Les années passent et je ne m'y fais toujours pas. Quelque chose résiste en moi. Quelque chose qui me dit que seuls les moyens justifient la fin que l'on poursuit. Cela vous semblera sans doute un peu vague si vous êtes du genre à ne pas hésiter à assommer quelqu'un pour lui voler sa maison ou sa femme. Vous me comprendrez peut-être si vos mains ne sont pas maculées du sang d'autrui.
Les politiciens raffolent de cette formule qu'ils travestissent parfois en "ce qui compte, c'est le résultat". Voler les contribuables, trahir les électeurs ou faire taire des opposants par toutes sortes de moyens plus ou moins raffinés ne les fait aucunement sourciller. Ils prétendent ne pas vivre chez les Bisounours. Ils tiennent en haute estime la réalité et la découperaient à la hache sans hésitation. Selon leur vision du monde, il n'y a qu'eux-mêmes et les naïfs, dont ceux qui tombent sous leurs coups.
La fin justifie les moyens. Seuls les résultats comptent. On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs...
Il existe tellement de variantes pour légitimer les mauvaises actions que je m'étonne toujours qu'il y en ait encore des bonnes.
L'écrivain roumain Panaït Istrati était ce que l'on appelle un compagnon de route du Parti communiste. Il croyait naïvement en la libération des esclaves modernes, en l'éducation gratuite, bref en la justice. C'était un bon gars qui, un jour, est allé voir par lui-même de quoi avait l'air l'homme nouveau du paradis soviétique. Il a donc voyagé un peu partout en URSS pour voir de ses yeux vus les réalisations de Staline et de ses camarades. Il fut amèrement déçu et en revint avec un récit intitulé Vers l'autre flamme. Istrati critiqua sévèrement ce qu'il vit, les arrestations et emprisonnements arbitraires, les famines et les exécutions sommaires.
Les communistes, pour se défendre, disaient qu'on ne faisait pas d'omelette sans casser des oeufs. Istrati affirma qu'il ne vit jamais l'omelette, mais seulement les oeufs cassés...
Du coup, il passa pour un traître. Seuls André Gide, André Breton et quelques rares intellectuels prirent parti pour lui. Pas besoin de dire qu'ils furent tous ostracisés par les vaillants camarades qui ne voyaient pas de mal à gaspiller des vies face à des ennemis qui n'en pensaient pas moins qu'eux-mêmes. Si la fin justifie les moyens pour les uns, pourquoi pas pour les autres, hein? Tue ou laisse-toi tuer. Il n'y a pas d'alternative. Mieux vaut la mort de quelques innocents que le retour du Tsar. Mets ça dans ta pipe, crétin de poète!
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La légende raconte que Jésus ne sut pas quoi répondre au procurateur romain Ponce Pilate qui lui demanda sournoisement ce qu'était la vérité. Que vouliez-vous qu'il lui réponde ce pauvre homme? On venait de le fouetter, de le battre à coups de bâton et de lui pisser dessus. Qu'est-ce que la vérité, hein? Pourquoi la fin ne justifie pas les moyens? Pourquoi veux-tu manger de l'omelette mon gars? Et ton royaume des cieux, il est où? Tu as mauvaise mine, tu sais... On dirait que tu viens de recevoir une bonne raclée. Tu peux encore te tenir sur tes jambes n'est-ce pas? Qu'est-ce que la vérité? Dis-nous ça...
Il n'y avait rien à répondre. Non, rien...
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La violence est facile à imiter. Tellement facile que les gouvernements infiltrent aisément les mouvements d'opposition violents pour leur faire faire toutes sortes de conneries qui tournent à l'avantage des pouvoirs établis.
On se sert d'un agent double ou deux et l'on dirige la haine vers le piège de son choix. Les violents placent des bombes ici et là. On accuse tel mouvement séparatiste ou tel groupe d'opposants de tous les maux. Puis on fout tout ce beau monde en prison. On donne ensuite des médailles à ceux qui ont incité des idiots à poser des bombes pour eux. C'est dans l'ordre presque naturel des choses. On instrumentalise les ennemis violents pour leur faire passer sur le dos des crimes que l'on commet soi-même: enlever un ministre, kidnapper un diplomate, faire sauter le Reichstag, des tours jumelles et j'en passe...
On se sert d'un agent double ou deux et l'on dirige la haine vers le piège de son choix. Les violents placent des bombes ici et là. On accuse tel mouvement séparatiste ou tel groupe d'opposants de tous les maux. Puis on fout tout ce beau monde en prison. On donne ensuite des médailles à ceux qui ont incité des idiots à poser des bombes pour eux. C'est dans l'ordre presque naturel des choses. On instrumentalise les ennemis violents pour leur faire passer sur le dos des crimes que l'on commet soi-même: enlever un ministre, kidnapper un diplomate, faire sauter le Reichstag, des tours jumelles et j'en passe...
Les pacifistes sont plus difficiles à manipuler. D'abord parce qu'ils ne répondent pas aux questions qu'on leur pose. Ils ne savent pas ce qu'est la vérité. Ils ne connaissent rien de la réalité. Ils prônent la non-violence comme des moutons que l'on dirige vers l'abattoir. Ils grattent de la guitare. Ils se mettent des fleurs dans les cheveux et agitent des rameaux d'olivier. Ce sont vraiment de pauvres cons.
Pourtant, il arrive que les pacifistes l'emportent sur les violents pour une raison qui, sans doute, leur échappe. Comment des types comme Tolstoï, Gandhi ou Luther-King peuvent-ils être pris au sérieux?
La fin devrait justifier les moyens, non? Pourquoi en serait-il autrement? Par quelle magie les gens peuvent bien être sensibles à des fadaises comme l'amour, le partage et la solidarité?
Heureusement que toute bonne chose a toujours une fin.
L'on trouvera bien moyen en haut lieu de noyer dans le sang même les révolutions pacifiques.
Il ne suffit que d'attendre le bon moment, de les laisser croire que tout a changé, et de revenir avec les bonnes vieilles tactiques de guerre, ces bons vieux moyens qui justifient la fin. On ne change pas une vieille recette qui a toujours réussi.
Il y aura encore des oeufs cassés, bien entendu, et on fera passer une soupe au plâtre pour une omelette s'il le faut. C'est ça la cuisine que l'on sert au monde depuis toujours. Il n'y a aucune raison de se laisser distraire par des pacifistes naïfs et malodorants.
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Malgré tous les sarcasmes que je viens d'étaler ici, j'ai encore cette naïveté de croire que seuls les moyens que l'on emploie justifient la fin que l'on poursuit.
Je crois, pour aucune raison logique, au pardon, au partage et en la solidarité.
Je suis loin d'être parfait, peu s'en faut, mais je ne cautionne pas cette obscurité morale qui ne profite que de la force de l'habitude.
Je ne veux pas devenir ce que je déteste.
Je ne serai donc jamais calculateur, raciste et assassin.
Ma stratégie c'est de ne pas en avoir.
Ma république n'est peut-être pas encore de ce monde.
Mais elle ne tuerait pas un innocent pour donner raison à une poignée de gredins qui se croient investis de quelque vérité ou sens de la réalité que ce soit.
Bref, je résiste.
And I'm not the only one, comme le chantait si bien John Lennon.
You are not the only one . You are a bit lot . Don ' t give up .
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