-Qu'est-ce tu veux qu'on faize? qu'il disait tout le temps.
Et on ne s'y habituait pas. On avait juste l'envie de lui botter le cul pour qu'il fasse quelque chose. Mais non, il ne faisait rien. Il ne s'intéressait à rien, sinon à ce que lui chiait le Canal W. À la maison, sa télé était toujours sur le Canal W. C'est comme si tout le reste l'indifférait.
Il s'appelait Chose. Chose-là. T'sais Chose-Bine le grand slaque qui dit tout le temps «Qu'est-ce tu veux qu'on faize?»
Il était toujours peigné pareil, le grand slaque. La couette sur le côté.
Et habillé pareillement tous les jours: veston mauve, chemise verte et pantalon caca d'oie. Le grand slaque en avait des tas comme ça chez-lui. Chose-Bine avait acheté un lot de vestons mauves, chemises vertes et pantalons caca d'oie. Plus besoin de se soucier de ce qu'il allait porter pour le reste de ses jours.
Évidemment, Chose-Bine travaillait au Ministère. Lequel? Bof. Ça ne l'intéressait même pas lui-même, Chose-Bine.
Et quoi qu'on lui demande, quoi que l'on fasse, il disait tout le temps, qu'est-ce tu veux qu'on faize.
On l'aurait assommé à coups de pelle, mais bien sûr cela ne se faisait pas.
Aussi les uns et les autres faisaient autre chose pendant que lui ne faisait rien, ou à peu près rien.
C'est vrai que son job était biz. Il était enfermé toute la journée dans un bureau sans ordinateur, avec un papier, un crayon et un verre d'eau. Pourquoi? Chose-Bine ne le savait pas lui-même. On suppose qu'on ne savait pas quoi lui faire faire et que le syndicat avait défendu bravement son droit à un bureau, un papier, un crayon et un verre d'eau. Pour le téléphone, le syndicat avait sans doute convenu que cela ne lui était pas nécessaire. Le titre de son poste serait déterminé l'un de ces jours.
Et ce jour n'était jamais arrivé. Chose-Bine avait été oublié dans ce bureau. Et il ne faisait rien. Son crayon et son papier n'avaient pas bougé de son bureau depuis quinze ans.
La concierge trichait un peu. Elle changeait son papier et son crayon à tous les 3 janvier. Et elle époussetait son bureau une fois par jour. Donc, rien n'y paraissait.
Au Ministère, dans son bureau vide, Chose-Bine passait ses journées à fixer une tache sur un mur sans rien dire. Il buvait une gorgée d'eau de temps en temps.
Et qu'on lui demande quoi que ce soit, oui, Chose-Bine n'avait qu'une seule réponse:
-Qu'est-ce tu veux qu'on faize, hein?
Sacré Chose-Bine...
Tiens, on en a aussi un paquet, de ces inutiles-là......
RépondreEffacerPayer un homme à ne rien faire c'est le tuer, disait Félix Leclerc, feu notre barde national.
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