Leonard Di Caprio et Claire Danes dans le film Roméo et Juliette de Baz Luhrmann |
Pourtant, tout concourt à démolir l'harmonie entre les êtres humains. L'avidité du pouvoir et ce besoin pathologique d'humilier ses semblables freinent l'évolution naturelle de la communauté vers la paix sociale. Tout le monde en veut plus, quitte à le prendre à celui ou celle qui n'a rien.
Les compromis sont rares mais ils finissent par survenir malgré tout, parce que tout un chacun finit par se lasser de la guerre permanente. Au début, on trouve des tas d'enthousiastes pour la mener. Ça leur donne l'impression de bouger ou bien de se dégourdir les jambes. Puis, au fil des jours, plusieurs ne demandent plus qu'à retourner chez-eux pour mener une vie bien tranquille avec deux biscuits et un verre de lait avant que de se coucher.
Cet être humain qui veut savourer la paix chez-lui est parfois taxé de traître, de vendu, de lâche ou de paresseux. Pourtant, toute société serait vouée à l'échec s'il n'y avait pas ce fort lot de gens qui ne veulent plus avoir affaire aux saigneurs et exaltés de la Terre qui ont l'écume aux lèvres.
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Prenons Roméo et Juliette. J'y reviens souvent pour une raison évidente. Les familles Capulet et Montaigu mènent une vendetta entre elles depuis des lustres. Cette vendetta est tellement prenante que le couple d'amoureux le plus célèbre du monde ne peut tout simplement pas vivre leur amour. L'histoire passera bien avant la tendresse que les deux tourtereaux éprouvent l'un envers l'autre.
Ce n'est pas pour rien que l'histoire de Roméo et Juliette a su émouvoir tant de gens à travers les époques. Shakespeare, en grand artiste qu'il était, avait mis le doigt sur quelque chose qui transcendait justement l'histoire, le rappel du passé et les guerres.
Ce ne sont pas des leçons d'histoire que l'on respire, mais de l'oxygène.
Toutes les traditions qui viendraient nuire à l'amour entre Roméo et Juliette ne peuvent être que stupides.
N'est-ce pas la leçon que Shakespeare souhaitait nous inspirer?
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Le jazzman afro-américain Sun Ra, que j'ai aussi la manie de citer souvent, avait une formule percutante pour se dissocier de l'histoire officielle des États-Unis: History is not my story. Un jeu de mots qu'on pourrait traduire par Son histoire ce n'est pas la mienne.
J'y pense d'autant plus souvent que l'on tente de m'enfoncer dans la gorge, jour après jour, une histoire qui n'est pas la mienne. Je suis Métis, voyez-vous. Mon arbre généalogique comprend des Anishnabegs, des Français et même des Anglais. Si je ne manifeste pas mon contentement béat face à l'histoire magnifiée des Québécois de souche je passe immédiatement pour quelqu'un de louche pour certains ultranationalistes qui, de plus, s'ignorent. Je devrais jubiler avec eux lorsqu'ils vantent les institutions catholiques, les Lionel Groulx et autres symboles surannés d'une époque tombée en disgrâce par la force du mieux-vivre ensemble. Je devrais défendre une forme de catho-laïcité qui n'a rien de laïque et représente plus la peur d'une certaine élite qui n'est plus au goût du jour.
On préférerait que les Capulet et les Montaigu continuent de s'égorger les uns les autres plutôt que de s'abandonner à des concepts si mièvres comme le multiculturalisme, la société ouverte, l'amour entre Roméo et Juliette...
C'est là que je décroche.
Bien qu'indépendantiste, par souci de promouvoir une forme d'autonomie administrative, je ne me reconnais pas dans ces discours qui exaltent l'histoire plutôt que de servir pleinement les droits et libertés de la personne. Je ne me reconnais pas dans ce "Nous" qui fait fi d'autrui s'il n'est pas conforme au bréviaire des militants. Je ne suis donc, à leurs yeux, qu'un pitoyable bisounours, qu'un zinzinclusif...
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Venons-en maintenant à la laïcité. La laïcité n'est pas l'athéisme, contrairement à ce qu'en pensent ses détracteurs. Elle propose la neutralité de l'État pour éviter les guerres civiles et confessionnelles. Personne ne peut ramener toute la couverture vers lui et laisser geler les autres comme s'il s'octroyait plus de privilèges qu'autrui. Cependant, cette neutralité de l'État n'intervient pas dans l'espace public. Les citoyens peuvent adopter le culte religieux de leur choix, avoir leur temple et même refuser toute religion s'ils le souhaitent.
En janvier 2009, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse rappelait à l'ordre la ville de Trois-Rivières. Une citoyenne s'était plainte de la lecture d'une prière avant les assemblées publiques. De bons catholiques avaient cru bon de lui tordre le bras, de la pousser et, bien sûr, de l'insulter. Curieusement, il m'était venu à l'esprit que cette dame était plus près du Christ que tous ces prosélytes qui s'en prenaient à elle au mépris de la dignité humaine. Ils n'hésitèrent pas une seconde à lui lancer la première pierre en bons chrétiens qu'ils n'étaient pas du tout.
Il allait pourtant de soi que les Trifluviens et les Trifluviennes n'étaient pas tous croyants en ce dieu que les élus priaient. Certains croyaient en plusieurs autres. D'autres n'y croyaient pas du tout. Et pourtant, tout le monde payait ses taxes. L'abandon de la prière correspondait justement à ce devoir de neutralité de l'État.
Dans les années '60, lorsque l'État a largement investi dans le système public d'éducation, il s'en est trouvé pour crier au meurtre. On allait enlever le crucifix dans les écoles, imaginez-vous donc...
Ce ne fut pas la fin du monde annoncée.
Bien au contraire.
Ce fut le début d'un temps nouveau où Roméo et Juliette pouvaient simplement s'aimer sans se soucier des corbeaux de l'Histoire avec un grand H et des vautours de la Tradition avec un grand T.
Il serait inconvenant, à mon sens, de revenir en arrière.
Tout le monde y perdrait.
Dont ceux et celles qui souhaitent vraiment vivre en paix.
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