mercredi 11 janvier 2017

Tous sortis du Manteau de Gogol...

"Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol" aurait dit Dostoïevski selon les propos rapportés  par Eugène-Melchior de Vogüé dans son livre intitulé Le roman russe (chapitre 3, III).

Le Manteau, pour ceux qui ne le sauraient pas déjà, est une nouvelle de Gogol où il met en scène un petit fonctionnaire de Saint-Pétersbourg qui est l'objet des moqueries de ses confrères pour son zèle et son caractère tatillon. Akaki Akakievitch Bachmatine a peine à vivre avec son petit salaire de petit pousseur de crayon. Il constate avec douleur que son manteau plusieurs fois rapiécé tombe en loques. Le couturier ne peut plus rien y faire. Le manteau est fichu, lui fait-il remarquer. Akaki devra donc trouver l'argent nécessaire à la confection d'un nouveau manteau. 

Le petit clerc se rend à l'évidence qu'il n'a plus le choix. Il économise kopeck sur kopeck, après de longs et savants calculs, pour trouver le moyen de se payer ce nouveau manteau.

Akaki finit par réunir la somme nécessaire et c'est avec une grande émotion qu'il revêt son manteau neuf. Ses collègues organisent une fête pour célébrer l'événement. Malheureusement, Akaki se fait voler son manteau et se trouve condamné à remettre son vieux manteau élimé. Il se révolte contre son mauvais sort et va demander secours à un personnage important qui se moque de lui. Akaki est encore plus malheureux et meurt même de froid. Il se métamorphose ensuite en spectre qui, la nuit, vole les manteaux des passants dans les rues de Saint-Pétersbourg...

***

Je ne suis pas un écrivain russe, peu s'en faut, mais je me sens moi aussi sorti de ce Manteau. Comme je suis sorti de L'Assommoir de Zola, du Bachelier de Jules Vallès, de La Faim de Knut Hamsun ou bien du roman Le pain nu de Mohamed Choukri.

Le caractère burlesque du Manteau de Gogol ne peut me faire oublier toute la tragédie de ce récit.

J'ai vu le Manteau de Gogol dans la vie réelle, à Montréal, Québec ou Trois-Rivières, sans jamais avoir mis les pieds à Saint-Pétersbourg.

J'ai vu de petits travailleurs économiser leurs sous pour se vêtir, se chausser ou se doter d'un dentier. Je les ai vus porter des vestes d'automne l'hiver ou bien mettre des sacs de plastique dans leurs espadrilles d'été pour les imperméabiliser de la neige comme de la pluie verglaçante.

J'en ai vu attacher leurs manteaux avec des cordes ou des ceintures parce que la fermeture éclair était brisée.

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Nietzsche détestait Zola. Il prétendait qu'il écrivait essentiellement sur le contenu des pots de chambre. Zola parlait de la misère noire dans ses romans. Il décrivait avec précision la vie dans les bas-fonds de la société. Il lui manquait, aux yeux de l'aristocratie de son temps, cette vision magnifiée des relations humaines qui font les grandes oeuvres d'art.

L'Assommoir, par exemple, est criant de réalisme. Toutes les tentatives de Gervaise Macquart pour s'en sortir finissent par être réduites à néant. Elle se fait bouffer tout son capital par son mari et son amant fainéants. Elle perd sa blanchisserie et finit ses jours sous un escalier, alcoolique, pauvre et vieille.

C'est vrai que ça ne sent pas bon chez Zola. Idem chez Gogol et combien d'autres.

Plutôt que de s'indigner de la misère, d'aucuns prirent parti de s'indigner des messagers, hier comme aujourd'hui.

Cachez donc cette misère que personne ne veut voir.

Cachez ces bottes qui prennent l'eau, ces manteaux élimés, ces écuelles vides, ces gens qui dorment dans les bouches des métros, ces bouches édentées...

Nous sommes encore dans le Manteau de Gogol.

Nous sommes encore au XIXe siècle.

Nous sommes encore pauvres comme la gale.




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