mardi 6 décembre 2011

Le Carême de Ron

-Quand la fripotte te prend, ben tu te défripes au lieu de t'enfirouâper. Y'a toujours bin des maudites limites à se l'entendre dire jéritol de jériflush! Moé, parce que j'va's parler pour moé, bin j'su's c'que j'su's pis ça r'garde parsonne d'autre que moé. M'en va's dire comme c'te gars: ça va faire!

Ron disait ça en prenant un air choqué qui ne lui allait pas du tout. Il ressemblait trop à Olivier Guimond pour que ça passe. Il avait toujours cet air de mononcle sympathique qui lui collait au visage même s'il était plutôt déplaisant. Il était d'ailleurs à l'âge d'être plusieurs fois mononcle, cinquante-deux ou cinquante-trois ans peut-être, et il disait vraiment n'importe quoi, ce sacré Ron, comme vous venez de l'entendre. Surtout quand il levait le coude. Autant dire tous les jours.

Sauf pendant le Carême. Ron était un fervent chrétien, même si ça ne parassait pas trop. Je veux dire que Ron se trouvait souvent dans l'état où l'on a besoin d'un bon Samaritain. Comme si Ron testait la bonté des uns et des autres en vivant dans cet état perpétuellement second, sinon tertiaire, voire larvaire.

Et pendant les quarante jours du Carême, du mercredi des cendres au dimanche de la résurrection, Ron ne buvait plus une seule goutte d'alcool. Seulement de l'eau et de la soupe aux nouilles. Il traversait le Carême en récoutant de vieux albums de Neil Diamond ou bien de Machin Humperpickle-kelkechose.

Ron parlait peu pendant le Carême, pardonnait tout à tous et se couvrait la tête de cendres pour ses derniers mois de péché et d'ivresse.

Puis son foie se rétablissait, à force de prière et d'eau de source.

Il fallait le voir le dimanche de Pâques, à la taverne, après quarante jours d'abstinence.

-Donne-moé une once de d'ça, une once de d'ça, une once de d'ça pis encore une once de d'ça pis mélange-moé ça dans un grand verre avec du lait!

Après quelques verres de ce drink improvisé, Ron redevenait paf comme tout un chacun l'avait toujours connu. Et il se remettait à délirer, comme d'habitude.

-Quand la fripotte te prend c'est l'temps de t'enfirouâper dans les fripeux d'bottines de viârge! Ha! Ha! Moé, là, j'ai pour mon dire que l'temps y'est mauvais quand y'est couvert en seulement qu'i' faut qu'i mouille pour pas qu'i' neige...

Ron était ressuscité d'entre les morts et encore saoul mort, désagréable et délirant.

Désagréable? Oui. Ron vomissait partout. Et tout le monde le ramassait, oui.

Mais bon... Qui n'est pas désagréable quand il se saoule? Et comme tout le monde se saoulait dans cette taverne, on peut dire que Ron passait presque inaperçu, sauf dans la période du Carême où son absence se faisait sentir. Comme s'il était divertissant somme toute pour tous ces paumés et pauvres ivrognes hilares et malades.

Conclusion? Je sais pas. J'ai rien trouvé. Faites-moi signe si vous trouvez une morale pour cette histoire qui n'en est peut-être même pas une. C'est juste du vrai, comme d'habitude. Et gratuit par-dessus le marché.

C'est l'histoire de Ron, le gars qui ne buvait pas pendant le Carême.

2 commentaires:

  1. Il était une fois où la foi ramenait le foie jusqu'à...la prochaine fois!

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  2. Cher Gaétan, j'avoue que chez Proust je n'aime que les madeleines...

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