mercredi 19 avril 2017

Manger du "Muslim" (sic!)

Ça dérapait sur les médias sociaux cette semaine. C'était à propos d'une photo de Gabriel Nadeau-Dubois prise parmi un groupe de femmes voilées. On lui a fait dire tout et n'importe quoi à cette photo. D'aucuns y voyaient un complot islamo-gauchiste pour orienter la Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ) vers la lapidation des femmes adultères, la clitoridectomie, la charia et bien sûr la soumission à l'Arabie Saoudite. Il n'en était rien, évidemment, mais ne comptez pas sur les médias jaunes pour vous raconter une autre version. Le racisme n'existerait pas qu'ils l'inventeraient. On n'attire par les mouches avec du miel, mais avec des matières fécales. Et de la marde (sic!), il n'en manquait pas autour de cette histoire.

Je vous avouerai que je suis fatigué du racisme larvé des conservateurs et autres nationalistes identitaires. Depuis 2001 que l'on nous rabat les oreilles avec l'islamisme.

Bien sûr qu'il existe, l'islamisme. Mais on le voit partout, même là où il n'est pas, comme c'était le cas à l'époque du péril rouge et du maccarthysme. À cette différence près que ceux qui voudraient mener une nouvelle croisade n'ont pas le pouvoir. Ils n'ont que celui de ruminer les mêmes rengaines en lançant toutes sortes d'accusations alambiquées et en reproduisant des amalgames délirants. Sous le prétexte de combattre le fanatisme, une cause qui me semble pourtant sensée, ils se mettent à imiter ce qu'ils dénoncent. Ils en viennent à hurler comme des loups en meute, prêts à vous déchirer parce que vous n'avez pas cracher sur une femme voilée ni incendier une mosquée.

Un brave homme commentait hier les propos de ces soi-disant patriotes qui veulent en découdre avec l'Islam en plus de détester viscéralement le cosmopolitisme qui sent l'ail et le curcuma.

-Vous z'êtes pas tannés de manger du Muslim? qu'il écrivait, ce gars-là.

Cela résumait ce que je pensais en des termes qui me portent à croire que les discours de tolérance et d'ouverture pénètrent heureusement dans toutes les classes de la société. Ce n'est pas qu'une lubie de néo-libéraux, de bobos épousant les idées de Karl Popper sur la société ouverte et quoi d'autre encore. Les gens veulent vivre en paix et, s'ils ont des préjugés, ils sont plus éphémères que les constructions idéologiques de ceux qui souhaitent partir en croisade contre nos compatriotes de confession musulmane.

Je ne suis pas religieux. Je sais très bien que mes droits et libertés doivent être défendus. Par contre, je vous avouerai que je ne me sens pas menacé par les discours religieux, quels qu'ils soient, parce que la  majorité des citoyens de toutes les confessions s'en moquent.

Nous vivons dans un État de droit avec une constitution, un code criminel, une charte des droits et libertés, etc. Ça ne se change pas du jour au lendemain. Ça prend l'accord des dix provinces... ou presque. C'est donc dire que la charia n'est pas prête de passer. Cela signifie aussi que la lapidation est un acte criminel. De même que l'excision du clitoris. Je ne vois pas comment cela pourrait changer. C'est comme ça et c'est tant mieux. Tournons la page et passons à autre chose.

Il semble néanmoins que ce ne soit pas assez pour ceux qui mangent du Muslim.

On devrait fermer toutes les mosquées, interdire le port du voile ou bien le remplacer par une casquette de baseball. On devrait gaver les immigrés de fèves au lard pour qu'ils rotent nos traditions. S'ils ne connaissent pas les plus grands succès de Ti-Paulo Vincent l'extradition serait automatique...

Où est-ce qu'on s'en va avec tant de conneries?

Ça prendrait une charte des valeurs, un code de vie, un tatouage numéroté, le port de l'étoile jaune ou du croissant pour distinguer les bons de la vermine?

Trop c'est trop.

Je le répète: je ne crois pas aux dieux officiels et encore moins aux religions. Je traite le phénomène religieux comme une fantaisie potentiellement dangereuse, comme toute autre idéologie collective. Ce qui inclut l'athéisme, le nationalisme et le hockey.

