On ne pouvait jamais échapper à la messe. Il fallait y aller soit le samedi soir ou bien le dimanche matin. Comme c'était Pâques, je ne pouvais pas échapper au dimanche matin. Toute la famille devait nécessairement se mettre sur son trente-six pour que nous fassions figure d'honnêtes et propres paroissiens.
J'avais dix ans à l'époque. Ma coupe de cheveux était un hybride entre les Beatles et René Simard. Plutôt grand et pas encore tout à fait gros, je portais des lunettes plus larges que ma figure. Des lunettes semblables à celles du chanteur John Denver. Je ne choisissais pas mon look à l'époque. C'était encore ma mère qui choisissait pour moi, pour nous. Bref, j'avais l'air propre et plutôt coquet.
-Sont tellement beaux les p'tits Bouchard! disaient les voisines.
Ça suffisait pour enorgueillir ma mère. On n'était pas riches, mais on était beaux et surtout nous étions propres.
Ce qui m'embêtait le plus, c'était ma maudite chemise de soie. Elle me collait à la peau et me faisait suer.
-J'l'aime pas c'te chemise-là, m'man!
-Mets-la don' bonyenne! T'es beau là-d'dans... Au prix qu'elle m'a coûtée...
Évidemment, que je la mettais. Et cela me faisait chier.
-Quand est-ce qu'on va avoir notre chocolat? demandait Ti-Mik le plus jeune de mes frères.
-Après la messe!
-Qu'est-cé qu'on va mangé pour dîner? demandé-je à ma mère.
-Du jambon pis une grosse omelette!
J'étais rassuré. Je pouvais aller à la messe.
Le curé Dionys ressemblait un peu au curé Labelle. C'était lui qui officiait à l'église Notre-Dame-des-Sept-Allégresses. Il me semblait grand et gros, gris et pas très bec pincé. Il parlait comme un ouvrier. Même ses invocations latines avaient un quelque chose de prolétarien. Mon père l'aimait bien je crois. Il devait lui trouver un air avec son oncle Damase, qui fut un temps curé de Sayabec et même missionnaire en Chine après avoir baisé ses paroissiennes selon la rumeur établie.
Les plafonds de l'église étaient consacrés à Jésus ainsi qu'à St-François-d'Assise. Les Franciscains, ces frères des pauvres, étaient au bon endroit. Il ne manquait pas de pauvreté dans le quartier. Il manquait surtout de l'argent. Quant à l'amour, ce ne sont pas les Franciscains qui doivent le pratiquer le plus souvent à ce que je sache. Ma mère avait compris ça. Mon père aussi. Et ils avaient conclu qu'il fallait empêcher la famille après leur quatrième enfant. Moi-même j'étais le fruit de la seule méthode contraceptive permise par le Très-Sainte Église romaine, c'est-à-dire la méthode Ogino. Si je puis vous en parler, c'est bien parce que cette méthode ne fonctionne pas... Je dois ma vie à Kyusaku Ogino, en quelque sorte...
À l'église, je regardais les peintures et le chemin de croix en attendant que ça passe. Il m'arrivait aussi de regarder une fille que je trouvais jolie. Ça m'occupait l'esprit tandis que le prêtre répétait ses litanies.
Mon pauvre père s'endormait souvent pendant les offices, au grand désespoir de ma mère. C'était d'autant plus gênant qu'il lui arrivait de ronfler.
C'était justement arriver pendant la messe de Pâques. Ma mère lui avait donné un coup de coude dans les côtes pour qu'il se réveille.
Une fois bien réveillé, mon père s'était mis à tousser pour camoufler le son d'un pet qu'il était en train d'évacuer.
-Voyons Conrad! lui murmura ma mère.
J'était étouffé de rire, bien entendu.
-Voyons Gaétan! poursuivit ma mère. Voyons Mario!
Mario aussi riait. Un pet ça fait toujours rire.
Le seigneur est en bazou! Et l'autre en Ferrari!
Élevons notre coeur! Ça va nous prendre un ascenseur...
Rendons graisse au Seigneur notre Dieu! Cela est juste et con!
Je reformulais la messe dans mes propres mots pour passer le temps. J'étais déjà de la graine d'athée. J'avais l'intuition que je ne serais jamais tout à fait un bon chrétien.
Quand vint le temps de la communion j'étais tout troublé, comme d'habitude. J'avais de la difficulté à distinguer ma main droite de ma main gauche. Je savais qu'il fallait recevoir l'hostie dans ma main droite et ne comprenait pas encore que c'était celle avec laquelle j'écrivais. Je jouais donc avec ma main en souhaitant que je tombe sur la bonne main devant le curé qui distribuait son micro pain qui collait au palais.
La messe finit par finir. Les paroissiens se saluaient les uns et les autres.
On revint à la maison pour écouter les Super Étoiles de la lutte en attendant le dîner et le chocolat de Pâques.
Mon père profitait des pauses publicitaires pour parfaire notre éducation chrétienne. Il nous parlait de Samson qui avait démoli une armée de Philistins à coups de mâchoire d'âne. Ou bien de David qui a terrassé Goliath. Il voulait nous montrer de cette manière que la religion n'est pas nécessairement efféminée.
Le repas pascal fut gargantuesque, comme tous nos autres repas.
Nous étions six autour de la table, mes parents et leurs quatre garçons.
On n'a pas prié avant de manger. On ne priait jamais avant de manger.
C'était sur la table et on mangeait pendant qu'il y en avait encore.
Ou plutôt, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus.
-J'peux-tu prendre du fromage Velveeta, m'man? osé-je demander par goinfrerie.
-Le fromage Velveeta c'est pour le déjeuner! répondit ma mère.
Elle avait bien raison.
Mais je m'étais tout de même essayé.
Hors-sujet : ma femme et moi relisions ton texte " Les aventures d ' un gourmand " du 19 mars 17 et nous pleurions de rire !
RépondreEffacer@Monde indien: Je suis content que ça vous ait plu. Je me sens du coup moins seul de rire de mes sottises...
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