mardi 21 février 2012

Tranche de vie

-Ouvre-moé 'a porte beubé... Ej'viens juste charcher mes deux tranches de jambon cuit dans l'frigidaire...

Tout a commencé comme ça. Samedi soir à minuit pile. Et face contre terre pour l'ivrogne qui gueulait ça en frappant la porte à petits coups répétés sur un rythme presque cubain.

R'toc-toque-toc-toc-toque-toque... Ouvre-moé 'a porte beubé... Et surtout ces deux hosties de tranches de jambon cuit qu'il venait chercher dans l'frigidaire de sa blonde qui s'avérait son ex-blonde à ce moment-là, comme d'habitude.

-Va chier tabarnak! J'te doés rien! Tes tranches de jambon cuit tu peux t'les crisser dans l'cul! que lui répondait sa dulcinée, comme d'habitude.

Les deux étaient pas mal fuckés. Lui, le gars qui ressemblait à un cure-dent recouvert d'une couche de cérumen en guise de cheveux, lui c'était la bière. Elle, qui ressemblait à un cactus qui aurait pris de l'humidité, elle était toujours sur les pilules. Un couple maudit comme on en voit d'autres dans ce quartier-là.

Ce soir-là, nos deux énergumènes y mirent le paquet pour leurs deux hosties de tranches de jambon cuit, prétexte pour baiser mal sale, peut-être, comme d'habitude. Et demain, menouche, menouche, smack, smack, mon amour, main dans la main comme deux hosties de frostés qui gazouillent l'amour au printemps hâtif.

-Ej'veux mes deux tranches de jambon cuit! Ouvre-moé 'a porte beubé! Ouvre-moé don' là!!!

-Va chier!

Évidemment, les voisins en avaient plein le cul. Surtout ceux qui se situaient au même palier, juste à côté. Et aussi tous les autres qui ne se plaignaient pas, qui enduraient sans rien dire, par une forme de fatalité, celle de vivre dans un quartier pauvre sans doute.

Les voisins du palier, c'était les Grimousier, des Français de France qui en avaient vu d'autres mais qui, cette fois-là, n'en pouvaient plus.

-Putain! Cela fait une semaine qu'ils te font de ces boucans dans leur piaule de mes deux! J'm'en vais leur foutre les flics au cul, moi, taberna-cleuuu!!! qu'il disait, Victor Grimousier, informaticien, avant que d'appeler les flics.

Il faut dire à la décharge de Grimousier que c'était la centième fois cette année qu'il leur disait sur tous les tons de se fermer la gueule parce qu'eux, les Grimousier, voulaient dormir, entre autres, ou bien faire l'amour sur un concerto de Vivaldi ou bien whatever c'est pas de nos affaires.

Et là, les Grimousier devaient gérer cette histoire de tranches de jambon cuit...

C'était à en hurler de rage.

Les flics se présentèrent, bien sûr. Ils vinrent cogner à la porte des Grimousier pour prendre leur déposition. Entre temps, les deux caves étaient tous les deux étendus sur le plancher de la cuisine en train de se dire des je t'aime mon calice ou des je t'aime mon tabarnak.

-Vous devriez changer de quartier, lui a dit l'agente Gravelle, une petite bouscotte avec des taches de rousseur sur le nez.

-Ah oui? lui a répondu la Grimousier, qu'on n'avait pas entendu jusque là, Julie Grimousier étant une grande brune aux yeux convergents.

-Et dans quel putain d'quartier devrions-nous vivre madame l'agent? ironisa Grimousier. Dans le vôtre sans doute, où il y a des piaules à trois cent milles balles? Hého! Taberna-cleu! Les lois ne s'appliquent pas dans l'quartier des prolos, c'est ça, hein, dites? Et je suis qui moi, Ducon-Lajoie?

Enfin, tout le monde put dormir après cet épisode.

Sauf l'ivrogne, dont le nom nous échappe.

Il se leva du plancher de la cuisine vers les deux heures du matin pour subtiliser ses deux tranches de jambon cuit dans le frigidaire. Puis il s'en alla chez-lui pour se faire un sandwiche parce que sa blonde n'avait pas de pain, seulement ces deux tranches de jambon cuit. Ce qui promettait une nouvelle chicane pour le lendemain, comme d'habitude.

-T'as mangé mes deux tranches de jambon cuit qui m'restait mon hostie de chien!

Oui, on l'imagine déjà en train de gueuler, la folle.

Surtout chez les Grimousier qui, eux aussi, vont bien finir par s'y faire.

À moins que Smart, le voisin d'à côté qui a l'air perdu ne pète les plombs un de ces quatre. Comme l'an dernier quand il avait assommé à coups de tuyau le voisin du haut qui faisait jouer la musique trop fort.

Il n'y a que des tranches de vie dans ce quartier-là. Oui monsieur.

2 commentaires:

  1. Truculent ! ça peut être sympa une semaine, mais à l'année longue, ça doit tanner, non ? :)

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  2. On voudrait les défenestrer comme me disait ce sacré Grimousier.

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