mardi 23 mars 2010

Zoumi, le caricaturiste qui rend les gens plus laids qu'ils ne le sont

Zoumi m'attendait au Café Chez Titine, dans le quartier St-Sauveur, à Québec. Il sirotait un verre d'eau tout en s'amusant à dessiner des personnages ridicules sur les serviettes de table.

-As-tu une cigarette? m'a-t-il demandé d'entrée de jeu.

-Non, lui ai-je répondu. Je ne fume plus.

-Ah bon, fit-il, l'air désappointé. Alors il se mit à déchirer ses serviettes de table en petits morceaux pour mieux résister à son sevrage de nicotine.

J'étais là pour interviewer ce junky du tabac. C'était pour le compte de la revue Matador. Vous savez la revue artistique que personne ne lit. Elle est seulement lue par les bailleurs de fonds. Et les correcteurs d'épreuves. Mais ça me donne presque cinquante piastres pour un texte. Alors aussi bien interviewer Zoumi, n'est-ce pas?

Son vrai nom, pas moyen de le savoir. Tout le monde l'appelle Zoumi. Enfin, tout le monde qui se pointe sur la Terrasse Dufferin parmi les touristes du monde entier qui affluent à Québec, notre Vieille Capitale, essentiellement peuplée de fonctionnaires et de personnes qui détestent les fonctionnaires.

-C'est quoi ton vrai nom Zoumi? lui demandé-je, juste pour vous prouver que je ne fais pas les choses à moitié.

-Zoumi. Pourquoi?

-Oui mais... Zoumi qui?

-Juste Zoumi. Mes amis m'appellent Zoumi.

-Ok. Va pour Zoumi. On passera pas la nuit là-dessus.

Et j'ai poursuivi mon entretien avec Zoumi. Pour débusquer une phrase, un mot, une syllabe qui pourrait l'anéantir. On ne fait pas de la critique constructive chez Matador. Nous sommes une revue déconstructiviste. C'est ce qui écrit sur la demande de subvention au Conseil des zarts: Matador, la revue déconstructiviste. C'est nul à chier comme titre mais ça se finance. La faim justifie les moyens.

Revenons à Zoumi.

Les caricatures de Zoumi ont toujours ce petit côté asymétrique qui les rendent inimitables. Tous les points de fuite se perdent dans une spirale. Le côté gauche est toujours plus gros que le côté droit. Cependant, rien n'y paraît avec ce style expressionniste qui favorise toutes les audaces. Ses défauts peuvent ainsi passer pour du grand art.

Certains ont leur griffe, lui, eh bien il a ses yeux astigmates. Pour tout dire, Zoumi a l'oeil en forme de ballon de football. Tout le monde est astigmate jusqu'à un certain point puisqu'aucun oeil ne peut prétendre à la rotondité parfaite. Même les vôtres, mes petits coquins. Zoumi a l'oeil un peu plus écrasé que la normale. D'où l'asymétrisme et les disproportions.

Maintenant qu'on vient de jeter un peu de boue sur son talent, qu'on a pointé du doigt la petite bête noire, il conviendrait de lui lancer quelques fleurs.

Zoumi vous beurre un portrait en moins de deux. Vous avez de grandes dents? Il vous dessine avec une dentition de cheval. Il se retient de ne pas vous faire sortir de vers d'entre les dents. On lui a appris à l'école que ce n'était pas très poli. Ces professeurs en firent les frais plus qu'à leur tour. Ils en ont eu des vers qui leur sortaient des dents, les pauvres.

Zoumi exerce la caricature depuis la maternelle. Tout le monde y a passé autour de lui. Ce qui fait que Zoumi s'est retrouvé tout seul, personne ne pouvant supporter de se voir tel qu'il était, avec tout le grotesque de sa condition humaine.

C'est que Zoumi a ce don de ne trouver que la laideur chez tous ceux et celles dont il trace le portrait.

Sur la Terrasse Dufferin, par beau temps, il trouve tout plein de masochistes qui aiment se voir encore plus laids que nature.

Zoumi fait un peu de foin, tout juste de quoi se payer la bière et le tabac.

Cependant, il pleuvait depuis une semaine. Zoumi n'avait pas de quoi payer son café. Il a même fallu que je lui allonge vingt dollars pour qu'il puisse s'acheter des cigarettes.

L'entrevue n'était pas terminée qu'il a tenté de me taper de cent dollars.

J'ai rajouté cinq dollars, et pas un sou de plus.

Ainsi, je n'aurai fait que vingt-cinq dollars avec l'entrevue de Zoumi, lorsque Matador m'enverra mon chèque de cinquante piastres, dans six ou neuf mois.

Ça ne paie pas vite chez les zartistes et les zéditeurs. Ne me demandez pas pourquoi.

Dans d'autres milieux, mettons la restauration, on dirait que ça prend des hosties d'crosseurs pour ne payer le staff que six mois après les travaux. Dans le milieu des zarts, même des zarts déconstructivistes, on trouve que c'est dans l'ordre des choses. Que ce ne sont pas des trous du cul sur le BS qui vont venir y changer quoi que ce soit.

PS: J'ai oublié de prendre une photo de Zoumi et je n'ai aucune caricature de lui puisqu'il a déchiré ses serviettes de table. Désolé. L'imagination, ça sert tout de même à quelque chose, non? On est tout de même pas pour tourner un film là-dessus. Peut-être qu'il est sur You Tube, Zoumi. J'sais pas. Débrouillez-vous.

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