mercredi 12 avril 2017

Dépanneur Gros Dan

Le boss du Dépanneur Gros Dan était gros et s'appelait Dan. 

C'était pas un mauvais diable. Ni un bon dieu. C'était le gros Dan. Gros Dan: un petit gros ventripotent à l'air patibulaire. On le prenait comme on pouvait, Gros Dan. Le mieux c'était de ne jamais lui adresser la parole. Gros Dan pardonnait tout, sauf que l'on se plaigne de quoi que ce soit. C'était sur le dos du plaignant que tombait inéluctablement sa foudre.

-Travaille au lieu d'te plaindre! était sa maxime préférée.

Il nous avait aussi confié, Gros Dan, qu'il n'aimait pas les officiers rapporteurs, c'est-à-dire les stoules.

Les stoules ça faisait chier Gros Dan.

-Moé les stoules j'te les étriperais! qu'il disait sans avoir l'air de vouloir passer à l'acte. Le Gros Dan mangeait plus de Mae West qu'il ne donnait des volées. Tant qu'il mangeait et qu'il ne recevait pas de plaintes, tout allait bien avec le Gros Dan.

N'empêche que Gros Dan se disait trop pauvre pour nous payer un bicycle. 

J'y étais commis, dans son dépanneur, et je devais livrer des caisses de vingt-quatre à pieds.

J'avais treize ans. Le Gros Dan avait au moins le mérite d'exiger du pourboire pour les jeunes. Au moins, il ne nous faisait pas forcer pour rien, le Gros Dan. Il avait sa justice, somme toute. Pourtant, on était plusieurs à croire que Gros Dan aurait dû nous payer un bicycle. Ce qui fait qu'on a appris à se débrouiller. Nous nous sommes acheté des bicycles avec nos économies. Pis des meilleurs bicycles.

Le Gros Dan était encore plus gras dur qu'avant. Il s'était acheté trois autres dépanneurs Gros Dan, une rôtisserie Gros Dan, un garage Gros Dan, une confiserie Gros Dan, un salon de coiffure Gros Dan et même un Hôtel de Ville Gros Dan.

Nous faisions encore des livraisons pour Gros Dan, mais en char, pour ses pizzérias, ses pharmacies, ses hôtels et autres poudres à renifler.

Gros Dan n'avait pas changé d'un iota au fil des ans. Il était tout aussi bouffeur que bouffi. Il n'aimait pas les stoules ni les plaignards.

Il demandait seulement le droit de manger en paix.

Toute la journée.

Tout le temps.

On ne peut pas dire qu'on était pas bien traités avec Gros Dan.

L'important, c'était surtout de ne jamais lui parler.

À part de ça, jamais de soucis avec Gros Dan.

Gros Dan voudrait ouvrir des franchises Gros Dan aux États-Unis. 

Il appellerait ça Big Dan Convenience Store. Il pense aussi à Big Dan's Hotel. Et à Big Dan-whatever.

Ensuite ce sera la Russie.

Pourtant, toujours pas moyen de lui faire payer nos bicycles.

-J'en fais-tu du bicycle, moé? qu'il nous dit encore Gros Dan. J'en fais pas du bicycle. Vous voulez faire du bicycle? Bin faites-en du bicycle! Pis v'nez pas vous plaindre parce que moé les plaignards pis les stoules, chu pas du genre à aimer ça!

C'est un gros cave, okay.

Mais c'est Gros Dan.

On ne le changera pas.


Rémi Flageolet
Commis au dépanneur Gros Dan de 1982 à 1988
Livreur et chauffeur personnel de Gros Dan (actuellement)
accepterait même un job simple de concierge

Rémi Flageolet à l'époque où il était
commis d'épicerie et livreur au Dépanneur Gros-Dan (1982)




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