Feu mon père était convaincu que les Canadiens anglais mangeaient tous des oeufs brouillés le matin.
-Essaie-toé pas à commander des oeufs miroir, des oeufs tournés ou des oeufs pochés... I' savent juste faire des oeufs brouillés parce qu'i' mangent dans des genres de cafétéria où tout le monde se met en ligne pour commander son déjeuner...
Mon père avait déjeuner en Ontario une seule fois dans sa vie, dans un genre de cafétéria cheap d'Ottawa où l'on ne servait que des scrambled eggs par commodité. Et cette image des Canadiens anglais ne lui décollait plus de la parole chaque fois qu'ils parlaient d'eux.
-Mais Pa, y'a sûrement d'autres restaurants où tu peux commander des oeufs sunny side up... que j'ai dû lui répondre de temps en temps.
La réplique de mon paternel était toujours cinglante:
-J'te l'dis tabarnak! J'y suis allé calice! Pas toé! I' mangent juste des oeufs brouillés le matin sacrament!
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Un peu plus tard au cours de mes études, on me fait faire des saluts au drapeau et on me rentre dans le crâne que les Canadiens anglais disent toujours Speak White! à tous les Québécois qui s'aventurent sur leur territoire.
La mode a été lancée par la poétesse Michèle Lalonde, en 1970, pendant la «célèbre» Nuit de la poésie. Célèbre parce que tous les étudiants du secondaire et du cégep ont dû l'écouter de force un jour ou l'autre dans un cours de français ou bien de propagande.
Speak White! Ça ne veut rien dire pour un Anglais maudit sacrament! Ce n'est même pas une expression qu'ils utilisent. C'est du vent, même pas de la poésie. Du délire patriotard. Du nationalisme trop ulcéré pour qu'on trouve sain pour l'esprit de s'y abandonner tout à fait. Il y a tout de même des limites à l'anglophobie, pour ne pas dire à la xénophobie.
Les Canadiens anglais ordinaires, au contraire des Québécois, ne se préoccupent pas plus du français que de l'anglais... Ils vivent, tout simplement, comme nous. Ils mangent non seulement des oeufs brouillés, mais aussi des oeufs miroir, des oeufs pochés, etc. Ils paient des taxes, des impôts et en arrachent pour boucler leur budget comme tout le monde. Il y a plus de similitudes entre un Québécois ordinaire et un Canadien-Anglais régulier qu'il n'y en a entre le même Québécois et un riche crosseur bien de chez-nous.
J'ai parlé en français à Vancouver, Prince George, Calgary, Regina, Winnipeg, Thunder Bay et Toronto. On ne m'a jamais dit Speak White ni Speak English. En fait, on ne m'a rien dit. On m'a laissé parler en français comme d'autres parlent l'arabe ou le mandarin. On ne m'a pas regardé de travers. On ne m'a pas demandé What does Quebec want? La plupart du temps je me demande même s'ils savaient où c'était le Québec.
Nous nous croyons plus intéressants que nous ne le sommes en réalité. On pense que les Canadiens anglais se lèvent le matin en maudissant les Québécois et le fait français. Ils mangent tous des oeufs brouillés en se demandant comment ils pourraient nuire aux intérêts du Québec ce matin., etc.
Eh bien le Québec figure rarement dans leurs conversations. Nous parlons beaucoup plus d'eux qui parleraient de nous qu'ils ne parlent vraiment de nous...
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J'ai mangé des oeufs brouillés ce matin. C'est vrai que ça se fait vite. Tu chauffes la poêle et tu éteins le feu dès qu'elle est chaude. Tu mets une noix de beurre et craque trois cocos que tu brouilles tout simplement dans la poêle. Au bout de deux minutes, tu garoches ça dans ton assiette en ajoutant du sel et du poivre. Ça fait la job. Ce n'est pas un repas gastronomique, bien sûr. Mais il ne faut pas s'attendre à faire de chaque repas un festin digne d'un roi.
Et le poème Speak White? C'est de la calice de marde. La poésie qu'on récite comme une poule qu'on étranglerait, ça me fait gerber. Vive la paix maudit tabarnak! Fuck le racisme des vainqueurs autant que celui des vaincus!
Gaétan, on comprend l'essentiel de ton propos même si tu sautes allègrement par-dessus la clôture des origines de locutions comme "Speak white" qui , en autre, ramenait de façon méprisante tous les créoles et pidgins à la lanque des W.A.S.P nord américains. Par extension reprise par ce long poème écrit par Michèle Lalonde pendant un spectacle bénéfice à Pierre Vallières, felquiste emprisonné. Ce qui suit est un commentaire fort révélateur copié sur un blog voué à l'immigration:
RépondreEffacerCitation
Citation Mars ...2011
I want to know why Stephen Harper comes to Calgary and speaks French. Who is he talking to? If he can't talk white, stay out of Alberta. Go back where they like this kind of garbage.
James McCarroll
Personnellement, tu l'auras deviné Gaétan, je ne partage pas du tout ton opinion sur ce coup-là. D'une part, le poème "Speak White" ne visait pas particulièrement le ROC (Rest of Canada), c'était bien davantage un claque au visage des p'tits boss anglos qui contrôlaient à peu près tout au Québec depuis 200 ans au bas mot. Or, ceux-ci perdaient progressivement leur monopole depuis la Révolution Tranquille, moment où les Québécois s'étaient enfin pris en main.
RépondreEffacerDisons que ces bourgeois anglos commençaient tout à coup à s'ennuyer des good old days... Où était donc cette belle époque où l'on pouvait donner des ordres à ces French Canadians et à les mépriser en toute impunité? Songeons entre autre à Donald Gordon, président du CN à l'époque qui disait que les Canadiens-Français étaient trop incompétents pour occuper des postes supérieurs. Sur un plan plus personnel, je pense aussi à mon oncle et ma tante qui ont tous deux travaillé à la Wabasso et dont leur contre-maître du moment était un Irlandais orangiste qui ne ratait pas une occasion de mépriser tous ceux et celles qui ne parlaient pas assez bien l'anglais à son goût. Même chose pour une autre de mes tantes qui elle, avait temporairement travaillé pour Steinberg à Mtl et la francophobie y était omniprésente.
Bref, tout ça pour dire que le poème "Speak White" dénonçait principalement une réalité bien évidente au Québec. Ça ne visait pas vraiment le ROC comme tu le laisses sous-entendre. D'autre part, le poème condamnait également toute forme d'exploitation partout dans le monde.
Mais bon, parlant de goog old days, on y revient tranquillement... Un unilingue anglais à la tête de la Caisse de Dépot, un unilingue anglais à la tête de la Banque Nationale, un unilingue anglais à la tête du CH... Ouep, y'a de l'érection dans l'air du côté de nos "bons" Anglos... Ils jubilent, le tout avec la complicité de certains Québécois inconscients ou complaisants selon les cas.
Souhaiter l'épanouissement de notre belle langue française parmi les autres langues, ça n'a rien à voir avec une quelconque forme de racisme. Faut cesser de se culpabiliser faussement. La langue française régresse actuellement, nous sommes maintenant moins de 2% en Amérique du Nord. Juste le cas de Montréal est assez éloquent au niveau de l'anglicisation. Dans un tel contexte, la défense de notre langue relève bien davantage d'un sentiment de fierté et non d'une quelconque forme de racisme.
Permettez-moi ce raccourci: aimons-nous les uns les autres.
RépondreEffacerLe Speak White s'adressait aux anglais d'icitte ... et avec raison.
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