«Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie : « N'importe où ! n'importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde !»
Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris
Boèce vivait au temps où l'empire romain d'occident s'était effondré. Le résidus d'empereur de Rome, à l'époque, un Ostrogoth dénommé Théodoric, l'a fait arrêté et condamné à mort parce qu'il philosophait un peu trop avec Justin 1er, empereur de Constantinople. Boèce fut accusé de complot et condamné à mort. Dans l'attente de son exécution, en prison, Boèce trouvait sa consolation dans la philosophie. C'est tout ce qui lui restait à faire. Mince consolation avant que de se faire trancher la tête.
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Je trouve ma consolation dans la pratique des arts. Il y a longtemps que la philosophie me désole. Comme le dit un proverbe chinois, le plus grand siècle de la philosophie fut celui où il n'y avait pas de philosophes...
J'ironise à peine. J'ai tant lu de philosophes qui ne disaient rien pendant des milliers de pages. À vrai dire, je m'accuse d'être insensible aux jeux d'esprit sur la chaise en-soi, l'être, le non-être et p implique q...
J'ai obtenu de bonnes notes à l'université, à la faculté de philosophie. J'ai compris assez tôt qu'il n'y avait rien à comprendre à la philosophie au sein des institutions établies. J'ai réalisé que je préférais de loin la littérature à tous ces concepts qui ne m'ont jamais intéressés. Si c'est laid, mal écrit, boursouflé de métalangage, je décroche. Je ne lis plus ceux qui ne savent pas écrire. Ou si peu...
Je lis pour le plaisir en fait.
Le plaisir de satisfaire ma curiosité insatiable. Le plaisir de dialoguer avec un être humain via cette lecture.
Curiosité qui n'est pas satisfaite par les travaux de Kant, Hegel, Marx, Husserl et les autres. Ils m'emmerdent profondément. Et ce n'est pas parce que je ne les comprends pas. C'est parce que je les comprends qu'ils m'emmerdent. Je ne dialogue jamais avec eux: ils m'emmerdent. Comment pouvaient-ils s'intéresser à des constructions mentales si sèches alors qu'il y a la musique, les arts et les lettres? Leurs thèses, antithèses et synthèses ont pour principal défaut de m'apparaître ennuyantes.
J'ai accroché un tant à Nietzsche pour sa musique et sa poésie maladroite. Encore là, j'ai fini par le trouver bien lourd, bourré de préjugés sociaux et pas si brillant que ses disciples voudraient bien nous le faire croire.
L'homme du ressentiment, il est bien mieux expliqué dans Crime et châtiment de Dostoïevski que dans les oeuvres complètes de Nietzsche. Je vous en torcherais bien un papier mais je n'ai pas tout ce temps-là à perdre. Tout ça pour dire que mille autres écrivains, sans prétentions philosophiques, figurent en tête de lice de mes influences «philosophiques». Bien avant Nietzsche qui n'était pourtant pas le pire de la bande. Je trouve plus de vérité dans un poème de Jacques Prévert que dans toute la section Philosophie des bibliothèques. Donnez-moi du Prévert et je vous rends tout Sartre, Wittgenstein, Bergson et autres fumistes soporifiques!
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L'art est mon ultime refuge pour résister à la médiocrité de mon époque. J'oublie Trump et bien d'autres encore en me consacrant à créer mon monde quoi qu'il advienne.
Quand j'entends les uns et les autres se déchirer pour des concepts vides, comme une stratégie électorale par exemple, eh bien j'ai seulement l'envie de reprendre mes pinceaux, mes guitares, mes tambours ou mes harmonicas. N'importe quoi sauf me faire chier avec des demi-pensées qui ne valent même pas un simple bonjour routinier.
On veut nous faire accroire que telle idée, telle idéologie ou telle religion est pleine de merveilleux. Puis l'on sait que c'est encore une autre perte de temps et une insulte à la patience. Mieux vaut faire un pas de côté. Mieux vaut fuir et se réfugier dans mon atelier pour peindre des gros nez, des grosses fesses et des gros seins.
Évidemment, cela ne veut pas dire que je sois insensible et indifférent face aux injustices. Bien au contraire! C'est parce que j'y suis sensible que je renonce à la philosophie, à la religion et aux institutions établies. Je sais que je n'y trouverai jamais rien de bon. Je ne ferais que m'enfoncer encore plus dans la désolation, alors que ma liberté de pensée, toute relative, pas nécessairement extravagante, m'est plus précieuse que tout. Je ne veux pas abdiquer ma raison. Je ne veux pas dévisser ma tête pour me soumettre à des idées qui n'en sont pas. Je ne veux ni plaire, ni séduire, ni avoir raison. Je veux seulement avoir la christ de paix.
Bref, je veux créer. C'est ma manière de ne plus avoir tort.
L'important, pour moi, ce n'est pas ce que j'ai fait hier. C'est ce que je crée en ce moment. Ce que je vais créer demain.
Ce n'est même pas l'idée de voir briller mon nom en lettres de feu qui m'anime, même si j'atteins humblement une certaine popularité tout en demeurant tout seul dans mon coin par pur instinct de préservation spirituelle. Je veux sauver mon âme en quelque sorte. Je ne veux pas devenir ce que je déteste. Je ne serai donc jamais un serviteur de la laideur, de l'immoralité et de l'injustice. Je ne ferai jamais de concessions pour être en paix avec ma conscience qui me dicte de ne pas céder devant les richesses de ce monde. Sans rigoler, elles me seraient acquises si je faisais au moins semblant comme tel ou tel faux-cul opportuniste qui se vante d'être dans les bonnes grâces de telle ou telle communauté hermétique de pantins satisfaits de n'être pas eux-mêmes.
Vous pourriez dire, avec raison, que je suis un christ de fou. Je le prendrais pour un compliment. On doit tous les progrès de l'humanité aux fous. On leur doit surtout de fascinants moments de distraction qui nous permettent de vivre un peu avant que de mourir. On est toujours trop sage. Et jamais assez fou. On se souvient des fous qu'on a rencontrés en voyage. Jamais des gens ordinaires. Ou si peu. Ils n'adhèrent pas à la mémoire par manque de densité existentielle. Ce n'est pas de leur faute ni de la mienne. Il leur faudrait devenir fous.
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Fou comme moi, tiens.
Fou comme le foin fou.
Fou à délier les langues.
Fou à en giguer sur un air de ruine-babines.
Voilà, c'est ça: je suis fou.
Fou de vivre intensément.
Fou d'aimer.
Fou de croire en la paix dans le monde, en l'amitié, en la tolérance...
Fou de jouer le jeu de la vie à ma façon, jusqu'au dernier souffle.
Fou.
Mais pas tant que ça...
Ça pense sous mon scalp.
Peut-être pas comme l'enseignent les institutions académiques.
Peut-être pas tant que ça aussi...
Bref, je trouve ma consolation dans l'art.
Et je préfère dire n'importe quoi, en toute sincérité, que de mentir élégamment en concepts dont je me contrefous.