Je fais souvent le même parcours à vélo le matin pour me rendre au travail.
Il est difficile de pédaler au printemps. Les muscles se sont déshabitués à cet exercice. Les premières côtes à monter nous épuisent. Et puis on a mal au cul, au scrotum et j'en passe.
Puis les semaines à vélo s'accumulent. On finit par faire une seule entité avec la machine. On a l'impression que tout le travail se fait tout seul et sans efforts.
Ce matin, j'ai dévalé la côte du boulevard Royal à toute vitesse. Il n'y avait pas de vent. Je filais comme un missile.
J'ai évité les mêmes nids de poule qu'à l'accoutumé en zigzaguant adroitement par transfert de poids à droite ou à gauche.
J'ai pris des raccourcis ici et là, empruntant un petit sentier, un chemin de traverse.
J'ai su que je pouvais sauter par-dessus une bande de trottoir à tel endroit compte tenu que des feuilles mortes agglutinés au bas de ladite bande me permettent d'amortir le choc.
Et c'était comme ça tout le long de mon parcours.
Tout ce que je faisais, en pédalant, consistait à éviter des obstacles ou à prendre des raccourcis, machinalement, comme si tout était depuis trois mois enregistré dans ma tête.
Je pourrais me rendre au travail à vélo les yeux bandés tellement ça se fait tout seul maintenant.
Et pourtant, je devrai bientôt ranger mon vélo.
Bientôt, fin novembre peut-être.
Dès la première neige en fait.
Je redeviendrai un piéton pour tout l'hiver.
J'affronterai pluies, verglas et tempêtes de neige.
Et au printemps prochain, avec de la chance, je serai encore capable de rouler sur mon vélo, vers l'infini et plus loin encore.
C'est sans doute banal ce que je vous raconte.
Mais je ne trouve pas d'intérêt pour des sujets plus grandioses faisant appel à un sens supérieur de l'Histoire...