jeudi 24 décembre 2009

JODAWININIWAK

C'était à la première lune du retour du soleil. Les nuits seraient encore plus froides mais la lumière prendrait un peu plus le pas sur les ténèbres, tous les jours. Les nuits, on le sait, appartenaient au Windigo, comme le creux des forêts.

On avait organisé un pow-wow au village pour célèbrer le retour du soleil. On se tiendrait tous dans le grand wikiwàn de Misko, le loup, et de Ingwam, dormir, parce que l'on ne choisit pas son nom.

C'était une nuit épouvantable pour fêter. Des bourrasques de neige sortaient en hurlant du fin fond des forêts. Windigo se moquait bien de tous ces Anishinaabe qui parcouraient les lacs et les rivières au Nord de l'Île Mikinak, l'Île de la Tortue, ouais.

Il y avait au menu des pâtés de maïs, haricots et courges dans lesquels trempaient de succulents morceaux de deux orignaux tués par Wagoceweiân, Peau-de-renard, trois jours auparavant, à la hauteur de Shawinigan, sur la rivière Métabéroutin.

Des ragoûts de castors cuisaient lentement dans des auges de bois dans lesquels on mettait deux grosses pierres chaudes aux cinq minutes. Les femmes se plaignaient de ne pas avoir encore de chaudrons en fer, comme les Français en avaient. C'était moins de travail, les chaudrons en fer.

Tout ce qu'ils avaient reçu des Français pour le moment, c'est Robe Noire, François qu'il s'appelait.

François ne savait pas faire grand' chose et tout un chacun en avait assez d'être poli avec lui. François se moquait de Windigo et de tout ce que les Anishinaabe racontaient. Ils savaient bien que Windigo c'était une figure de style, les Anishinaabe, du moins les plus éclairés. Dans toutes les tribus il y'en a toujours qui croit à n'importe quoi, comme s'ils ne comprenaient pas le deuxième niveau de ces fables, qui sont des rêves quoi, des analyses pointues du coeur humain.

Mais François croyait dur comme fer que les Anishinaabe croyaient dur comme fer en quelque chose, alors que leur religion, essentiellement, c'était le doute. Du moins pour cette tribu-là. Ce qui fait qu'elle acceptait les robes noires et même les chaudrons en fer, si ça pouvait se faire.

François, la robe noire, semblait s'ennuyer ferme au fond du wikiwàn. Il chantait des chansons de son coin de pays, et il pleurait. Les Anishinaabe, qui ne sont pas très démonstratifs en matière de larmes, n'en étaient pas moins contris. Misko le loup et Makwa l'ours lui donnaient des claques dans le dos en poussant des ho! ho! de réconfort.

-Ho! Ho! François. Ho! Ho!

Et François chantait maluron, maluré, pucelle qui vient du rosier et tous les chants gutturaux de ses ancêtres.

-Jodawininiwak! lui dit Tewikwe, Avoir-la-migraine, en désignant son propre fils Kwanisak, Qui-est-chatouilleux.

Ça voulait à peu près dire les hommes de la Judée. Jodawininiwak.

-Kikinohamaw Kwanisak! ajouta Tewikwe.

Enseigne-lui les lettres, montre-lui ton jeu quoi. On n'est pas plus con que les autres.

De fait, Tewikwe voulait que Frère François apprenne à son fils les rudiments de la lecture et de l'écriture, les histoires qu'il y avait dans la Bible, le missel et toutes ces légendes qui suscitaient sa curiosité.

-Isa! murmura Misko, le loup.

Isa qui veut dire je suis dégoûté. Misko s'en tenait aux vieux récits et ne voulait rien savoir de la morale des Français. Selon lui, les Français sont des gens bien pauvres et bien misérables. Ils doivent errer pendant des lunes sur l'océan pour venir ici trouver de quoi à manger. Au lieu de pêcher seulement la morue dont ils ont besoin, ils en prennent des tonnes et des tonnes et rapportent ça chez de pauvres mendiants en France. Ils travaillent nuit et jour pour vider la mer et ne se reposent jamais. Ils achètent nos vieilles peaux de castor que nous avons portées toute l'année pour s'en faire des chapeaux... Des chapeaux, même avec les couches de nos bébés, parce que le cuir est plus souple pour leurs chapeaux... Ce n'est pas une vie digne. Franchement! Et ce n'est pas un chaudron de fer qui viendra faire la différence, même si la chasse est bien meilleure avec un fusil... Par ailleurs il semble que tout le monde attrape des grippes bien plus sévères depuis qu'ils sont là, les Français, vous ne trouvez pas?

-Rhooooo! hurla Makwa en frappant sur son tambourin en peau de wapiti, au rythme des battements de son coeur, manière d'entrer en transe bien connue de tous.

-Makong inwe! s'émerveilla Kwanisak dit le chatouilleux.

Il fait entendre le cri de l'ours: makong inwe. Et tous les Sauvages dansaient, prenant bien soin de déposer délicatement la plante des pieds sur le sol, pour que notre mère la terre ne se sente point blessée.

