lundi 1 septembre 2008

RENTRÉE SCOLAIRE À LA POLY, AU DÉBUT DES ANNÉES '80


Ça jouait dur à la polyvalente Sainte-Ursule, à Twois-Ivièwes, au début des années '80.

Je tremblais comme une feuille à l'idée d'y faire mon entrée, en septembre. Je ne serais qu'un agneau de secondaire un sans défense parmi deux milles loups assoiffés de sang. Bref, l'inconnu me faisait un peu peur.

Tout ce que je connaissais de la polyvalente me provenait des récits imagés d'onomatopées loufoques de mon frère le deuxième des quatre gars, batailleur et teigneux comme dix, qui ne craignait pas de recréer dans le monde réel ce qui n'était que de la fiction à l'écran.

-Pis là, pif, crak, boum, swigné su' un bord, un coup de pied dins gosses, paf, pif, zip, zap, j'y en calisse une...

Bud Spencer ne s'est jamais vraiment battu. Mon frère, lui, montait au front tous les jours et se forgeait une réputation de bagarreur émérite. En fait, je n'avais qu'à dire que j'étais son frère et c'était comme si j'avais sorti un bazooka de sous ma chemise. Tout le monde me crissait la paix. «Attention à lui, c'est l'frère de l'autre...» Au fond, peut-être que tout le monde avait peur d'entrer à la poly à cause de mon frère, mais là je ne voudrais pas froisser sa susceptibilité. Il se défendait. Il était propre, beau bonhomme, la cible idéale des jeunes baveux. Que vouliez-vous qu'il fasse? Il se défendait, au max, avec un léger supplément, pour ne plus avoir à se défendre.

Donc, j'avais peur de faire mon entrée à la poly parce que, selon mon frère, on te calissait des coups de bottes Kodiak en pleine face tous les jours. J'en shakais, de la poly: douze ans, propre, beau bonhomme. Sûr que j'allais me faire baver par des trous du cul jaloux que je sois premier de ma classe.

Je ne sais pas si mon vieux truc du primaire allait fonctionner à la poly, devenir l'ami des derniers de classe en les faisant rire avec mes caricatures de profs pendus à la branche d'un arbre, la tête recouverte d'ordures et d'excréments. Mes dessins à la Gotlib pourraient très bien ne m'être d'aucun secours. On voudrait peut-être juste me défoncer la gueule à coups de bottes.

Dans le doute, je m'étais acheté un couteau de chasse que je cachais dans mes poches. Tout le monde avait son couteau de chasse à la poly, sait-on jamais.

Et puis j'avais déjà ma panoplie pour me défendre dans la ruelle et assurer ma survie. J'avais mon tire-roches et surtout mon arbalète à ressorts d'épingle à linge. Ces arbalètes sont faciles à confectionner et sont presque meurtrières à moins de dix mètres. Elles sont si faciles à faire que je ne vous dirais pas comment les fabriquer pour maintenir le traité de non-prolifération des arbalètes à ressorts d'épingle à linge dans les bas-quartiers de Twois-Ivièwes. Le principe en est fort simple: un élastique est étiré au maximum sur une planche, retenu par un clou fixé au bout de ladite planche, puis relâché vers une cible humaine de préférence. Au bout de l'élastique, il y a un ressort métallique d'épingle à linge. (Me semble que j'en ai déjà trop dit. Shit!)

Évidemment, ça fait mal en tabarnak que de recevoir ça dans la peau.

Et bientôt, on ne peut plus sortir de la ruelle sans avoir son arbalète, son tire-roches, son couteau de chasse, son bâton de baseball... Et moi qui crains de faire mon entrée à la poly! Ce sont plutôt ceux qui rentrent à la poly qui doivent craindre que des types comme moi, élevés dans les bas-quartiers, fassent leur entrée à la poly.

Encore une fois, j'avais peur pour rien.

On me laisse tranquille.

Je n'ai pas besoin d'utiliser mon couteau de chasse.

Je demeure parmi les premiers de classe et caricature mes profs pendus par les pieds au-dessus d'un feu, pour me rappeler les enseignements de mes ancêtres autochtones.

On me crisse la paix parce que je suis le «frère de l'autre», mais aussi parce que j'ai mis de mon bord les plus malades de la poly, je veux dire les cas très spéciaux, ceux qui se battent à un contre mille et reviennent avec des morceaux d'oreille entre les dents. Comme ça, je pourrai lire Alphonse Daudet tranquille et parfaire mes connaissances dans les matières nobles comme le français, l'histoire et les mathématiques.

Je ne me suis pas battu souvent à la poly, somme toute.

Ma réputation me précédait.


Une fois, je me suis battu avec Gilles Février, un gars qui faisait de la boxe et reprenait pour la troisième fois son secondaire un. J'avais quinze ans. Février, avec sa gagne de mongols, le gros Gervais pis Coco Tardi, s'en prenait à mon ami Toothpick. Il le traitait de ti-maigre et de pinte de lait parce que Toothpick n'était pas du genre bronzé. Il ne savait pas nager et portait toujours des jeans longs pour cacher ses jambes trop maigres. Évidemment, il en devenait blême comme un vampire.

-Prends-toé z'en don' à du monde de ta taille! que je lui avais dit, à ce chien sale de Février.

