mercredi 30 décembre 2009

Comment imposer le respect

Son père lui disait souvent «dans 'a vie mon gars un homme ça meurt rien qu'une fois!» C'était une manière de lui dire «laisse-toé pas piler su' 'es pieds, tabarnak!»

Jérôme Langevin, un Huron aux allures de bûcheron de la Haute-Mauricie, avec un visage normal, en a conclu qu'il valait mieux mourir debout que de vivre à genoux.

Ce qui fait qu'il n'était pas du genre à se fermer la gueule, où qu'il soit, à l'école ou au travail, au bureau de poste, à l'épicerie, au dépanneur, à l'hôpital. Langevin parlait, prenait position et défendait somme toute certains idéaux chevaleresques, similaires à ceux de l'Idiot dans le roman idoine de Dostoïevski. Il disait que la Beauté sauverait le monde, imaginez. Et il disait aussi que la plupart du monde se comportait comme ce poète qui regarde un naufrage à l'horizon et qui dirait ne regardez pas les naufragés mais moi qui souffre d'assister au naufrage, les deux pieds bien au sec, sur la plage. Du grand Dostoïevski encore une fois. Tiré tout droit des Frères Karamazov, tiens.

Cela dit, Langevin était reconnu pour n'être pas abordable, comme s'il vivait dans une bulle impénétrable ou bien dans quelque beffroi des temps médiévaux. On ne l'approchait pas sans se sentir un peu tressaillir parce qu'il n'avait aucune inhibition quant au principe de ne pas se faire piler sur les pieds.

Qu'on vienne lui faire quelques remontrances injustifiées ou seulement tenter de l'écraser et le voilà qui partait sa machine à imposer le respect.

-Ouin ben j'pense que j'va's aller chier.

C'était sa réplique la plus cinglante, la plupart du temps. Il allait vraiment chier. Et tout interlocuteur restait sur son appétit, si je puis m'exprimer ainsi.

D'abord, il est nécessaire de savoir que Langevin est constitué de marbre froid au plan psychologique. Il se plaît à se voir ainsi pour écarter de son chemin les imbéciles qui se laissent emporter par leurs émotions pour faire chier tout le monde. Langevin ne faisait chier personne, s'occupait de ses affaires, travaillait avec diligence, se comportait en homme respectueux et responsable envers les autres. La compassion était son guide. Le sang-froid son bouclier.

Il avait plein de belles qualités, sérieusement. Il était même plutôt drôle, pince-sans-rire sans doute, mais tendre en quelque part. Néanmoins, il ne fallait pas lui piler sur les pieds et encore moins l'envisager. Langevin vous réglait ça net, frette, sec.

-Hostie achale-moé pas crisse de trèf'le à deux feuilles! qu'il répondait aussi aux impudents et autres cuistres en situation d'écraser les autres.

Langevin trippait sur Don Quichote de Cervantès. C'était un hidalgo qui aimait s'en prendre aux moulins à vent tout autant qu'aux moulins à paroles. Rien ne l'effrayait, sinon que de penser comme tout le monde sans y avoir réfléchi. Il était d'une logique implacable, en quelque part, sous ses yeux doux et ses maximes de fou furieux.

-Moé j'm'en crisse des caves. Hostie j'me tiens d'boutte. Qu'i' mangent toutte d'la marde!

C'était un peu rude, comme propos, mais cela faisait bien sa job. Il ne gardait rien sur le coeur, Langevin, et c'était lette de l'entendre, parfois, mais toujours de bon ton malgré tout. Il fallait bien qu'il y en ait qui parlent pour tous ceux qui ferment leur gueule et mangent leur caca bouilli sans se plaindre, par crainte d'atteindre une certaine grandeur d'âme qui vient gâcher la juste appréciation de tous ces beaux programmes qui passent à la télé.

Les caves s'éloignaient naturellement de lui. Et Langevin était l'homme le plus heureux du monde, avec sa femme, ses deux enfants et tout le reste quoi.

Il paraît que Langevin collectionnait aussi des Vic-20 et des Commodore 64 mais ça, franchement, ça n'a rien à voir avec ce récit.

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