Existe-t-il quelque chose de plus important que la paix dans le monde? Tout le monde semble avoir cette expression en bouche et pourtant la paix prépare la guerre, la paix fait la guerre, la paix c'est la guerre...
Josué avait un drôle de prénom. On ne s'attend pas à ce qu'un gars s'appelle Josué. José est fréquent chez les Sud-Américains. Peut-être même chez les Espagnols. Mais Josué? On n'avait jamais entendu ça. Le patronyme de Josué était tout aussi étrange: Caleçon. Comment peut-on vraiment s'appeler Josué Caleçon, hein? Je vous le demande. Je ne trouve pas réponse à cela.
Josué Caleçon était grand et mince. Il était même très grand et très mince. Ce gars dans la trentaine devait faire dans les deux mètres virgule deux décimètres. C'était un géant bâti sur un cadre en cure-dents. Il devait peser autour de soixante-cinq kilos, ce qui n'est pas beaucoup pour un grand escogriffe. Un léger défaut d'élocution, essentiellement dû à une électrocution survenue dans sa tendre jeunesse, faisait en sorte qu'il zézayait en tremblant comme une feuille chaque fois qu'il prenait la parole. Heureusement, cela ne se produisait pas souvent. Ce qui lui permettait de cacher ce léger défaut pour se contenter aux yeux d'autrui d'être grand, mince et pauvre comme la gale.
On ne lui connaissait aucun métier. Josué se promenait d'un petit boulot à l'autre. Des boulots qui n'exigeaient aucune effort physique puisqu'il avait des maux de dos sévères.
Josué Caleçon travaillait surtout dans le domaine de la charité bien ordonnée qui ne commençait jamais par lui-même. Il distribuait du pain passé date aux pauvres pour un organisme quelconque. Ou bien il triait des vieux trucs pour l'Armée du Salut. Il lui arrivait aussi de faire semblant de travailler parce qu'on n'avait pas su quoi lui faire faire avec la subvention. Parfois, il devait s'asseoir derrière une table pour récolter des dons dans une boîte de conserve arborant le logo de telle ou telle patente. Bref, Josué Caleçon vivait à moitié de l'aide sociale et à moitié de subventions salariales.
Cela lui laissait le temps, bien entendu, d'en apprendre plus sur le monde et les idées.
Josué Caleçon passait la majeure partie de ses temps libres entre sa télévision, qui n'était même pas un écran plat, et la bibliothèque du quartier où il empruntait des livres qui traitaient surtout de ramonages de cheminée, puisqu'il s'était mis en tête de devenir ramoneur, ce qui était tout à fait irréaliste puisqu'il avait le vertige et n'avait pas bon dos.
Cela ne signifie pas que Josué Caleçon n'avait pas sa petite opinion sur l'état du monde et ses tas de gens qui le peuplent.
-La paix zans l'monde c'est z'impo'tant! qu'il disait en se donnant de l'importance à ses collègues de misère, dont Ibrahim Pavelovitch Doubrovski, un gars plutôt costaud qui était né quelque part en Russie et qui avait immigré ici pour devenir chanteur rock.
-Toi comprendre que paix dans monde faire se quand hommes plus guerre! que lui disait Doubrovski en ajustant ses écouteurs pour mieux se curer les oreilles avec une toune de AC/DC, son groupe fétiche.
-Z'est un messaze pou' l'monde entier! qu'il lui répondait du tac au tac en enlevant l'écouteur droit de Doubrovski pour qu'il puisse l'entendre.
-Toi pas toucher écouteur! Toi dourak! Moi écouter AC/DC! que Doubrovski répliquait en prenant des airs de Slave insulté. Et Dieu sait qu'ils ont l'air mauvais quand ils se sentent insultés, les Russes.
Doubrovski était d'ailleurs le seul à lui parler parce qu'au fond de lui-même ce Russe avait bon coeur pour les personnes plus ou moins marginales et rejetées de tout réseau social digne de ce nom.
-Toi viens avec moi pour saouler gueule ce soir! Mais laisse écouter moi AC/DC!
-Ze n'bois zamais!
Et c'est bien vrai que Josué Caleçon ne buvait jamais.
Ça ne l'empêchait pas d'être saoul pour autant. Ou d'être comme s'il était saoul ou bien sous l'effet de quelque puissant psychotrope.
J'en tiens pour exemple la dernière mésaventure de Josué Caleçon. Il lui est passé par la tête, comme ça, qu'il avait un message de paix à transmettre au monde. Il était devant son téléviseur vétuste à écouter les nouvelles de TVA quand il eût comme une illumination. La télé lui crachait que l'État islamique décapitait des chrétiens et que les autres bombardaient des civils. Devant ce maelstrom de têtes coupées et de visages arrachés, Josué Caleçon s'est sottement convaincu qu'il pouvait changer quelque chose à l'état désordonné de ce monde.
Bien qu'il soit la plupart du temps gentil, affable et courtois jusqu'à en être timoré, Josué Caleçon s'est soudainement investi d'une mission qui aurait fait passer Moïse pour un amateur. Comme il n'avait pour tout bâton de prophète qu'un bâton de baseball, qu'il laissait toujours près de la porte d'entrée pour se protéger de ses voisins turbulents, Josué Caleçon s'en empara comme d'un sceptre pour l'aider à transmettre le message qui s'était emparé de son esprit dérouté.
-Z'ai un messaze de paix mondiale pour tout l'monde! qu'il cria en brandissant son bâton de baseball.
Puis Josué Caleçon dévala quatre à quatre les marches de son escalier pour se diriger tout de go à la station de radio de son village, laquelle se trouvait fort heureusement à cinq minutes de marche de chez-lui.
Il grimpa quatre à quatre les marches de l'escalier menant à la station de radio CJRT 88,3 FM puis, brandissant son bâton de baseball devant les animateurs et techniciens de radio médusés, il leur ordonna de lui laisser la possibilité de transmettre son message au monde entier via les ondes radiophoniques.
-Z'ai un messaze de paix mondiale! Donnez-moi un micro! Vite ou ze vais tout casser! Argh! hurlait-il en faisant de grands mouvements circulaires au-dessus de sa tête avec son bâton de baseball.
Les animateurs et techniciens, qui étaient plutôt freluquets et pas courageux pour deux sous, se cachèrent dans la salle de mises en ondes. La porte fût fermée et ensuite bloquée avec un vieux fil électrique entouré autour de la poignée et rattaché à un vieux meuble.
-Ouvrez-moi! Ouvrez-moi! gueula encore Josué Caleçon. Z'ai un messaze de paix mondiale!
Quelques instants plus tard, des instants qui parurent une éternité pour les couards de la radio, des policiers firent irruption dans la station pour appréhender Josué Caleçon.
-Vous ne pouvez pas m'arrêter! qu'il gueula sans zézayer, alors que les flics lui passaient les menottes.
-Monsieur vous avez le droit de garder le silence et de parler seulement en présence d'un avocat...
Bon. Vous pouvez vous imaginer le reste.
Josué Caleçon fût incarcéré à la prison du comté.
Son procès aura lieu dans trois mois.
-Dommage Josué arrêté! déclare à tout un chacun Doubrovski. Lui trrrès gentil quand trrravail ici. Mais crackpot. Oui lui crackpot. Et ça, c'est misèrrre. Oui c'est trrrès misèrrre.
Sacré Doubrovski. Toujours prêt à reconnaître le malheur des autres et à les protéger des travers de notre monde sans pitié pour les hommes d'amour et de paix comme Josué Caleçon.
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