-Ah ouais? Pis toé l'gros, es-tu à ma taille? répondit Février en fonçant vers moi. Il m'envoya la fumée de sa cigarette dans les yeux, comme dans les films.

-I' t'a rien fait'e! lui dis-je, la voix étranglée par la peur, cherchant mon couteau de chasse dans mes poches. J'allais en manger toute une calice... Février faisait de la boxe et rentrait l'os du nez dans le cerveau de tout le monde, à l'école.

-Après l'école, à trois heures, Bouchard, devant les marches de l'escalier... Pis t'es mieux d'être là mon gros tabarnak! hurla-t-il en me poussant.

Je n'ai pas réagi. D'une part, j'avais une pensée pour ma mère, ne pas répondre au mal par le mal, celui qui le dit celui qui l'est, etc. D'autre part, j'étais le frère de l'autre et je me devais, un jour ou l'autre, de mériter cette réputation de Boutch Bouchard. Et puis là, sur le coup, franchement, j'avais trop peur. Donc, je n'ai rien fait. J'ai réfléchi. Je suis retourné en classe avec Toothpick, ce pauvre petit maigre blanc comme une pinte de lait. La peur m'a fait réfléchir encore plus. J'étais dans mon cours de catéchèse à me demander comment j'allais me tirer de cette histoire.

Mon effroyable frère m'avait enseigné la traîtrise comme tactique de combat de rue. Il faut faire semblant de rien. Avoir l'air innocent. Parlez de la pluie et du beau temps, l'air de rien, puis fesser de toutes ses forces sans prévenir après avoir étourdi son adversaire de paroles ronflantes.

Je me suis accroché à cette idée. À trois heures et quart, tel que convenu, je me présente au rendez-vous. Je suis seul avec Toothpick et ne compte pas vraiment sur lui pour me défendre, bien qu'il aurait très bien pu sortir son couteau de chasse. Je lui explique un peu ma statégie.

-Vas-y gros Boutch! me dit Toothpick.

Parfait. J'avance innocemment vers Février qui m'attend, en haut de l'escalier. Il fume une clope. Son paquet de cigarettes est maintenu sur son épaule, sous son tee-shirt de AC/DC. Il est encore avec le gros Gervais pis Coco Tardi.

-Tiens! V'là l'gros Boboutch, la grosse crisse de p'lote à lunettes! que me dit Février, l'hostie de baveux à marde.

-Il fait beau aujourd'hui, que je dis. Puis je marche, d'un pas naturel, vers Février, réprimant ma peur pour m'en tenir à ma statégie.

-Ouiii... I' fa' beau hostie d'grosse truie à Bouchard! poursuit mon adversaire, qui se trouve maintenant à cinq pieds de moi.

-J'sais pas s'il va mouiller demain, que je continue.

-...

Et là, avant qu'il ne me réponde quoi que ce soit, je fonce sur Février comme un Algonquin en hurlant mon cri de guerre.

-Aaaaaaaaaaa!

Je mets tout mon poids sur un solide plaqué qui propulse Février vingt marches plus bas dans l'escalier de bois qui monte vers la poly. Il a revolé comme un fétu de paille et gît au milieu de l'escalier, parfaitement sonné. Profitant de sa stupeur, je déboule l'escalier pour aller l'achever à coups de bottes, comme on me l'a appris, avant que Février ne se relève et ne veuille me faire un de ses tours de boxe auquel je ne comprends rien et risque de perdre des dents. Le hic, c'est que Février ne se relève pas. Il s'est fendu le crâne et saigne pas mal. Je le prends par les cheveux. Je pointe du regard le gros Gervais pis Coco Tardi.

-Comprenez-moé ben mes hosties! Le prochain qui s'essèye avec moé, j'le tue tabarnak!

Et je termine sur mon cri de guerre indien:

-Aaaaaaaaaaaaa!

Les jours suivants, je traîne mon couteau de chasse, au cas où Février voudrait me tuer. Ça pourrait arriver aussi. Action, réaction, quoi.

La chance me colle au cul. Février est foutu dehors de l'école. Il vendait de la dope, je sais pas trop.

Toothpick n'entend plus se laisser intimider par qui que ce soit. Il me montre ce qu'il cache dans son casier: une superbe machette.

-Le prochain qui m'bave, gros Boutch, j'va's l'ouvrir de bas en haut!

Ah! la rentrée scolaire, ça permet d'évoquer tant de beaux souvenirs...

4 commentaires:

  1. Le pire est que c'est vrai, pour les beaux souvenirs! L'esprit retourne vers sa jeunesse, le corps a oublié la terreur et la douleur, même Février, ce morceau de cochon, doit y repenser avec tendresse...

    Un grand texte.

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  2. Waou! Ça rock en sacrament ce texte!
    Le reste aussi d'ailleurs.
    Je reviendrai!

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  3. Wow, bien fait pour lui. Que de bons souvenirs comme tu dis. J'ai adoré cette autobio-histoire. *bookmarked*

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  4. Ah ah ah ! Nous sommes frères de plus d'une façon. Tu liras en temps et lieux. Entre autres, la recette détaillées de l'arbalète à pine est dans la première partie de mon dernier livre.

    J'ai mal aux joues ! Délice.

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