vendredi 27 janvier 2012

Parabole du loup et des lois du marché

Il était une fois un loup qui s'appelait Aroar. Aroar n'était pas tout à fait un loup comme les autres puisqu'il s'était désigné chef de la meute il y a de cela plusieurs lunes déjà.

Aroar avait fait comme tous les autres loups appelés à cette fonction avant lui. Il avait grogné contre Ahou, l'ancien chef de la meute.

Ahou était devenu vieux et puant.

-Tu es vieux et puant Ahou! hurla effrontément Aroar pour contester son autorité. Et tu es non seulement vieux et puant, mais ignorant! Tu ne connais rien aux lois du marché!

-Les lois du marché? Qu'est-ce que c'est? se contenta de grogner Ahou.

-Arf! Arf! ricana Aroar. Quel imbécile tu es!

Ahou s'en foutait pas mal. Il préféra même lui abandonner le pouvoir plutôt que de combattre. Le vieux loup quitta la meute. Ahou devint un loup heureux et solitaire qui mangeait encore de beaux morceaux de foie de chevreuil pas trop malade de temps en temps.

Aroar, qui était d'une nature narcissique, établit vite son pouvoir en se contentant de grogner des incongruités devant ses congénères un peu niais et pas très audacieux.

-Je vais fonder ma présidence sous le signe des mathématiques! Nous allons tomber sur de beaux morceaux de viande camarades, parce que je suis beau, fin et intelligent! N'est-ce pas que je suis le plus beau? Et en plus, je connais les lois du marché!!!

Et Aroar faisait son frais en montrant ses canines longues et effilées. Il avait l'air d'un cave parmi tant d'autres chez ces loups nonchalants. En fait tous les loups se foutaient bien de Aroar et se mirent à le suivre parce qu'ils ne savaient rien faire d'autre.

-Sont tous pareils! se disaient-ils entre eux. Ils se croient toujours les plus beaux, les plus fins... Enfin! Puisqu'il nous dit qu'on aura de beaux gros morceaux de viande... Pourquoi pas, hein?

Et tous les loups de la meute suivirent Aroar partout, tout le temps. Aroar qui n'arrêtait pas de hurler des stupidités sans nom pour justifier ses mauvaises chasses. Car la chasse était toujours mauvaise depuis qu'Ahou avait foutu le camp. Il était sans doute laid et puant, Ahou, mais son appétit était raisonnable. Il partageait de bon coeur. Et surtout, il ne hurlait pas tout le temps. Quand la chasse était mauvaise, il bâillait en soupirant que ce serait mieux demain. Et le lendemain c'était mieux. Parce qu'Ahou était rusé. Et s'il se vantait, c'était après avoir réussi un bon coup. Il n'était pas du genre à jouer le fanfaron en période de famine.

On ne peut pas dire que la ruse était le fort de Aroar. Ni la chasse. Sa force, c'était de hurler comme un imbécile pour que toute la forêt sache qu'une meute de loups rôdait dans les alentours en quête de viande fraîche. De quoi vider le garde-manger à 20 kilomètres à la ronde. Ce qui fait qu'ils avaient tout le temps faim, les loups.

-Il faut savoir prendre les choses avec philosophie et comprendre les lois du marché! hurlait Aroar. Vous pensez que la chasse c'est intuitif, hein? C'est bien ce qu'enseignait Ahou? A-t-il seulement jamais enseigné? On ne l'entendait jamais hurler! En fait Ahou ne comprenait pas qu'il faille savoir faire des sacrifices afin de trouver de la bonne viande puisque les indicateurs du marché nous font comprendre que le produit de viande brut est à son déclin dans l'hémisphère Nord compte tenu d'un ralentissement dans le secteur de la production d'oeufs de pigeons...

Les loups ne raffolent pas particulièrement des oeufs de pigeon. Aussi, ils en vinrent à la seule solution envisageable après tant de lunes à crever de faim.

Personne ne s'était concerté parmi les loups. Ça s'était produit subitement, sans que l'on puisse dire comment ni pourquoi.

Oui, toute la meute s'était élancée sur Aroar pour le déchiqueter.

On lui fit fermer sa gueule une fois pour toutes. Plus jamais on ne l'entendrait hurler.

-Arr! Orrr! Miam! faisaient les loups en plongeant leurs dents dans la chair tendre de Aroar qui ne sut même pas résister, comme quoi ses fameuses lois de marché ne voulaient strictement rien dire, d'autant plus que les loups d'ailleurs étaient bien nourris et mieux organisés.

Les loups, ragaillardis par cet afflux de sang frais, se réunirent brièvement pour désigner un chef de meute.

On choisit le plus cool de la bande. Celui qui ne hurlait jamais et avait appris les techniques de chasse de Ahou. Il s'appelait Cool, évidemment.

Cool n'était pas du genre à se vanter ou bien à faire de grands discours.

Aussi prit-il immédiatement un sentier tracé par un orignal. Le malheureux orignal ne résista pas longtemps. Son panache se coinça dans un enchevêtrement de branches où Cool et les autres le précipitèrent.

Encore de nos jours, bien que cette histoire se soit passée il y a fort longtemps, on se rappelle parmi les loups  de l'Île de la Tortue que les forts en gueule comme Aroar dirigent toujours les loups vers la famine et la catastrophe. Quand on en voit un qui souhaite jouer au tribun, on lui rappelle la chute de Aroar.

Aroar qui était un loup stupide et borné, dévoré par les siens pour le plus grand bien de tous.

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