jeudi 18 septembre 2008
POÉSIE QUAND TU NOUS TIENS
Steve était un artiste accompli. Il en avait le look, un look savamment étudié, lunettes rondes de type existentialiste, foulard rouge écarlate, béret, tee-shirt de Che Guevara. C'était un vrai dur qui parlait avec une voix de castrat, en battant des paupières comme une petite biche.
Tout était dans l'attitude et, à force de prendre des cafés avec les copains, il lui était venu en tête qu'il pouvait lui aussi aspirer au métier de poète.
D'abord, Steve aimait l'image que lui rendait son miroir. Il en frémissait. Il savait qu'un bellâtre comme lui ne pouvait être destiné qu'à un grand destin. Il ressemblait à Barbie, c'est pas mêlant.
Il se rebaptisa Evets, soit Steve à l'envers, et il s'acheta une bouteille de vin, la cala d'un trait, et écrivit tous les poèmes de son recueil d'un seul coup, sans sourciller.
Ce fût la nuit la plus longue de sa vie et, quand il en reparle, il en pleure encore comme si le sort des cent milles morts de la bombe d'Hiroshima n'était rien comparé à ce qu'il avait pu souffrir cette nuit-là, à écrire toute la nuit, les crampes dans les doigts et tout le reste.
Evets était comme le poète dont parlait Dostoïevski, dans Les frères Karamazov. Un poète qui assiste à un naufrage, sur la rive, et qui dit «Ne regardez pas la souffrance de ceux qui se noient, mais celle que j'ai de les voir se noyer!»
Eh! Ils sont souvent comme ça les poètes, que voulez-vous que je vous dise, totalement à côté de leurs pompes, pédants et sans coeur. Comme Néron, tiens. À jouer de la lyre sur le balcon tandis que la ville est en flammes. «Souffrez de me voir souffrir!» Ben tiens...
Evets n'avait à son actif que cinq poèmes, les cinq poèmes de sa nuit d'enfer. Pourtant, ses cinq poèmes avaient été publiés aux éditions Syntagme, une boîte de gredins qui avaient leur entrée dans le corps professoral dans tous les sens du terme. Ils publiaient essentiellement ceux qui aimaient se faire gratter le bas du dos.
Chez Syntagme, on avait trouvé le truc pour écouler ces formulaires que l'on faisait passer pour de la poésie. On s'arrangeait pour mettre toutes leurs publications au programme des lectures obligatoires à l'école secondaire, au collège et à l'université. On envoyait ensuite le poète courir les Salons du Livre, librairies et bibliothèques pour répandre formulaires et listes d'épicerie à tous vents. Enfin, on regardait les actions montées, patiemment, en se grattant le bas du dos.
Les cinq poèmes de Evets avaient été réunis sous un titre poche: Poésie, quand tu nous tiens...
Un titre à vomir, preuve irréfutable que la poésie fuie ces artistes ratés et qu'elle se trouve là où elle doit toujours être, c'est-à-dire en marge.
Evets, lui, voulait seulement une plus grande marge de crédit. Et un poste de professeur, tiens. Et les voyages en Belgique, en France, à Cuba. Tout sauf suer derrière un comptoir à vendre des patates frites. D'abord, il était beau. Et, ensuite, il était un artiste. On lui devait tout. Et tout lui revint, même la médaille du Gouverneur général et le prix littéraire des Salons Funéraires O. Bellemare Inc.
Evets se rappelait toujours avec émotion ses récitals de poésie en Roumanie, sous Ceaucescu. «Les Roumains adorent la langue française!», disait-il en tirant friponnement la langue.
Ses courtisans l'applaudissaient comme des phoques. Ils étaient encore plus nuls que lui. Ils ramassaient les restes, comme des goélands. «Bravo Evets! Houlala! Belle répartie! On dirait du Jean-Frédéric De La Tour du Pin Rouge! Bravo!» Comme des phoques et des goélands, ouais.
