mercredi 8 février 2012

Une nuit de pleine lune à l'hôpital

Évidemment, c'est le genre d'histoires qui se produisent à la pleine lune, autrement on ne s'en étonnerait pas. Et encore faut-il que le ciel soit dégagé la nuit pour que la lune produise pleinement son effet sur les marées cérébrales. Alors tout homme plus ou moins bien équilibré capte un nouveau poste. Un poste où le lunatique peut avoir la sensation qu'il capte enfin tous les postes. Et c'est là que les fusibles sautent. Et ce sont ces nuits-là où l'on assiste à toutes sortes de débordements. Surtout dans les hôpitaux.

Cette nuit-là tous les patients hurlaient sur le département de gériatrie. Mais personne ne hurlait autant que ce petit monsieur d'à peine cent dix livres qui venait d'être transféré du bloc opératoire.

Le monsieur dans la soixantaine avait fait un ACV et il avait manqué d'oxygène au cerveau. Ce qui fait qu'il était revenu sous une autre forme qui n'était plus lui-même. Sa femme et ses enfants disaient que c'était un homme calme, doux, tendre. Et depuis l'ACV, il hurlait comme un damné, crachait au visage des visiteurs, secouait ses contentions, menaçait encore de se commettre un autre infarctus.

Il disait toutes sortes d'incongruités et aucun médicament n'arrivait à l'assommer.

-Vous êtes des hosties d'chiens sales! Mon cabanon tabarnak! Vous êtes rentrés d'dans avec votre Dodge mes saint-chrêmes! Sortez-moé d'icitte que j'aille chez mon frère Roland pour y acheter du sirop pour ma tante Georgina! Ah pis j'ai des coquerelles dans les yeux! Oubliez l'eau de Vichy! C'est quoi ça du boeuf storgonoche? J'ai envie d'caca! Passez-moé l'annuaire pour que je tchèque mon billet d'sissequaranteneuffe. Heille! Fido! J't'ai dit d'pas japper! J'entends des mouches! Oua! L'asphalte est asphalté sacrament!

On n'y comprenait rien. Il avait les yeux révulsés et ses nerfs étaient tellement tendus que le lit levait presque sous ses spasmes.

C'était la pleine lune. Ses fils, ses filles et sa femme veillaient sur lui à tour de rôle.

Il mourut au matin. Les médecins n'y purent rien.

Moi et Bernie avons lavé le corps puis l'avons placé sur la civière sans l'envelopper dans un linceul. On l'a recouvert d'un drap et on l'a emmené tout simplement à la morgue.

Il avait les yeux encore révulsés. Et sa langue pendait.

C'était la pleine lune. Et la nuit était loin d'être terminée.

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