L'histoire du Canada ne fait pas exception à cette règle.
D'abord avec cette notion des deux peuples fondateurs: les Français et les Anglais. Oublions tout de suite les Anishnabegs, les Innus, les Eeyous, les Haudenosaunees et les Inuits, pour ne nommer que ceux-là. Ils n'existent tout simplement pas, tant aujourd'hui qu'hier ou demain. On ne parle à peu près jamais d'eux en toutes circonstances. On sait vaguement qu'ils savaient faire des canots d'écorce et du sirop d'érable et c'est à peu près tout. Pas un mot sur l'animisme, sur le Grand cercle de la vie, sur leur médecine, sur leurs rapports humains, sur leurs maisons. Sinon un murmure disgracieux portant sur plusieurs millénaires d'occupation humaine du territoire. Ils vivaient tous dans des tipis et disaient hugh de temps à autres. Ils mangeaient des patates et du blé d'Inde...
Ce territoire, d'ailleurs, ne portait pas le nom d'un conquérant. Il ne s'appelait pas Amérique pour honorer un certain Amerigo Vespucci. Les Autochtones s'entendaient presque tous pour nommer l'Île de la Tortue ce territoire que nous occupons . Les membres des Premières Nations n'auraient d'ailleurs jamais pensé offenser leur toponymie en désignant les continents, les montagnes et les rivières avec des noms d'êtres humains. Leur vision de la toponymie était essentiellement poétique. Pas de Mont Washington ou de rivière Saint-Maurice mais le Mont de-la-demeure-du-Grand-Esprit et la rivière de l'Enfilée d'aiguilles. Cela explique pourquoi les conquérants ont cru qu'ils étaient des barbares...
À Trois-Rivières, qui s'appelait autrefois Lieu-où-se-décharge-tous-les-vents (Métabéroutin), on peut voir encore ces ravages de l'histoire officielle. Un seul monument rappelle la présence des autochtones en ce lieu. Un monument à la mémoire du Sieur de Laviolette, soi-disant fondateur de Trois-Rivières. Il est situé tout près du bureau de poste, au centre-ville. On peut voir sur les plaques de bronze qui lui sont consacré une poignée de Sauvages à genoux devant le noble seigneur... Chaque fois que je passe devant ce monument ma moitié de sang anishnabeg me colore les joues d'indignation.
On ne se souvient aucunement qu'il y avait des Anishnabegs, des Atikamekws et des Haudenosaunees qui occupaient ce territoire depuis des millénaires. On ne veut pas s'en souvenir, sinon pour nommer de temps à autres un terrain de golf ou bien un édifice de béton quelconque. Ce qui est d'autant plus ironique que les Autochtones n'en ont historiquement rien à cirer de cette vision européenne de la toponymie comme je l'ai dit précédemment.
On fête cette année le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Jamais les Autochtones n'ont participé à cette fondation de quelque façon que ce soit. Le Québec y est entré sans référendum. Il semble même que les Terreneuviens n'en voulaient pas et qu'on aurait trafiqué les résultats. Bref, il n'y a pas de quoi fêter.
Une polémique a surgi cette semaine à propos d'une série télévisée sur l'histoire du Canada diffusée par la CBC. Les Français y apparaissent sales et négligés. On occulte la déportation des Acadiens. On n'y parlerait à peu près pas des Autochtones. C'est un cas patent d'histoire telle que racontée par les vainqueurs et cela ne devrait étonner personne.
Ce n'est pas une raison de ne pas s'en indigner, évidemment.
J'aimerais néanmoins que l'indignation porte plus loin que cette vision réductrice de deux peuples fondateurs.
Il y avait peut-être 100 millions d'êtres humains sur l'Île de la Tortue avant l'arrivée des conquistadors européens. Les Autochtones ont été décimés comme des bisons. Non seulement par la maladie, mais aussi par la guerre, l'assimilation et, disons-le clair et net, ce fut un génocide rarement égalé dans l'histoire universelle.
Pour un Bartolomé de Las Casas qui a élevé la voix contre ces massacres, il y eut des milliers de conquérants pour les applaudir. La civilisation européenne s'est imposée sur l'Île de la Tortue comme un rouleau-compresseur aplanissant tout sur son passage.
Français et Anglais sont coupables d'entretenir ce mythe des deux peuples fondateurs.
Le chef anishnabeg Capitanal, qui pourrait être considéré comme le fondateur de Trois-Rivières si nous étions moins racistes, s'était présenté à Samuel de Champlain pour lui demander qu'on y bâtisse un fort pour les protéger des attaques de leurs ennemis haudenosaunees et d'y poursuivre le commerce des fourrures avec leurs alliés les Français.
Et vous savez ce qu'il a dit à Champlain, ce Capitanal?
-Vos fils marieront nos filles et nous formerons une nouvelle nation.
Ce métissage revendiqué par Capitanal s'est bel et bien produit.
Je suis moi-même un Métis qui descend peut-être de ce Capitanal, voire des associés de Samuel de Champlain.
Ce peuple métissé est une réalité que l'on ne veut pas voir.
Le mythe du Sauvage inutile est entretenu sous d'autres formules.
Je sais que mon père cachait cet héritage pour ne pas nous faire passer pour des Sauvages. C'était une manière pour lui de nous protéger de l'histoire des conquérants... On ne voudrait pas passer pour Juif en Allemagne en 1943. Il voulait nous éviter d'être stigmatisés. Nous pouvions donc rêver avec les autres de revoir notre Normandie...
La mère de mon père était Anihsnabeg et provenait de la réserve d'Akwesasné.
Quand je pense à cette grand-mère que je n'ai jamais connue, il me semble entendre mes frères et soeurs autochtones danser pieds nus sur la Terre Sacrée. Je ressens la tristesse de ce grand orignal blessé qui s'est enfoncé dans la forêt pour y mourir en paix. Je ressens aussi l'appel des jeunes orignaux qui croient qu'on a suffisamment abusé les Autochtones et je m'écrie avec eux Idle No More!
En tant que Métis, je suis minoritaire de tous bords tous côtés.
Minoritaire en tant que francophone dans le Canada actuel.
Minoritaire par mon ascendance autochtone, au Québec comme au Canada.
Quelque chose me dit encore que mon pays s'appelle l'Île de la Tortue et qu'il ne reconnaît pas ces frontières artificielles créées par les conquérants.
Quelque chose me dit que l'histoire de mon pays plonge ses racines dans la nuit des temps, avant même que les Égyptiens n'aient construit leurs premières pyramides.
Avant que de célébrer l'histoire du Canada ou bien du Québec, il faudrait peut-être se guérir une fois pour toutes de l'Histoire avec un grand H et remettre en question cette notion hypocrite de deux peuples fondateurs.
Comme le disait le jazzman afro-américain Sun Ra dans une formule que je rappelle souvent: History is not my story. Son histoire, ce n'est la mienne...
Nous avons tous des pages douloureuses de notre histoire ( m^me si les dominants les cachent encore ) faites de guerres fratricides imposées à des ancêtres qui ne les voulaient pas . Il nous faut renouer avec ceux qui auraient dû fraterniser - à nous de le faire .
RépondreEffacer