Évidemment, on n'aurait pas pu concevoir de poèmes plus nuls que ceux de Steve. C'était vraiment d'la marde, comme on dit chez les gens pas trop éduqués, mais pas mauvais lecteurs pour autant. Même que j'avancerais que ces gens grossiers m'ont souvent démontrés plus de culture et d'intelligence que ces poètes comme Steve alias Evets qui, à part de toujours courir après l'inspiration, n'étaient somme toute que des langues brunes comme on en trouve dans tous les milieux, surtout la poésie.
J'ai sa plaquette devant moi. Je l'ai achetée à vil prix dans un bazar du livre et la conserve précieusement dans ma section des horreurs, avec toutes sortes de trucs vraiment nuls et pas drôles du tout, dont Les poètes acclameront le gardien de but! et le Manuel de la Ligue de tempérance. Voilà donc ce que l'on fait de nos arbres...
La couverture de Evets est nulle. Je l'ai reproduite ici, en haut, à gauche.
Il n'y a pas plus de trente-deux pages, moins quatre pour la couverture, moins quatre pour les renseignements techniques et le ISBN, moins quatre pour faire respirer les poèmes. Finalement, il n'y a presque rien dans Poésie quand tu nous tiens...
Vous voulez que je vous en lise un bout, hein?
Ok.
Allons-y pour Requiem d'un artiste, sûrement un morceau d'anthologie:
Je me mire et mire et mire encore
Je m'émeus, m'émeus et m'émeus tant et tant
Je ris, ris et ris
Je pleure
C'est tout. C'est pas plus long que ça. Et tout le monde en redemande lors des lectures entre amis. «Vas-y Evets! Récite nous ton Requiem d'un artiste!»
Steve ne monte jamais tout de suite au micro. Il aime se faire prier. Puis il finit toujours par le réciter, son poème nul. Évidemment, il faut qu'il bouge et beurre épais, Evets, pour donner vie à ce texte misérable.
Il gesticule comme un danseur extra-terrestre sur Je me mire, mire et mire encore. Il s'accroupit par terre et tombe en position foetale sur Je m'émeus, etc. Puis il se lève d'un coup, le grand garçon, en criant Je ris, ris et ris. Puis il feint de se pendre avec le fil du micro sur Je pleure.
On l'applaudit.
Evets, sensible comme il est, se met à pleurer comme une Madeleine en demandant à tout le monde s'il a été bon, s'il a bien fait ça, juste pour distinguer les bons des mauvais amis.
Il m'a demandé mon avis une fois. Il n'en a pas été trop offusqué, puisque je ne suis pas éditeur. Je ne suis pas vraiment un obstacle quoi.
-Comment tu trouves ça, Ga-é-tan, han?
-C'est un peu court Steve... Ça manque de substance...
-Tu trouves ça court? Mais c'est là, han, là qu'est la beauté!
-Hihan! que je lui ai répondu. Hihan!
-Pourquoi tu fais ça?
-J'imite un âne...
Rideaux.
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La Belle Époque! À tes lecteurs, je suggère en complément de programme : "Ramona".
RépondreEffacerhttp://fr.youtube.com/watch?v=v5rtkjMjhmo&feature=related
J'ai un faible pour les chansons qui n'ont l'air de rien mais dont l'air nous rapproche de tout.
Christian B.
De la poésie « minimaliste », tiens donc, pourquoi pas ? :-)))
RépondreEffacer« Peau aime,
J'aime la peau.
Paula aime,
Aime la peau... »
Ok, ma retourner voir si ma douce dort encore... ;-)
(-: ellivdnommurD ed tioneB
Mort de rire.
RépondreEffacerAh! la belle époque des p'tits bas Ramona... Je ne sais pas si l'on voit ce que je veux dire sur You Tube...
RépondreEffacerJ'aime la poésie, bien que cela ne paraisse pas vraiment dans ce texte. C'est parce que je l'aime que je tiens à me dissocier de Evets et de ses complices.
Ton poème, monsieur Benoît, mérite un prix littéraire.
Même que É. en tombe mort de rire.
Et moi aussi.
Un prix littéraire ? Ben non, juste votre appréciation c'est très flatteur, et c'est bien assez pour mon humble ego.. :-)
RépondreEffacerBenoit