Par contre, je ne crains pas d'aller vers l'autre.

Je ne crains pas d'avoir une discussion avec un catholique, un musulman ou bien un raélien. Je peux leur parler de la pluie et du beau temps comme à n'importe qui. Je ne suis pas en guerre contre ces êtres humains de chair et de sang. C'est ma manière d'être en paix avec moi-même.

***

Je crains que les péquistes ne naviguent dans ces eaux-là. Je les entends tous les jours critiquer le multiculturalisme-à-la-Trudeau, les femmes voilées, les accommodements raisonnables et la viande halal. J'en tire mes conclusions. Les péquistes ont régressé. Ils tiennent maintenant des discours apparentés aux pires idéologies nationalistes des années '30.

Ils auraient mieux fait d'élire pour chef Alexandre Cloutier tout compte fait.

Cloutier était un "inclusif", comme moi et tant d'autres, qu'ils soient de gauche ou de droite.

Avec Cloutier, la convergence des forces souverainistes aurait été possible sur la base de valeurs humaines communes. Avec Lisée et les trolls péquistes qui bandent sur Marine Le Pen, ce ne sera pas facile. Les maudits gauchistes ressentiront toujours un malaise à s'accoquiner avec Duplessis.

Je vois des péquistes quitter le navire tous les jours. Un intellectuel qui se sent mal à l'aise de cautionner des discours surannés contre le cosmopolitisme. Un concierge qui a toujours brandi le fleurdelisé qui n'en peut plus de tous les voir manger du Muslim. Ça ratisse de plus en plus large. L'héritage de René Lévesque est loin derrière. La social-démocratie fout le camp. On s'y rapproche toujours un peu plus de la meute, de la CAQ et du combat contre le port du burkini sur nos belles plages chaudes...

***

J'ai lu le roman Les Plouffe, de Roger Lemelin, il y a deux ans. Le roman se déroule au début de la Seconde guerre mondiale, à Québec. Les syndicats sont vendus à l'église. On se méfie des protestants et des anglophones. On demeure toujours dans l'ombre du clocher paroissial.

Tous sauf Denis Boucher et Guillaume Plouffe. Denis Boucher, le journaliste, se tourne contre les nationalistes qui encensent Mussolini, Hitler, Franco et Salazar. Il devient correspondant de guerre, comme René Lévesque le fit à la même époque paradoxalement. Guillaume Plouffe part se battre contre les fascistes. Et ceux qui restent continuent de brandir le Sacré-Coeur en critiquant les communistes, les Témoins de Jéhovah, les protestants et les maudits Juifs...

Je serais malhonnête de dire que rien n'a évolué depuis. Par contre, il demeure toujours au Québec cette tentation de flirter avec le duplessisme et tout ce qui vient avec.

Cela représente une menace bien plus réelle pour nos droits et libertés qu'une femme voilée déjà stigmatisée et écrasée dans son coin.

René Lévesque était un libéral au sens noble du terme. Peu d'intellectuels au Canada-Français partageaient son point de vue. Lévesque était ouvert sur le monde bien avant 1945.

Il a été l'un des premiers correspondants de guerre à entrer au camp de concentration d'Auschwitz suite à sa libération.

Il a vu de ses yeux vus jusqu'où pouvait mener un discours nationaliste exacerbé.

Il a voulu libérer un peuple, au sens large du terme, sans distinction.

Je ne vois pas ce soi-disant héritage de René Lévesque dans les croisades que semblent vouloir mener les nationalistes.

Je les vois jour après jour manger du Muslim.

Et, franchement, ça me dégoûte.

Et ça me rapproche de Québec Solidaire, avouons-le franchement.

Vers les islamo-gauchistes-inclusifs-multiculturalistes-cosmopolites-bobos-qui-puent-l'ail-et-le-curcuma.

1 commentaire:

  1. Excellent texte. Ce passage me rejoint entièrement et le reste aussi.
    "Je ne crains pas d'avoir une discussion avec un catholique, un musulman ou bien un raélien. Je peux leur parler de la pluie et du beau temps comme à n'importe qui. Je ne suis pas en guerre contre ces êtres humains de chair et de sang. C'est ma manière d'être en paix avec moi-même."
    Merci.

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