé comme un renard, lui. Il n'est pas une proie ni une victime. Il est un prédateur. Un Je solitaire et tonitruant. Un nombril qui s'affirme.
L'expérience personnelle n'est pas à rejeter en bloc, bien entendu.
Mais je me passerais bien des leçons de ces faux-culs qui méprisent la solidarité, la compassion et l'égalité entre les êtres humains.
Je sais qu'ils ont tort, même si personne ne semble encore s'en rendre compte.
Le narcissisme est une voie sans issue.
Tout le monde y perd au change, même les serviteurs du capitalisme sauvage et de l'individualisme irréfréné.
L'homme, voyez-vous, n'est pas fait pour être un idiot toute sa vie...
Tiens ? j ' avais sauté la lecture de ce texte ! ( j ' avais dû oublier de mettre mes lunettes en m ' asseyant à l ' ordi ) - C ' est kool de rappeler un peu ces valeurs - J ' aime bien aussi quand les gens parlent un peu d ' eux-m^me ( si c ' est pas trop , bien sûr ) , je le prends un peu comme une marque de confiance ou de gentillesse , comme s ' ils m ' invitaient un peu chez eux -
RépondreEffacerTu as pas l ' air d ' être très égotique - Et puis Françoise Dolto disait qu ' une petite pointe de narcissisme est vitale -
@Monde indien: on ne parle bien que de ce que l'on combat en soi-même...
RépondreEffacerAttention : les méchants on tôt-fait de nous culpabiliser du peu d ' amour-propre qu ' on puisse avoir !
RépondreEffacer