Je me souviens vaguement d'avoir lu
Les mains sales de Jean-Paul Sartre. En fait, je me souviens vaguement d'avoir lu Sartre.
La Nausée était un roman un peu broche à foin qui rappelait vaguement
L'Étranger de Albert Camus, lequel roman rappelait aussi vaguement
Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline. Sartre est toujours ronflant, ennuyant, parle pour rien dire et écrit n'importe quoi sans vraiment le comprendre lui-même. C'était à la mode dans les années '60 pour une raison qui m'échappe. De nos jours, je pense bien que Sartre doit être sur le point de disparaître de notre mémoire collective et cela me semble sain. Il y a des limites à faire semblant.
Les mains sales est une mauvaise pièce de théâtre de laquelle je n'ai rien retirée. Sinon que Sartre tentait d'ajouter un peu d'existentialisme au marxisme pour se montrer lui-même indispensable, malgré qu'il ait toujours eu les mains propres.
J'y fais référence par habitude. Parce qu'Untel rappelle de temps à autres qu'il faut parfois avoir du sang sur les mains pour faire avancer ses idées. Il se réfère alors aux
Mains sales de Sartre qui, pourtant, ne touche pas tant à cette idée.
L'essentiel de mon propos touche aux mains.
Aux mains qui peuvent être sales ou propres.
L'intellectuel rappelait indirectement qu'il avait les mains propres, mais que le monde de la justice et de la Grande Idée n'adviendrait pas sans avoir les mains sales.
Il faudra donc étriper son lot d'ennemis en méditant sur le sens de l'existence...
C'est ça, la philosophie...
Du moins, une part importante de l'existentialisme dans sa version sartrienne.
Contrairement à Sartre, Albert Camus avait les mains sales.
Il a vraiment fait partie de la Résistance. Il a pris et porté les armes contre les fascistes. Il ne s'est pas camouflé sous les oripeaux de la littérature pour rédiger dans une langue opaque sa soi-disant rébellion contre le fascisme:
Les mouches, Les mains sales...
Pourtant, Camus m'a toujours semblé plus humain et plus digne que Sartre dans ses positions publiques.
Jamais Camus n'a justifié l'injustifiable. On n'a jamais pu compter sur Camus pour défendre les massacres commis par les jeunesses maoïstes au cours de la Révolution culturelle chinoise. Camus n'a jamais considéré les massacres comme une «bagatelle», comme un événement naturel de l'histoire en marche.
Je ne m'embarquerai pas dans une controverse entre Camus et Sartre.
Vous vous doutez bien que je suis cent fois plus près de Camus que de Sartre.
Premièrement, parce que Albert Camus était aussi un authentique artiste, c'est-à-dire un écrivain.
Ce que n'a jamais été Jean-Paul Sarte malgré toutes ses pages insipides qu'il a pu écrire au cours de sa longue vacuité qui ferait passer l'être pour du néant.
La vraie pensée philosophique, évidemment, se tient toujours loin des salons et des coteries.
Il ne pouvait rien sortir de bon de Sartre.
Parce qu'il singeait les émotions, les attitudes, les déclarations.
Je ressens toute sa profonde malhonnêteté intellectuelle, sa vanité, sa fatuité.
Jamais je n'ai ressenti ce petit iota de respect pour son statut de vedette immérité.
Tandis que Camus, il m'arrive encore de le lire et de le méditer.
***
J'ai les mains sales.
D'abord parce que je suis de basse extraction.
Il est difficile d'imaginer un petit gars né dans un quartier pauvre de Trois-Rivières qui n'ait jamais mis ses mains dans la merde. C'est notre destin commun. Nous sommes nés pour patauger dans la merde, sous le regard indifférent des habitants de la Haute Ville.
Là d'où je suis, nous sommes un peu comme des parias de la plus basse caste qui soit. Nous naissons pour aller à l'usine ou à l'aide sociale. Si d'aventure l'usine ferme, on se désolera parmi les notables que l'on envoie tant de pauvres à l'université alors que leur seule université devrait être l'usine. Ils feront entendre cette version-là de leur réalité, l'imposeront subtilement à tout le monde. Celui ou celle qui rêvera de devenir universitaire se fera ramener à son rang par des crapules à cravates qui trop souvent puent de l'intérieur. Il n'y en aura pas de facile. Ce sont encore les gosses de riches qui passeront en premier pour perpétuer le Désordre Social et l'injustice qui vient avec.
Bien que j'aie les mains sales, je me refuse à voir la violence comme un moyen politique.
Cela ne veut pas dire que je vais me laisser faire ou bien que je vais tendre l'autre joue.
Cela veut simplement dire que l'on ne sort pas son arsenal nucléaire tous les jours.
J'ai les mains sales d'aider ce système en lequel je ne crois pas en y collaborant directement ou indirectement.
Je m'efforce de combattre en moi-même ce qui n'est pas moi-même.
J'y réussis plus ou moins bien.
Je ne suis pas tout à fait un ange, mais certainement pas un diable.
Et je ne vous lancerai pas une mode intellectuelle demain matin.
Je veux seulement vivre et laisser vivre. Aider la vie autant que faire se peut. Me maintenir debout et respirer sans crainte.
Je conçois que les mains sales n'aient rien à voir avec cela.
C'est idoine pour Sarte et Camus. Je me permets ce genre de digressions pour je ne sais trop quelle raison. Je m'abandonne moi aussi à rabaisser la philosophie au niveau d'un strudel aux pommes.
Pourquoi pas?
C'est moins fatiguant que la réalité.
Moins complexe.
Et puis ça fond dans la bouche.
Même s'il se peut que l'on ait ensuite les mains sales.