Monique passe le plus clair de ses après-midis à nourrir les canards qui se réunissent dans le parc municipal. Elle en nourrit au moins soixante-seize cette année. L'an passé, ils étaient cent cinquante.
Quoi qu'il en soit, Monique se pointe à tous les jours, beau temps mauvais temps, avec sa poche de moulée. Et elle leur balance de pleines poignées de graines que les couacs avalent goulûment.
Si ce n'était que des couacs, eh bien le récit s'arrêterait ici.
Vous savez bien que je ne vous raconte jamais n'importe quoi.
Or, Monique est toujours entourée d'un troupeau de petits vieux.
Au début, peut-être venaient-ils voir les canards. C'était il y a cinq ans.
Monique les nourrissait depuis une semaine. Pourquoi? Pourquoi pas vous aurait-elle dit.
Roméo Provencher fut le premier qui vint à sa rencontre. C'était un petit vieux bossu qui avait du poil sur le nez.
-C'est des bien beaux canards... bien beaux... Moé c'est Roméo.
-Pis moé c'est Monique...
Le lendemain, le vieux Roméo était accompagné de l'encore plus vieux Victor. Puis du vieux Fernand, du vieux Grégoire et du vieux Thomas. D'autres vieux s'ajoutèrent mais je n'ai pas retenu tous leurs noms.
Aujourd'hui, je sais bien que les vieux ne vont pas là pour les canards.
C'est évident qu'ils vont là pour Monique.
Elle leur apporte un peu de féminité dans leur vie puisqu'ils sont tous célibataires en plus d'être vieux.
Monique, c'est un peu comme le dernier rêve de ces vieux garçons et vieux veufs.
Je me dis ça en voyant les canards qui, d'ailleurs, vont bien finir par quitter l'étang gelé.
Il n'est pas gelé pour le moment.
Et Monique, oui Monique, leur lance encore des poignées de moulée pendant que les petits vieux semblent toujours lui reluquer un peu les fesses et les seins.