François, perdu parmi les Sauvages, chantait tout seul dans son coin.

Derrière chez-nous y'a un étang
Enwèye, enwèye la p'tite jument (bis)

François n'avait pas mangé sa ration de ragoût de castor et il n'en pouvait plus du maïs, des fêves et des courges. Il priait le Seigneur de lui donner la force de leur enseigner la Foi.

Kwanisak, le fils de Tewikwe... Son seul espoir peut-être. Lui enseigner la Sainte Doctrine pour qu'il ne soit pas comme ces tas de manitoks toqués, diablotins superstitieux et autres païens aux moeurs dissolues en matière d'accouplement. Amen. Jodawininiwak. François lui enseignerait les fables des hommes de la Judée...

6 commentaires:

  1. c'est la judée, ou la chétientée orthodoxe dont tu causes ?
    je reconnais pas la langue. mais ça semble venir de plus haut que la grèce sur la carte, plus au septentrion. "là ou la neige tombe en avril-mai-juin", comme disait encore hier le vieux pasteur en trayant une de ses biquettes dans la petite grange à flanc de corniche donnant sur notre bonne vieille mer égée. tss!
    parait qu'y a eu un autre éboulis l'autre soir, du côté des ruines anciennes du haut, sur là ou on va fêter le solstice, le petit plateau. celui ou on avait attaché le petit fil porte bonheur à une branche d'olivier, l'autre fois, quand on avait bu trop de vin et que tu repensais à qui tu sais.
    bref.
    y'avait le vieux avec l'âne, celui dont tout le monde se moque, qui remontait encore une grosse caillasse à dos d'animal l'autre matin, quand je suis descendu voir prométhée. je comprends pas les gens. qui se moquent. lui même sait très bien qu'une fois en haut de la butte, la caillasse retombera en dévalant la pente jusqu'au fin fond de la crique, le vieux. il le sait. mieux qu'eux, même. ce que j'arriverai jamais à comprendre, c'est pourquoi ça les fait marrer. ils s'assoient et contemplent le spectacle.. tss!
    ils rient, plaisantent pendant que sys remonte la pente.
    tss! n'empêche, si quelque chose tient un peu encore debout par ici, c'est quand même grace à lui.
    ménon, ils se marrent et se foutent de lui, ces cons.
    nawak
    les gens sont méchants gratuitement, aucun recul. bref

    chuis pas allé à la pêche, hier, peut-être cet aprés-midi si le vent n'est pas trop mauvais.
    toute façon, ma femme, je l'aime.
    on pourrait rester esseulés et se contenter de ce que tu sais pendant des années sans que ça nous dérange elle et moi.
    mais quand je vois comment ils causent de sys, tss!
    tu connais mon tempérament nerveux. chuis noueux du dedans.
    BREF

    vais me faire un petit som

    te souhaite ce que tu veux
    amen

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  2. je préfère les queues de castor au ragoût de castor.
    Noyeux Joel Gaétan

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  3. Bin mon avis, c'est qu'un bon chaudron en fer, ça vaut bien mieux que toutes ces fadaises de curés ! au moins, ça sert à quèkchose ! Pour le reste, valait mieux s'en tenir à vos propres sagesses....:)
    Tiens, marrant, moi aussi ce que je fête, c'est la nuit la plus longue de l'année, (le 21), quand après ça on sait qu'on s'en va vers l'été....
    Parce que c'est quand même ça, l'important : le cycle des jours à vivre et à venir....:))
    joyeuses fêtes !

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  4. Béjé, je ne cause pas, je ne fais que des effets, des nuages de fumée, comme le vieil Indien seul sur sa montagne qui dit aux autres contournement par la voie de droite ou bien conditions difficiles sur 200 kilomètres.

    Par ailleurs, les gens ne sont pas si méchants béjé. Il y a vraiment des jambons. Joyeux solstice d'hiver toi qui n'es pas Auvergnat.


    ***

    Gnamapwapwipwopwette Rainette. Joyeux Joël Denis.

    ***

    Anne des ocreries, un chaudron de fer ça se nettoie plus facilement qu'une auge en bois. Les Indiens comprenaient ça tout de suite et, esprits simples mais pratiques, ils adoptèrent aussi le fusil, la motoneige et l'hélicoptère. La plupart ne portaient pas des plumes mais faut bien nourrir un peu l'imaginaire.

    Joyeux jours qui rallongent!

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  5. Vraiment cool cet imaginaire débordant! Ça flatte dans le sens du poil de loup.

    Rainette, la queue à Castor je te la laisse, :¬) , mais le ragoût, n'importe quand!

    - Oksim

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  6. Yo Makwa!
    Je viens d'en afficher un extrait et un lien sur Libère-Terre:
    http://libere-terre.ning.com/forum/topics/jodawininiwak-1

    Bon, je retourne à mes raquettes pis ma p'tite castore adorée.

    J'espère que tu prends toujours le temps de prendre le temps...euh...en toué cas, je pense que tu dois comprendre quand-même.

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