lundi 22 mars 2010

«C'est tout à fait cela... Oui... Sans l'ombre d'un doute.»

-C'est tout à fait cela... Oui... Sans l'ombre d'un doute.

C'était là ses maximes préférées. Il allait rarement au-delà, voire en-deça des lieux communs. Sa pensée était structurée comme un piano mécanique. Ça sonnait toujours un peu le fond de boîte de conserve mais bon, il n'avait tué personne ce type-là. Donc, il serait mesquin de lui chercher des noises.

Tenons-nous à une description rationnelle de cet individu.

Il est d'origine plurielle, bien qu'il ait l'assurance de n'être que de telle ou telle souche de crétins à réponses toutes faites.

Vivre sans balises, fussent-elles les plus fausses qui soient, ne lui vient même pas à l'esprit. C'est hors du cercle de son imagination.

Mais revenons à la description rationnelle.

C'est un individu d'âge moyen, les cheveux clairsemés de couleur brune avec un peu de gris aux tempes. Il ne porte pas de lunettes, mais des verres de contact. Il a deux yeux comme tout le monde et sa bouche est pincée.

-C'est tout à fait cela... Oui... Sans l'ombre d'un doute.

Il convient d'ajouter qu'il mesure un mètre quatre-vingt-deux et pèse quatre-vingt-trois kilos sans ses bas.

Son nom? Étienne. Oui, Étienne Barnabé-Joinville. Ibidji pour les intimes. Les intimes, c'est-à-dire Roland Langevin, propriétaire du dépanneur du coin, le seul endroit où l'on peut voir Étienne qui est généralement terrorisé à l'idée d'affronter plus que trois personnes à la fois.

À part Roland Langevin, il y a Mathilde Laforme, alias la Fouine. Mathilde qui n'est pas très jolie et qui serait plutôt du genre femme à hommes. Pas très jolie, ça veut dire qu'elle n'est pas très bandante selon certains critères qui n'ont ma foi rien de scientifique. Elle est plus fouine que bandante.

Mathilde est ondulée et osseuse comme une crevette. Sa peau est moche. Ses yeux sont sortis de la tête. Et ses cheveux un peu poisseux. Enfin, cela ne l'empêche pas de faire les yeux doux à tous les mâles de passage, surtout s'ils sembent faciles d'approche. Mathilde n'est pas du genre à rater son coup.

Alors voilà où nous en sommes. Ibidji est tombé dans les goûts de Mathilde. La Fouine veut se le taper depuis, oh, je dirais deux ou trois heures. La journée avance et elle aime bien Ibidji, un gars pas bavard qui la laisse bavarder aussi longtemps qu'elle veut en ne feignant même pas de l'écouter. C'est comme s'il buvait chacune de ses paroles stupides. Et elle se dit en elle-même, la Fouine, qu'Ibidji a la trique qui cogne midi pile.

Ce qui fait qu'elle lui demande ce qu'il fait le jeudi soir.

Ibidji ne répond rien. Je ne veux pas dire qu'il dit «rien». Non, il ne dit rien. Il ne parle pas.

Mathilde en conclut qu'elle est mieux de prendre les devants et de fixer les coordonnées de la rencontre pour que ce grand dadais s'y retrouve un peu.

-Ok. Chez-nous à huit heures ce soir... J'reste au 110, rue Duplessis. Chambre 103. C'est le bloc rouge en papier briques.

Ibidji, qui en a assez de regarder les quatre murs de sa chambre, dans le logement qu'il occupe au-dessus du Dépanneur Roland Langevin, se met sur son trente-six. Il cire ses souliers. Se rince la bouche avec du rince-haleine bon marché. Puis il court le coeur gros jusque chez Mathilde qui l'attend dans un maillot de bain Budweiser.

-Comment ça va mon grand? qu'elle lui dit d'entrée de jeu pour les accueillir, lui et sa bouteille de vin bon marché.

-C'est tout à fait cela... Oui... Sans l'ombre d'un doute, qu'il répond, Ibidji.

Mathilde débouche la bouteille. Puis en débouche une autre, puis encore une autre et finit par danser avec sa bouteille. Elle danse sur Parlons Sports qui joue très fort à la radio.

Ibidji ne sait plus où se placer. Il s'invente de la musique dans sa tête.

Puis Mathilde, toujours dans son maillot de bain Budweiser, vient s'asseoir cavalièrement sur Ibidji qui subitement rougit. Elle remue son cul moche sur le ressort sanguin d'Ibidji.

-C'est t-t-t-tout à fait cela... O-o-o-oui... qu'il bégaie.

Ibidji fait une crêpe dans son pantalon avant même que d'avoir passer à l'acte.

Il se lève subitement, s'excuse et se présente vers la sortie.

Mathilde se jette à nouveau sur lui et le frotte comme pour le nettoyer.

Nouvelle crêpe.

Ibidji ne sait plus où donner de la tête.

Et sa tête finit entre les cuisses de Mathilde qui s'en donne à coeur joie.

Le soir même, Mathilde emménage chez Ibidji, juste au-dessus du dépanneur où elle travaille. Cela fera moins loin à voyager.

Roland Langevin, qui veut terminer ses jours en Floride, vend son dépanneur aux tourtereaux.

Les années passent.

Mathilde tient la caisse et s'envoit des tas de mecs dans le backstore.

Ibidji fait tout le reste et nettoie même le backstore.

Il continue de dire toujours les mêmes conneries en toutes occasions.

-C'est tout à fait cela... Oui... Sans l'ombre d'un doute...

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